J’ai été transportée par cette lecture. Des personnages simples, qui reflètent la réalité. Des tranches de vies touchantes, bouleversantes. Les pages défilent sans que l’on s’en rende compte. Je ne me suis pas un seul instant ennuyée aux côtés de Violette. Aucune longueur et pourtant c’est un beau pavé. Mon premier livre de cette autrice et j’ai beaucoup aimé son style. Elle a réussi à changer ma vision des cimetières.
Si vous avez l’occasion de lire ce livre allez y !
Il traite de différents sujets, des sujets parfois durs, très durs mais des moments plus doux plus légers contrebalancent. C’est si bien écrit, l’équilibre est trouvé. Bref vous l’aurez compris c’est le genre de livre qu’on a du mal à poser. Puis une fois terminé, qu’on a du mal quitter.
Commenter  J’apprécie         242 
Je continue à explorer les titres de la collection "L'Art et la manière" avec intérêt, une bonne opportunité de découvrir des peintres et des courants artistiques de façon légère et accessible.
Aujourd'hui il s'agit de Cézanne, surnommé le "père de l'art moderne", il aurait notamment influencé de grands artistes comme Picasso, Matisse, Klee ou encore Mondrian.
Paul Cézanne est né le 19 janvier 1839 à Aix-en-Provence, son père, un négociant, le destine à la finance. Au lycée, l'un de ses meilleurs amis, le futur écrivain Emile Zola, l'encourage à partir à Paris pour réaliser son rêve qui est de devenir peintre.
Il découvre la capitale en 1861 et ne s'y sent pas à l'aise, très vite sa Provence natale lui manque, il rencontre des peintres tels que Manet, Auguste Renoir et surtout Camille Pissaro, l'un des seuls à avoir su pressentir son talent.
Car le paradoxe est là, il ne sera pas vraiment reconnu de son vivant, Manet aurait dit de lui : "Cézanne est un maçon qui peint avec sa truelle". D'un caractère renfermé et irritable, il aura du mal à s'intégrer à cet environnement parisien, l'anecdote suivante est révélatrice de sa nature entière :
Lorsque Emile Zola publie son roman "l'Oeuvre" en 1886, Cézanne croit se reconnaître dans le personnage de Claude Lantier, un peintre génial mais impuissant, il cesse alors toute relation avec Zola, mettant ainsi fin à une amitié vieille de trente ans.
Paul Cézanne aimait se représenter lui même, car il se considérait comme son meilleur modèle, il a peint 46 autoportraits. De plus en plus irritable et sauvage, en 1859, il s'installe chez son père qui vient d'acquérir le "Jas de Bouffan" près d'Aix-en-Provence où il peindra de nombreuses toiles. A la mort de sa mère en 1897, il vend la propriété pour s'installer dans un cabanon qu'il loue près de la carrière de Bibémus, il y peindra jusqu'à sa mort, emporté par une pneumonie le 22 octobre 1906, c'est à cette période qu'il peint ses toiles représentant la montagne Sainte-Victoire, l'un de ses thèmes récurrents.
L'année suivant sa mort, une grande rétrospective lui est consacrée au salon d'automne, il y rencontre enfin le succès qu'il avait attendu toute sa vie...
Vous découvrirez dans cet ouvrage environ 25 toiles commentées du maitre avec une chronologie qui vous permettra de vous faire une idée de l'évolution de son style.
j'aime décidément cette collection jeunesse pour son accessibilité, une initiation à la peinture sans difficulté.
Commenter  J’apprécie         685 
Il s'agit peut-être du titre le plus emblématique de l'oeuvre de Franz Bartelt, une lecture à peu près inclassable tant elle est décalée, que ce soit au niveau des dialogues ou encore du scénario, un pur régal pour qui apprécie la prose et l'humour de l'auteur, ce qui, vous l'avez deviné est mon cas.
Un auteur qui est un peu le Brussolo du récit déjanté et humoristique, c'est le meilleur compliment que je pourrais faire tant j'aime ces deux auteurs.
Le narrateur est un homme "basé sur l'idée de gauche" comme il aimera le rappeler tout au long de l'histoire, un escroc allergique à l'idée de travailler mais aussi et contre toute attente un poète expert en alexandrins, un cocktail déroutant et particulièrement réjouissant.
Cette histoire qui est en partie un huis clos m'a séduit par ses dialogues "hors sol" et pourtant d'une grande pertinence, si vous aimez la psychologie et l'humour décalé vous allez être servi comme jamais, si vous aimez les personnages retors et pervers, vous allez adorer le "con", l'autre personnage du roman qui se révèle carrément hors compétition.
L'intrigue est assez fabuleuse même si le thème de la séquestration n'est pas franchement original, ici les échanges entre le geôlier et son captif m'ont captivé sans peine, car le plus important c'est que l'histoire tient vraiment en haleine, et que l'attente du dénouement sera largement récompensée tant il est inattendu et stupéfiant.
L'histoire commence quand notre narrateur escroc pense pouvoir se renflouer facilement et sans risque en suivant un homme ivre et plein aux as, un "con" tellement saoul qu'il décide de s'introduire chez lui et profiter de son sommeil d'ivrogne pour agir à sa guise et surtout sans risque.
Je vous laisse découvrir la suite si le coeur vous en dit, dans ce cas je vous promets une lecture mémorable car que l'on aime ou pas, cette histoire se classe dans la catégorie "inoubliable".
Commenter  J’apprécie         6639 
Si on aime la nature et les grands espaces sauvages de l'Ouest -- ici les Grandes Plaines du Dakota --, les bisons et les beaux dialogues à l'américaine, on aime ce livre, et c'est mon cas.
