Une compilation des émissions « Albatros », par Pierre Drachline, diffusée du 6 avril 1980 sur France Culture. Invités : Jean Blanchard, Arnaud Noël, Serge Koster, Dominique Autié, Jean Hugues Manineao, Dominique Labarrière, Françoise Lebedeff, Hélène Chialkowoy, Philippe Gemen, Jean-Michel Goutier, Didier Gillet, Tristan Cabral, François Bott, Jean Hugues Malineau, Jean Claude Renault, Jean Bazin, Michel Goutier et Gérard Durozoi.
POISSONS D'OR
Las de regarder les esclaves, je me suis enfui vers les
mers chaudes.
J'avais erré dans la montagne, et puis dansé autour
des feux de la Saint Jean, et voici qu'une porte d'azur
s'ouvrait devant moi telle qu'elle a jailli du volcan
primordial, telle que la virent les Titans, telle que la
force des choses l'a voulue, audacieusement voulue,
audacieusement tracée, et j'ai franchi cette porte les
yeux baissés et le doigt sur la bouche comme il
convient d'honorer la grandeur.
Deux mondes si différents séparés par le tranchant
d'une lame !
Je quittais le pays des crapauds pour la lumière et la
purification.
Enfin un ciel propre, enfin un sable blanc et non point
de la blancheur des ossements, enfin la mer, la
mer et ses joyaux aux couleurs changeantes.
NAISSANCE ET TRAGEDIE
Un soir, un matin: le premier jour.
Et le cri: un cri horrible déchirant l’aube naissante, déchirant le seul bonheur, celui de n’être point né.
Et le jour chasse la nuit. Et la nuit disparait alors que trois livres de chair hurlante restent là, et resteront là longtemps, toujours dans le cœur du récitant.
Chaque printemps renouvelle ses prodiges.
J’ai planté un arbuste et l’arbuste est devenu un arbre au feuillage frémissant.
D'UNE TRISTESSE INEFFABLE
Le silence. Et les fruits du silence, les fruits de marbre
qui reposent au fonds des mers : les destinées enfouies dans
leur douce lumière !
Le silence gonfle la peau noire des nuages, la peau noire
des orages, la peau fragile des soleils couchants.
Les mots qu'on ne prononce pas font éclater le ciel, ils
déchirent les entrailles, ils fendent les arbres du haut en
bas et le ruisseau lave les blessures, si la journée a été
douce, si le vent s'est apaisé.
Mais il y a toujours ces mains d'acier qui serrent la
gorge.
Des navires à l'ancre, en gémissant saluent la houle,
saluent les vagues.
Les navires enchainés, l'écume de la rage aux narines,
saluent la mer et maudissent leurs chaînes.
Quand les tombeaux s'ouvriront, les navires enchaînés
salueront les pierres.
p.117
Que reste-t-il de la flamme ?
Il faut d’abord choisir le point exact d’où l’on doit
partir. Le reste importe peu.
Pas la flèche, mais l’oiseau ! Je suis un oiseau
aveugle au centre de la Terre et je ne puis choisir mon
chemin. Il n’y a pas de chemin.
C’est en allant rechercher mes désirs enfouis que je
me suis perdu. Les arbres s’inclinaient sous la charge
invisible du vent qui passe, les arbres se redressaient,
vainqueurs une fois encore.
La joie était dans les yeux, la joie était dans l’alléluia
du tremble argenté, ce poète de la forêt dont les mains
tour à tour sombres et lumineuses rythment la danse
du devenir, l’innocence retrouvée.
La situation-limite
Il est un fruit qui mûrit lentement, très lentement.
Si lentement que l’arbre meurt avant que le fruit ne mûrisse, avant même qu’il n’ait apaisé la soif du voyageur épuisé. Il s’en faut de peu : un rayon de soleil sur l’eau tremblante du repentir.
