Lecture à deux voix par Jim Caroll et Nicolas Richard, illustrée en direct par Tom Haugomat, accompagnement musical de Rubin Steiner
Dans le cadre du festival Paris en toutes lettres
Publié initialement en 1983, Fup, de l'écrivain américain Jim Dodge, est un livre qui a connu un succès au long cours. Il raconte l'histoire de Titou, orphelin élevé par son grand-père, un solitaire excentrique. le duo, déjà très attaché, se renforce encore le jour où arrive à la maison Canadèche, un canard boulimique. Un texte tour à tour drôle, rageur ou bouleversant, ici mis en dessin par Tom Haugomat, dont les traits et les couleurs saisissent admirablement les émotions de la vie.
À lire Jim Dodge, Fup (L'Oiseau Canadèche), trad. de l'anglais (américain) par Jean-Pierre Carasso, illustré par Tom Haugomat, éd. Tishina, 2021.
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Je vais bientôt avoir 15 ans et la dépendance "pepsi-cola" à l'héro, que j'ai contractée cet été resserre son étau autour de moi de plus en plus. Pour la première fois depuis que j'ai perdu la virginité de mes veines, à 13 ans, j'ai le sentiment qu'il faut que je me remette d'aplomb vite fait, parce que le bahut, ça s'approche à une vitesse vertigineuse et pas moyen d'aller à l'école quand on est accro. La dépendance "pepsi-cola" à la poudre, c'est une première accoutumance bénigne qui s'installe subrepticement pendant qu'on se dit: "Merde, ça fait déjà trois ans que je fais le con avec la came, mais je sais à quel moment je dois m’arrêter, et je ne suis jamais accro." Mais un jour au réveil, le nez se met brusquement à couler, les yeux à pleurer, les muscles du dos et des jambes sont lourds et raides. On est le dindon de la farce , finalement, même si on croit être "maître du jeu" depuis longtemps. Alors je me regarde dans le miroir, et je m'aperçois que je ferais mieux de laisser tomber la poudre aussi sec. Je cesse de me raconter des histoires, quoi.
Les gestes symboliques, ça donne bonne conscience mais ça n'est nourrissant pour personne.
Tu sais, tous ces gens qui survivent à un accident et leur cœur s’arrête de battre pendant un moment, et ils sont déclarés cliniquement morts. Puis un ponte de la médecine se pointe et arrive à les réanimer. C’est comme… les gens décrivent toujours la même sensation, la même expérience… rentrer dans un long tunnel et se diriger vers la plus pure des lumières et ne plus faire qu’un avec cette lumière… et alors, ils reviennent à la vie… mais ils sont vraiment passés à travers cette lumière, et ils auraient pu devenir lumière si le toubib n’avait pas tout foutu en l’air.
La poésie peut parfois déclencher de terribles angoisses. Peut-être est-ce la peur des possibles, de trop de possibles et de leurs variations infinies. Comme se regarder trop longtemps, collé à un miroir ; tes traits se déforment, puis explosent. Tu te vois de trop près dans tes poèmes, ou tu écoutes trop fort leurs chuchotements, et tes organes – appelle ça le cœur, l’esprit ou l’âme – s’accélèrent, hors de contrôle. Ils se déforment, puis explosent, et libèrent une étrange douleur.
En fait, je n’ai jamais pensé arriver vivant à cet âge-là. Je me retourne sur mon passé comme on observe un couteau de collection… vous pouvez l’utiliser pour vous défendre ou vous trancher une jugulaire, mais pas le laisser indéfiniment exposé sur un mur.
Parfois je me surprends assi au bord du canapé à fixer d'un regard vide le halo de la télévision, comme un cerf paralysé par les phares d'une voiture sur une route de campagne.
Ses seins débordaient, massifs, telle une créature des bas-fonds marins, d’un soutien-gorge noir. Sa robe était si courte que lorsque je me suis accroupi pour faire semblant de refaire mes lacets, j’ai parfaitement aperçu la jointure entre ses bas noirs et sa culotte rouge, tels deux fils mortels qu’il fallait connecter pour déclencher un processus d’explosion totale.
Les sentiments sont si superficiels qu’ils ne peuvent s’épanouir et ainsi ralentir le cours des choses. Même l’ennui n’a aucune profondeur ici ; c’est une impression qui s’impose mollement à tous. Les rouages sont si bien huilés à force d’artifices et d’idioties sans importance que tout est aussi fin que du papier à cigarette.
L’inquiétude de Jenny à propos de cet « endroit dégoûtant » est née quand nous sommes allés tous les trois à Times Square la semaine dernière. Nous nous y rendons assez fréquemment, fiers de toujours choquer la bande de bigots qui y trainent lorsque nous passons devant eux. Roger est d’une beauté insoutenable, avec des yeux égyptiens habités d’un regard étrangement sombre. Quant à moi, j’ai l’air si jeune que l’on me demande encore ma carte d’identité pour entrer dans les bars. Cela doit être la dope. Et, bien sûr, je sais parfaitement comment faire onduler mon cul à force de pratiquer. Jenny Ann est renversante : elle affiche ses seins plutôt imposants sans le moindre soutien-gorge, et ils trônent, lourds et bas, dans ses tee-shirts trop larges ; on la prend sans cesse pour un tapin du quartier.
Par définition, un artiste qui effectue des performances doit entrer en contact avec le public, interagir avec lui. De par la nature de leur médium, leur art n’existe qu’en présence d’un public. Certains sont ingénieux, lumineux et à la fois amusants. Mais, là encore, la plupart sont drapés dans de tels oripeaux de prétention que cela constituerait déjà une performance à part entière de les mettre à nu. Ils font preuve d’une énergie infinie pour créer l’ennui, et ils sont tellement pédants que tu ne rêves que d’un truc, leur percer les parties intimes avec des clous rouillés. Ils ne sont guère différents des poètes : lorsqu’ils sont bons, c’est génial… et autrement, c’est la catastrophe.