"Il est rare qu'on [les paysans] se fatigue à parler. Parler, c'est aussi travailler, seulement ça ne se paye pas.
Ce qui est drôle, c'est que plus un travail est dur, moins il est payé. Ceux qui font des travaux un peu plus faciles gagnent déjà mieux. Le maraîcher qui ne fait qu'aller et venir pour regarder ses choux pousser, gagne beaucoup plus que son homme de peine qui pioche la terre. Et il en va de même sur toute la ligne. Quand on est pauvre, on vit pauvrement, et en vivant pauvrement, on récolte les travaux les plus durs. C'est qu'on n'a pas envie de faire travailler sa tête. Parce qu'on est fatigué, on ne peut pas réfléchir. Les gens fatigués peuvent bien bouger leurs bras, et leurs mains continuent de remuer les outils, mais pendant ce temps-là, ils ne pensent pas. On a déjà beaucoup de peine à calculer ce qu'on vous doit pour la journée. Quand toute la journée, on charrie de la terre, on ne sait même pas quel jour on est. S'il n'y avait pas le dimanche, on ne pourrait jamais calculer combien de jours on a travaillé dans la semaine."
Le soldat ne lui prêtait déjà plus attention, son regard errait au loin. Il était plongé en lui-même.
"Et n'allons pas croire que c'est la police qui les contient.Les pauvres ne se soucient guère de la répression. Ce qui les anime, c'est la lueur d'espoir qu'ils entretiennent de voir les choses changer. Si l'humanité tient debout, c'est par l'espérance, la foi, le sentiment de l'honneur, voilà ce qui tient en bride l'humanité. C'est proprement ahurissant ce que l'homme est capable de supporter. À l'école on nous disait déjà que, de toutes les espèces, il n'en est que deux qui soient en mesure d'affronter les extrêmes : l'homme et le chien ; il n'y a guère d'autre animal pouvant s'acclimater sous toutes les latitudes, des océans polaires jusqu'aux tropiques."