Néanmoins, je comptais ne lui accorder à regret que trois étoiles, car s'il comporte d'excellentes descriptions de la nature, des bisons, du froid hivernal glacial, il me semble manquer un peu de structure, ce qui amène l'auteur à de nombreuses répétitions sur ses activités, ses difficultés économiques, tout cela devenant quelquefois lassant. Heureusement que l'on rencontre, en alternance, d'excellents dialogues, des valeurs humaines partagées, des sentiments qui élèvent l'homme ainsi qu'une vaine mais nécessaire contestation des empires économiques financiers qui détruisent par le profit à tout prix, sur le temple notamment de la mal bouffe.
Dan O'Brien commence son récit par l'histoire dramatique des immenses peuplements de bisons et leur destruction méthodique par l'homme au XIXe siècle. C'est un préambule malheureusement nécessaire qui est réalisé avec justesse et compassion pour ces nobles animaux.
Ensuite, c'est l'histoire de la grande aventure de sa vie, la mise ne place d'un élevage de bisons, avec les nombreuses difficultés, surmontées grâce aux amitiés fidèles et à la ténacité de l'auteur. le langage de Dan O'Brien est clair, il énonce les situations et leurs périls sans détours, il martèle ses convictions, on peut le comprendre.
Les dialogues entre Dan et ses amis sont pleins de saveurs. J'ai particulièrement aimé l'échange quasi absurde entre Jim Harrison et le fin négociateur, Dick Saterlee. C'est certainement retranscrit à merveille et on croit entendre la voix de Jim quand il énonce comment la vérité devient vérité.
Dan o'Brien chante aussi un hymne à la qualité de la viande de bison, il explique comment la cuire pour la savourer pleinement. Son livre a été publié en 2001, époque à laquelle le véganisme ne sévissait pas encore.
Le coeur de Dan O'Brien est souvent brisé par les aléas de la vie, il surmonte tant bien que mal ses difficultés, ses échecs amoureux, il compatit au malheur des autres, sans insister sur les mots, ni les maux, en apportant un soutien silencieux quand il ne peut en exister d'autres.
En arrivant au terme de cette restitution de mon ressenti, je n'hésite plus pour la quatrième étoile que l'ensemble du livre mérite pour ses nombreuses qualités.
Commenter  J’apprécie         1022 
Kilomètre zéro ! Le troisième tome de l'adaptation BD de l'Autoroute sauvage nous emmène à Paris, et plus précisément à Notre Dame car vous le savez sûrement, c'est là que commence le Kilomètre zéro.
Mo et Jin partent sur les traces des ravisseurs d'Hélène, ils sont bien décidés à tout faire pour la retrouver, et ce quel qu'en soit le prix.
Encore une fois, les scènes d'action seront magnifiées par des dessins somptueux, cette bande dessinée est décidément un régal pour les yeux, la qualité est au-dessus de la moyenne à tel point qu'on pourrait presque suggérer aux âmes sensibles de s'abstenir, car le sang va beaucoup couler qu'on se le dise.
Je ne vais pas entrer dans le détail des péripéties, je vais me contenter de dire que j'ai apprécié le scénario malgré ses quelques facilités, je l'ai aimé en dépit du parti pris des auteurs d'adapter librement l'action parisienne du roman en modifiant considérablement le scénario.
L'essentiel est là, et ce qui n'y est pas tient la route, comme le dit Alain Damasio, "on ne juge pas la valeur d'une adaptation à sa fidélité au support original ; on la juge à la qualité de sa trahison", et pour ce qui me concerne, la qualité est là.
J'ai apprécié au point de "valider" une fin pour le moins surprenante, mais qui est, à la réflexion, tout à fait dans l'esprit du contexte de cette excellente trilogie.
En conclusion, c'est une belle adaptation qui se double d'un bel hommage à Julia Verlanger, une belle bande dessinée.
Commenter  J’apprécie         534 
Je n’avais aucune envie de lire ce livre de Lola Lafon ! En premier lieu, tous ces romans sur la Shoah éveillent en moi une suspicion, je ne parle pas des livres d’histoires, ni des témoignages, ni des documents, ni des récits-enquêtes, mais plutôt de ces écrits romanesques sur la Shoah ! Il me faut néanmoins reconnaître une qualité à ces récits, ils enseignent, ils relèvent d’un défi majeur, celui de la lutte contre l’oubli bien qu’ils soient en dessous de la réalité mais les mots peuvent-ils être à la hauteur de la réalité ? En deuxième point, j’avais déjà lu de Lola Lafon « Mercy, Mary, Patty ». L’auteure s’emparait d’un fait divers des années 70 : l’enlèvement de Patricia Hearst, petite-fille du magnat de la presse, William Randolph Hearst, récit qui ne m’avait absolument pas convaincue. C’est en lisant le retour de Dominique @larmordbm et sur ses encouragements que je me suis lancée dans cette lecture habitée.
Je me suis enfoncée dans la nuit de l’Annexe avec Lola avec autant d’appréhension qu’elle. J’ignorais sa judéité comme j’ignorais que sa mère fut une enfant cachée, nous avons donc pu fonctionner en miroir. Lola Lafon est originaire de la Roumanie de Ceausescu. Elle porte en elle une révolte, un désir de vivre sans aucune limitation, qui se traduit par ses aspirations libertaires : ce qui se conçoit aisément au regard de l’histoire familiale.
Je me posais la question « qu’allait-elle chercher dans cette annexe sacralisée ? ». Dans cette intimité littéraire, encouragée par son projet de passer la nuit du 18 août 2021 dans l’Annexe, j’y ai retrouvé les perpétuelles questions existentielles qui peuvent tarauder les descendants des rescapés du génocide. Lorsque Ronald Léopold, directeur du musée, lui demande ce que représente la jeune fille pour elle, elle adopte un ton détaché qui masque son obsession irraisonnée pour la jeune fille. A la vérité, elle ne comprend même pas son désir ; pas plus que je ne saurais expliquer cette attirance, ce besoin impérieux qui me pousse à lire régulièrement des livres d’histoire, des témoignages qui ont trait à la Shoah. Ce sont les mêmes symptômes qui trouvent leur origine dans les mêmes ténèbres, c’est une relation angoissée qui relie le passé au présent.
