Je commande mille exemplaires de ce que j'ai conçu comme un petit livre noir. C'est un chiffre évidemment exorbitant, vu que je sais bien que les librairies, faisant toutes partie du système, n'accepteront pas de le diffuser. Néanmoins je fais le pari qu'il y aura quand même un nombre suffisant de lecteurs susceptibles d'être attirés d'abord par l'aspect inaccoutumé de ce livre de 10 x 7 cm, en complète discordance avec les encombrantes reliures des livres soviétiques comme avec leur contenu: il y est parlé d'amour et de mort, alors que l'amour est officiellement tenu pour un préjugé bourgeois et que la mort est escamotée au profit de la joyeuse compétition socialiste des plans quinquennaux. (p. 14)
Préface D’Étienne-Alain Hubert :
" Quiconque lit les poèmes de Radovan Ivsic en français est frappé par le dépouillement de la syntaxe , d'où naît l'impression qu'une sorte de vide entoure les mots , leur conférant une capacité maximale d’irradier autour d'eux . Bien que souvent choisis parmi les plus courants , les vocables en reçoivent des résonances illimitées .Les phrases s’égrènent une à une comme si elles étaient énoncées dans le silence nocturne . En outre , faisant entendre un langage d'espace autour du langage des mots , des dispositions typographiques variées ont en commun la propriété de ménager de grands espaces de blanc dans la page , qui parfois n’accueillent plus que quelques lignes incandescentes , comme dans l'admirable " Mavena " . Le miracle est alors qu'isolées les unes des autres par ces traces de l'inconnaissable , les phrases imposent au lecteur avec une autorité souveraine la richesse de l'univers secret dont elles sont issues .
Je ne jette pas les pierres dans l'eau
je jette mon mal à l'eau
que l'eau l'emporte
que la montagne l'écrase!
J'aime venir au "café", à la tombée du jour. Quelquefois, j'ai l'impression, ou peut-être l'illusion, que ce rendez-vous est le lointain reflet de la Table ronde de la légende. Comme s'il y avait eu depuis toujours quelques hommes à se réunir dans la nuit du monde pour refuser le cours des choses.
Ils grandissent et disparaissent
les anneaux de la mémoire
il est calme
le lac du monde
tu es muette et profonde
seule
tu es le cœur du monde
nu.
Nous sommes assis sur la berge d'une rivière,
elle et moi
Elle me parle,
et le murmure de ses paroles
dévient un nuage de cerises
qui se pose sur mes cils.
Je respire calmement
Et je pénètre dans les pensées
qu'elle aurait voulu me cacher.
Elle rit,
puis elle prend une montagne
et la pose sur mes lèvres,
entre nos baisers.
(" Poèmes")
Seul, tout à fait seul, je me promène sur un nuage. Mes jambes sont caressées par une herbe si transparente que je ne la vois pas. Je suis émerveillé par le silence. Je prends un peu d'eau noire et je transforme le nuage en une jeune fille que j'aime follement jusqu'à ma mort, dans la solitude.
Elle plonge ses bras dans l'eau pour s'endormir .
Quand elle s'éveille , des petites gouttes tombent de ses
doigts , rient
Sur le sol : ce sont ses yeux , ce sont toutes les couleurs .
C'est pourquoi , devant les oiseaux , elle s'enferme dans la peur .
Trois prairies vertes te guettent dans son corps
Dés qu'elle désire se trouver quelques part , ses mains y sont déjà .
Elle dissimule le vent dans les vagues
.................
Elle n'a même pas besoin de se taire pour tout dire .
Elle ne sait pas ce qu'elle désire lorsqu'elle regarde à travers les longs
rameaux des cerfs .
Si tu savais ...
Lorsqu'elle a soif , jamais elle ne réveille l'eau .
Le silence à l'orée de la forêt peureuse .
Voit-elle les étoiles , ou les étoiles la voient-elle ? C'est ce qui la trouble .
Elle respire .
Elle dort .
Elle écoute .
..............
Son sourire écarte les fleurs . Elle sait ce que les fleurs ont oublié .
Seule elle ne sera jamais tout à fait nue .
Qui est-elle ?
Beaucoup de ceux qui avaient désiré être du voyage furent emportés par les terribles tempêtes du siècle, mais, pendant des années, il y en eut toujours de nouveaux à vouloir s'y embarquer.
les vagues avançaient sans bruit sur la rive
grimpaient sur des mains inquiètes
l'herbe poussait sur des yeux bleus
tant d'îles étaient arrivées nageant dans le vent
la petite fille écoutait dans les branches
elle avait une houle dans les bras
subitement dans le feuillage elle se demanda
petite fille
quand chercheras-tu les marches qui descendent dans la mer
quand chercheras-tu les marches qui descendent dans la mer
petite fille