Chez nous, on ne parle pas : on étouffe les mots au fond de sa bouche, y compris ceux de l'amour, on dissimule, on supporte tous les drames. On les avales, on les digère, le tête haute devant l'autre, avec l'ordre de se taire, de sécher ses larmes, de masquer ses peurs et de garder ses soupirs, ses émotions, pour plus tard, dans sa chambre, dans le noir...
L'espoir, j'en ai sacrément besoin. A ma sortie de l'hôpital, de retour chez mes parents, j'entre dans la phase la plus terrible du traitement, celle de la débandade du corps. Trop faible physiquement, comment puis-je occuper tout ce temps indéfini, et pour quelle suite ? Jadis, toujours affairée-combien de fois ai-je pu bêtement me plaindre de n'avoir pas deux minutes à moi ?-à présent, le temps ne me manque plus. Que peut-on faire en deux minutes ? Passer un coup de fil rapide à un copain, écrire un petit mot d'amour à l'élu de son coeur, prendre un rendez-vous chez le dentiste, commander sa pizza préférée chez Allô Duchmoll, payer sa facture d'électricité, se passer un coup de rouge à lèvres ou de mascara sur les cils, sauter dans un jeans, enfiler un tee-shirt, cirer une chaussure voire deux, se laver les dents, déguster un petit Lu, boire un café ou un thé, lire un haïku, en méditer le sens (là, il faut être doué), trouver la séance d'un film dans les pages de Pariscope, achteter une baguette à la boulangerie...
L'imagination a plus de pouvoir que la volonté.
Ainsi, grâce à l'histoire mytique des amants de Vérone, il éclaire une de nos réalités balkaniques - notre soumission, notre renoncement à l'une des valeurs, l'une des libertés les plus essentielles, celle d'aimer - et met en scène le châtiment de ceux qui transgressent l'interdit.
Cependant, je me demande si, à force d'avoir muselé mes sentiments, ma souffrance et ma fragilité, je n'ai pas laissé mon corps prendre le relais afin de les évacuer, à sa manière ? C'est affreux de penser que je suis "tombée" malade parce que j'étais malheureuse !
C'est là, adossée à l'arbre solitaire, en compagnie de mon chien, couché à mes pieds, que j'ai composé mes plus beaux poèmes et médité des heures durant. Ma vie fantasque aura tant été nourrie sur cette berge où, naguère, j'appelais de tout mon être l'immensité de l'existence, que j'aimerais qu'elle s'achève au même endroit. Sous la vase, mes cendres embrasseront mes illusions perdues. Seules mes prières se rassembleront et, en un mouvement solidaire, accompagneront mon âme de l'autre côté, vers l'éternel.