Comme le remarquait Toqueville à propos de l'effondrement du christianisme à la fin de l'Ancien Régime : "Les hommes qui conservaient l'ancienne foi craignirent d'être les seuls à lui rester fidèles, et, redoudant plus l'isolement que l'erreur, ils se joignirent à la foule sans penser comme elle. Ce qui n'était encore que le sentiment d'une partie de la nation parut ainsi l'opinion de tous, et sembla dès lors irrésistible aux yeux mêmes de ceux qui lui donnaient cette fausse apparence."
De ce point de vue (réussite sociale de certains immigrés),il est difficile de décrire l'Europe comme une civilisation en déclin.Et pourtant, c'est une civilisation en déclin.Il lui manque un facteur difficile à définir.Qu'elle soit ou non capable de se défendre, elle a perdu de vue la raison pour laquelle elle devrait se défendre (p 459).
L’immigration est en effet une opportunité culturelle, à la fois euphorisante et revivifiante. Mais c’est aussi une épreuve de force entre deux cultures. Par le passé, les immigrations – les réfugiés juifs et huguenots, les manœuvres de Pologne, d’Irlande ou d’Italie – étaient assez importantes pour enrichir leurs territoires d’accueil, mais pas assez pour les menacer.
Ce livre est la suite logique d’une voie ouverte, en 1996, par le politologue américain Samuel Huntington, avec son livre Le Choc des civilisations, dans lequel il présente la culture islamique comme un ensemble unifié, n’évoluant pas, répugnant à s’ouvrir aux influences extérieures. D’autres essais de la même veine, décriront une opposition frontale entre l’Occident et le monde arabo-musulman, ils parleront d’une bataille de valeurs et de l’intelligence, où l’islam incarne l’intolérance et un passé rétrograde face à un Occident démocratique. Certains mettent l’accent sur le fait que l’islam menace l’Europe, vers les années 2010, la notion d’axe du mal « Eurabia » nous proposera cette description d’un islam conquérant, autoritaire, envahissant l’Europe, une UE bientôt absorbée par un monde arabe expansionniste du fait d’une immigration arabe massive voulue par l’élite multiculturelle.
C’est un livre à charge. L’ouvrage de Caldwell fait la synthèse des dangerosité de l’islam, une sorte de bible de la nouvelle « droite nationale » qui trouve un écho à l’échelle de l’UE avec les partis comme le Parti du peuple danois, Droit et Justice en Pologne ..etc
Que dit-il ? l’Europe fait face à un envahissement musulman avec une natalité « galopante » alors que les naissances des Européens « s’effondrent ». Il prédit que, d’ici 30 ans, l’Italie sera peuplé à 50% « d’étrangers », qu’un cinquième des des Pays-Bas seront musulmans, que le tiers de l’UE sera peuplé " d’éléments non autochtones » et ainsi de suite.
Caldwell manipule, extrapole très facilement les chiffres, néanmoins, nombre d’études, réalisées dans de très nombreux pays, contestent ces chiffres. Ces études s’accordent sur un ratio de 6% de personnes supposées musulmanes soit grosso modo 50 millions sur les 575 millions qui peuplent l’UE, les projections montent à 8 % en 2030. La notion d’envahissement développée par Caldwell est bien maigrichonne aux regards de données un peu plus sérieuses.
E.Todd, dans « Rendez-vous des civilisations » montrent que ce problème de natalité se posent quel que soit la latitude ou la couleurs des religions en exercice. En Algérie, au Maroc… les taux chutent, les communautés musulmanes européennes n’y échappent pas et finissent par rejoindre celle des communautés autochtones entre 1,8 et 2,1 avec quelles qu’ exceptions notables < 1,5.
J’ai été personnellement choqué par cette logique, réductrice mais efficace, développée par Christopher Caldwell qui vise à opposer un bloc identitaire musulman et un bloc chrétien. Une logique, aussi, qui considère tous les immigrés, leurs enfants, les nouvelles générations, quels que soient leur milieu social et leur manière de vivre, comme de potentiels "islamistes" actifs.
