Luc Courchesne est un pionnier de la création numérique. Des portraits interactifs aux expériences immersives, il crée des oeuvres innovantes et engageantes qui lui ont mérité des récompenses prestigieuses comme le Prix du Gouverneur Général en arts médiatiques (2021), le Prix Paul-Émile Borduas 2019 (Prix du Québec), le Grand Prix de la Biennale de l'ICC à Tokyo en 1997 ainsi qu'un Award of Distinction d'Ars Electronica (1999) à Linz en Autriche. Ses oeuvres font partie de grandes collections et ont fait l'objet d'environ 180 expositions à travers le monde. Diplômé du Nova Scotia College of Art and Design en 1974, puis du Massachusetts Institute of Technology en 1984, il a été l'élève d'Anthony Mann, de Michael Snow et d'Otto Piene. Il est un membre fondateur de Société des arts technologiques (SAT), professeur honoraire à l'Université de Montréal, chargé de studio à l'Université McGill et membre de l'Académie royale des arts du Canada. C'est la Galerie Pierre-François Ouellette art contemporain qui le représente.
Conférence : Où habitez-vous ?
Vendredi 6 mai 2022, 12h15 - 13h Amphi rouge
Imaginez que le travail de mise relation et en espace des données d'un corpus est pris en charge par des algorithmes capables de structurer, d'organiser et de disposer un grand nombre d'éléments, que ces scénographies d'éléments peuvent être évolutives, qu'elles se réorganisent en temps réel sous vos yeux
Imaginez le plaisir d'observer de l'intérieur ce qui se passe. Ça serait comme si on venait à nouveau au monde, qu'on migrait vers des territoires non cartographiés, dans des théâtres de mémoire et de connaissances inédits, au coeur de modèles ontologiques émergents, où tisser de nouveaux récits identitaires. Imaginez enfin un croisement entre la Bibliothèque de Babel de Jorge Luis Borges et le Mertzbau de Kurt Schwitters. le projet Ontologies éphémères : génération algorithmiques de mondes explorables ambitionne de faire apparaître des formes nouvelles de mise en espace et d'expériences immersives rétroactives qui informent, inspirent et transforment le rapport à soi et au monde.
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Ne pas avoir la nausée devant les récompenses accordées aux grossières cruautés, aux menteurs, aux faussaires, aux fabricants d’objets mort-nés, aux affineurs, aux intéressés à plat,aux calculateurs, aux faux guides de l’humanité, aux empoisonneurs des sources vives.
Ne pas avoir la nausée devant notre propre lâcheté, notre impuissance, notre fragilité, notre incompréhension.
Rejetons de modestes familles canadiennes-françaises, ouvrières ou petites bourgeoises, de l’arrivée au pays à nos jours restées françaises et catholiques par résistance au vainqueur, par attachement arbitraire au passé, par plaisir et orgueil sentimental et autres nécessités.
Colonie précipitée dès 1760 dans les murs lisses de la peur, refuge habituel des vaincus ; là, une première fois abandonnée. L’élite reprend la mer ou se vend au plus fort. Elle ne manquera plus de le faire chaque fois qu’une occasion sera belle.
Un petit peuple serré de près aux soutanes restées les seules dépositaires de la foi, du savoir, de la vérité et de la richesse nationale. Tenu à l’écart de l’évolution universelle de la pensée pleine de risques et de dangers, éduqué sans mauvaise volonté, mais sans contrôle, dans le faux jugement des grands faits de l’histoire quand l’ignorance complète est impraticable.
Rompre définitivement avec toutes les habitudes de la société, se désolidariser de son esprit utilitaire. Refus d’être sciemment au-dessous de nos possibilités psychiques et physiques. Refus de fermer les yeux sur les vices, les duperies perpétrées sous le couvert du savoir, du service rendu, de la reconnaissance due. Refus d’un cantonnement dans la seule bourgade plastique, place fortifiée mais trop facile d’évitement. Refus de se taire, — faites de nous ce qu’il vous plaira mais vous devez nous entendre — Refus de la gloire, des honneurs (le premier consenti) : stigmates de la nuisance, de l’inconscience, de la servilité. Refus de servir, d’être utilisable pour de telles fins. Refus de toute INTENTION, arme néfaste de la RAISON. À bas toutes deux, au second rang !
Il est naïf et malsain de considérer les hommes et les choses de l’histoire dans l’angle amplificateur de la renommée qui leur prête des qualités inaccessibles à l’homme présent. Certes, ces qualités sont hors d’atteinte aux habiles singeries académiques, mais elles le sont automatiquement chaque fois qu’un homme obéit aux nécessités profondes de son être ; chaque fois qu’un homme consent à être un homme neuf dans un temps nouveau. Définition de tout homme, de tout temps.
