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Lancelot ou Le Chevalier de la Charrette

Les romans de chevalerie, le Moyen-âge, la geste qui s'y rapporte, bref, tout cela, ce gros ensemble, aussi vaste qu'hétéroclite, tout le monde connaît ou croit connaître. Mais le terme même de « Moyen-âge », exactement comme celui d' « Ancien régime » prouve assez que c'est une vision a posteriori qui nous le fait désigner tel.

Moyen-âge, mais quel Moyen-âge ? Charlemagne et la Chanson de Roland ? Les croisades ? Les rois fainéants ? Les manoeuvres de Louis XI ? La guerre de Cent ans ? Philippe de Commynes ? le roman de Renart ? le roman de la Rose ?

Notons dès à présent que « pour l'époque », posséder un nom d'auteur est déjà presque une forme de curiosité, à tout le moins de singularité : Chrétien de Troyes. Bon, il est vrai que passé l'examen de son nom, on ne connaît quasiment rien de lui, sauf, sauf, sauf...

... son commanditaire ! Et c'est une femme, mesdames, et pas n'importe quelle femme, morbleu, la propre fille du roi de France et de la très sulfureuse Aliénor d'Aquitaine ! Eh oui, rien moins que cela !

Comprendra-t-on mieux, alors, que le rôle de la reine, Guenièvre, est infiniment, incomparablement, incommensurablement plus important que celui du roi, quand bien même ledit roi fût le roi Arthur en personne ?

Bien plus que l'histoire, qui, avouons-le, est jouée d'avance et pas d'un intérêt " suspensatique " des plus ébourrifants : en gros, on sait d'emblée que le plus beau, le plus fort, le plus vaillant, c'est Lancelot et les autres n'ont qu'à bien se tenir. Bien sûr l'auteur essaie bien chichement de nous faire croire que l'adversaire, Méléagant, a quelque chance de le battre, mais sans en faire non plus un Hector. Donc on se doute bien que l'Achille de chez nous va lui trucider sa petite gueule rapidos à la fin, pas besoin d'en faire mystère, ça fait des siècles qu'on le sait.

Non, l'intérêt, selon moi, c'est finalement ce que nous apprend le livre de sa commanditaire. « Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute. » Donc, notre brave Chrétien de Troyes écrit exactement le genre d'histoire que Marie de France, devenue Marie de Champagne, a envie d'entendre.

Et ce qu'elle a envie d'entendre, ce ne sont pas des héroïnes molasses, des reines soumises, des timides, des prudes, des trouillardes. Non, c'est une reine qui fait des cornes au roi longues comme ça ! Qui couche avec qui elle en a envie ; des jeunes filles qui usent de leurs charmes et tendent des pièges, pour jauger et juger de la fiabilité des hommes.

Ce sont aussi des femmes vengeresses et impitoyables, qui font trancher des têtes et refusent la clémence, mais qui, une fois séduites, une fois en confiance, tiennent leurs promesses et n'en gardent pas en réserve.

Entre-nous soit dit, entre cette fraîcheur, cette verdeur, cette liberté, cet entrain des femmes, et le carcan religieux, social, sociétal dont accouchera l'Ancien régime à l'époque de Madame de Lafayette et de sa fameuse Princesse de Clèves, ou bien encore le corsetage serré de la femme (au propre comme au figuré) au XIXème siècle, on se dit que l'obscurantisme n'est peut-être pas tant là où on le dit.

Souvenons-nous que l'histoire est toujours écrite par les vainqueurs et, qu'a posteriori, on nous assène toujours que le maintenant des vainqueurs est toujours mieux que l'avant des vaincus, sans quoi, ce serait reconnaître que le vainqueur n'est peut-être pas si bien que ça.

Ce qui est vrai de la condition des femmes, tel que je l'exprime ici, l'est aussi de beaucoup d'autres variables : la liberté d'entreprendre, par exemple, de construire ou d'édifier, la justice féodale, l'égalité ou l'inégalité devant l'impôt, ce genre de choses. Un seigneur pouvait-il absolument tout se permettre vis-à-vis de ses vassaux ? Pouvait-il négliger la justice sur ses terres s'il escomptait obtenir des revenus ? etc., etc. Tout n'est certainement pas aussi univoque ni aussi simplement caricatural que l'époque actuelle veut bien le dire de façon générale à qui ne prend pas la peine de s'y appesantir.

Que nous dit encore ce roman à propos de son époque ? le pouvoir, la puissance de la parole donnée. À un moment, Méléagant qui a fait prisonnier Lancelot constate que ce dernier s'est échappé. Or, Lancelot a promis de revenir se constituer prisonnier sitôt le tournoi achevé. À aucun moment Méléagant ne doute du fait que Lancelot reviendra.

Comme c'est étrange, n'est-ce pas ? Quel prisonnier, à l'heure actuelle, ayant soudoyé son geôlier (en l'occurrence sa geôlière) pour pouvoir se faire la malle, s'engagerait à revenir se faire mette en taule, juste parce qu'il a donné sa parole ?

Le grand expert du droit du travail Alain Supiot souligne cette incroyable évolution du droit et des mentalités. En effet, à l'heure actuelle, un employeur ne raisonne qu'en termes comptables : « Combien cela me coûte de trahir ma parole ? Bon ok, je paie, et je me sens la conscience très libre, puisque j'ai payé, de rompre abusivement tel ou tel contrat, d'enfreindre telle ou telle clause. »

En somme, un roman pas désagréable à lire, pas captivant non plus, qui vaut plus, selon moi, pour ce qu'il nous apprend de l'époque et des mentalités que pour son scénario très hautement prédictible. Mais bien entendu, ce n'est que mon avis, qui est un peu charrette, c'est-à-dire, fort peu de chose.
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Ouragans tropicaux

La Havane 2016. Un apparatchik est retrouvé mort dans son bel appartement de La Havane avec vue sur le Malecon, atrocement mutilé. Un pur salopard, «  incarnation du Mal pour les milieux artistiques » dans les années 1970, censeur intransigeant à la tête du processus de persécution des artistes cubains ne rentrant pas dans le rang, organisant la purge des hérétiques avec un tempérament de féroce inquisiteur, détruisant des vies en toute impunité. Les forces de l’ordre sont débordées, la capitale s’apprête à accueillir Barack Obama, un défilé Chanel et les Rolling Stones. Elles font appel à l’inspecteur retraité Mario Condé. C’est sa dixième enquête, la première pour moi et je suis conquise.

