Il n'y a point, ma mie, que la guerre pour séparer les amoureux, ainsi que je le pensais bien. Il y a aussi l'honneur, à ce qu'il paraît.
Il sentait bien qu'il jouait en ce moment la partie la plus importante de son règne et dans les circonstances les plus mauvaises, mais il en augurait du bonheur, car il livrait cette bataille avec ses armes préférées : la ruse, les paroles dorées, l'art d'acheter les esprits et de tenter les plus hauts seigneurs.
Le peuple de Beauvais combattait vaillamment. Il avait placé sa confiance dans l'équité de sa cause et dans les vertus des reliques qui se trouvaient en la bonne ville. Elles provenaient de saints de grand mérite, tels que saint Lucien et ses compagnons, saint Germer, saint Just et saint Evrost. Les femmes, voyant les bouches à feu des Bourguignons cracher leurs boulets et se dresser les premières échelles, se mirent à entonner les cantiques qui louaient ces bienheureux. Elles pensaient pieusement qu'ils ne pouvaient manquer de leur venir en aide et, pour leur faciliter la besogne, elles se mirent à prendre à pleines mains les pierres, à rouler les futailles, les cuves remplies de chaux vive et à en accabler les assaillants. Elles jetèrent aussi les vases, pots de grès, caisses de fer ou de bois où les géraniums peignaient de rouge les feuilles vertes, d'où les lys s'élançaient comme des prières, et où les œillets, les roses et les héliotropes mêlaient leur parfum suave à l'odeur de la poudre et de la résine qui bouillait. Opiniâtres, les Bourguignons, comme des insectes patients sous le corselet de fer, grimpaient le long des échelles, dans la lumière, au bruit des cantiques qui volaient de la bouche des femmes, non moins que les pierres et autres projectiles de leurs mains ; si bien que la mort arrivait aux combattants toute souriante, parée de religieuse ferveur, de fleurs et de soleil.
Des lambeaux de brumes flottaient sur les champs et se suspendaient en écharpes légères aux branches des arbres mouillées de rosée. des alouettes se poursuivaient au-dessus des sillons en dessinant leurs arabesques .
Mais je chante surtout les beaux faits des amoureux, leurs désirs, leurs espoirs, leur mort . Je les dit en français et en latin, la nuit comme le jour, devant les comtes et les ducs et même devant notre seigneur le roi . Je les relate en entremêlant la vérité de poésie, que les hommes de peu de sens jugent frivole, mais que les sages croient être aussi vraie que la vérité même...
Des buches brulaient dans la cheminée de pierre à grand manteau, et il faisait bon ouïr s'écrouler et crépiter en étincelant, tantôt l'une d'elles, tantôt l'autre.
Je voudrais prendre toute ta peine et délivrer ton âme, mais cela est au pouvoir des dieux et je ne suis qu'un homme.