Jérôme Ferrari, prix Goncourt 2012, est à l'honneur de cette nouvelle séance du cycle « En lisant, en écrivant ».
Qui est
Jérôme Ferrari ?
Professeur de philosophie,
Jérôme Ferrari obtient en 2012 le prix Goncourt pour
le Sermon sur la chute de Rome, saga familiale inspirée par une phrase de saint Augustin : « le monde est comme l'homme, il naît, il grandit, il meurt.» Son dernier roman,
À son image (2018), se penche, à travers l'histoire d'une photographe de guerre, sur le pouvoir évocateur mais aussi l'impuissance de la photographie.
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Oui, les images sont une porte ouverte sur l’éternité. Mais la photographie ne dit rien de l’éternité, elle se complaît dans l’éphémère, atteste de l’irréversible et renvoie tout au néant.
... les photographies opposaient l’impénétrabilité de leur surface à toute quête de profondeur.
... elle considérait l’avenir de son île avec une terreur vierge de toute condescendance parce que d’un lieu où l’on applaudit les revendications d’assassinats, on ne peut attendre que le pire.
J'aimais votre solitude et votre silence, mon frère, mon capitaine, j'aimais votre gaieté, j'en venais même à aimer votre piété, moi qui savais qu'au-delà des nuages de la mousson le ciel immense était vide, et l'univers aveugle, et je vous accompagnais à la messe où nous écoutions sous la pluie l'homélie d'un aumônier hagard qui levait son calice derrière un autel de planches et de tréteaux rouillés, indifférent au sifflements des obus de 105, et regardait s'incliner toutes ensemble les nuques blafardes des officiers, comme si le poids d'une caresse invisible les courbait doucement vers la terre.
... l’issue d’un combat entre le désir et la loyauté [est] rarement incertaine.
Epigraphe
Tu es étonné parce que le monde touche à sa fin ? Etonne-toi plutôt de le voir parvenu à un âge si avancé. Le monde est comme un homme : il naît, il grandit et il meurt. (...) Dans sa vieillesse, l'homme est donc rempli de misères, et le monde dans sa vieillesse est aussi rempli de calamités. (...) Le Christ te dit : Le monde s'en va, le monde est vieux, le monde succombe, le monde est déjà haletant de vétusté, mais ne crains rien : ta jeunesse se renouvellera comme celle de l'aigle.
Saint Augustin, sermon 81, §8, décembre 410
Laisse l'éternité là où elle est. Le seul moyen de la préserver est de ne pas s'en approcher, car c'est dans la perte et l'éloignement que tu te tiens au plus près de ce qui est perdu, et à jamais inaccessible. Il n'y a pas d'attente, pas de rêves, pas d'élan, mais simplement la douceur limpide de ce qui est donné par surcroît.
Les mondes passent, en vérité, l'un après l'autre, des ténèbres aux ténèbres, et leur succession ne signifie peut-être rien. Cette hypothèse intolérable brûle l'âme d'Augustin qui pousse un soupir, gisant parmi ses frères, et il s'efforce de se tourner vers le Seigneur mais il revoit seulement l'étrange sourire mouillé de larmes que lui a jadis offert la candeur d'une jeune femme inconnue, pour porter devant lui témoignage de la fin, en même temps que des origines, car c'est un seul et même témoignage.
Tu te vois passer des années ici ? Les filles qui défilent, toujours les mêmes pauvres filles. Les petits enculés du genre de Colonna. Les ivrognes. Les cuites. C’est un boulot de merde. Un boulot qui rend con. Tu ne peux pas vivre de la connerie humaine, c’est ce que je croyais, mais tu ne peux pas, parce que tu deviens toi-même encore plus con que la moyenne.
"[...] chaque monde est comme un homme, il forme un tout dans lequel il est impossible de puiser à sa guise, et c'est comme un tout qu'il faut le rejeter ou l'accepter, les feuilles et le fruit, la paille et le blé, la bassesse et le grâce."