L’enquête s’enlise, se mord la queue, Condé suivant patiemment ses prémonitions, attendant stoïquement que le fil à tirer finisse par survenir. En soi, elle est suffisamment dense et complexe pour se suffire à elle-même, mais Leonardo Padura est joueur et rajoute un deuxième arc narratif qui semble complètement hors sol par rapport avec le premier : des extraits du polar historique écrit par Condé lui-même, mettant en scène la guerre des proxénètes qui a sévi à La Havane en 1910, Français vs Cubain, avec en leur cœur des prostituées assassinées et le charismatique proxénète aux aspirations politiques, Alberto Yarini.

Pendant un petit moment, j’ai eu du mal à jongler avec les deux enquêtes, trouvant le procédé artificiel et plutôt pesant, lisant avec moins d’attention la trame 1910, bien plus intéressée par la trame 2016, sa verve, ses dialogues plein d’humour, son festin de personnages truculents tous remarquablement incarnés avec les ambiguïtés qui sonnent justes.

Et puis j'ai commencé à saisir les parallèles, les connexions, le passé en miroir du présent : 2016 et 1910, deux périodes d’effervescence qui soulèvent les espérances d’ouverture, de changements, qui ravivent la possibilité de rêver à vivre dans un meilleur endroit. Et puis j'ai commencé à comprendre les intentions de Leonardo Padura pour décrire Cuba d’aujourd’hui sur le temps long, Cuba la sclérosée, pervertie par des décennies de dictature.

Condé est un hypermnésique qui n'a pas envie de tourner les pages déshonorantes de l'histoire cubaine, dans un pays à la courte mémoire historique où l'oubli est « une façon de dissimuler une partie de la charge de ce passé pour pouvoir faire face au présent et avoir même la vaine prétention d'améliorer le futur. » Le passé est indélébile et les puantes remugles du passé longtemps enfouies ne peuvent que remonter à la surface.

Ouragans tropicaux est un roman lucide, désenchantée, pessimiste, mélancolique, à l’image de son enquêteur. Mais la lumière perce tout de même. L’auteur aime passionnément son île, la raconte en historien, sociologue, psychologue même. L’intrigue polar (excellemment menée) ne semble presque être qu’un prétexte pour faire le portrait de La Havane, dans toute sa pluralité. Grâce à Mario Condé, sorte de double de l’auteur, on comprend ce qui y rend la vie malgré tout supportable : la bonté, l’amour, l’amitié fidèle, l’honnêteté, toute une éthique à partager autour d’un verre en bonne compagnie.

Un excellent roman humaniste, dense et profond, qui me donne très envie de lire d’autres enquêtes de Mario Condé.
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Humus

°°° Rentrée littéraire 2023 # 46 °°°

Cela fait longtemps que je n'avais pas eu une lecture aussi effervescente, paradoxale et contrastée, avec des qualités qui m'ont emportée et des bémols qui ont freiné mon enthousiasme. J'ai du laisser passer du temps avant de chroniquer, car j'ai souvent changé d'avis sur les petites étoiles à attribuer à ce roman dense et ambitieux.

La conduite narrative de ce roman d'apprentissage est admirablement balzacienne, suivant le parcours de Kevin et Arthur, étudiants d'AgroParisTech que tout oppose mais qui vont devenir inséparables ( ils veulent sauver le monde en utilisant les énormes potentialités du lombric ) avant de prendre des chemins différents. Deux parcours remplis de rebondissements liés à la mise à l'épreuve de leurs idéaux confrontés à la force de frappe du néo-libéralisme.

Des illusions perdues très houellecquiennes, sur un schéma classique. Dilemmes moraux, ascension, gloire, chute, sexe, mensonges, trahisons, fric, reniement, colère, radicalisation … tout y est et intensément vécu jusqu'à de situations outrées mais qui fonctionnent dans le tourbillon romanesque proposé par Gaspard Koenig et son écriture vive et acérée. D'autant que l'auteur excelle à la satire. La critique acerbe des grandes écoles et de leurs élites déconnectées, de l'hypocrisie du capitalisme vert et son greenwashing, de l'absurdité du système agricole productiviste, font mouche lors de scènes férocement savoureuses ( et drôles ).

Incontestablement, ce roman total résonne très intelligemment avec les questionnements contemporains portant sur la tension économie / écologie et sur l'action à envisager pour changer les choses ( ou pas ). Humus est un livre qui pense et fait penser. Parfois, le lecteur est d'accord avec Kevin, fils de paysan du Limousin devenu start-uppeur spécialisé dans le lombricompostage industriel ; d'autres fois avec Arthur, fils d'un avocat parisien et son retour à la terre cherchant à faire revivre un sol qui semble irréversiblement tué par l'agrochimie.

Les personnages de Kevin et Arthur sont nettement campés dans leurs contradictions pensée / terrain. Aucun n'est réellement attachant, peut-être un peu plus Kevin, enfin touchant dans les cinquante dernières pages car en réelle évolution ; la destinée d'Arthur le bifurqueur m'a semblé trop artificielle, comme pour cocher des cases et proposer un tableau complet de l'époque. Cela ne me dérange pas de ne pas m'attacher à des personnages étudiés en surplomb par un narrateur omniscient qui semble peu les aimer, mais j'ai vraiment été gênée - même en tenant compte que le roman est satirique - par les trois personnages féminins, tous caricaturaux et insupportables par leur perfidie ou leur naïveté exaspérante.

Tous sont raillés et risibles sans être non plus totalement excommuniés par l'auteur qui ne fait jamais montre de cynisme. Il n'empêche que les seuls personnages vraiment attachants et pour lequel l'auteur manifeste une réelle empathie, ce sont les lombrics, première biomasse animale terrestre, entre 1 et 3 tonnes à l'hectare. C'était audacieux de proposer de longs passages très érudits sur la vie des vers de terre, et j'ai adoré ces lombrics et la façon dont Gaspard Koenig a de les mettre en lumière brillamment, comme ici lorsqu'Arthur observe la sexualité des lombrics une nuit d'automne :

« Ni les vibrations des pas d'Arthur ni la lumière de sa lampe ne les dérangeaient. Arthur en toucha quelques-uns du doigt, en s'excusant à voix basse de ce geste déplacé : pas de réaction. Seul un couple se détacha avec un bruit de ventouse, comme deux amants surpris et honteux. Les autres devient considérer que leur désir primait sur toute autre considération. Arthur s'allongea sur le ventre au milieu d'un rang d'oignons verts, non pas en observateur mais en voyeur, curieux de découvrir in vivo les subtilités de l'érotisme lombricien, dont il n'avait qu'une connaissance théorique et assez confuse.
Ce qui le frappa d'abord, ce fut l'immobilité. Il y avait là deux beaux anéciques au corps brun, tête-bêche, accroché l'un à l'autre par leur clitellum respectif qui sécrétait un mucus gluant. Leurs quinze premiers anneaux étaient collés ensemble, à l'exception de la tête qui se tournait pudiquement sur le côté. Ces bêtes qui rampaient sans répit à la recherche de nourriture s'étaient soudain immobilisées. A la différence des humains qui se tortillent en tous sens, les anneaux avaient cessé de se contracter et noircissaient calmement de plaisir. Pas de caresses, pas de coups de reins. Arthur trouva cette manière de faire beaucoup plus judicieuse. Pourquoi l'amour devrait-il être une lutte essoufflée et grimaçante ? N'est-il pas mieux servi par cette union placide et langoureuse ? »

