Las! Ma terre est destruite et ruyneuse,
Je suis desert, destruit et desolé;
Fuir m'en fault, ma demeure est doubteuse,
Se je ne sui d'aucun reconforté;
Ainsi seray de mon lieu rebouté,
Comme essilliez, dolereux et meschans,
Se mes seigneurs n'ont de mon fait pitié :
J'aray desors a nom Brûlé des Champs.
Coqus, camus, cornus et malotrus,
Coquars, cornars, fetars et durz paillars,
Trop tost venus, enfondus, mal vestus,
Birques, delus,velus et gros molus,
Eschars, mal feu et tout vostre corps ars
Coqus, camus, cornus et malotrus,
Coquars, cornars, fetars et durz paillars!
VIRELAI
Sui-je, sui-je, sui-je belle ?
II me semble, à mon avis,
Que j’ay beau front et doulz viz,
Et la bouche vermeillette ;
Dictes moy se je sui belle.
J’ay vers yeulx, petit sourcis,
Le chief blont, le nez traitis,
Ront menton, blanche gorgette ;
Sui-je, sui-je, sui-je belle ? etc,
J’ay dur sain et hault assis,
Lons bras, gresles doys aussis,
Et, par le faulx, sui greslette ;
Dictes moy se je sui belle.
J’ay piez rondes et petiz,
Bien chaussans, et biaux habis,
Je sui gaye et foliette ;
Dictes moy se je sui belle.
J’ay mantiaux fourrez de gris,
J’ay chapiaux, j’ay biaux proffis,
Et d’argent mainte espinglette ;
Sui-je, sui-je, sui-je belle ?
J’ay draps de soye, et tabis,
J’ay draps d’or, et blanc et bis,
J’ay mainte bonne chosette ;
Dictes moy se je sui belle.
Que quinze ans n’ay, je vous dis ;
Moult est mes trésors jolys,
S’en garderay la clavette ;
Sui-je, sui-je, sui-je belle ?
Bien devra estre hardis
Cilz, qui sera mes amis,
Qui ora tel damoiselle ;
Dictes moy se je sui belle ?
Ballade de la grant mutacion des temps et abreviacion
de toute nature et approuchement de fin de monde
Les temps, les ans, les meurs, les gens,
Les bestes et tous animaulx,
Les terres, les quatre elemens,
Les complections corporaulx,
Toutes les vertus cardinaulx,
Les arbres, les fruis, les poissons,
Les prez, les blez, vins et moissons,
Et le genrre en toute nature
Diminuent et les saisons :
Toute chose se desnature.
Autonpne, yver, esté, printemps
Et tous les climats principaulx,
Du monde varie li temps ;
Trop sont les pechiéz generaulx
D'argent querir, estaz, joyaulx.
Envie, orgueil, detractions
Regnent et dissolucions,
Toute couvoitise et ordure.
La fin de ce monde approuchons :
Toute chose se desnature.
La foy, la loy sont vaxillens
Par noz pechiéz et pour noz maulx.
Met Dieux sur nous guerre et contemps,
En l'eglise, entre les royaulx,
Et envie, pour noz deffaulx ,
Froidures, inundacions,
Pestillences, divisions,
Mortalitéz, famine dure.
Mais pour ce ne nous amendons :
Toute chose se desnature.
Princes, se bien considerons
Noz pechiéz, les pugnicions
Que Dieux envoie a creature,
Devers lui nous amenderons,
Ou autrement tuit perirons :
Toute chose se desnature.
Ballade sur le trépas de Bertrand Du Guesclin3
Estoc d'honneur et arbre de vaillance,
Cœur de lion épris de hardiment,
La fleur des preux et la gloire de France,
Victorieux et hardi combattant,
Sage en vos faits et bien entreprenant,
Souverain homme de guerre,
Vainqueur de gens et conquéreur de terre,
Le plus vaillant qui onques fut en vie,
Chacun pour vous doit noir vêtir et querre :
Pleurez, pleurez, fleur de chevalerie.
O Bretagne, pleure ton espérance,
Normandie, fais son enterrement,
Guyenne aussi, et Auvergne or t'avance,
Et Languedoc, quiers lui son monument.
Picardie, Champagne et Occident
Doivent pour pleurer acquerre
Tragédiens, Aréthusa requerre
Qui en eau fut par pleur convertie,
Afin qu'à tous de sa mort le cœur serre :
Pleurez, pleurez, fleur de chevalerie.
Hé! gens d'armes, ayez en remembrance
Votre père - vous étiez ses enfants -
Le bon Bertrand, qui tant eut de puissance,
Qui vous aimait si amoureusement;
Guesclin est mort : priez dévotement
Qu'il puisse paradis conquerre;
Qui deuil n'en fait et qui ne prie, il erre,
Car du monde est la lumière faillie :
De tout honneur était la droite serre :
Pleurez, pleurez, fleur de chevalerie.
Virelai sur la tristesse du temps présent
Je ne voie ami n’amie
Ni personne qui bien die ;
Toute liesse défaut,
Tous cœurs ont pris par assaut
Tristesse et mélancolie.
Aujourd’hui n’est âme lie,
On ne chante n’esbanie (*), (*) ni se distrait
Chacun cuide (*) avoir défaut ; (*) pense
Li uns a sur l’autre envie
Et médit par jonglerie,
Toute loyauté défaut ;
Honneur, amour, courtoisie,
Pitié, largesse est périe,
Mais convoitise est en haut
Qui fais de chacun versaut (*) , (*) chute, culbute
Dont joie est anéantie :
Je ne vois amie n’amie.