Monsieur l’architecte mesure la porte, les fenêtres, la hauteur des murs et la pente du toit. On honore monsieur l’architecte, on le salue quand il passe dans la rue, le mètre à la main et le derrière au bas du dos, comme tout le monde. Chaque soir un sommeil bien mesuré le supprime.
Je veille. Mon travail a besoin de l’infini. Oui ! Il me faut, à chaque instant passer par l’infini pour atteindre d’incertaines et transitoires petites choses. C’est mon métier. Bonsoir !
C'était une aurore comme jamais il n'y en eut et c'était une aurore comme il n'y en aurait jamais plus. Deux jours de printemps qui se suivent sans heurt ont, pour l'homme de la rue, la même pression, la même température, la même aurore. Pour le connaisseur, pour l'homme qui a étudié les aurores, les différences sont telles que sa mémoire n'aura nul besoin de crayon, ni de papier. Ici, le jeune lecteur qui, chaque soir avant les premiers rêves, se demande quelle carrière il doit préparer afin de gagner sa vie honorablement s'écriera, les yeux ouverts dans la douce obscurité de sa chambre : « Ce métier me plairait ! Où étudie-t-on les aurores ? Quel est le programme ? Quel est l'avenir de la profession ? Peut-être serai-je un jour Inspecteur général des Aurores ? Demain, je veux m'inscrire. » Et c'est ainsi que le collier des jours s'allonge d'une perle, d'un désir, et c'est pourquoi aussi les vieilles gens plient l'échine sous le poids cristallin des anciennes résolutions. Les aurores se fabriquent dans les ténèbres.
« Jardin » dans Les Barricades mystérieuses, p.61
Des ossements barraient le chemin. Tant pis ! me disais-je, puisqu’aussi bien l’enterré vivant germera, tant pis pour les ossements ! Je me suis tordu un peu les pieds, j’ai juré des sacrés noms de dieux, mais j’ai fait une bonne traversée quand même. Ohé, la bonne traversée ! Ohé ! la mer immense de l’existence ! Ohé ! le coup de sifflet en échelle double pour le salut aux morts.
Elle était clapoteuse, la mer immense de l’existence.
PRODUIT MANUFACTURÉ
La triste nuit s'abreuve
D'images périmées.
Tant d'inutiles preuves
S'échappent en fumées !
Longue nuit de décembre.
Solstice emmitouflé !
Une pincée de cendres
Qui ne peut s'envoler…
J'illumine ma chambre
Et, cartes déployées,
Je, plutôt que me pendre
Fuis, spectre ensoleillé.
La situation-limite
Il est un fruit qui mûrit lentement, très lentement.
Si lentement que l’arbre meurt avant que le fruit ne mûrisse, avant même qu’il n’ait apaisé la soif du voyageur épuisé. Il s’en faut de peu : un rayon de soleil sur l’eau tremblante du repentir.
Monsieur l’architecte mesure la porte, les fenêtres, la hauteur des murs et la pente du toit. On honore monsieur l’architecte, on le salue quand il passe dans la rue, le mètre à la main et le derrière au bas du dos, comme tout le monde. Chaque soir un sommeil bien mesuré le supprime.
Je veille. Mon travail a besoin de l’infini. Oui ! Il me faut, à chaque instant passer par l’infini pour atteindre d’incertaines et transitoires petites choses. C’est mon métier. Bonsoir !
L’énorme beauté qui va survenir
Les grandes orgues de la destruction, les orages et les vagues de la mer éternellement jeune, voilà l’entrée triomphale de la justice déferlant sur vos châteaux en Espagne bâtis sur le vent, sur la chair et le sang sacré des êtres créés et non créés.
La vermine est au sommet de la tour, les reliques du son et de la lumière ont été jetées au fond de l’abîme ; elles gisent dans la boue du marécage parmi les crapauds mutilés. Ces choses immondes justifient notre présence. Elles ont combattu, horriblement combattu, chacune dans sa noire, intemporelle et humide solitude et nous voici devant notre ouvrage, devant nous-mêmes et non pas le septième jour, mais l’unique, l’immuable, l’éternel premier jour.