Oui définitivement, ma sympathie va aux lombrics !
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Espace vital

Espace vital est un recueil de nouvelles du grand auteur de Science-Fiction Isaac Asimov. Grand par la quantité et la qualité de son œuvre. Grand parce que il a révolutionné le genre avec le cycle des robots et celui de Fondation par exemple. Il est aussi connu pour ses nouvelles dont il est un des spécialistes.
Je l’ai déjà dit dans ma critique sur Les cavernes d’acier, Pour lire Asimov, il vaut mieux commencer par les quatre romans mélangeant science-fiction et polar : les cavernes d’acier, face aux feux du soleil, les robots de l’aube et les robots et l’empire. Ensuite, avant de commencer le cycle de Fondation, on peut se tourner vers quelques recueils de nouvelles, la mère des mondes, espace vital, les robots, un défilé de robots.
Espace vital comporte une nouvelle jouissive et excellente qui reprend les personnages d’Elijah Baley, le détective terrien rencontré dans les cavernes d’acier et du robot R. Daneel Olivaw. Cette nouvelle se situe entre face aux feux du soleil et les robots de l’aube. Elle n’apporte rien sur le cycle lui-même mais retrouver les deux protagonistes est un réel plaisir. L’enquête policière qui utilise, tourne et retourne les trois lois de la robotique est un petit régal.
Parmi les autres nouvelles, l’humour et le sens de la chute d’Asimov sont quelques unes des caractéristiques de ces histoires qui n’ont sinon pas beaucoup de lien entre elles.
Je retiendrai la nouvelle qui donne son titre à l’ouvrage qui permet un développement amusant sur les terres parallèles permettrant de régler le problème de la surpopulation. Puisqu’il existe une infinité de Terre vide d’être humains. Mais sommes nous la seule Terre à en avoir eu l’idée ? Et puis sommes nous à l’abri de …
Une autre nouvelle intéressante de près de 70 pages est Les cendres du passé. C’est une réflexion sur le voyage dans le temps comme vous n’en avez sans doute pas beaucoup lu. En vérité, une machine permettrait non pas de voyager mais de voir dans le temps. Tout, absolument tout pourrait être vu. Quelle aubaine pour un universitaire, passionné de la Carthage antique ! Ajoutez-y un soupçon de théorie du complot et vous avez une excellente histoire avec une chute surprenante.
Devoir civique nous dévoile ce que serait une élection présidentielle américaine si on continuait à supposer que les sondages prédisent les élections et que les ordinateurs sont de plus en plus puissant. Imaginez qu’il suffit de choisir un seul citoyen avec des questions bien précises pour savoir qui sera élu !
La dernière trompette imagine de façon humoristique une fin de monde où les morts reviennent à la vie. Pas de zombie ici, mais des conflits juridiques. A qui appartient l’entreprise ? L’ancien propriétaire revenu à la vie n’a t-il pas des droits ? Et là encore une jolie chute.
Il y en d’autres, courtes, drôles, émouvantes comme celle que l’on retrouve aussi dans un défilé de robots sur l’amour (presqu’) impossible entre une femme et un robot ou jusqu’où peut aller un robot qui suit les trois lois de la robotique !
En tout 13 nouvelles qui permettent de se faire une idée du talent de l’auteur. Dans le cadre de son histoire du futur, elles ne sont pas indispensables mais tout de même très agréable à lire. Le style d’Asimov est reconnaissable. Peu de descriptions, beaucoup de dialogues, des débats prises de têtes intelligents, de l’humour et du second degré, des chutes surprenantes.
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Mon coeur est une tronçonneuse

Proofrock, petite ville de montagne, Idaho. Lorsqu’on fait la connaissance de Jade Daniels, elle n’est pas en grande forme. Adolescente bizarre de dix-sept ans, moitié amérindienne par son père Blackfeet alcoolique et violent, mère absente, elle revient au lycée où elle n’a pas d’amis après une tentative de suicide et deux mois en clinique.

Jade est obsédée par les slashers, catégorie de films d’horreur mettant en scène des tueurs en série ( eux-mêmes appelés slashers ). Et là, elle est persuadée à son retour que quelque chose a changé, qu’un cycle de slasher vient de s’enclencher, va s’abattre sur sa ville et que sa mission est de préparer la future fille finale ( l’ultime rescapée ) qui doit être capacité d’accomplir : découvrir qui sera le tueur masqué et le mettre hors d’état de nuire.

Malgré la narration à la troisième personne, le lecteur est complètement plongée dans la tête de cette jeune fille. Et ce n’est pas facile à suivre car elle voit tout à travers le prisme d’un slasher. Sa connaissance du genre est encyclopédique. Chaque page est remplie de références explicites à des films ( leurs noms sont indiqués ainsi que ceux de leurs personnages principaux, Vendredi 13, Scream, Les Griffes de la nuit, Halloween entre autres ). Il y a mêmes des extraits de ses copies écrites pour un professeur d’histoire, dissertation sur le genre slasher ).

Même si c’est très intelligemment raconté ( et souvent même assez drôle ), cela m’a donné le tournis, écrasée par la rafale de références, étouffée dans les délires logorrhéiques de Jade, perdue dans la perception de la réalité tant Jade semble fantasmer non stop sur la survenue d’un slasher dans sa ville … alors que le roman s’est justement ouvert sur la mort mystérieuse d’un couple de Hollandais venus se baigner dans le lac de la commune … sur lequel plane une légende horrifique liée à une sorcière indienne …

Bref, c’est un défi de faire le tri entre ce qui relève de la réalité et des fantasmes de Jade tant la narration ne fixe aucune frontière nette. Je pense également que le roman aurait gagné à être plus resserré pour éviter de nombreuses situations répétitives ni faire tanguer le lecteur dans ce récit poreux qui oscille entre réalité et fantasme sans réellement fixer de frontière.

