Apparition
La lune s'attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l'archet aux doigts dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l'azur des corolles
- C'était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S'enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d'un Rêve au coeur qui l'a cueilli.
J'errais donc, l'oeil rivé sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m'es en riant apparue
Et j'ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d'enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées.
Les romantiques ont suivi ici la grande voie classique, ont tourné le dos aux raffinements et aux complexités urbaines, ont pratiqué une poésie à prototype homérique, celle qu'on appelle, de façon bien arbitraire, la poésie éternelle. C'est avec vérité que Jules Lemaître, cherchant la meilleure caractéristique de Lamartine, l'appelle un grand poète aryen : poétiquement il a vécu dans la famille, les sentiments aérés et lumineux, la plénitude solide et saine des fleurs et des fruits, des corps et des âmes. Hugo a resplendi
de santé, de nature exubérante et directe. Il y a dans la poésie de Musset beaucoup moins de corruption et de complexité, que de flot oratoire et de sentiments simples grossis par une belle rhétorique.
Nicolete, flors de lis,
douce amie o le cler vis,
plus es douce que roisins
ne que soupe en maserin.
(Nicolette, fleur de lis,
ma douce amie au lumineux visage,
tu es plus douce qu'un grain de raison
ou qu'une tranche de pain trempée en une écuelle de bois.)
L'intelligence ! Du "Rouge" à "la Chartreuse", en passant par "Lucien Leuwen", Stendhal semble-t-il, est allé à un certain roman de l'intelligence pure. Au sommet de la "Chartreuse", il n'y a que des personnages intelligents, qui y voient clair, qui ont dépouillé intérieurement les conventions, qui ne veulent pas être dupes, qui occupent avec aisance et sûreté, énergie décantée et lucide, une situation donnée.
La Recherche du Temps perdu parut d’abord dans la littérature une œuvre inattendue et inclassable, une rupture, une aventure. Ajoutons que cette héroïsation paradoxale du snobisme, cet auteur qui se fait holocauste pour le snobisme, mobilisa immédiatement contre lui le parti du sérieux, la rive gauche, les forces vives de la littérature normale. On reconnut vite que c’était une erreur.
Les Fleurs du Mal et les Petits poèmes en prose ont été, comme tous les recueils de poésies, écrits au gré de l'occasion et de l'imagination, mais ces occasions suivaient certaine voie de la fortune, cette inspiration soufflait d'un certain point, le sentiment de la composition artistique survenait pour préciser et compléter cet ordre naturel, et ce n'est pas sans raison que Baudelaire écrivait à Alfred de Vigny : « Le seul éloge que je sollicite pour ce livre est qu'on reconnaisse qu'il n'est pas un pur album, et qu'il a un commencement et une fin. »
Si nous faisons de la critique, nous tâcherons, en écrivant, d'accroître nos plaisirs et de les faire éprouver par nos lecteurs.