A l'occasion de la parution chez Gallimard du deuxième roman de Dario Franceschini, "Ailleurs", la librairie Raspail l'a reçu pour un riche échange littéraire en présence de Teresa Cremisi, Jean-Baptiste Para et Fabio Gambaro.
Tout petit mon fils me demandait de lui expliquer ce qu'était l'amour, comment on pouvait dessiner ce qu'on éprouvait pour les grand-parents ou pour les parents et pour m'en sortir, je lui racontais, qu'il existait, mais qu'on ne pouvait pas le voire et encore moins le dessiner......Ainsi depuis des années, il m'envoie de Borello des caisses pleines d'amour rien que pour moi et il les remplit toujours de paille pour qu'il arrive là encore intacte. p.74
Ils s'étaient rencontrés un dimanche d'été dans la guinguette installée sur la berge. Il était venu d'un village voisin avec un groupe d'amis et l'après-midi durant, il était resté immobile, les mains dans les poches, adossé à la balustrade en bois, essayant de croiser ses yeux. Il l'avait regardé jusqu'à l'étourdir. Alors qu'elle s'apprêtait à partir avec ses amies, Capoccia s'était placé sur les marches de la sortie et avait attendu qu'elle passe près de lui dans la bousculade pour frôler sa poitrine sur sa chemise mince. Elle avait senti son haleine si proche qu'elle avait cru un instant qu'il allait l'embrasser. La même chose se reproduisit plusieurs dimanches, avec les mêmes gestes, les mêmes yeux, les battements qui s'accéléraient chaque fois qu'elle se préparait à partir, et lui se plaçait sur les marches pour la frôler d'une façon de plus en plus délicate, jusqu'à lui donner la chair de poule.
Elle finit par le désirer sans cesse. Elle passait ses journées à attendre la nuit pour rêver de l'avoir et le dimanche pour respirer un instant son haleine qui sentait l'herbe. Ses amies plaisantaient chaque semaine davantage sur cet homme qui ne trouvait pas le courage de l'inviter à danser et elle commença à songer à l'été qui finissait, en imaginant la tristesse de l'hiver sans ces yeux.
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Il ne peut pas y avoir de secrets sur le fleuve. L’eau ramène toujours à la surface même les plus lourds.
La vie méthodique et rangée de sa famille flottait sur une mer de folie, et sans le savoir, il était le principal interprète de la comédie mise en scène. Mieux même, il jouait avec application et scrupule son rôle de merde.
Elle passa deux heures à se faire bronzer, caressant parfois sa peau d’un voile d’huile d’olive… Lorsque le soleil déclinant atteignit la pointe des peupliers les plus hauts, elle se leva, ramassa son drap coloré et son grand chapeau, traversa le lit sec du fleuve et disparut dans l’ombre fraîche de la berge, laissant derrière elle un parfum de genêt en amour, si odorant que la brise du fleuve n’eut pas le courage de l’emporter.
Anne Forlani
Putain
[...] Natale Ferrari
Voleur
[...]
C'est normal, songea Iacopo. Pourquoi seuls ceux qui ont eu du succès ou de l'argent devraient-ils écrire ce qu'ils ont fait pendant leur vie ? Chirurgien, Ténor du barreau, Sénateur. Là au contraire, dans ce cimetière, quelqu'un avait remis les choses en ordre et tous, sans exception, déclaraient orgueilleusement leur travail. (p. 49)
Beaucoup au village considéraient sa maladie comme une invention géniale pour accroître une autorité déjà incontestée. (p. 14)
Ils ont inventé le moyen de fixer à jamais les voix, les visages, les mouvements, pourquoi ne parviendraient-ils pas à construire une machine qui fixerait les odeurs ? Ce serait magnifique de pouvoir appuyer sur un bouton et sentir celles qu’on a oubliées.
« Mais pourquoi pleure-t-elle et hurle-t-elle comme ça ? » demande Bottardi.
« C’est la faute du fleuve. Il lui a pris son mari et quatre fils, il y a bientôt vingt ans. Tous noyés, en essayant de se sauver mutuellement. Elle était sur la berge et hurlait de désespoir en les voyant disparaître l’un après l’autre dans la crue de plus en plus violente. On a dû l’emporter jusqu’à la maison là-haut et depuis ce jour tous les matins elle se met à pleurer et à hurler. »
Si tu écoutes une histoire, et si tu la trouves belle, tu ne dois pas te soucier de savoir si les choses se sont réellement produites.