Aucun peuple plus que nous, je crois bien, n'avait creusé les inextricables problèmes de la morale catholique. Le péché mortel était notre grande obsession. Il nous guettait tous à chaque instant : manquer la messe le dimanche était Péché mortel, manger de la viande le vendredi, aussi. Blasphémer, « sacrer », prononcer le nom de Dieu ou des choses saintes en vain, cacher un péché mortel en confession étaient tout aussi répréhensibles. En matière de sexualité, nos prêtres étaient sans rémission. Rien ne leur échappait, ni les mauvaises pensées, ni les mauvais désirs, ni les mauvais regards, ni les mauvais touchers, ni les mauvaises actions. Nos parents se débattaient misérablement avec leur conscience d'un acte sexuel à l'autre. Avait-on « empêché la famille » ? Avait-on employé les moyens contre nature (l'innocent condom ou le coïtus interromptus) ? S'étaient-on livrés à des attouchements indécents ? à des caresses lascives ? à des touchers sur les parties honteuses ? à des baisers colombins (le French kiss de nos ancêtres gaulois) ? avaient-on jeté les yeux sur des revues obscènes ? avaient-on assisté à des spectacles indécents au Gaité par exemple ?
Petit peuple issu d’une colonie janséniste, isolé, vaincu, sans défense contre l’invasion de toutes les congrégations de France et de Navarre, en mal de perpétuer en ces lieux bénis de la peur (c’est-le-commencement-de-la-sagesse !) le prestige et les bénéfices du catholicisme malmené en Europe. Héritières de l’autorité papale, mécanique, sans réplique, grands maîtres des méthodes obscurantistes, nos maisons d’enseignement ont dès lors les moyens d’organiser en monopole le règne de la mémoire exploiteuse, de la raison immobile, de l’intention néfaste.
Petit peuple qui malgré tout se multiplie dans la générosité de la chair sinon dans celle de l’esprit, au nord de l’immense Amérique au corps sémillant de la jeunesse au cœur d’or, mais à la morale simiesque, envoûtée par le prestige annihilant du souvenir des chefs-d’œuvre d’Europe, dédaigneuse des authentiques créations de ses classes opprimées.
Notre destin sembla durement fixé.
Des consciences s’éclairent au contact vivifiant des poètes maudits : ces hommes qui, sans être des monstres, osent exprimer haut et net ce que les plus malheureux d’entre nous étouffent tout bas dans la honte de soi et la terreur d’être engloutis vivants. Un peu de lumière se fait a l’exemple de ces hommes qui acceptent les premiers les inquiétudes présentes, si douloureuses, si filles perdues. Les réponses qu’ils apportent ont une autre valeur de trouble, de précision, de fraîcheur que les sempiternelles rengaines proposées au pays du Québec et dans tous les séminaires du globe.
Les frontières de nos rêves ne sont plus les mêmes.
Vous connaissant depuis plusieurs années comme un défenseur de l'art, je prends la liberté de solliciter votre attention. Peut-être me consentirez-vous votre aide pour briser le cercle étroit qui tente de nous étouffer.
Professeur de dessin à l'École du meuble, (prototype: école Boulle, Paris) avec le peu d'heures au programme, j'ai formé une ardente équipe de jeunes peintres. Ces cours m'ont été enlevés, le mois dernier, à la suite de la publication d'un manifeste surrationnel, Refus global.
Pour maintenir cette activité à la hauteur actuelle, il serait nécessaire d'établir de nouveaux contacts. Les sentiments nationalistes et religieux, inquiets de notre action, façonnent une digue bientôt infranchissable, si nous ne parvenons pas à manifester au dehors du pays et à déclencher de nouvelles sympathies.
Une exposition de mes peintures à New York permettrait, je crois, ces contacts. L'ennui est que j'ai peu de ressources pécuniaires. Père d'une petite famille de trois enfants, logés dans une maison que j'ai construite, je peux tenir le coup quelques mois au prix de la plus stricte économie.
Croyez-vous que le Musée d'art moderne serait intéressé à me faire cette exposition? (Je sais que vous n'en êtes plus le directeur.)
Je vis dans un drôle d'état depuis un mois! J'oscille entre la certitude d'avoir fait exactement ce que la conscience la plus exigeante m'obligeait de faire, et en même temps, l'impression d'une parfaite impossibilité de vivre en faisant vivre ma famille, dans des conditions pareilles.
Enfin je suis sûr que vous pourriez m'être d'un bien grand secours. Je vous poste, par le même courrier, un exemplaire de Refus global.
D’ici là notre devoir est simple.
Rompre définitivement avec toutes les
habitudes de la société, se désolidariser de son
esprit utilitaire. Refus d’être sciemment audessous de nos possibilités psychiques et
physiques
Dans ma dernière je n'ai pas dit «être le Picasso» du Canada — Pellan aurait plus de raisons de le dire — mais que j'y étais «aussi connu» que Picasso.