Lola ouvre son cœur et se confie, elle parle d’Anne Frank, d’Otto Frank, elle n’oublie pas Margot - Margot qui est la première à recevoir la funeste convocation puisqu’elle vient d’avoir seize ans. Je découvre chez l’auteure une intense sensibilité, une grande profondeur de réflexion, un réel talent d’auteure, elle pèse ses mots, ils sont justes, émeuvent, chaque page tournée suscite un recueillement, une méditation approfondie sur la nature et le sens de ce qu’il y a de plus intime dans la vie de chacun d’entre nous. Et je capte chez Lola, une personne authentique, altruiste. Ses questions portent sur l’identité juive, est-elle façonnée par l’Histoire ou ontologique, déterminée par les relations aux autres ou les relations aux parents, aux enfants ? Dans cette traversée de la nuit, hantée, connectée à la Shoah, c’est un véritable dialogue qui s’installe entre La famille Frank, l’auteure et la lectrice que je suis.
Elle écrit des mots sur l’absence qui peuvent résonner en chacun de nous : « Tout ici se veut plus vrai que vrai, or tout est faux sauf l’absence, Elle accable, c’est un bourdonnement obsédant, strident. »
Elle sollicite notre sensibilité, notre réflexion sur le mot « essentiel » en donnant du sens à un petit objet familier qui prend symboliquement toute son importance :
« Je m’approche du papier peint encadré et au cœur même du vide, je ne vois que quelques chiffres et de fines lignes, bien droites. Au cœur même du vide, un père inscrit, tous les mois, au crayon à papier, des preuves de vie. Otto Frank note qu’ici, en deux ans, Margot a pris un centimètre et Anne, treize. »
Lola écrit sur Ida, sa grand-mère, de très jolies lignes. Ida qui n’a pas eu le temps d’apprendre à lire et à écrire en français mais qui ne répondait plus au téléphone dès qu’il y avait Apostrophes à la télévision, Ida qui lui a offert une médaille dorée frappée du portrait d’Anne Frank en lui intimant « N’oublie pas ».
Avant d’être une icône, Anne Frank fut surtout une adolescente irrévérencieuse, rebelle, ne supportant pas d’avoir tort et qui voulait être absolument journaliste ou écrivaine et qui espérait être un jour éditée. C’est avec colère que j’ai appris la trahison des éditeurs, des metteurs en scène de cinéma comme du théâtre, chacun retouchant les écrits d’Anne Frank selon « le politiquement correct du pays ou le désir d’avoir la main sur le destin d’une jeune fille », c’est une part de son histoire qui lui a été confisquée. C’est odieux !
Lola Lafon a écrit un récit contre l’oubli, elle y a mis tout ce qu’elle voulait oublier, ignorer, comme sa judéité, la Shoah. Ce livre, elle le portait en elle depuis longtemps, parvenu à maturité, le résultat est puissant. Je le rapprocherais d’une pierre tombale, « une matzevah » d’autant plus qu’au moment où Lola trouve le courage de pénétrer dans la chambre d’Anne Frank, elle n’est pas seule, elle est accompagnée du souvenir d’un ami d’enfance, un jeune homme rencontré à Bucarest dont l’ombre vient renforcer la symbolique.
Après une telle expérience, une telle réconciliation avec elle-même, Lola se doit de reconstruire son identité en prenant en compte son histoire, une histoire qui se veut parsemée de silences, de paragraphes absents mais qui est son héritage comme l’étoile que nos mères ont portée. Lola Lafon nous offre avec ce livre une très belle introspection à l’écriture maîtrisée que je suis ravie d’avoir lu.
Commenter  J’apprécie         6828 
C’est du spleen pour ce roman vraiment difficile à résumer, tant il aborde de nombreux thèmes.
Je retrouve des tropismes communs avec ceux de « La Ménagerie de papier » d’un de mes auteurs préférés, Ken Liu. Je pense, comme d’autres, dans la première partie, au « Chardonneret » de Donna Tartt.
On sent que l’auteur a voulu « capturer l’époque » - en évoquant les différents thèmes, parfois il arrive à les croquer par quelques phrases ; un traitement que je pense trop superficiel pour certains d’entre eux.
Côté sentiments, le romantisme est ici mélancolique comme le sexe ! Les évocations de l’amour sont belles, désespérées et plutôt désespérantes ; après un chapitre trop long sur la décadence, dans lequel le narrateur lui-même dénonce son ennui « on est con quand on a dix-huit ans ».
Les figures féminines, décrites comme pleinement conscientes des périls et engagées dans l’action, le sont avec beaucoup de sensibilité, et leur présence éclaire le récit.
Les références à la littérature française du 19ème mélangé à de la pop-culture, y sont nombreuses.
L’auteur semble trouver une certaine jouissance très baudelairienne dans la noirceur : « Moi qui prenais plaisir à noircir ce qui est beau, et qui préférais aimer sans le dire jusqu’à tout gâcher, j’aimais ce fragment d’innocence, et je l’enviais un peu d’avoir un rêve, un but à atteindre, quelque chose à espérer. »
C’est un roman à clé ? Sans doute.
Dans ce texte- dense-, on se perd un peu dans le sens du message voulu par l’auteur : est-ce le nihilisme total, comme issue fatale, comme protection ? Est-ce un anti-héros qui veut réveiller les consciences ? Je pencherais plutôt pour cette interprétation.
Grâce au travail sur le rythme et le style, l’ensemble a du souffle, et reste plutôt subtil avec de beaux passages.
Un certain humour noir, un peu de provoc facile ; avec des passages délibérément choquants, sur le terrorisme, une posture ? Mais le narrateur se décrit comme fou,… les réalités se confondent.
Des réactions, des appréciations visiblement diverses sur ce roman, c’est plutôt bon signe pour un début.
