Hammerstein ou l'intransigeance
Marque-page 26-02-2010
"On peut oser dire qu'il serait impossible de mener une guerre sans la force des femmes".
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L'analphabétisme, que nous avons enfumé dans ses repaires, est revenu, vous le savez tous, sous une forme qui n'a cette fois plus rien de respectable. J'ai nommé le personnage qui domine depuis longtemps la scène sociale : l'analphabète secondaire. (...) Notre technologie a développé, en même temps que les données du problème, la solution adéquate : la télévision, média idéal pour l'analphabète secondaire. On verra, en règle générale, des analphabètes secondaires occuper les premières places dans la politique et l'économie ...
Un jour qu’on lui demandait de quels points de vue il jugeait ses officiers, il dit : « Je distingue quatre espèces. Il y a les officiers intelligents, les travailleurs, les sots et les paresseux. Généralement, ces qualités vont par deux. Les uns sont intelligents et travailleurs, ceux-là doivent aller à l’état-major. Les suivants sont sots et paresseux ; ils constituent 90% de toute armée et sont aptes aux tâches de routine. Celui qui est intelligent et en même temps paresseux se qualifie pour les plus hautes tâches de commandement, car il y apportera la clarté intellectuelle et la force nerveuse de prendre des décisions difficiles. Il faut prendre garde à qui est sot et travailleur, car il ne provoquera jamais que des désastres. »
Au demeurant, la dictature se heurtait aussi, dans ces années trente et quarante, à des limites techniques. Les possibilités de surveillance qui font aujourd'hui partie de la vie quotidienne dans les sociétés les plus démocratiques étaient encore inimaginables à l'époque. Cela explique peut-être l'impression étonnante de franchise et d'imprudence que nous donnent beaucoup de journaux intimes et de lettres de ces années-là, et l'impunité relative de la "rouspétance" générale. La principale source qu'exploitait la Gestapo, ce n'était pas un système omniprésent d'écoutes et de surveillance, c'était le phénomène épidémique de la dénonciation.
- Attends ronchonna le bonhomme, c'est une véritable pagaille... Quelle malédiction ! Tu as raison, ça ne marche pas ! Comment le savais-tu ?
- Je ne savais rien du tout, répondit Pierre, j'ai simplement deviné. Je ne suis pas stupide au point de calculer une chose pareille !
- Espèce de malappris ! En mathématiques, on ne devine pas, compris ? En mathématiques on travaille dans l'exactitude.
- Mais c'est toi qui m'as dit que ça continue jusqu'à perpète ! Ça ne s'appelle pas deviner peut-être ?
-Tu te prends pour qui ? Qui es-tu ? un pauvre débutant, rien de plus ! Et tu prétends me dire comment faire ?
À chaque mot qu'il éructait, le démon des maths grandissait et grossissait. Il cherchait de l'air. Pierre finit par avoir peur de lui.
- Espèce de nain des nombres ! Tête de piaf ! Nullité pointée ! hurle le vieux diable, et à peine eut-il lâché ce dernier mot qu'il explosa de pure fureur dans un grand boum !
Pierre se réveilla. Il était tombé du lit. Il avait un peu le vertige, mais il ne put s'empêcher de rire en pensant à la manière dont il avait mis K.-O. le démon des maths.
Comme tout criminaliste l'apprend à ses dépens, les déclarations des témoins oculaires ne sont pas toujours à prendre pour argent comptant. Même les rapports faits de bonnes volontés présentent plus d'une fois des lacunes et des contradictions. Le désir de se faire valoir ou d'enjoliver les choses peut créer autant de confusion qu'une mémoire défaillante ou d'insolents mensonges.
On est conduit à penser que ce que voulaient profondément Hitler et ses fidèles, c'était moins la victoire que la radicalisation et la perpétuation de leur statut de perdants. Certes, la rage accumulée s'est déchaînée dans une guerre d'extermination sans précédent contre tous ceux qu'ils tenaient pour responsables de leurs propres défaites - il s'agissait d'abord d'anéantir les Juifs et le camp qui avait imposé sa loi en 1919 -, mais ils ne songeaient pas un seul instant à épargner les Allemands. Leur véritable but n'était pas la victoire, mais l'extermination, l'effondrement, le suicide collectif, la fin dans l'effroi. Il n'y a pas d'autre explication au fait qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale les Allemands ont continué à se battre à Berlin, jusqu’au dernier bâtiment en ruines. Hitler lui-même a confirmé ce diagnostic en affirmant que le peuple allemand ne méritait pas de survivre. Au prix de sacrifices inouïs, il a obtenu ce qu'i voulait : perdre. Mais malgré tout, les Juifs, les Polonais, les Russes, les Allemands et tous les autres sont encore là.
Les époques normales, ça n'existe pas. Savez-vous ce que disent les italiens ?
dans le pire, il n'y a pas de fin.
"Je ne suis pas un héros, tu te trompes sur mon compte. Je fais face quand il le faut. Mais je ne me bouscule pas pour empoigner la roue de l'Histoire, comme vous autres !" Et vint alors un mot complètement désarmant : "Je suis trop paresseux pour ça !" L'explication qui suivit, sur la belle qualité qu’était la paresse, qui permettait à ;l'homme de développer sa raison et d'agir avec réflexion, culmina dans cette sentence : "On a le temps de penser. L'application au travail ne fait que gêner."
Cela lui faisait une impression étrange de vivre deux fois de suite la même scène, mais cette fois, il ne la regardait plus de l'extérieur, rongé par l'angoisse, dans une salle de cinéma obscure en plein Moscou; il était en plein dedans, dans un film tourné Dieu seul sait dans quel paysage féerique au bord de la mer...