Dans mon jardin secret, il n'existe ni temps, ni Allemands, ni peur, ni interdictions.
Juste moi et les arbres enchantés qui me chuchotent leurs histoires, les fleurs multicolores qui jaillissent de la terre sombre comme des pierres précieuses vivantes, les poissons rouges et blancs muets dans le bassin mystérieux.
Dans le ghetto, il fait toujours froid et glacial, à l'intérieur comme à l'extérieur....Il n'y a pas d'été dans le ghetto, d'ailleurs, il n'y a pas de saisons, ni de lumière du soleil. Tout est toujours sombre et gris.
C'est étrange, de les entendre parler de moi comme si j'étais du vent, cela m'étonne à chaque fois. Mais les adultes sont ainsi. Ils décident de votre vie, de l'affection et des punitions que nous recevons, des vêtements, de l'école, des repas. Ils décident de ce qui est bon ou mauvais, juste et erroné. On ne nous pose jamais la question.
"C'est ça le chocolat ?" demandé-je, désappointée. Ils hochent tous la tête et il me semble que le paradis, vient de se transformer en jardin de banlieue.
Nous attendons toujours, mais nous n'attendons rien. Nous attendons jour et nuit. nul ne sait de quoi sera fait le lendemain. On nous trie, on nous trie en permanence, comme des marchandises. Rue après rue, maison après maison, nous sommes cernés. Même les personnages âgées se teignent les cheveux à présent. Pour avoir l'air plus jeune et ne pas être déportées. Pour qu'on puisse encore s'en servir. Mais la jeunesse n'est pas une garantie. Il n'y a plus aucune garantie. Plus aucun droit. Il vérifient les papiers, ils font leur choix. Indistinctement, selon des critères qu'eux seuls connaissent. Parfois c'est le tour des femmes, parfois celui des hommes, des plus jeunes, des anciens. La peur nous paralyse, car n'importe quel geste, n'importe que mot, peut être celui qu'il ne fallait pas dire ou accomplir. Tout est interdit, et pourtant nous ne savons jamais précisément si nous ne faisons pas quelque chose d'encore plus prohibé.
Les gens s'en vont et ne reviennent pas, voilà tout. A peine s'est-on habitué à un visage qu'il est déjà parti.
Penses-y. Rappelle-toi. Raconte...
"Toi d'abord ! aboie l'homme, et c'est à ma mère qu'il s'adresse. Vite ! Vite !"
Je refuse de la lâcher, mais déjà une main m'attrape et une autre me couvre la bouche.
Ma mère disparaît dans le trou noir. Je me défends de toutes mes forces, je gigote, je me bats, je rama désespérément des bras. Je n'arrive plus à respirer. Les pigeons roucoulent si fort...
Ils me lâchent, on m'assène un coup violent.
Je tombe.
Je tombe dans le trou noir.
Maintenant que mon père est faible, qu'il a besoin de moi, qu'il n'est plus le héros qui me porte sur ses épaules, je l'aime plus que jamais.
Les journées qui s'ecoulaii dans une brume grise étaient d'autant plus douloureuses: celles où j'étais malheureuse de n'être pas heureuse.