Il est habituel que les enfants canalisent leurs angoisses sur la nourriture : nous les adultes, nous pouvons ne pas être très attentifs à une foule d’autres choses, mais jamais quand il s’agit de manger, tant qu’ils sont petits.
Ma mère, commença-t-il, disait souvent que Roser était sa sœur jumelle. Elle ne disait pas « mon âme sœur », mais « ma sœur jumelle ». Parce que c’est ainsi qu’elle la voyait, tellement proche, si intimement liée à elle et à sa vie. Elles avaient grandi dans des maisons voisines, elles avaient partagé les mêmes jeux, dans la rue et dans la cour de l’école. Bras dessus bras dessous, elles avaient arpenté la promenade maritime. Dans un sens, puis dans un autre, échangeant des confidences, essayant de croiser par hasard Valentí ou Joan… Elles avaient partagé les secrets de leurs sentiments amoureux et les soucis des mauvais moments. Elles étaient toujours là l’une pour l’autre. Elles avaient sûrement été jalouses l’une de l’autre, au moins une fois. Elles avaient attendu ensemble leur premier enfant et leurs ventre avaient grossi presque au même rythme.
Il est orphelin, simplement. Il le sait. Il en est conscient et il vit son chagrin d’orphelin. Pas elle. Elle a vécu ces cinq dernières années sans en prendre la mesure, sans y penser, en désirant l’ignorer. Parce que c’est terrible d’être orphelin, et tragique de rentrer à la maison pour Noël et ne pas y retrouver sa mère.
Au choc brutal causé par la violence terroriste s’ajoutèrent deux autres nouvelles peu encourageantes pour le monde : les scientifiques affirmaient qu’un trou se formait dans la couche d’ozone, et la certitude se développait partout que les malades du sida étaient les lépreux du vingtième siècle.
La chose la plus importante, la seule en réalité, était qu’entre cet homme et cette femme un amour inflexible et robuste comme un lierre grimpant s’était développé, et seul Andreu savait que Selma en avait décidé ainsi. Elle l’avait choisi et il avait répondu immédiatement à son appel, de façon naturelle. Peut-être Selma le savait-elle aussi. Les autres – son père, Júlia, ses amis, Sorrals – ne voyaient que l’évidence, à savoir un homme éperdument amoureux au seuil d’une relation qu’il désirait longue et solide.
...elle avait bien l’intention d’aller à la fête de Santa Coloma. Ils ne pouvaient pas l’empêcher d’y aller. Ou peut-être que si. Dans ce cas, elle n’était pas décidée à céder facilement. Il fallait bien qu’ils comprennent qu’elle avait dix-huit ans !
Il ne l’avait pas épousée par amour et il n’était pas parvenu à l’aimer au fil de leurs années de vie commune. C’était un mariage de convenance, dans le sens où il leur convenait à tous les deux.
Chacun vit son chagrin comme il le peut, et pas comme il le veut.
Même aussi peu passionné, un baiser avait son importance dans une relation comme la leur.
L’inquiétude trouvait toujours un petit hublot où pointer le bout de son nez.