Mais voilà, Jade Daniels est une formidable héroïne, une de celles qui vous marquent et vous tiennent par la main pour vous ramener à elle quand vous êtes perdu dans le texte. Au fur et à mesure que l’intrigue avance, on se rend compte qu’elle utilise les films d’horreur comme des boucliers contre le monde, que son amour pour les slashers est en fait une mécanique de défense pour se protéger d’une réalité vraiment laide et cruelle.

Derrière cette histoire quelque peu délirante, se dessine le portrait intime et surprenant d’une petite fille effrayée, en colère, qui veut survivre aux traumatismes qu’elle a subis, dépassée par ses émotions au point de se réfugier dans des films qui assignent un rôle à chacun, obéit à des codes très précis sans s’en écarter, offrant ainsi une vision presque rassurante d’un ordre dans lequel la fille finale l’emporte toujours. Et cela devient bouleversant de voir Jade à se point se dénigrer au point de ne pas imaginer qu’elle puisse être, elle, cette fille finale tant attendue, pure et parfaite.

Et on comprend alors pourquoi Jade aimerait voir crever ses camarades de lycée, son père, les flics, les riches de Terra Nova ( lotissement luxueux en construction sur un ancien cimetière indien, occasion pour l’auteur de parler des inégalités sociales, des discriminations, des prédations capitalistiques etc )
Autant j’ai trouvé la première moitié du roman bien longues, autant les cinquante dernières sont justes géniales : spectaculaires en jouant avec les tropes des slashers, pleine de surprises et de rebondissements, et au final émouvantes.
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Imbattable, tome 3 : Le cauchemar des malfr..

Troisième et dernier tome (à ce jour) d’Imbattable, Le cauchemar des malfrats est un nouveau petit bijou de Bande dessinée.
Rappelons d’abord le principe de cette série. Imbattable est le seul véritable super héros de bande dessinée. Il est capable de manipuler les codes du genre. Il peut voir ce qui se passe dans les autres cases d’une planche et peut s’y rendre ou y lancer des objets. Il est donc imbattable, même quand le savant fou, sa Némésis, invente toute sorte de machines pour l’éliminer. Il le répète lui même, il est tout simplement imbattable.
Sauf que parfois, il affronte des ennemis qui peuvent aussi jouer avec les codes de la BD, comme cette voleuse qui peut aller où elle veut en utilisant les récitatifs (5 minutes après à la gare) ou revenir dans le temps avec le même procédé (une heure plus tôt). Il y aussi cette machine qui permet de créer des cases supplémentaires que les autres ne peuvent pas voir, ce qui rend son détenteur (presqu’) impossible à arrêter.
Imbattable a aussi des alliées, tel Toudi, un adolescent pas finaud qui peut jouer avec la perspective et peut donc réellement décrocher la lune pour sa dulcinée.
Cela nous donne une série de gags très visuels et très drôles en une ou plusieurs planches et ces nouveaux personnages permettent à Jousselin, l’auteur, de ne pas être répétitif et de se renouveler depuis les premiers albums. Parfois, l’émotion nous attend au détour d’une histoire, comme celle où Imbattable et Jean-Pierre son ami policier, se rendent dans le monde réel.
Les dessins de Jousselin, très ligne claire sont parfait pour raconter ce genre d’histoires où la netteté des contours de cases et la compréhension de l’histoire par le dessin sont indispensables.
Une BD a destination de tous les âges. La lecture se fait sur plusieurs degrés et permet de faire plaisir aux petits et aux grands.
C’est toujours aussi rafraîchissant, absurde et drôle !
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La Part du démon

Cela faisait un petit temps que le premier tome de cette trilogie signée Mathieu Lecerf attendait dans ma PÀL et c’est en revenant du salon Iris Noir Bruxelles, où il a été récompensé du « Prix Découverte » Iris Noir 2023, que je me suis enfin décidé à le lire.

Pour son premier roman Mathieu Lecerf nous invite à suivre les pas du capitaine Manuel de Almeida et de sa nouvelle recrue, le lieutenant Esperanza Doloria, fraîchement débarquée au 36, rue du Bastion. Pour sa première enquête, le corps d’une jeune religieuse, sauvagement assassinée, est retrouvé dans un lac. En parallèle, quatre chauffeurs de taxis sont assassinés dans leur véhicule et d’après les caméras de surveillance, il s’agit chaque fois d’un tueur différent…

L’originalité du roman se situe au niveau de sa construction en trois parties, chacune offrant un regard différent sur les mêmes événements. Les visions du lieutenant Esperanza Doloria, du capitaine Manuel de Almeida et de son frère, le célèbre journaliste Cristian de Almeida, se font en effet intelligemment écho et permettent de chaque fois ajouter quelques éléments aux deux enquêtes qu’ils tentent de résoudre. Les trois personnages détiennent chacun quelques pièces du puzzle que le lecteur tente reconstituer au fil des pages.

Malgré une narration qui souffre de quelques problèmes de rythme, voire de naturel, principalement en première partie de récit, et quelques digressions parfois inutiles, le roman trouve son véritable envol au fil des chapitres pour devenir particulièrement palpitant lors d’une troisième partie qui donne définitivement envie de découvrir la suite de cette trilogie.

Un premier roman rondement mené !
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Les pyromanes

Au fin fond du département de la Manche cher à Jules Barbey d’Aurevilly, à Brézeville, les ruines du chateau sont hantées par la mémoire d’un inceste.

Nous sommes dans une Normandie rurale, après guerre (1952-1985), résumée par Annie Ernaux : alcool, inceste, viol, suicide. Les filles sont abusées, les femmes cancanent, les hommes boivent et fréquentent le bordel immortalisé par Guy de Maupassant dans « Le port ».

Tout le monde se connait, s’épie, après avoir préparé son certificat de fin d’études à l’école communale où règne l’institutrice, épouse du propriétaire de l’abattoir local. Les croyances ont succédé à la foi et Thérèse de Lisieux a laissé place à Sainte Thérèse des Yeux, dont chacun sait qu’elle rend la vue aux aveugles !

Françoise, la fille unique de Thérèse (qui se rêve en Emma Bovary) et de Serge Sommer (initiales SS), allume le feu qui éclaire les turpitudes et décape les consciences.

L’intrigue est sombre, immorale et glauque, sans être brutale, car Vincent Delareux fait discrètement et parfois élégamment disparaitre ses victimes (abattoir excepté).

L’écriture est féroce et humoristique car le romancier a un incontestable talent pour aiguiser sa plume et ciseler la phrase ou la formule qui fait mouche en caricaturant un personnage ou un vice. Chaque page des pyromanes mériterait d’être citée sur Babelio, chaque chapitre s’ancre dans la mémoire.

