"L'EVEIL DU PRINTEMPS" de FRANK WEDEKIND.
Adaptation : Jasmina DOUIEB et Jacques DENECKER.
Mise en scène : Jasmina DOUIEB.
Esprit de la terre
Étends la main vers le péché ;
du péché vient la jouissance.
Pour toi, tout est encor caché,
Tu es encor dans ton enfance.
D’un mauvais oeil à tort tu vois
les trésors à tes pieds qui roulent :
prends-les. Le monde n’a de lois
qu’à ses pieds chacun ne les foule.
Heureux qui joyeux et faraud
gambade sur des tombes fraîches,
et de danser sur l’échafaud,
personne après tout qui l’empêche !
(Traduction François Regnault
Cité dans À propos de L’Éveil du printemps, Christian Bourgois Éditeur/Festival d’Automne, Paris, 1974, p. 32)
MORITZ : –Mais est-ce encore de la jouissance, Melchior ?– La fille, Melchior, jouit comme les dieux bienheureux. La fille se défend conformément à sa nature. Elle se garde libre de toute amertume jusqu'au dernier moment, pour d'un coup voir le ciel entier lui fondre dessus. La fille est encore dans ses craintes de l'enfer que déjà elle accueille le paradis en fleurs. Sa sensibilité est fraîche comme l’eau qui jaillit de la roche. La fille saisit une coupe visitée de nul souffle terrestre, un calice de nectar, brûlant de baisers, qu’elle vide jusqu'à la dernière goutte… L'assouvissement que connaît l'homme à côté, je le pense fade, insipide.
(p. 198)
BURIDAN-(se levant d'un bond) Si la peinture du malheur me procure des satisfactions, j'en ai eues tout autant pour ressusciter les joies de notre existence terrestre dans toute sa splendeur et magnificence originelles !
(p. 74, Le Censure)
MELCHIOR- Je te dirai tout.-Je le tiens des livres, je le tiens d'illustrations, et aussi d'observations faites sur nature.
(p. 180, L'éveil du printemps)
Une nuit, Naema vint près de mon lit, releva la couverture et m'emporta toute nue. Dehors elle me coucha dans une caisse étroite exactement à ma mesure et ferma le couvercle. Puis je ne sais rien de plus que d'avoir vu tout à coup la lumière du jour briller à travers les trous de la caisse. La caisse fut alors redressée et ouverte. J'en sortis. On me prit par la main, on me fit tourner sur moi-même afin de m’examiner sous tous les angles, puis on me conduisit vers un de ces lits blancs qui occupaient la pièce. Une jeune fille s’agenouilla devant moi et me mit une paire de longs bas blancs qui montaient jusqu’au dessus du genou. Puis elle m’enfila une petite robe blanche…
Nous pouvons tout. Donne-moi la main! Nous pouvons plaindre la jeunesse, et comme elle tient son angoisse pour de l'idéalisme, et la vieillesse, comme elle veut se briser le cœur à coups de grandeur stoïque. Nous voyons l'empereur trembler devant des chansons de rue et le lazzarone devant les trompettes dernières. Nous ignorons le masque du comédien et voyons le poète mettre le masque dans la nuit. Nous découvrons celui qui est comblé même dans son dénuement, et dans ses difficultés, dans sont accablement, le capitaliste. Nous observons les amants et les voyons l'un devant l'autre rougir de deviner ce qu'ils sont : des trompeurs trompés. Les parents, nous les voyons mettre les enfants au monde pour pouvoir leur crier : comme vous êtes heureux d'avoir de tels parents, et nous voyons les enfants faire de même. Nous pouvons surprendre l'innocence solitaire lorsqu'elle a soif d'amour, et la putain à quatre sous, lorsqu'elle lit du Schiller...
Le fantôme n'a pas tord. On ne doit jamais perdre de vue sa dignité. Par morale j'entends le produit réel de deux grandeurs imaginaires. Les grandeurs imaginaires sont devoir et vouloir. Le produit s'appelle morale et ne laisse pas dénier sa réalité.