International Literature: Christian Jungersen
"Nous savons tous que cette bouteille de vin que j'ai apportée, par exemple, pourrait payer la vaccination de vingt enfants ou sauver la vie d'au moins un enfant. Exactement comme les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils savaient qu'on tuait des juifs, mais ils ne voulaient pas savoir ce que cela signifiait réellement."
Malene se tient les jointures de la main droite et dit : "Mais ce n'est pas la même chose. En ce temps là c'était l'Etat qui tuait. Toi, tu parles d'aide.
- Si, c'est la même chose. Nous marchons dans des chaussures que nous savons avoir été confectionnées par des enfants que ce travail a peut-être rendus invalides. Nous buvons du café que nous savons avoir été acheté à des prix dérisoires, provoquant la famine des villageois."
Ils ont chacun vidé leur grand verre de jus de fruit. Gunnar se penche par dessus la table, il prend sa main douloureuse. Il la chauffe entre les siennes et dit : "J'espère tellement qu'un jour le monde deviendra meilleur. Mais si cela arrive, dans trente ans, nos petits enfants nous regarderont comme ils regardent maintenant nos grands parents nazis et nous diront : "Je ne te comprends tout simplement pas."
"Et nous nous répondrons : "Mais, en ce temps là, c'était tout à fait normal de laisser les gens mourir de faim - de laisser des villages entiers mourir de faim pour avoir du café moins cher."
"Et nos petits enfants nous demanderont : "Oui, mais vous ne le saviez pas ? - Si, nous le savions tous. Mais nous n'y pensions pas. Nous le savions, ET nous n'y pensions pas. C'était tout à fait normal quand on était jeunes."
Nous ne mentons pas seulement aux autres, nous nous mentons à nous-mêmes. Nous vivons tous dans un cabinet de miroirs construit par notre propre vertu morale et il n'y a aucun moyen d'y échapper.
Il y a quelques mois de cela, j'ignorais qu'il existait un monde secret dans lequel des milliers de famille abritaient en leur sein une personne souffrant d'une maladie du cerveau. Je pense aux gens bornés avec qui j'ai pu me disputer dans les supermarchés ou qui se mettaient en colère sans raison au milieu de la rue, des imbéciles qui se mettaient à proférer des âneries pendant une réunion. Je réalise tout à coup que certains d'entre eux souffraient peut-être d'une pathologie mentale, et qu'ils étaient aimés par leurs proches qui, comme moi, allaient rejoindre des groupes de soutien pour tenir le coup.
... ce fut d'abord le respect envers leurs collègues qui amena les hommes à exécuter les ordres jusqu'au bout.
Personne ne souhaitait paraître faible aux yeux des autres. Et comme par ailleurs tous détestaient cette tâche, ils Jugeaient égoïste et non solidaire de se désister - puisque cela signifiait que leurs collègues auraient d'autant plus de meurtres à effectuer.
" - Mais ce n est pas la même chose. En ce temps-là, c'était l''Etat qui tuait. Toi, tu parles d'aide.
- Si, c'est la même chose. Nous marchons dans des chaussures que nous savons avoir été confectionnées par des enfants que ce travail a peut-être rendus invalides. Nous buvons du café que nous savons avoir été acheté à des prix dérisoires, provoquant la famine des villageois. »
Ils ont chacun vidé leur grand verre de jus de fruit. Gunnar se penche par-dessus la table, il prend sa main douloureuse. Il la chauffe entre les siennes et dit :
" - J'espère tellement qu'un jour le monde deviendra meilleur. Mais si cela arrive, dans trente ans, nos petits-enfants nous regarderont comme ils regardent maintenant leurs grands-parents nazis nous diront: "Je ne te comprends tout simplement pas." Et nous, nous répondrons: "Mais, en ce temps-là, c'était tout à fait normal de laisser les gens mourir de faim - de laisser des villages entiers mourir de faim pour avoir du café moins cher."
« Et nos petits-enfants nous demanderont "Oui, mais vous ne le saviez pas? Si, nous le savions tous. Mais nous n'y pensions pas. C'était tout à fait normal quand on était jeunes."
Malene
La vie est si fragile, nos cerveaux se dissolvent petit à petit, ils marchent jour après jour vers ce pays inconnu qu'on appelle la mort.
Il décrit ensuite comment il a été enfermé dans une cage à l'extérieur de Sarajevo.
" Quelque chose en vous, dit-il, est changé pour toujours. On le porte avec soi. Et surtout la désespérance reste accrochée à votre corps. Cette façon que le corps a eue d'abandonner. C'était ça qui vous brisait. C'était ça qui vous détruisait."
Devant un écran, on peut réfléchir tranquillement et en silence aux questions qu'on ne veut pas soulever à voix haute. Je le quitte ou pas ? Je m'en vais ou je reste avec elle ? On peut penser aux aspects pratiques du divorce. Combien aurais je pour vivre et que vont dire les amis, la famille, les enfants ?
Les hommes sont comme ça. Ils sont fascinés par la jeunesse,ils croient rajeunir en faisant l'amour avec des jeunes filles, ou en épousant des femmes plus jeunes qu'eux. Mais ils ont beau se ridiculiser, ils restent de pauvres vieux cons à mi chemin de la tombe. Comme moi.
Chez des amis communs
Il faut comprendre qu'avant la guerre nous allions aux mêmes fêtes - ceux qui allaient devenir des victimes et ceux qui allaient se transformer en bourreaux. Maintenant que la guerre est finie, nous essayons de nouveau. Dans toute l'ex- Yougoslavie, il règne une drôle d'ambiance : beaucoup de radios ne diffusent que de la musique des années 70 et 80. Souvent nous faisons comme si les années 90 n'avaient jamais existé.
Ainsi d'anciennes victimes peuvent s' attendre à se retrouver dans des fêtes avec d'anciens bourreaux.
Malène