Commenter  J’apprécie         250
Petit livre très sympathique et poétique. On y suit sur une année une jeune femme qui embrasse la profession d'écrivain public, après un passé tumultueux qu'elle a du mal à comprendre et accepter.
Ce livre est facile à lire et est une lecture agréable, utile pour prendre un peu de recul sur la vie et se recentrer sur ce qui compte. Je recommande.
Commenter  J’apprécie         160 
Assis près de la tombe du Père de Foucauld, le narrateur contemple le Hoggar en attendant le retour des hirondelles. Spécialiste de l'étude des migrations de ces dernières, il espère les voir revenir dans le désert dont il est persuadé qu'elles gardent, de génération en génération, le souvenir ancien d'un espace de verdure où les cerfs venaient se reposer.
S'il pleut, les oiseaux reviendront survoler un peu du Hoggar et le narrateur patiente, plein d'espérance de cette vision, tout en attente.
Au sein du groupe d'hommes qui l'entourent, au cœur de cette culture targuie, de "sa caravane", à l'écoute des mélopées du poète qui les accompagne, les esprits se souviennent et les bouches racontent, le temps enfui se fait images, les êtres rencontrés ou simplement croisés, présence.
Des pas qui le mènent à la rencontrer les oiseaux, il se remémore ceux qui l'ont mis dans les traces des ours durant les temps de guerre en Bosnie, pas de "migrations" pour les mammifères étudiés mais une "errance", et là, davantage, une échappée pour fuir la tourmente, quand même la forêt la plus profonde ne peut offrir de refuge.
Il se souvient d'Amapola, l'ourse dont ses mains ont tenu la tête, avec autant de douceur qu'il mettait à tenir le corps d'une hirondelle, avec autant de précaution que celle qu'il prendra pour tenir le visage de "La Parfaite".
"La Parfaite" : femme errante symbole du berceau des Cultures, native du Caucase, qui traverse les terrains de combat comme une allégorie de la Beauté sacrifiée ou de l'Innocence piétinée.
L'homme des oiseaux narre ses pérégrinations, ses rencontres multiples avec cette femme partout à la fois, et chaque jour ailleurs, sans peur, confiante encore dans l'Homme et protégée par la canopée des noyers qui l'abritent.
Difficile de résumer ce livre, d'évoquer son propos, je le classe parmi "les livres-caméléons", de ceux que chaque lecteur aborde selon sa vision du monde, votre lecture sera peut-être un regard tout à fait différent de celui que j'ai posé.
Récit précieux, les mots prononcés et partagés comme des liens entre tous, comme une victoire toujours renouvelée sur les abominations dont sont capables les hommes, parce que l'oralité tissent des attachements là où pourraient se dresser des murs, et fait vivre les traditions et la richesse de toute ethnie...
Tout au long de la lecture, je n'ai cessé de penser au livre de Velibor Čolić "Ederlezi" évoquant ces musiciens éternels, incarnations de la Culture tzigane, toujours opprimés, toujours martyrisés mais qui toujours renaissent. On ne peut les nier à jamais.
"La Parfaite" est une autre image du même thème à mes yeux : le sacrifice de ce qu'il conviendrait de tolérer chez l'autre avant de juger.
La "Beauté", dans ce monde, mérite sa part d'irréalité pour être tenue entre nos mains, elle palpite comme le corps de l'hirondelle blessée qu'on craint d'étouffer, elle tressaille de sa fragilité, toujours éphémère, toujours renaissante, toujours présente au coeur des Hommes qui acceptent de la contempler.
Pour combien de temps encore, la protégerons-nous ?
Commenter  J’apprécie         488 
« Marcher sur l'eau
Éviter les péages
Jamais souffrir
Juste faire hennir
Les chevaux du plaisir »
Mon inclination prononcée pour les chansons d’Alain Bashung m’a conduit à découvrir Jérôme Colin dont le premier roman s’intitulait « Éviter les péages », un titre en forme d’hymne à la liberté et un clin d’œil à l’auteur d’« Osez Joséphine ». Une chanson qui inspira également à Delphine de Vigan un titre magnifique, « Rien ne s’oppose à la nuit ».
Près d’une décennie plus tard, Jérôme Colin publie son troisième roman, « Les dragons ». L’histoire de Jérôme, quinze ans, un adolescent en colère. Contre ses parents, contre l’école, contre le monde, contre lui-même. Un môme au bord de la rupture.
« Mes parents avaient érigé la normalité en croyance suprême. Ils trouvaient tout normal. Normal de rester à la place qu’on leur avait assignée, d’accepter d’être réduits au silence, de ne plus se tenir par la main, de n’être pas devenus ce qu’ils auraient pu être. Ils trouvaient normal que chaque jour se ressemble, que ceux qu’on aime puissent mourir, que le pouvoir appartienne à ceux qui en étaient assoiffés. Ils trouvaient normal d’être devenus normaux.
Ils trouvaient normal d’écouter Serge Lama. »
Jérôme tente de tromper les monstres qui viennent le hanter au crépuscule en fumant du shit, recherche la solitude et a décidé que seul Eminem méritait son admiration. À l’école, Jérôme n’est pas vraiment là. À la maison, c’est encore pire, lorsque dans un accès de colère, il frappe son père. Sur décision de la justice, et avec l’aval de ses parents, il est placé dans un centre de soins pour adolescents.
C’est dans ce centre que le narrateur rencontre les dragons, ces enfants en souffrance, dont certains sont littéralement détruits par la violence infligée par leur famille, l’école ou l’époque. Et soudain, apparaît Colette. Crâne rasé, du noir sur les yeux, une boucle dans le nez, les bras lacérés jusqu’aux épaules. Plusieurs tentatives de suicide à son actif, dont la dernière en avalant des lames de cutter.
Pour la première fois, Jérôme ne se sent pas seul au monde. Il découvre un ange qui lit la nuit dans un couloir du centre. Un ange qui n’a plus envie de vivre.