Trop règne dolente vie ;
Cet âge ne durra mie,
Car d’honneur à nul ne chaut ;
Connaissance est endormie,
Vaillance n’est à demie
Connue ni mise en haut.
Loyauté, sens, prud’homie
Ni bonté n’est remerie (*) (*) récompensée
On lève ce qui ne vaut,
Et ainsi tout perdre faut,
Par non sens et par folie.
Je ne vois ami n’amie.
Ballade
Des remèdes contre l’épidémie
Qui veult fuir la persécucion
Et le péril d'épidémie avoir,
Vivre le fault en consolacion ;
Du lieu régnant le convient remouvoir ;
Pain cuit d'un jour, bon vin cler recevoir
Poucins, chapons eu rost, chars de pourccaulx,
[Ne de chevres, lievres ne de toreaux]
De cerfs, de buefs ne mangiez nullement,
Oés , cannes , ne poissons lymonneaulx,
Se vous voulez vie avoir longuement.
Usez d'un mès sanz prolongation
De longuement à la table seoir ;
Fuiez gros air, toute corrupcion ;
Vinaigre usez, osille à vo povoir,
En voz sausses ; et si vous faiz sçavoir
Gingembre fault, safren est bons et beaux,
La canelle , vergus , oingnons , poreaulx ,
Les aulx aussi. Fuiez généralment
Potaiges , choulz , laiz , fruiz viez et nouveaux ,
Se vous voulez vie avoir longuement.
Suiez les lieux de délectacion,
Soiez joieux sanz le cuer esmouvoir ;
Feu net et cler de genèvre en saison,
Ou jeune bois, faictes en chambre ardoir ;
D'eaues roses vous devez pourveoir,
Odeurs porter, robes plaisans, joyaulx ;
Joye mener, converser entre ceaulx
Que vous amez, et eulx vous ensement,
Et vous gardez des faiz luxuriaux,
Se vous voulez vie avoir longuement.
Prince, encor fault faire purgacion
Sanz différer l'évacuacion
Que chascun doit avoir naturelment,
User d'eaue de bonne région,
Ou flums courans, par modéracion ,
Se vous voulez vie avoir longuement.
Ballade
Sur l’épidémie.
Qui veult son corps en santé maintenir,
Et résister à mort d'épidémie,
Il doit courroux et tristesce fuir ;
Laissier le lieu où est la maladie,
Et fréquenter joieuse compaignie ;
Boire bon vin, nette viande user ;
Port bonne odour contre la punaisie,
Et ne voist hors s'il ne fait bel et cler.
Jeun estomac ne se doit point partir,
Boire matin, et mener sobre vie,
Face cler feu en sa chambre tenir ;
De femme avoir ne li souviengne mie ;
Bains, estuves à son povoir dénie,
Car les humeurs font mouvoir et troubler ;
Soit bien vestus, ait toudis chière lie,
Et ne voist hors s'il ne fait bel et cler.
De grosses chars et de choulz abstenir
Et de tous fruiz se doit-on en partie,
Cler vin avoir ; sa poulaille rostir,
Connins, perdriz, et pour espicerie,
Canelle avoir, safran, gingembre, et prie ;
Tout d'aigrevin et vergus destremper ;
Dormir au main : ce régime n'oublie,
Et ne voist hors s'il ne fait bel et cler.
Autre ballade
qui moustre les causes et raisons dont vient
l'epidemie
L'air corrompu, la terre venimeuse,
Les corps infects en cymetiere, et mors
En my les champs, en guerre doleureuse,
Chambres coyes ou est li amas ors
D'infections, de puours de dehors
Qu'om fait aux champs, es villes, es chasteaulx
D'ordures grans, de fians par monceaulx,
D'immondices qu'om art, dont c'est folie,
Du mauvais air corrrumpu, de pourceaulx,
Font en mains lieux causer l'epidemie.
La bouche avoir gloute, vie oultrageuse,
Boire et mangier sanz appetit du corps,
Longue seoir a table est perilleuse
Chose, et de mes pluseurs faire rappors,
Et trop salé cerf, vaches, buefs et pors,
Tanche, anguille, congre, tous bestiaulx,
Poissons de mer, lestages , fruiz, poreaulx,
Oingnons et aulx, gros vin trouble en sa lie,
Dur pain mangier et sanz levain gasteaux,
Font en maint lieu causer l'epidemie.
Vivre d'eaues de terre marcageuse,
Estre au gros air quant li brouillas est fors,
Trop main lever, vie luxurieuse,
Sanz mouvement soy courcier est la mors.
Trop chaut, trop froit quant sont ouvers les pors,
Estuves, baings frequenter entre ceaulx
Qui sont infects gens, pourris et meseaulx,
Gendrent a maint semblable maladie,
Et telz choses en ces cas principaulx
Font en mains lieux causer l'epidemie.
Prince, bon fait ces cas especiaulx
Pour sa santé, et outrageux travaulx
Fuir du tout ou du moins en partie.
Que l'en s'espurge, et qu'om se teingne chaux,
Car non garder son corps par telz deffaulx
Font en mains lieux causer l'epidemie.
Je ne vois amie n'amie
Ni personne qui bien die ;
Toute liesse défaut,
Tous cœurs ont pris par assaut
Tristesse et mélancolie.
(...)