Jean Moreas Ne dites pas.
Ne dites pas : la vie est un joyeux festin ;
Ou c'est d'un esprit sot ou c'est d'une âme basse.
Surtout ne dites point : elle est malheur sans fin ;
C'est d'un mauvais courage et qui trop tôt se lasse.
Riez comme au printemps s'agitent les rameaux,
Pleurez comme la bise ou le flot sur la grève,
Goûtez tous les plaisirs et souffrez tous les maux ;
Et dites : c'est beaucoup et c'est l'ombre d'un rêve.
QUAND REVIENDRA L'AUTOMNE...
Quand reviendra l'automne avec les feuilles mortes
Qui couvriront l'étang du moulin ruiné,
Quand le vent remplira le trou béant des portes
Et l'inutile espace où la meule a tourné,
Je veux aller encor m'asseoir sur cette borne,
Contre le mur tissé d'un vieux lierre vermeil,
Et regarder longtemps dans l'eau glacée et morne
S'éteindre mon image et le pâle soleil.
Ne dites pas : la vie est un joyeux festin ...
Ne dites pas : la vie est un joyeux festin ;
Ou c'est d'un esprit sot ou c'est d'une âme basse.
Surtout ne dites point : elle est malheur sans fin ;
C'est d'un mauvais courage et qui trop tôt se lasse.
Riez comme au printemps s'agitent les rameaux,
Pleurez comme la bise ou le flot sur la grève,
Goûtez tous les plaisirs et souffrez tous les maux ;
Et dites : c'est beaucoup et c'est l'ombre d'un rêve.
BELLE LUNE D'ARGENT...
Belle lune d'argent, j'aime à te voir briller
Sur les mâts inégaux d'un port plein de paresse,
Et je rêve bien mieux quand ton rayon caresse,
Dans un vieux parc, le marbre où je viens m'appuyer.
J'aime ton jeune éclat et tes beautés fanées,
Tu me plais sur un lac, sur un sable argentin,
Et dans la vaste nuit de la plaine sans fin,
Et dans mon cher Paris, au bout des cheminées.
Ô MER IMMENSE ...
Ô mer immense, mer aux rumeurs monotones,
Tu berças doucement mes rêves printaniers ;
Ô mer immense, mer perfide aux mariniers,
Sois clémente aux douleurs sages de mes automnes.
Vague qui viens avec des murmures câlins
Te coucher sur la dune où pousse l'herbe amère,
Berce, berce mon coeur comme un enfant sa mère,
Fais-le repu d'azur et d'effluves salins.
Loin des villes, je veux sur les falaises mornes
Secouer la torpeur de mes obsessions,
- Et mes pensers, pareils aux calmes alcyons,
Monteront à travers l'immensité sans bornes.
Quand je viendrai m'asseoir dans le vent, dans la nuit,
Au bout du rocher solitaire,
Que je n'entendrai plus, en t'écoutant, le bruit
Que fait mon coeur sur cette terre,
Ne te contente pas, Océan, de jeter
Sur mon visage un peu d'écume:
D'un coup de lame alors il te faut m'emporter
Pour dormir dans ton amertume.
Je vous entends glisser avec un secret bruit
Là-bas sur la pénombre verte.
Entrez dans ma maison, ô souffles de la nuit,
J’ai laissé la fenêtre ouverte !
Ô souffles, pour mon cœur tout chargés à présent
D’erreur, de remords, d’amertume,
Vous me parliez jadis lorsqu’avec le brisant
Luttaient la tempête et l’écume,
Lorsque le long du sable aux flots harmonieux,
Dans la crique et sur cette grève,
D’une amitié perfide et la terre et les cieux
Remplissaient mon âme et mon rêve.
Mais quoi ! vous vous taisez, esprits éoliens !
Un autre arpège se prolonge :
C’est la pluie, elle tombe et je me ressouviens
Tout à coup d’un autre mensonge.
LES SYRTES (1883-1884)
REMEMBRANCES
IV
Hautes sierras aux gorges nues,
Lacs d’émeraude, lacs glacés,
Isards sur les crêtes dressés,
Aigles qui planez par les nues ;
Sapins sombres aux larges troncs,
Fondrières de l’Entécade
Où chante la fraîche cascade
Derrière les rhododendrons ;
Et vous, talus plantés d’yeuses,
Irai-je encor par les sentiers
Mêlant les rouges églantiers
À la pâleur des scabieuses ?
Dans les massifs emplis de geais
Mènerai-je encore à la brune
La jeune belle à la peau brune,
Au pied mignon, à l’œil de jais ?
p.15-16
Eau printanière, pluie harmonieuse et douce
Autant qu’une rigole à travers le verger
Et plus que l’arrosoir balancé sur la mousse,
Comme tu prends mon coeur dans ton réseau léger !
A ma fenêtre, ou bien sous le hangar des routes
Où je cherche un abri, de quel bonheur secret
Viens-tu mêler ma peine, et dans tes belles gouttes
Quel est ce souvenir et cet ancien regret ?
Gel, danse et rire
Les feuilles pourront tomber
La rivière pourra geler,
Je veux rire, je veux rire.
La danse pourra cesser,
Le violon pourra casser,
Je veux rire, je veux rire.
Que le mal se fasse pire!
Je veux rire, je veux rire.
Le pèlerin passionné
Je ne regrette rien …
Je ne regrette rien, ni des lauriers superbes
L’honneur qui m’était dû,
Ni cet heureux plaisir, fait de fruits et de gerbes,
Comme un vin répandu :
Je vois dans tout ce deuil, dans la Parque sinistre
De mes plus chers amis,
Que le ciel a bien su tenir à son ministre
Ce qu’il avait promis.