---
L’auteur cite Philip Roth en épigraphe des « Dragons » : « Penche-toi sur ton passé. Répare ce que tu peux réparer. Et tâche de profiter de ce qui te reste ». Une citation en forme de mantra, qui sert de canevas à la construction de ce roman, qui, après une courte introduction, se compose de trois chapitres reprenant les injonctions pleines de sagesse de l’auteur américain.
« Les dragons » se situe à la frontière entre l’autofiction et le documentaire sur ces jeunes adolescents sans cesse plus nombreux, que des parents désemparés ou un juge pour enfants finissent par placer dans un centre de soins.
Les premiers chapitres sont les plus poignants. Racontés à hauteur d’adolescent, ils sont d’une sincérité saisissante, et nous rappellent ces doutes qui nous assaillaient durant cette période trouble, où l’on quitte les rivages de l’enfance. Cette période parfois douloureuse où l’autre rive, celle du monde adulte, nous semblait si lointaine. « Les dragons » raconte avec une compassion sincère et une vraie tendresse les souffrances indicibles de ces gamins dont l’enfance a été ravagée, et celles des autres aussi, ceux qui, malgré l’absence de traumatisme, se sentent étrangers à ce monde.
La plus grande réussite du roman tient sans doute à son style. Un style qui épouse tantôt la colère, tantôt la stupeur amoureuse d’un adolescent qui ne trouve pas les mots pour exprimer ce qu’il ressent. Phrases courtes, mots simples, rythme syncopé, il évoque un boxeur qui balance une série d’uppercuts en écoutant la trompette de Miles Davis qui swingue au cœur de la nuit.
« Je lui dirai les mots bleus
Les mots qu'on dit avec les yeux
Parler me semble ridicule
Je m'élance et puis je recule
Devant une phrase inutile
Qui briserait l'instant fragile
D'une rencontre
D'une rencontre »
« Les Mots bleus » - Christophe
Commenter  J’apprécie         4922 
Ce roman très noir présente une structure originale alternant le présent concentré en trois grandes journées de la vie de l'héroïne, et le passé qui déroule quasiment une vingtaine d'années de sa vie.
Cette mise en scène en tranches de vies, présentes et passées, choisie par Tess Sharpe, peut surprendre au début, puis on est vite embarqué et les pages tournent à toute allure pour suivre le déroulement de ces trois journées décisives et feuilleter en même temps l'album familial douloureux de Harley.
Harley Jean est l'archétype des héroïnes des beaux romans où les filles sont les vedettes, telles Turtle, Tracy, Angela, Kya et bien d'autres, l'histoire étant toujours installée au coeur de la nature, celle-ci étant toutefois à peine considérée dans le "territoire" de Harley. Son territoire est encore plus sauvage que celui du milieu naturel, c'est celui de la violence, de la drogue, des femmes battues, de la domination de ceux qui se croient forts, de l'humiliation des faibles.
Enfant, adolescente, jeune adulte, elle est confrontée au mal, à la toute puissance de son père, Duke, qu'elle aime en le haïssant, à qui elle obéit aveuglément, jusqu'aux temps où elle va prendre les initiatives et les commandes. Cette relation père-fille est largement travaillée par Tess Sharpe et les nombreuses adjurations à l'impératif, en italique dans le texte, lui rappellent sans cesse qui elle doit être, lui laissant cependant la possibilité de devenir qui elle veut être.
Sur le plan littéraire, il y a assurément des manques, découlant quelquefois sans doute de la traduction, mais les dialogues sont intenses, porteurs de sens, de sang aussi qui coule pas mal au long des pages.
Harley est une belle héroïne qui navigue dans le mal commis autour d'elle, une héroïne qui veut le bien autour d'elle, qui le fait, qui ne veut pas tuer, qui est capable d'abnégation en soulageant les maux des femmes et des enfants martyrisés par les hommes alcoolisés et tellement sûr de leur supériorité sur celles qui ont à peine le droit d'exister.
Racisme, persécutions, violences, haines familiales sont la trame de ce roman dominé par Harley qui en appelle souvent à Dieu qui a aussi son territoire et qu'elle respecte sans croire vraiment à ses interventions, mais convaincue qu'il observe les actes de chaque protagoniste.
Le père, Duke, est aussi une grande figure, terrible et terrifiante pour ceux qui le trahissent, dur et aimant envers Harley, n'envisageant pas cependant l'avenir comme elle. Harley lui laisse ses illusions, agit en ces trois journées qu'elle a mûrement pensées et dans lesquelles elle s'engage avec opiniâtreté, seule, puissante, magnifique.
Le territoire de Harley ne colle pas avec celui de Duke, Tess Sharpe y embarque des lecteurs qui pourront être déroutés, perdus pour certains qui décrocheront sans doute, enchantés pour ceux qui iront au bout de ces trois journées épuisantes.
Commenter  J’apprécie         851 
Dans les romans de science-fiction, on se demande toujours s’ils seront prémonitoires et celui-là est clairement à ranger parmi eux. Sur une planète où les grands groupes financiers ont pris le dessus sur les Etats (ne tremble-t-on pas déjà à savoir si la France va conserver son « +++ » ou pas, par les agences de notation ?), GoldTex rachète une Grèce en faillite (ça vous rappelle quelque chose ?). Une partie est revendue à un autre groupe et doit être évacuée par ses habitants. Les Grecs deviennent les « cilariés » (mélange de citoyen et de salarié) de Gold Tex et quitte la terre natale par bateaux entiers, vers une destination où chacun va devoir faire ce qu’on lui dira de faire. Ainsi, Laurent GAUDE plante son décor : une ville avec trois zones, la 1 pour les nantis, la 2 pour ceux qui ont déjà la chance d’avoir un travail et un logement décents et la 3 pour tous les délaissés de la société, avec des checks-points peu perméables entre chaque. Dans ce monde ultra-hiérarchisé, un policier de la zone 3, Zem Sparak, est « verrouillé » avec une jeune policière ambitieuse de la zone 2 qui n’a que faire de ce « boulet », pour enquêter sur des meurtres horribles. Entre questionnements existentiels, regard sur la (notre ?) justice, violence des forces de l’ordre, manifestations citoyennes qui dégénèrent, absence de libertés individuelles, cette histoire nous renvoie forcément à l’avenir de notre monde qui parfois semble tourner de moins en moins rond !! A lire, à mon avis, au moins pour cela …
Commenter  J’apprécie         150 
Un pan de l'histoire récente de la Catalogne, de Barcelone, plus particulièrement, nous est révélé avec le Jour où est morte Marilyn, El día que murió Marilyn ,roman que l'écrivain catalan mit cinq années à écrire dans les années 60, pour en donner une version définitive en 1998.