Arrivé à la dernière page, je suis impatient de lire la suite, qui se trouve être « Le cas Victor Sommer », publié 3 ans auparavant, car ce jeune auteur se révèle très prometteur.
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L'amour

L’amour avec un petit a, celui qui ne fait pas de bruit et porte à peine son nom mais vous rend compagnons de toute une vie : moins de cent pages suffisent à François Bégaudeau pour toucher son lecteur aux larmes avec les cinquante ans de vie commune de Jacques et Jeanne Moreau, un couple on ne peut plus ordinaire de la classe moyenne.


Ils avaient vingt ans lorsqu’ils se sont trouvés au début des années soixante-dix. Pas de coup de foudre ni de passion brûlante, mais une calme évidence apparue au détour d’une promenade autour de leur petit bourg de l’ouest de la France : il fallait bien sortir le chien. S’ensuivent un mariage, un enfant, et un demi-siècle de vie commune. D’extraction ouvrière, elle est devenue secrétaire, lui jardinier municipal. En dehors du travail et du patient tricotage de leur vie matérielle, elle ne rate rien de ce qui concerne Richard Cocciante pendant que lui collectionne les maquettes de fusées. Leur cocker s’appelle Boule, leur fils Daniel comme Balavoine, ils partent en vacances au bord de la mer, et le temps passe, dans une routine qui figent leurs manies et leurs agacements mutuels : « Jacques énerve Jeanne à mettre des cornichons avec tout, à manger la peau du saucisson sec, à remettre un tee-shirt sale... » « Jeanne énerve Jacques à répéter qu’il n’en fout pas une alors que dès qu’il aide elle l’engueule, à nager la tête hors de l’eau pour garder les cheveux secs, à sortir l’aspirateur pour une miette... » Mais rien, ni dispute ni accident – une inconnue débarque un jour, qui vient avouer une ancienne liaison avec Jacques – ne vient jamais remettre en cause la paire que ces deux-là forment. La vieillesse est déjà là, le fils est parti travailler en Corée, ils risquent de ne plus voir beaucoup les petits-enfants. Et puis, c’est la fin, qui les sépare, quoique…


Est-ce seulement l’amour qui les unit, un amour qui jamais d’ailleurs ne se met en mots mais prend la forme muette des gestes du quotidien, ou plutôt la force d’une alliance, affective et matérielle, en quelque sorte un plus ou moins conscient calcul sécuritaire, pour mieux traverser la vie ? En tous les cas, ces deux-là sont tout à fait représentatifs de leur génération, qui ne divorçait pas beaucoup, souvent parce que de toute façon la sécurité matérielle interdisait la séparation. Entre hasard et nécessité, ils se sont reconnus et, sans éclats ni grands sentiments, ont décidé une fois pour toute de leur cheminement côte à côte. Par petites touches rapides et autant de détails datés qui nous font reconnaître aussi vrais que nature nos parents ou nos grands-parents, l’auteur en trace avec tendresse un portrait quasi sociologique, en même temps qu’il nous émeut du mélancolique passage du temps, imperturbable métronome de notre fugitive et généralement anonyme condition humaine.


François Bégaudeau dit avoir pensé à Un coeur simple de Gustave Flaubert. Il réussit un livre universel, court et d’un seul trait comme la vie : une sorte de film en Super 8, sans discours ni analyse mais vaste de ses ellipses, qui condense dans son sautillement accéléré le reflet de notre fragile humanité et l’infinie mélancolie du temps qui fuit. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Les alchimies

Médecin légiste, la narratrice Camille Cambon se défend des sombres et macabres réalités du monde et de son métier en cultivant l’humour noir et la froideur. Médecins eux aussi – éminent légiste pour l’un, généraliste pour l’autre –, ses parents n’ont pas survécu à un accident de plongée survenu une trentaine d’années plus tôt, quand elle avait seize ans. Ils se passionnaient pour Goya, le peintre aragonais inhumé en 1828 à Bordeaux, mais… sans sa tête. C’est à leur propos que Camille reçoit un jour un e-mail en provenance d’un mystérieux correspondant bordelais. Celui-ci a des révélations à lui faire quant au passé de ses parents, à leur passion dévorante pour la partie la plus noire de l’oeuvre de Goya et aux extrémités auxquelles leur quête du crâne disparu les a menés.


« Toute cette histoire restera énigmatique à qui n'accepte pas de s'armer de sa propre part de ténèbres pour aller à la rencontre de ce qui peut arriver aux êtres humains. » Le cadre est posé d’emblée et ne va cesser de nous confronter à nos aspects les plus sombres, au gré d’un terrifiant jeu de miroir rapprochant certaines violences actuelles de celles dont Goya se fit l’écho brutal dans ses œuvres les plus noires. Aux suppliciés peuplant de leur douleur nue les toiles du peintre vont d’abord répondre, dans une première partie lui empruntant le titre « Les désastres de la guerre », une tout aussi horrifique mosaïque de faits récents. Scandale du charnier de l’université Paris-Descartes et révélation dès 2019 d’un trafic de corps humains, hécatombe de la pandémie de Covid dans des hôpitaux déjà en crise, aspects les plus sordides accompagnant les fonctions d’un médecin légiste… : un condensé de scènes effroyables, évoquées sans fard dans leur vérité la plus macabre, soufflète le lecteur, saisi entre horreur et émotion, au fil d’un récit dont la férocité caustique n’a d’égale que sa lucidité désespérée.


C’est aux côtés d’une narratrice ébranlée et au bord de la crise de nerfs que l’on s’engage alors dans la seconde partie du roman, très différente de ton puisque relatée, non sans mélancolie cette fois, par une vieille connaissance des parents de Camille. Intitulée, toujours d’après Goya, « Le songe de la raison », cette portion du récit va faire la lumière sur la véritable histoire d’un trio que « le démon de la connaissance » aura fini par « dévorer jusqu’à la folie ». Des errances phrénologiques à la quête du crâne disparu de Goya en passant par d’étranges sabbats dans les catacombes de Paris, c’est un visage totalement inattendu, de ses parents et du parrain qui l’a prise en charge orpheline, que Camille va découvrir en même temps qu’un monstrueux secret de famille. A trop flirter avec « la ligne de partage entre les vivants et les morts », les apprentis médecins qu’ils furent ne surent pas résister à leur fascination pour les gouffres. « Le sommeil de la raison engendre des monstres », soulignait il y a deux siècles le titre d’une gravure de Goya… « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » a t-ton envie de lui répondre.


