poème et interprétation : Érika Soucy
réalisation et montage : Geneviève Allard
images : Émilie Baillargeon et Geneviève Allard
musique originale : Frédéric Dufour
figuration : Victoria Landry, Mégane Bolduc, Claire Hanny, Madeleine Caumartin-Muckle, Laetitia De Carufel, Angèle Dugas, Jane Cummings, Mila Cummings, Juliette Boucher Grenon, Marc-Antoine Chantal, Tristan Plamondon, Martin Hamel
Je suis en route pour les chantiers mythiques où c’est qu’y’a l’air de faire toujours frette: Mont-Wright, Eastmain, La Romaine… Du pareil au même quand j’étais ti-cul. Pis encore aujourd’hui… Des pays lointains qui nous transforment tranquillement de l’intérieur. Je suis en route vers le mur qu’il a construit et qui nous sépare encore, vers là où il a sauvé notre peau. Parce que l’absence c’était notre méthadone pour passer au travers.
Je fais de la poésie qui chauffe le cœur un peu parce que ça fait vingt-ans au-dessus que chaque fois que mon père revient du Nord, il traîne un grand vent avec lui, un grand vent frette de février qui t’engourdit la gueule pis t’empêche d’ouvrir les yeux.
La montagne, les arbres centenaires, les racines dans la terre, le mur de roches bien droit ... Transformés par les hommes de chez nous en un chemin d'équerre. Comme un bus qu'on tire avec ses cheveux: ça sert pas à grand-chose, mais c'est impressionant.
C’est faite. Je suis dans l’avion. Un Dash-8. J’ai l’air de connaître ça, mais pas pantoute, c’est juste écrit sur le dépliant dans la poche du siège d’en avant. Un Dash-8, ça sonne moins bas de gamme que je pensais. Ça fait moins peur… Un peu… Mettons que c’est moins pire que l’avion de brousse avec les portes qui ferment pas que je m’étais imaginé. Tu m’avais tellement dit que ce serait une petite machine…
J’ai le cœur gros. Je braillerais comme dans une scène de film avec un train qui part, mais je me retiens. C’est plein de goons autour qui partent pour quarante jours, je vais certainement pas pleurer pour même pas le quart de ça. Je regarde par la fenêtre pis je vois l’hélice. Quelqu’un qui passe en dessous quand ça tourne au sol, que je me dis, il se fait scalper c’est pas trop long. Je me change les idées.
Au décollage, t’étais là, l’autre bord de la grille, à côté d’une madame qui arrêtait pas de faire des tata. Elle était sûrement plus habituée que toi à ces départs-là. J’ai fait tata aussi, de mon hublot, en espérant que tu me verrais. Tu m’as envoyé la main rapidement, un coup. Tu faisais plus pitié que la madame. Le p’tit était pas avec toi. Je me suis dit qu’il devait dormir dans le char. Plein de temps entre vous autres tout seuls. Vous allez avoir du fun, je suis pas inquiète. Pensez pas trop à moi, là.
Je pars pas pour La Romaine le cœur léger. Je suis pas grosse dans mes shorts. Je sais pas de quoi ça a l’air, je suis pas trop manuelle, j’ai même pas de permis de conduire. J’espère que les gars vont être cool avec moi.
Je suis en route pour les chantiers mythiques où c’est qu’y’a l’air de faire toujours frette: Mont-Wright, Eastmain, La Romaine… Du pareil au même quand j’étais ti-cul. Pis encore aujourd’hui… Des pays lointains qui nous transforment tranquillement de l’intérieur. Je suis en route vers le mur qu’il a construit et qui nous sépare encore, vers là où il a sauvé notre peau. Parce que l’absence, c’était notre méthadone pour passer au travers. «Faites-vous-en pas, votre père est su’l’bord de repartir», que maman disait au bout de dix jours.
j'attends la traverse
habillée
de colliers de varech
ma mort sent ta belle jeunesse
ça attire
les bélugas
personne ici
achève
de vouloir que j'y passe
Chez Air Inuit, les hôtesses montrent en vrai comment mettre notre flotte si on s’écrase. C’est pas une vidéo. Celle qui l’a fait tantôt avait la face d’une fille qui venait de perdre à pile ou face; elle avait pas un beau sourire comme dans Elvis Gratton, dans le boutte du film où il s’en va à Santa Banana. Elle regardait le plafond, évitait les yeux des gars qui souriaient en coin.
Je resterais en l’air encore longtemps. Ça demande pas d’effort, le trajet, c’est le bout passif du voyage. C’est pour ça que j’adore faire de la route. Ça donne bonne conscience, ça te convainc que tu passes pas ton temps à te pogner le cul alors qu’en réalité, ça engage à rien. T’es toujours entre deux, sur la route. En attente.
Je suis juste une auteure qui vit sur des subventions pour écrire un livre de poésie pis qui s’est fait payer un voyage dans le Nord sur le bras des contribuables. Là, je vous entends penser. Vous vous dites : « Des poèmes ? Mes taxes payent ça, des poèmes ? » Ben oui, monsieur, ben oui, mais je vais vous répondre qu’au nombre d’appartements mal isolés que j’ai loués dans ma vie, c’est aussi un peu moi qui paye votre salaire.
c'est noël partout
mais il y a juste chez nous
qu'on emballe la fin du monde
ma mère a découvert
qu'elle pouvait mettre ses jours
dans des pots mason