Moix retrace la vie de la famille Quadreny, de l'immédiat après-guerre aux années 60, de la classe ouvrière à la bourgeoisie, vertigineuse accession sociale au coeur d'une ville elle aussi en pleine mutation.
Cinq parties rythment le roman, consacrées à cinq personnages: la mère, La Amèlia, femme d'extraction modeste devenue bourgeoise calculatrice, son fils Bruno, le narrateur, tenaillé par son envie de quitter l'Espagne, son meilleur ami Jordi, qui choisit de vivre son homosexualité dans une Barcelone franquiste, le père, Xim , dépressif coincé dans un mariage sans amour, et Los cachorros, les gamins, dont on suit le parcours au fil du roman, et plus particulièrement Carlitus, le frère malade de Bruno.
Mais que vient faire Marylin Monroe dans cette fresque catalane? Les personnages, comme Moix, sont des amoureux du cinéma. L'auteur, grand cinéphile, vouait une passion aux stars hollywoodiennes auxquelles il a consacré nombre d'émissions télévisées (Mas estrellas que en el cielo... ), d'ouvrages (Hollywood Stories , Mis inmortales del cine, etc etc), d'articles (« Conversaciones con el Hollywood dorado » dans El Pais, « Gran historia del cine » pour l'A.B.C…) Ses romans sont eux aussi marqués par son amour du Septième Art, comme l'est El día que murió Marilyn. Bruno et Jordi adorent aller au cinéma. Les deux sont tombés sous le charme Marilyn en voyant Niagara, tournant petit à petit le dos aux dessins animés (Cendrillon, La Cenicienta) pour adorer de nouvelles idoles, et grandir, grandir dans un pays étouffé par la dictature.
Considéré par le journal El Mundo comme l'un des cent meilleurs romans espagnols du vingtième siècle, le Jour où est morte Marilyn est un roman à la fois choral, à la fois générationnel, panorama de l'Espagne franquiste, dans lequel ressort plus particulièrement le personnage de Jordi, ouvertement gay dans un pays qui réprime l'homosexualité.
Commenter  J’apprécie         582 
J'avais découvert Tonino Benacquista avec son roman : Saga qui m'avait plu.
Aujourd'hui, je renoue avec cet auteur avec : Porca miseria où il nous raconte avec beaucoup de tendresse et d'humour ces jeunes années.
Tonino Benacquista, comme son nom l'indique est italien, ses parents ont immigré en France. Ses frères et sœurs sont nés sur le sol italien.
Lui seul, petit dernier naît en France. Ce qui ne lui évitera pas de ne pas vivre et ressentir le statut de déracinés des siens.
Avec toutes ces questions identitaires qui en découlent, suis-je italien ou français?
Mais rapidement, il va trouver un modus Vivendi à son " italianité".
" L'Italie, c'est celle des autres.Celle de mes parents qui la portent en eux comme un regret ou un remords.. l
L'Italie appartient à ceux qui la vivent, la rêvent et l'oublient, et je ne suis pas de ceux-là. "
Une fois ce débat tranché, Tonino Benacquista nous raconte sa fascination très jeune pour l'écriture et paradoxalement son rejet de la lecture pendant longtemps.C'est en lisant Maupassant qu'il découvre le délice de lire.
J'ai trouvé très émouvant le passage, où l'âge adulte consacré et écrivain reconnu, il nous parle avec beaucoup de pudeur de cette anxiété extrême qui va lui briser sa vie, l'empêcher de se déplacer..
A sa façon, il rend hommage à son père, alcoolique invétéré mais au final peut-être qu'il a aimé ses enfants sans pouvoir leur montrer.
Tonino Benacquista dans ce roman autobiographique se livre sans fard et en toute sincérité.Ce qui m'inspire un grand respect pour ce livre!
Commenter  J’apprécie         504 
Cet ouvrage du XVIe siècle, à l'origine d'un nouveau genre littéraire, est composé de deux parties bien distinctes : le livre premier, qui est — en gros — une critique assez juste et assez justifiée du régime monarchique anglais et, partant, européen, puis d'un livre second, qui constitue la véritable innovation littéraire, en proposant, par le biais de la fiction, ce qui est, en réalité, un projet de réforme politique.
Thomas More était un érudit, humaniste, conseiller du roi, etc. et tous les autres titres ronflants que l'on peut ou veut y accoler, mais c'était aussi et surtout un juriste et un fervent pratiquant du christianisme catholique, qui a longuement hésité à entrer dans les ordres (la question du protestantisme ne se posait pas encore à son époque car il était contemporain de Luther).
Cette double influence — juriste et ferveur religieuse — transparaît à peu près partout dans L'Utopie, pour le meilleur et... pour le pire (notamment la longue et ennuyeuse partie religieuse à la fin du livre second). Sous couvert de prétendre être le récit d'un voyageur ayant vécu un certain temps sur cette lointaine île en forme de croissant de lune qu'est Utopie, Thomas More explicite ses propres aspirations sociales dans ce qui n'est, ni plus ni moins, qu'un manifeste politique.