Egalement psychologue clinicienne et psychanalyste, Sarah Chiche cache dans les plis de ce thriller gothico-macabre l’anamnèse d’une femme parvenue au point de rupture et qui, comme lors d’une cure psychanalytique, prend soudain conscience des courants souterrains et des transmutations à l’oeuvre dans son histoire familiale : toute une alchimie mise au jour par le verbe, terriblement vrai, de l’écrivain. Coup de coeur.

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Voyage à motocyclette : Latinoamericana

Voici le journal de voyage du Che, et même, comment le Che est devenu Che. C'est une manière de « Sur la route » de Kerouac à la sauce sud américaine. (Les points communs entre ce livre et celui de Jack Kerouac sont, à mon avis, largement sous estimés.)

Au départ, notre Ernesto favori n'est encore qu'un jeune étudiant en médecine, fils de bonne famille, désireux de découvrir le monde. Avec son compagnon, le biochimiste Alberto Granado, ils s'embarquent sur une moto improbable.

De péripéties de baroudage en chutes, et de chutes en péripéties cocasses, ils atteignent le Chili, en traversant la majestueuse Cordillère des Andes, la colonne vertébrale des Amériques.

C'est alors qu'ils découvrent le pouvoir secret du « CHE ! », interjection typiquement argentine, et qui, lorsqu'ils l'emploient ailleurs, est une porte d'entrée admirable, à la fois pour raconter leur périple, mais aussi, pour gagner la bienveillance des gens (qui les appellent alors petit Che, Alberto, et grand Che, Ernesto).

On y découvre alors un visage inattendu du futur révolutionnaire, parfois drôle et roublard. On comprend aussi, à mesure de l'avancement du voyage, que l'événement marquant du voyage va être la rupture définitive de leur monture, la moto, qui va les obliger, notamment à partir du nord désertique du Chili, puis surtout au Pérou, à voyager au contact des populations locales, à les écouter, à compatir à leurs misères, en somme, à ne plus évoluer en qualité de touristes, mais en observateurs des réalités et des dysfonctionnements sociaux.

Le virage dans la vision du Che est amorcé, et nous en sommes les témoins, par l'évolution du style et des centres d'intérêt de l'auteur (beaucoup moins de descriptions de paysages, beaucoup plus de constats sociaux et une évocation de plus en plus engagée) dans ce carnet de voyage, au cours des découvertes et de l'avancée du chemin parcouru jusqu'au Venezuela, en passant par les léproseries et la forêt équatoriale.

Ernesto Guevara prend peu à peu conscience d'une appartenance pan-américaine, véhiculée en premier lieu par la langue espagnole, mais pas seulement. le futur médecin bourgeois s'est mué en engagé politique et idéologique.

En somme, un voyage initiatique réellement captivant, une écriture alerte, limpide et savoureuse, de mon point de vue, mais ce n'est bien sûr que mon point de vue, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Éclipse totale

Les deux premiers chapitres présentent brillamment les enjeux de ce polar pur et dur qui s’ouvre sur un Harry Hole en bien mauvaise posture. Les terribles événements racontés dans Le Couteau ( très clairement résumés pour ceux qui n’auraient pas lu la précédente enquête ) lui ont couté son poste d’inspecteur en Norvège et sa volonté de vivre, exilé en Californie où il s’autodétruit dans l’alcool. Pendant ce temps, le corps d’une jeune femme sauvagement assassinée a été retrouvé à Oslo, une autre a disparu, les deux étant liées par leurs relations à un possible sugar daddy en la personne d’un magnat de l’immobilier, suspect numéro 1. Ce dernier propose à Harry Hole une mission fort lucrative de détective privé pour le disculper, accepté pour payer la dette d’une amie californienne menacée par ses usuriers.

A partir de là, Jo Nesbø fait montre de toute sa maestria narrative pour proposer un polar impeccable, sombre et brutal. Il déploie toute sa palette pour jouer avec le lecteur et faire monter le suspense sur un rythme effréné, actionnant toute une série de fausses pistes, d’indices trompeurs, arrestations erronées, impasses et fausses fins. Même un cador comme Harry Hole se plante alors qu’on était persuadé qu’il avait une longueur d’avance tout en n’ayant pas encore de suspect en tête. Harry Hole et les lecteurs doivent garder l’esprit ouvert et ne pas se cramponner à une idée précise au risque de mal interpréter un nouvel élément.

Et puis, il y a ce méchant aussi effroyable que mémorable ( Hannibal Lecter est presque « léger » à côté ). Jo Nesbø s’amuse à le faire débouler très vite et sans fausse barbe, avec de courts chapitres consacrés, distribuant très tôt des détails tout en cachant suffisamment d’informations sur sa réelle identité, ses motivations et son épouvantable mode opératoire … arme du crime très originale - très capillotractée aussi - mais assez génialement présentée par les pensées tordues du tueur et sa logique insensée. Le tout donnant lieu à des scènes graphiques absolument répugnantes ( ( le chianti et les fèves au beurre accompagnant les mets hépatiques de ce brave Hannibal sont bien plus ragoûtants, hein … ).

Les autres personnages ne sont pas en reste. Harry Hole et ses tourments shakespeariens l’obligeant à affronter ses démons et ses traumatismes. Son équipe improbable qui l’aide à boucler l’affaire ( un psychologue cancéreux en fin de vie, un flic suspendu pour suspicion de fraude, un ami d’enfance chauffeur de taxi dealer ). Deux beaux personnages féminins , l’inspectrice Katrine Bratt et qui vont jour un rôle déterminant tant au niveau professionnel qu’émotionnel, la légiste Alexandra Strudza. Le casting est parfait !

Un polar ultra divertissant qui ne demande aucune réflexion particulière de type politico-sociétale ( malgré quelques égratignures sur le système de justice norvégien, son culte de l’égalitarisme, et la rapacité des médias toujours avides de scoops juteux quitte à s’affranchir de la vérité ), juste de se laisser porter par les vagues de l’intrigue pour essayer de débusquer avant Harry et sa clique l’identité du tueur ( j’ai échoué ). De l’adrénaline pure, et c’est déjà pas si mal !
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Conter les moutons

- Dis, tu me dessines un... écrivain?
Frisé comme un mouton, quand le vent le décoiffe en Bretagne, Marc Dugain a laissé parler ses moutons, les soeurs Chocotte qui ...ruminent sur la bonne marche du monde.

Car si l'homme est un loup pour l'homme, il est un ... relou pour la femme et les animaux. Ex: Dans les croquettes, il y a des substances additives, qui poussent à la consommation ( et provoquent cancer ou même le "tournis" du ... mouton?)