Caldwell s’étend longuement sur l’extrémisme islamique, le salafisme djihadiste, la charia, il trouve dans des événements récents les plus horribles tout un argumentaire d’une « contamination ». Ces deux discours extrémistes - l’anti-islamiste et le djihadiste -, tous deux partisans d’un clash des civilisations, se répondent et s’amalgament en une "prophétie autoréalisatrice". Une logique de guerre, à laquelle nous ne sommes pas insensible. Néanmoins, comme on peut le souligner « "Il y a des milliers de jeunes musulmans français qui se voient refuser des stages, mais ils ne commettent pas pour autant des attentats »
C’est oublier volontairement et intentionnellement la réussite de millions de ces Européens issus de l’immigration qui sans abandonner leur religion sont capables de penser la pluralité qu’exigent la plupart des pays de l’UE. Ils sont syndicalistes, avocats, artisans, militants politiques, étudiants.
L’islamophobie développé par Caldwell date d’un autre temps. Une grande part des pays musulmans de la zone asiatique, les plus peuplés, vivent un islam apaisé. S’il y a en Orient ou au Pakistan des groupements de talibans anachroniques, la planète musulmane n’est pas à feu et à sang, les revendications de modernité avancent inexorablement, M.Chebel « partout, la jeunesse proteste, clame son impatience de voir les structures fossiles bouger ; plus aucun despote ne peut conduire son peuple sans être contesté, plus aucun démagogue religieux ne peut se prévaloir de son lien unique à Dieu quand tout le monde "tweette" et "skype" ». (M.Chebel, Algérien, est anthropologue des religions).
Les immigrés apportent aussi avec eux désordre, pénurie et criminalité. Des immigrés turcs ont été impliqués dans des fusillades dans des écoles en France et aux Pays-Bas. L’Italie a ses « laveurs de pare-brise » originaires des Balkans qui soutirent l’argent des automobilistes à la manière des mendiants de Manhattan dans les années 1970 et 1980. Et la plupart des pays d’Europe ont connu des troubles liés aux immigrés, si ce n’est de véritables émeutes.
Il est vrai que la Grande-Bretagne, cas unique parmi les nations d’Europe de l’Ouest, n’avait aucune raison d’éprouver du repentir pour avoir perpétré, encouragé ou passivement observé les atrocités du fascisme, vingt ou trente ans plus tôt. Cependant, le Royaume-Uni avait récemment dissous le plus grand empire de l’histoire du monde (quand il n’en avait pas été chassé), laissant ses citoyens osciller entre la gêne et le manque d’assurance.
En échange de bénéfices économiques mineurs et de très courte durée, l'Europe a replanté les graines d'une menace qu'elle avait mis des siècles de patience et de violence à surmonter - la discorde entre les religions, tant au plan intérieur qu'entre les nations.
L’aubergine, la mangue et le baklava sont plus faciles à trouver que par le passé. Même les embouteillages monstres ont leur bon côté – ils s’étirent sur des dizaines de kilomètres, sur les autoroutes du sud de l’Espagne, tous les étés, quand des travailleurs nord-africains, descendus de tous les pays du continent, embarquent leur famille dans des véhicules hors d’âge et convergent en direction des ferrys qui effectuent la traversée jusqu’au Maroc. Ils prouvent que l’Europe immigrée est en marche, active, animée, diverse, amoureuse de la vie.
Les programmes de Gastarbeiter d'Allemagne de l'Ouest se révélèrent colossaux. Ils démarrèrent tard, en 1955, comme un moyen méthodique d'amener, en petit nombre des hommes qui travaillaient dans les fermes en Italie. Mais l'Allemagne était en plein 'miracle économique' , et l'industrie réclamait elle aussi de la main-d'oeuvre.
À ce stade, pour s'assurer que ces emplois dont personne ne veut soient pourvus, une société doit recruter une nouvelle armée de réserve de travailleurs fantassins nés à l'étranger, qui évoque les pires visions du capitalisme selon Karl Marx.