Je le suis à 100 % lorsqu'il fustige la conduite vénale et malhonnête de l'état par les monarques en place (il avait personnellement côtoyé Henri VII et écrit son livre sous Henri VIII, qui le fera mettre à mort par la suite, mais pour des raisons autres, notamment matrimoniales). Globalement, si l'on les recontextualise, je suis à peu près d'accord avec lui sur les critiques, c'est-à-dire sur le livre premier.
En revanche, dès lors que Thomas More se met en peine de chercher des solutions, j'ai parfois le sentiment de lire le programme politique version ultra hard core d'un bon vieux dictateur à la Staline, d'une pétromonarchie ou d'une république bananière des plus féroces. Prenons un exemple. Voyons, voyons... deux adultères consécutifs ? Bing ! peine de mort, rien que ça ! (Et ce n'est qu'un exemple prélevé parmi beaucoup d'autres.)
En gros, ce qu'il nous propose, c'est une vie communautaire et monacale où tout, absolument tout, est réglementé, où la liberté n'existe plus, où l'on vit dans une sorte d'open space permanent, où toute déviance est sanctionnée d'exil, d'esclavage ou de peine de mort, où l'état ne s'interdit pas de faire de l'ingérence à l'étranger, et tout ça, à chaque fois « pour la bonne cause ».
Vous naissez, vous vous éduquez d'une certaine façon (décidée par une autorité supérieure), vous apprenez un métier, vous bossez sans créer de problème, vous vous mariez, vous procréez juste ce qu'il faut, vous êtes loyal(e) en tout, vous avez les loisirs autorisés, c'est-à-dire, juste la possibilité de lire sur votre temps libre, pour toute chose, vous vous en référez à ceux qui auront été désignés comme « sages » et, bien entendu, vous avez une pratique religieuse irréprochable.
Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, ce projet de société ne me fait pas plus saliver que ça, c'est même plutôt l'inverse. Au prétexte d'éradiquer le vice, on éradique à peu près tout ce qui fait le sel de la vie à mes yeux (tuez-les tous et Dieu reconnaîtra les siens), d'où mon appréciation assez mitigée (voire un peu en-dessous).
Bien entendu, d'un point de vue historique et des idées, c'est une lecture intéressante, mais, selon moi, cette utopie est déjà, en soi, une sorte de dystopie à la 1984, à laquelle, je ne me sens aucune volonté de souscrire, sauf quand elle dénonce les excès d'un système monarchique inique, tel qu'il pouvait l'être en Angleterre et en Europe au début du XVIe siècle. Nonobstant, gardez à l'esprit que cet avis — cette utopie — n'étant que mien, il ne signifie manifestement pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie         1095 
Pour reprendre l’expression d’une amie du coin : nous avons affaire ici à un roman historique « haut de gamme », doublé d’une biographie d’un écrivain, sur fond de travail ethnographique orient/occident — oui, souvenez-vous… les russes… le cul entre deux continents… entre apollinien et dionysiaque… — le tout magiquement mené par d’étonnantes dispositions littéraires, difficiles à résumer, sorte d’équilibre parfait dont la portée ne se fait sentir jusqu’au moment où le lecteur réalise qu’il plane sur la trois-centième page sans avoir usé beaucoup d’oxygène…
…
Son sujet en est l’écrivain Alexandre Griboïedov, auteur du « Malheur d'avoir trop d’esprit », sûrement l’une des comédies les plus emblématique du 19ème siècle, non publiée de son vivant, mais que chacun avait lu sous son manteau, à l’époque où s’échanger des répliques rendait complice pour quelques instants cochers et conseillers de collège, où la littérature avait encore un véritable pouvoir, la censure en apparence.
…
Diplomate, envoyé dans le Caucase et en Perse en tant que ministre plénipotentiaire, ou « Vazir-Moukhtar », titre marqué pour une fin bien annoncée, même si sa mort n’en clôture pas le roman.
…
« Le Griboïed », comme le répète son contemporain Pouchkine, est une personnalité fort complexe, dont ce livre se garderait bien d’en faire un véritable portrait ; on tourne autour de lui, alternant les distances, sans que jamais la mise au point ne révèle un trait bien marqué, tout en nous le montrant sous ses atours les plus familiers ; un joli paradoxe, lui-même difficile à circonscrire, faisant de cette biographie un modèle du genre.
…
Variations, on en trouve aussi dans le ton.
La comédie est assurée par l’éternel personnage du serviteur, Sachka, frère de coeur ou de sang, dont les frasques brutales ponctuent facétieusement les chapitres, appelant un jumelage avec Mash Ghassem, le valet mythomane et bravache de « Mon Oncle Napoléon », chef-d’oeuvre burlesque de la littérature iranienne, alors que tous les chemins mènent à Téhéran.
…
L’unité de construction en est la phrase courte, à la limite de l’aphorisme, laissant quelques clairières de descriptions plus classiques ponctuer cette partition menée allegro-presto.
Mais Tynianov ne semble jamais gesticuler, ou d’user de quelques artifices pour nous maintenir en haleine. Tout coulisse simplement.
…
On pourra approfondir le sujet à l’envie, s’intéresser aux proto-révolutionnaires « décabristes », ou à ce « Grand Jeu » — opposition géostratégique entre les Anglais et la Russie, l’Asie Centrale comme arène — jamais vraiment terminé…
Ou plus simplement lire le Griboïed… pourquoi pas en Pléiade, le réunissant justement avec les oeuvres de Pouchkine et de Lermontov…
…
Parlons donc de ce chef-d’oeuvre, relativement oublié, à propos duquel Aragon ne s’était pas trompé ( « J'aurais voulu avoir écrit ce livre... » ), en signant une sobre et efficace préface pour un texte récemment re-publié chez Folio, toujours dans la traduction experte de Lily Denis, lui qui était resté dans son écrin vieillot dès sa sortie poche en 1978, affublé d’une méchante illustration, loin d’inciter à découvrir ce merveilleux roman historique.