Ces "Chocottes" là ne sont pas des moutons de Panurge, mais presque des moutons noirs, à 5 pattes, car elles écrivent... Non, elles ne fument pas de l'herbe, mais parlent d'écologie ( rapport du Giec) et du parcours de Marc Dugain, de ses angoisses, du Bonheur d'un...vieil ours mal léché ( comme il se définit parfois!)

Des moutons, un chat qui rapporte des rat-gots, un lapin priapique ("qui a été castré la semaine dernière. A lui seul, c'était Weinstein, Epstein et DSK rassemblés)" . Un lapin qui faisait des bonds, mais qui ne ...saute plus à gauche ou à droite...
Mais revenons à nos moutons, béé oui, si Marc Dugain a eu l'idée des moutons dans cette collection, ses brebis Soay ont un discours politique sur la cupidité de l'homme et balancent pas mal...

Sur un palmipède: "Donald Trump, un gros Blanc veule, summum du mépris: "Si les forêts brûlent à cause du réchauffement climatique, il n'y a qu'à les couper..."
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Voyous

Il me semble de plus en plus difficile de découvrir un très bon roman noir avec un côté investigation policière, c'est le cas avec ces Voyous de Doug Johnstone, roman que j'ai trouvé excellent.

En 300 pages, l'auteur produit une peinture très réussie de la misère sociale, ici à Edimbourg, vue sous le prisme d'un jeune garçon de 17 ans, Tyler, embarqué malgré lui par son demi-frère dans une délinquance qu'il rejette, mais qu'il ne parvient pas à quitter tant l'emprise du frère, Barry, est puissante, méchante, non respectueuse des autres, encore moins de leurs biens, et même pas de leurs vies. Barry est épaulé par Kelly, autre demi-soeur, leur mère, Angela, alcoolique et toxicomane, étant bien incapable d'identifier une paternité possible pour chacun d'eux. Il faut ajouter Bethany, dite Bean, petite soeur de Tyler âgée de 7 ans qu'il veut absolument protéger, et Felicity, dite Flick, une gosse de riche paumée emplie de bons sentiments. Ajoutons une policière, Pearce, qui reconnaît les qualités humaines de Tyler, voudrait l'aider, tout en gardant en tête ses enjeux professionnels.

Tous vont se retrouver embarqués dans les conséquences d'un cambriolage initié par Barry qui tourne assez mal. A partir de là, s'articule une histoire dure, sanglante, où l'enfance de Bean pourrait bien déboucher sur un placement social, où la mère Angela pourrait bien succomber à une overdose et Tyler devant se démener pour préserver ce qui pourrait l'être, surtout la vie et l'avenir de Bean.

Doug Johnstone a parfaitement construit son roman en déroulant tout le fil social douloureux de cette famille misérable, l'insérant autant dans les quartiers populaires d'Edimbourg que dans ceux des riches. Chaque personnage est soigneusement étudié par l'auteur, ses forces et faiblesses mises peu à peu en évidence, surtout pour Tyler qui est le véritable héros protecteur de sa jeune soeur à tout prix. Paiera-t-il le prix fort s'il y parvient?

Pour cela, Doug Johnstone a construit un suspense assez cohérent, malgré les invraisemblances que certains lecteurs ont relevées. Elles ne m'ont pas paru nuire à l'ensemble qui offre une belle progression dans le très noir de la vie, dans des abysses desquelles il peut paraître impossible de remonter.

C'est une lecture qui ne peut s'oublier, je lui préfère son titre original en anglais, Breakers, ceux qui cassent, brisent, autant eux-mêmes que les autres, un très bon roman très noir.
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Ce que je sais de toi

A fleur de coton

C'est à pas feutrés que nous entrons dans la vie de Tarek, un jeune égyptien du Caire dont le destin semble tout tracé.
Un univers ouaté avec un père médecin exigeant, une mère à la personnalité imposante, une soeur confidente et une domestique omniprésente.
Tarek suivra les pas de son père et deviendra médecin à son tour. Il épousera la discrète et aimante Mira.
Dans une Égypte effervescente d'un vingtième siècle déclinant, Tarek partage avec sa famille un quotidien au bonheur douceureux.
Pourtant, Tarek a besoin de donner davantage de sens à sa vie. En plus du cabinet médical qu'il a hérité de son père, il ouvre un dispensaire dans un quartier défavorisé du Moqattam.
Un soir, un jeune habitant du quartier le sollicite car sa mère est souffrante.
Ce que Tarek ne sait pas encore, c'est que cette rencontre avec Ali bouleversera de nombreuses vies.
Le vent de liberté qui souffle alors sur sa vie bien ordonnée apportera malheureusement le chaos personnifié par la rumeur, cette tumeur née de la fureur des hommes qui espèrent que tu meurs.
C'est l'exil. Il fuit Le Caire aux mille et un tabous devenue pour lui le théâtre d'une grande tragédie..

Ce roman en mode "Tu" qui émeut, fin et élégant, n'oubliant jamais la pudeur, est mis en lumière par une narration originale. Un premier roman éblouissant de maîtrise et de sensibilité.
Ce que je sais de Lui, c'est à présent à vous de le découvrir.




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Sonia

Sonia, une graine de myosotis semée sur un champ de cailloux.

Un chiffon ensanglanté et un vieux chien au collier marqué de lettres gothiques, voilà quelques bribes éparses de ce qui reste de l'histoire de Sonia, une très vieille histoire d'amour tragique en temps de guerre, amour interdit, fulgurant, intense, sans avenir. La mise en abyme originale déployée par ailleurs par l'auteur polonais, Ignacy Karpowicz, pose la question en filigrane de l'authenticité du récit comme préalable ou pas à l'émotion. Apre mais très beau !


Igor Grycowski, célèbre metteur en scène de Varsovie, tombe en panne dans l'une des régions les plus reculées de la Pologne à la frontière avec la Biélorussie. Coupé du monde, hors du temps, c'est dans ce hameau de Podlachie (d'où est également originaire l'auteur), comprenant en tout et pour tout quatre chaumières dont deux abandonnées, que vit la vieille Sonia avec pour seules richesse sa vache, sa chienne, son chat et quelques poules. Lorsqu'elle voit arriver cet homme avec sa belle Mercedes opalescente et son téléphone dernier cri, elle croit voir l'ange de la mort déguisé en Prince charmant. Son téléphone ne captant rien et ne pouvant donc être dépanné, Igor accepte l'invitation de la vieille dame. Elle n'a pourtant pas grand-chose à offrir Sonia, si ce n'est un verre de bon lait encore tiède tout juste sorti du pis de la Meugleuse et une histoire, une histoire fascinante et tragique vieille de soixante ans.

