« C'est afin de savoir si je pouvais exprimer avec suffisamment de clarté des sentiments ressentis très tôt et les justifier avec assez de force que j'en suis venu à écrire ce livre ; comme pour faire de ces sentiments une sorte d'incantation, à même de chasser chez ceux dont la nature s'apparente à la mienne les démons particuliers qui m'ont assailli [
].
Comme j'ai été suffisamment chanceux pour échapper à une telle existence et revenir à une vie plus naturelle, je me vois confier, tel un cadeau reconnaissant au destin, la tâche de fournir à ceux se trouvant encore dans la situation que j'ai connue un certain nombre de formules magiques, grâce auxquelles, peut-être, ils pourront exorciser leurs pires démons.
J'écris ainsi en connaissance de cause, à partir d'expériences accumulées de résistance à la vie moderne, consolidées en habitude mentale [
].
[
] nous en venons tellement, dans la grande cité moderne, à nous cogner la tête contre les murs, nous sommes si assourdis par le tumulte, si saoulés de sa sexualité éhontée et de son alcool meurtrier, la confusion grégaire empêtre tellement nos nerfs dans ses scories, que la seule chose qui puisse vraiment nous aider serait une philosophie bien plus précise et radicale [
] ; une philosophie réelle, forte, redoutable, sans rhétorique, une philosophie de l'introspection, de l'introspection métaphysique, qui se confronte au socle de granite de la situation ultime, dans sa réalité brute et nue.
[
]
Les choses vont si mal que ce qu'il nous faut, ce sont des attitudes mentales claires, définies, qui sortent de la mêlée et nous fournissent, tels les vieux drapeaux en lambeaux, lacérés par la guerre, des symboles combatifs plutôt que des systèmes rationnels.
[
] le lecteur doit garder en mémoire que cet ouvrage se veut un moderne Enchiridion ou un Manuel de contemplation dans la difficulté. [
]
Plongeons donc [
] dans nos âmes et soyons seuls, dans cette Solitude qui peut créer et détruire sans recourir à la violence. [
] » (John Cowper Powys [1872-1963])
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Référence bibliographique :
John Cowper Powys, Une philosophie de la solitude, traduit par Michel Waldberg, Éditions Allia, 2020
Image d'illustration :
https://www.abebooks.com/first-edition/John-Cowper-Powys-Selection-Poems-Published/30698385168/bd
Bande sonore originale : So I'm An Islander - The White Troll And The Dead Tree
The White Troll And The Dead Tree by So I'm An Islander is licensed under a CC BY-SA 3.0 Attribution-ShareAlike 3.0 license.
Site :
https://www.free-stock-music.com/soimanislander-the-white-troll-and-the-dead-tree.html
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Il n'y a rien de spirituel chez Proust; et c'est précisément ce qui confère une aussi formidable autorité à ses généralisations esthétiques et philosophiques. Ce à quoi Proust nous rend attentifs, et non sans raison, c'est au fait qu'une "suggestion d'immortalité" basée sur l'effet produit sur notre âme par une petite madeleine trempée dans une infusion de tilleul a plus de poids, de vie et de réalité que tous les arguments intellectuels de Platon en faveur de l'immortalité.
"Proust", les plaisirs de la littérature, traduit de l'anglais par Gérard Joulié, l'Age d'homme, 1995.
Il y a quelque chose dans le mot printemps qui suggère non seulement la fragilité des pousses nouvelles, mais aussi ce monde humide, glacé, terreux, odorant de mousse, que les brins d'herbe couleur d'émeraude, les fourreaux et les dagues transparentes ont percé pour émerger enfin à l'air libre.
Le mot printemps, empreint comme il l'est du vert même des tiges de jacinthes, du bleu des œufs de fauvette, du reflet des pétales de chélidoines, est chargé d'une signification à la fois nostalgique et humaine : il oblige l'esprit à se replier, par-delà la supplication de chaque son et de chaque paysage printaniers, jusque dans l'obscure terre primordiale saturée de pluie d'où toute chose sont issues, jusque dans des lieux humides et froids où les baguettes cinglantes du coudrier frappent la peau, où le sol dissimule traitreusement ses marécages, où de jeunes oiseaux et de jeunes lapins sont dévorés par les faucons, où les effluves provoquent de dangereuses accalmies et le retour de douloureux souvenirs, où de noirs liquides empoisonnés suintent du tronc des hêtres, où les bourgeons des prunelliers sont autant de présages du destin, du malheur et de la mort subite.
Les vêtements mouillés des deux femmes imprégnaient la pièce d'une odeur triste et mélancolique, où se mêlaient les feuilles tombées, les ornières boueuses et la brume enveloppante. L'humidité qui persistait autour de leur corps semblait, par une attraction irrésistible, appeler à travers la petite fenêtre la grande masse mouvante de la pluie.