Commenter  J’apprécie         855 
J’ai eu du mal à rentrer dans le texte au départ.
Au fur et à mesure de la lecture, les contours se dessinent, avec la critique du capitalisme globalisé, qui est bien amenée et la recherche de sens du héros.
Deux parties, selon moi : la première sur la construction psychologique du héros de l’enfance à l’âge adulte, et la seconde, sa révolte contre le système en place.
Cela m’a rappelé « Fight Club » de Chuck Palnhiuk, dans l’esprit subversif, en version « actualisée », et moins fou aussi.
D’autres références sont bien là.
Avec une écriture intimiste, viscérale parfois qui n’épargne aucun des sujets : surconsommation des choses et des êtres, racisme, violence sociale, écran de fumée de la start-up nation, dictature de l’apparence, des faux-semblants, de la solitude moderne, jusqu’à la guerre en cours dans le monde occidental.
C’est une fusion des différents thèmes, cohérente et déroutante que mes lectures personnelles ne m’ont pas jusqu’à présent montré.
L’auteur a « digéré » les classiques anticapitalistes : Marx, Debord, Malcolm X, Klein, Badiou, Belhaj Kacem…
Très contemporain, on n’est pas vraiment dans le futur mais dans un très proche avenir, dans une société à deux classes qui se profile déjà, dans les temps présents. Des temps qui grondent, avec des « punchlines ».
Intéressant.
Commenter  J’apprécie         250 
J'ai l'impression que de nos jours quand on dit d'un livre qu'il est charmant c'est avec une pointe de condescendance. Et moi j'ai trouve celui-ci charmant, dans le sens d'envoutant. Envoutant par la simplicite de sa prose, sa trompeuse simplicite. Envoutant par la douceur des descriptions paysagistes, par la delicatesse des sentiments exprimes dans les rapports avec les hommes et les animaux.
Paoustovski, avec son ami Rouvim [l'ecrivain Rouvim Isaievitch Fraïerman (1891-1972)], passe les etes a la campagne, dans la region de Riazan, au sud-est de Moscou, a se promener, pecher, lire, et converser avec les paysans du coin.
A premiere vue, les nouvelles de ce recueil (qui forment un tout, avec des personnages et des animaux de compagnie sautant de l'une a l'autre) semblent etre l'oeuvre d'un neo-romantique amoureux de terres sauvages et exaltant bucoliquement la vie rurale. Mais on saisit assez vite que pour Paoustovski la chaleur de ses descriptions de la nature russe traduisent sa particuliere idee de patrie. C'est l'observation de la nature qui peut lui enseigner la purete morale, l'integrite spirituelle, une attitude attentionnee envers les hommes et les animaux, envers leurs parlers et leurs facons de vivre, envers leurs passes et leurs devenirs. Paoustovski est un patriote de la nature russe, loin des politiques moscovites, bien que ces politiques se soient servies de ses ecrits.
Et c'est d'une prose savoureuse, fraiche, directe et ingenue. Ce qui m'a frappe dans ses descriptions c'est tout d'abord sa palette de couleurs, son rendu des sons et des odeurs. Melangeant tout cela il arrive a presque humaniser choses et animaux. Quelque exemples :
“Il nous fallut prendre la vieille barque et gagner, au centre du lac, l'endroit ou les lys blancs achevaient leur fleuraison et ou l'eau noire, profonde, avait l'apparence du goudron. Nous pechames des perches multicolores qui, posees sur l'herbe, fretillaient et etincelaient autant que les coqs des contes japonais : un gardon gris etain, des gremilles avec deux petites lunes en guise d'yeux, des brochets qui faisaient cliqueter vers nous leurs dents fines comme des aiguilles”.
“Aussitot, la panique s'installa sur le lac et dans la foret. Les grenouilles se mirent a coasser de frayeur, les oiseaux a pousser des cris d'alarme. Tout pres de la rive, un brochet de trente livres frappa la surface de l'eau. Un vrai coup de canon”.
“Tous les matins, nous disposions des miettes de pain et du gruau sur la table en planches du jardin. D'habiles mesanges venaient s'y poser par dizaines et, lorsqu'elles picoraient les miettes toutes ensemble, leurs joues blanches et duveteuses donnaient l'illusion de dizaines de petits marteaux s'abattant sur la table. Les mesanges se disputaient, piaillaient, et leurs cris qui rappelaient de petits coups d'ongle rapides contre un verre se transformaient en une joyeuse melodie. On aurait cru entendre une boite a musique vivante gazouiller sur la vieille table du jardin”.
“Nous etions accueillis par de sombres murs de rondins calfeutres de mousse jaune, par des buches qui flamboyaient dans le poele, et par une odeur de cumin. Curieusement, la vieille maison exhalait une senteur de cumin et de poussiere de bois”.
Mais ce sont les habitants de ces parages qui l'interessent le plus et qu'il rend le mieux. Les moissonneuses qui le narguent chemin de la peche; le gamin qui les y accompagne; cet autre gamin, Vania Maliavin, qui deterre un jeune bouleau pour leur en faire cadeau; le jeune Petia, qui adopte un vieil hongre en fin de carriere pour lui eviter la boucherie; et Mitri, le vieux Mitri, dit “dix pour cent" parce que c'est ce qui lui reste de son ancienne force, qui leur en remontre a chaque instant tout en faisant tinter sa canne par terre: “Mon p'tit gars, dit-il a Rouvim, attends d'avoir mon age et tu pourras discuter. T'arretes pas de me contredire et, pourtant, question meninges, on voit bien que t'es pas encore au point. Reflechir, c'est dans nos cordes a nous, les vieux”.
En fait, tout est amour dans ce livre. Amour du calme, de l'ordre et de la beaute de la nature, un amour qui dedaigne le luxe sinon la volupte. Il m'a enchante.
Commenter  J’apprécie         546