Tristan L'HERMITE Un symboliste sous Louis XIII ? (France III Nationale, 1958)
L'émission "Anthologie française", par Jean de Beer, diffusée le 10 décembre 1958 sur France III Nationale. Lecture : Jean Topart, Renée Faure, Henri Poirier, Jean Tassot, Jacques Toja et Simone Rieutor.
LE PROMENOIR DE DEUX AMANTS
( Extraits )
Je tremble en voyant ton visage
Flotter avecque mes désirs,
Tant j’ai de peur que mes soupirs
Ne lui fassent faire naufrage...
Veux-tu par un doux privilège
Me mettre au-dessus des humains ?
Fais-moi boire au creux de tes mains
Si l’eau n’en dissout point la neige...
Ta bouche d’un baiser humide
Pourrait amortir ce grand feu :
De crainte de pécher un peu
N’achève pas un homicide
Chimène, ce baiser m’enivre,
Cet autre me rend tout transi.
Si je ne meurs de celui-ci,
Je ne suis pas digne de vivre.
Mais voici venir le montant,
Les ondes demi-courroucées
Peu à peu vont empiétant
Les bornes qu'elles ont laissées.
Les vagues, d'un cours diligent,
À longs plis de verre ou d'argent
Se viennent rompre sur la rive
Où leur débris fait à tous coups
Rejaillir une source vive
De perles parmi les cailloux.
Doux printemps ne revenez pas...
Doux printemps ne revenez pas
Avec tant d’appas
Vous opposer à ma mélancolie :
Depuis qu’une Beauté que j’aimais chèrement
Se trouve ensevelie,
Tous mes plaisirs sont dans le monument.
Ô beaux jours si tôt allongés,
Que vous m’affligez
Moi qui toujours ai des pensers si sombres ;
Dès lors que le sujet de ma félicité
Erre parmi les ombres,
J’ai de l’horreur quand je vois la clarté.
Claires eaux qui lavez des fleurs
Ainsi que mes pleurs,
Votre cristal a pour moi quelques charmes :
En mon affliction j’aime à voir votre cours,
Il ressemble à mes larmes,
La mort a fait qu’elles coulent toujours.
La belle Esclave maure
Beau monstre de Nature, il est vrai, ton visage
Est noir au dernier point, mais beau parfaitement :
Et l’Ebène poli qui te sert d’ornement
Sur le plus blanc ivoire emporte l’avantage.
Ô merveille divine, inconnue à notre âge !
Qu’un objet ténébreux luise si clairement ;
Et qu’un charbon éteint, brûle plus vivement
Que ceux qui de la flamme entretiennent l’usage !
Entre ces noires mains je mets ma liberté ;
Moi qui fus invincible à toute autre Beauté,
Une Maure m’embrasse, une Esclave me dompte.
Mais cache-toi, Soleil, toi qui viens de ces lieux
D’où cet Astre est venu, qui porte pour ta honte
La nuit sur son visage, et le jour dans ses yeux.
D’où vient qu’un penser indiscret
M’entretient toujours en secret
D’un sujet qui m’est si contraire,
Et convaincu de trahison
Ne saurait jamais se distraire
De me présenter du poison ?
Quel doux et cruel mouvement
Veut rendre ainsi de mon tourment
Mes volontés mêmes complices ?
Et flattant de nouveaux désirs,
Sous l’apparence des délices,
Me déguise les déplaisirs ?
Après tant de regrets conçus
Et tant d’aiguillons aperçus
Sous le trompeur éclat des roses,
Suis-je bien assez malheureux
Pour permettre aux plus belles choses
De me rendre encore amoureux ?
Après tant de vives douleurs,
Après tant de sang et de pleurs
Que j’ai versés dessus ma flamme,
Aurais-je l’indiscrétion
De livrer encore mon âme
Au pouvoir de ma passion ?
Ô prudente et forte raison
Qui m’as tiré d’une prison
Où je répandais tant de larmes,
Je n’ai recours qu’à ta bonté,
Veuille encore prendre les armes
Pour défendre ma liberté.
J’aperçois déjà mon trépas
Couvert des innocents appas
Que Philis sait mettre en usage,
Philis ce chef d’oeuvre des cieux,
Qui n’a de douceur qu’au visage
Ni d’amour que dans ses beaux yeux.
Ô raison, céleste flambeau,
Achève un ouvrage si beau.
Mais quoi, tu perds cette victoire,
Et malgré tes sages propos,
L’objet qui règne en ma mémoire
Vient encore troubler mon repos.
Soupir, subtil esprit de flamme
Qui sors du beau sein de Madame,
Que fait son coeur, apprends-le-moi ?
Me conserve-t-il bien la foi ?
Ne serais-tu pas l’interprète
D’une autre passion secrète
Ô cieux ! qui d’un si rare effort
Mites tant de vertus en elle,
Détournez un si mauvais sort
Qu’elle ne soit point infidèle,
Et faites plutôt que la belle
Vienne à soupirer de ma mort,
Que non pas d’une amour nouvel
Il paroist que les traits de bonté dont vous m'honorez m'aportent presque autant de trouble qu'ils vous acquièrent de gloire, et que dans la haste que i'ay de vous en exprimer le ressentiment, ie mets toutes choses en oeuure. En effet il semble que ie ne donne cette pièce de Théâtre au iour, que pour mettre ma recognoissance en veuë : et que ie ne faits publier cette Mort que pour apprendre à tout le monde que ie vous ay voué ma vie.
Plaintes d’Acante
POUR UNE EXCELLENTE BEAUTÉ QUI SE MIRAIT
Amarille en se regardant
Pour se conseiller de sa grâce
Met aujourd’hui des feux dans cette glace
Et d’un cristal commun fait un Miroir ardent.
Ainsi touché d’un soin pareil
Tous les matins l’Astre du monde
Lorsqu’il se lève en se mirant dans l’onde
Pense tout étonné voir un autre Soleil.
Ainsi l’ingrat Chasseur dompté
Par les seuls traits de son image,
Penché sur l’eau, fit le premier hommage
De ses nouveaux désirs à sa propre beauté.
En ce lieu, deux hôtes des Cieux
Se content un sacré mystère ;
Si revêtus des robes de Cythère
Ce ne sont deux Amours qui se font les doux yeux.
Ces doigts agençant ces cheveux,
Doux flots où ma raison se noie,
Ne touchent pas un seul filet de soie
Qui ne soit le sujet de plus de mille vœux.
Ô Dieux ! que de charmants appas,
Que d’œillets, de lys et de roses,
Que de clartés et que d’aimables choses
Amarille détruit en s’écartant d’un pas !
Si par un magique savoir
On les retenait dans ce verre,
Le plus grand Roi qui soit dessus la terre
Voudrait changer son sceptre avecque ce Miroir.
En tout temps, ô César ! On ne peut faire mieux
Que de se préparer aux volontés des Dieux !
Puisque le frêle fil dont dépend notre vie,
Finit quand il leur plaît, non selon notre envie !
Pour augmenter l'affront que l'injuste licence
A fait à l'innocence,
Un absolu pouvoir rend mon corps prisonnier :
Mais en quelque péril que le malheur m'engage,
J'aurai cet avantage
Que mon coeur pour le moins se rendra le dernier.