Les charbons rougeoyants dans l'âtre perdaient de leur chaleur et la lueur rose que reflétait la bibliothèque encombrée s'atténua. Le démon bleu de la flamme qui dansait comme un papillon endiablé au sommet des charbons faiblit et mourut. Un grand visage aveugle et fluide s'écrasait contre la vitre - l'informe visage gris de la pluie. On eût dit qu'un bras fantomatique, ondoyant et obscur, glacé comme celui d'un cadavre, tâtonnait pour s'agripper à ces deux silhouettes ruisselantes, comme si, transpercées par l'eau, elles n'appartenaient pas à la chaude intimité humaine mais aux champs noyés du dehors.
Le visage de Hastings refléta une violente lutte intérieure : les veines de son cou se tendirent comme une corde de fouet, des gouttes de sueur parlèrent sur son front, son teint se colora brusquement puis redevint pâle, et ses doigts qui jouaient avec un couteau d'argent en courbèrent la lame jusqu'à ce qu'elle parût sur le point de se rompre. Il demeura pétrifié, respirant avec effort comme un être au bord d'une crise. Les femmes le regardaient en silence ; toutes trois semblaient savoir qu'une seule étincelle suffirait à mettre le feu aux poudres, et dans ce silence, le tourbillon de leur penses évoquait trois phares de couleur différente projetant leur lumière sur une mystérieuse tempête.
Il longea le bord du fossé, cherchant une planche pour le traverser, mais il n'y avais pas de planche : rien qu'un autre fossé noir plus large que le premier. Il connut un moment étrange, atroce, pris au piège là entre ces deux fossés noirs. Les roseaux étaient pourris depuis longtemps, et leurs tiges brunes se dressaient, tordues comme les plumes du crâne d'un oiseau obscène dont le squelette aurait été happé par la boue. Les feuilles mortes des saules avaient presque comblé l'un des fossés, sur l'autre flottait la branche morte d'un aulne, et de tous côtés s'élevait une lourde odeur pestilentielle qui semblait être l'ultime émanation d'un monde à la chair décomposé.
Les étranges hiéroglyphes inscrits sur la face de la lune semblaient sur le point de lui révéler, à lui seul parmi tous les humains, un des secrets de l'univers. Alors qu'il le contemplait, l'immense disque d'argent se fit plus proche, plus grand, plus brillant. Cessant d'être un satellite de la terre, le simple miroir d'un soleil invisible, il devint un lac circulaire et lumineux qui l'attirait vers lui, qui l'attirait en lui. Le ciel bleu-noir autour de la lune devint un rivage à la pente glissante, sans aucune saillie, aucune lézarde à laquelle Rook pût s'agripper : rien qui arrêtât sa chute rapide, fatale, totale, dans ce gouffre magnétique !
Il eut mal à force de renverser la tête, mais ses doigts ne lâchèrent pas le parapet. Un oiseau nocturne déployant son vol concentrique au-dessus de lui aurait confondu son visage avec une parcelle inanimée de blancheur, dressée là comme un signe dans la nuit.
Rook demeurait immobile, ensorcelé. Et une étrange correspondance s'établit entre le visage blême qui regardait la terre et le visage blême qui regardait le ciel.
" Le vent qui fait frissonner l'herbe à son gré va et vient. Certains sont nés pour accueillir son message, d'autres pour le refuser. Chez ceux qui sont nés pour l'accueillir, on perçoit un étrange détachement des consolations d'ici-bas. "
[John COWPER POWYS - cité par Floreal Peleato dans son article "Un monde de traces effacées par le vent" à propos du réalisateur Robert MULLIGAN et son film "The Stalking Moon" ("L'Homme sauvage", 1968), in "Positif" revue mensuelle de cinéma, n°715, page 112].
Les sens, plus que l'esprit, ont une intelligence qu'il sera utile de découvrir.
Doucement tu murmurais « Tu oublieras »
Et moi qui t’embrassais d’un « Jamais »
Sais que le plus amer regret
N’est pas d’avoir quitté tes bras.
C’est qu’une chose plus douce, plus rare
Que toutes celles que j’ai vécues,
Puisse se mêler à l’air
Et d’être comme non avenue.
(John Cowper Powys)
Moi je t’aime et toi tu l’aimes
Lui aime un troisième larron,
Moucherons humains nous passons
Notre temps dans les dilemmes.
[…]
Tu m’aimerais autant que je t’aime
Elle l’aimerait et lui
Aimerait –peu importe qui,
Ce qui nous laisserait indemnes ?
[John Cowper Powys]