"Nightwood" by Djuna Barnes.
"This is a book I wish I had read in class to really take the time and dive into all the things I din't get by just reading it.
Also, lesbian and (I think) queer characters."
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Les sages disent que le souvenir des choses passées est tout ce que nous avons pour avenir.
Et voilà, madame, on était à Paris, ma sœur Moydia et moi.
Moydia avait quinze ans et moi dix-sept et on ne se sentait pas
de jeunesse. Moydia a la peau si fine que je reste à la regarder en
me demandant comment elle fait pour avoir des opinions. Elle est
toute blanche sauf ses pommettes qui étaient alors d’un rose
rouge. Ses dents sont des dents de lait et elle a une drôle de petite
figure très jolie. Elle avait envie d’être comme les Françaises de
la grande époque, tragique, triste et «terrible » à la fois, mais en
plus féroce, enmoins pur peut-être, et elle voulait pourtant mourir
et renoncer au cœur comme une vierge. Voilà bien une noble
mais impossible ambition, n’est-ce pas, madame ? C’était ainsi
avec Moydia. Quand on vivait en Norvège, on s’asseyait au soleil
pour lire Goethe et on n’était pas d’accord avec lui du tout:
— Il est pompeux, trop assuré et bien trop facile, cet individu,
elle disait en serrant les dents. Oui, mais dans ce cas les gens
disent que nous n’y connaissons rien.
Moydia et moi on est russes et on n’aurait jamais su que notre
grand-mère était juive s’il n’était arrivé quelque chose de terrifiant,
un accident tel qu’on n’en avait encore jamais connu…
Comment ça? C’est que notre grand-mère a eu la permission de
boire du champagne sur son lit de mort et, vous savez, le champagne,
leur religion l’interdit aux juifs.
Le fait même qu’une femme puisse faire quelque chose d’aussi déraisonnable que d’avoir un enfant devrait lui donner le don de prophétie.
Nul n'a besoin de soigner son mal individuel ; votre maladie universelle, voilà ce dont il faut vous occuper.
C'est dans l'acceptation de la dépravation que l'on saisit plus pleinement le sens du passé. Qu'est-ce qu'une ruine, sinon le temps en train de se délester de l'endurance. La corruption est la vieillesse du temps. C'est le corps et le sang de l'extase, de la religion et de l'amour.
Je croyais l'aimer pour elle, et j'ai découvert que je l'aimais pour moi.
-Je sais, dit le docteur, vous étiez assise là toute droite comme une reine, avec un buisson de roses dans le fondement.
Elle le regarda, puis elle sourit :
-Comment pourriez-vous savoir ?
- Je suis une dame qui n'a que faire d'être insultée, dit le docteur. Je sais.
- Oui, dit-elle, vous savez ce qu'aucun de nous ne sait avant sa mort. Vous étiez mort à l'origine.
Nous dormons dans une longue traînée d'auto-reproches. Nous sommes pleins jusqu'au cou des noms que nous donnons nous-mêmes à la détresse.
L'amour devint le dépôt du coeur, de tous points analogue aux trouvailles d'une tombe. Comme dans l'un d'elles est marquée la place occupée par le corps, son vêtement, les ustensiles nécessaires à son autre vie, ainsi dans le coeur de l'amant se retrace, telle une ombre indélébile, ce qu'il aime. Dans le coeur de Nora reposait le fossile de Robine, intaille de son identité, et alentour, pour sa conversation, courait le sang de Nora. De la sorte le corps de Robine ne pouvait jamais laissé d'être aimé, ni se corrompre, ni être jeté au rebut. Robine était à présent au-delà des changements temporels, excepté dans le sang qui l'animait. Le fait qu'elle pouvait en être vidée gravait dans l'esprit de Nora, avec une affreuse appréhension, l'image de Robine en train de marcher - de Robine seule, traversant les rues, en danger. Son esprit se pétrifiait de telle sorte que, sous l'effet de sa peur, Robine apparaissait énorme et polarisée, attirant à elle, sujet magnétisé, toutes les catastrophes ; et Nora, hurlant, s'éveillait de son sommeil ; pour retraverser le flot des rêves où son anxiété l'avait jetée, entraînant le corps de Robine avec elle dans leurs profondeurs, de même que les créatures du sol entraînent un corps, avec une minutieuse persistance, dans la terre, laissant son motif sur l'herbe comme si elles brodaient tout en s'enfonçant.
Un viol décrit en 1928 (probablement subi par l'auteure) :
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Une fille est perdue ! Une fille s'est perdue ! (...) Maudite sois-tu ! Il y a vraiment de quoi être fière : tu as quand même réussi à faire d'un Triste Sire un Matamore et un Faiseur de Noises dans toutes les rues qui se terminent en cul de sac ! Et nous sera-t-il donné de voir l'enfant, Fille ou Garçon, sur la Place Publique dans les Années qui viennent pour contredire la Formule Perverse de son Engendrement ! (...) La Science n'a-t-elle pas démontré qu'aucun Poinçon ne s'empare de force du Lacet, et que le Fil ne fait pas la conquête de l'Aiguille, et que l'Aiguille n'a pas non plus de penchant pour le fil ? (...)
Il y a un "Non" où le "Oui" perce clairement, et un "Non" qui n'a pour trame que le "Non"; Et nous sommes fort chagrins que nos Filles n'aient pas appris à les reconnaître.(...)
N'as-tu pas par hasard pris ce que des Femmes plus Honnêtes ont refusé ? Et n'as-tu pas manqué, ce faisant, à la Plus Élémentaire Politesse ? Est-il Correct d'empoigner des Bonbons qu'ont laissés intacts plus de Cent Invitées à la Même Réception, et du même coup, d'en corrompre la Saveur ? (...)
Tu n'es que Tête sans Plomb, et mériterais d'être fustigée ! Ecorchée vive ! Mise au Carcan ! Vilipendée ! Huée et expédiée vite fait, qu'on ne te voit plus dans nos Contrées ! Passe la Frontière et gagne quelque Pays Voisin où tu demeureras, le temps qu'un Vieux Tesson Galeux, vienne boucher, avec toi, le Trou dans un Fait-tout.
Comme les jours s'écoulaient, ils passèrent de nombreuses heures dans les musées, et Félix, tout en y prenant un plaisir sans mesure, fut surpris de voir que le goût de Robine, après avoir apprécié les plus belles choses, s'en détournait pour embrasser également le médiocre et le vulgaire avec une émotion aussi réelle. Quand elle touchait un objet, ses mains semblaient se substituer à ses yeux. Il pensa : "Elle a le toucher des aveugles qui, parce qu'ils voient davantage avec leurs doigts, oublient davantage en esprit."