« le visage de Sonia était un vrai visage, comme la vie n'en pétrissait plus, un de ces visages comme on n'en voyait plus. Il descendait tout droit d'une icône : brun, robuste, fendillé, impénétrable et sans mensonge, mais fort aussi, avec les sillons plus appuyés de ses rides, et des rides, Sonia devait en avoir des millions, les spécialistes en chirurgie plastique auraient eu de quoi faire : polissage, étirage, rognage, il y avait assez de peau superflue pour en tirer au moins trois nouveaux visages. Car le visage de Sonia était un vrai visage, on y lisait ce qu'elle avait traversé, les rêves qu'elle avait eus ; mais plus que tout il servait à ce pour quoi le Haspodz – le seigneur – l'avait créé : à écouter, à regarder, à manger, à être lavé, à embrasser, à renifler, à roter, à pleurer, à être mouché ».

Avant d'écouter son histoire, Igor observe Sonia, contemple sa maison, son jardin, personnage et lieu de vie particulièrement pittoresques qui lui rappellent ses propres racines, avant la renommée, lorsqu'il s'appelait encore Ignacy. Lui, le citadin qui a renié ses origines rurales, qui ne trouve pas de sens à sa vie, va rencontrer une femme d'un autre espace-temps qui lui permettra d'éprouver de l'empathie et de développer sa créativité, qui saura toucher son coeur et sa raison. Les descriptions sont souvent étincelantes de beauté.
« Branlante, couverte de mousse, la petite porte tenait à peine sur ses gonds rouillés, exactement comme dans la masure de la soeur de Baba Yaga, celle qui prônait en toute chose la laideur et qui écartait de sa vue ce qui était beau et neuf. Igor parcourut des yeux la petite cour misérable, les casseroles bleues sur la clôture qui exhibait de larges trous sur leurs fonds noirs de suie et usés par les flammes, la kyrielle de poules bigarrées qui s'étaient mises à caqueter, le chat au pelage dégarni qui dormait sur le seuil, les bâtons, les balais, les fourches et les râteaux ».

Sonia se met à raconter son histoire, confiant sa mémoire à Igor qui en devient l'unique dépositaire. C'est un chant du cygne mettant en valeur un récit tellement romanesque, tragiquement romanesque, qu'Igor y trouve naturellement l'inspiration pour sa prochaine création. « C'était il y a longtemps, il y a bien longtemps… ».
Sonia raconte la mort de sa mère à sa naissance, la violence et les abus du père, l'indifférence des frères, le travail incessant et l'Amour, avec un A majuscule. le passage des allemands en juin 1941 dans son petit village de Poldachie sera un cataclysme, l'éclosion d'un amour passionnel, le début de sa chute. Sonia et Joachim ne se sont aimés que l'espace de quelques mois, de quelques nuits secrètes, le temps d'un souffle à l'échelle de la longue vie de la polonaise. Mais c'était bien assez pour que cet amour entraîne avec lui la beauté, la honte et la douleur que plus rien ne pourra effacer. le déshonneur et l'humiliation. La souillure par l'urine, les fèces, le sperme et la sueur. Et le sang, beaucoup de sang.

Au fur et à mesure du récit, Igor, sincère tout en étant opportuniste, imagine la pièce qui peu à peu se joue devant nos yeux. Au point qu'à un moment du livre, nous ne savons plus où est la frontière entre le véritable récit de Sonia et la pièce jouée, pour laquelle l'histoire aura été forcément un peu déformée, dont le tragique notamment aura été amplifié…Le roman ne cesse d'osciller entre vérité du témoignage, simples idées de mises en scène et mensonges romanesques, sans que le lecteur parvienne à déterminer s'il est le jouet ou pas d'une construction habile. Entendons-nous Sonia raconter ou Igor raconter ce que Sonia lui a raconté via une mise en scène théâtrale ? Et d'ailleurs est-ce important ? L'histoire en est-elle moins poignante ? L'authenticité est-elle un préalable à l'émotion ? le côté très local et particulièrement intime du récit prend le dessus et nous touche au plus profond quel que soit le canal de transmission me semble-t-il.

Sonia raconte et semble rajeunir tandis qu'Igor semble vieillir en accéléré, touche troublante de réalisme magique au milieu du récit mettant en valeur la confiance et la grande connivence entre les deux personnages, le jeune homme buvant les paroles de la vieille Sonia, prenant sur lui la tragédie de cette femme et par là même la tragédie humaine.
« Igor était allongé. Avec chaque journée qui s'achevait dans le récit de Sonia, il avait l'impression d'être plus vieux et plus fin, parcheminé et s'écaillant comme une peinture à l'huile, à croire qu'un comptable céleste ajoutait ces jours au compte de sa vie, les déduisant de celui de Sonia ».

Cette histoire, âpre, violente, poignante mais en même temps étonnamment drôle et belle, est l'occasion de revisiter l'Histoire de cette région du monde durant la Seconde Guerre Mondiale où les allemands ont commis des atrocités. Mais au-delà de cette guerre, dont les détails ne sont pas donnés, c'est bien sur les humains que se concentre le récit et sur la façon dont la grande histoire traverse, percute, fait exploser les petites histoires.

Par ailleurs, il faut souligner une très belle plume inventive, drôle, voire poétique dès que les scènes d'amour sont explicitées.
Si le portrait de Sonia honore toutes les victimes féminines des atrocités masculines, le roman n'est pas manichéen, j'en veux pour preuve le magnifique personnage du mari, Micha.
Notons enfin que, dans cette région, longtemps, et jusqu'à récemment, coexistaient deux réalités linguistiques, le polonais et le biélorusse. Cet entrelacement a donné naissance à un dialecte, le « prapostu ». L'auteur a voulu faire perdurer cette langue rare et peu usitée dans ce livre au moyen d'expressions, de mots dont il parsème son texte comme pour continuer à le faire vivre. La traductrice a veillé à les mettre en italique.


Sonia est ainsi le portrait somptueux d'une femme forte, passionnée, qui s'est raccrochée à la vie malgré toutes les ignominies vécues, un portrait poignant et non manichéen qui porte en lui toutes les atrocités faites aux femmes par les hommes, surtout en temps de guerre, et dont la vie mérite en effet d'en faire une oeuvre d'art. Un très beau moment de lecture, merci à @Dandine à qui je dois cette lecture.

« Elle racontait sa vie ordinaire, d'un endroit où les gens avaient trop peu vécu, parce que l'histoire s'en était mêlée, et que l'histoire est toujours contre les hommes. L'histoire est toujours contre les hommes, et plus encore contre les femmes ».


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Les bâtisseurs, tome 1 : Viollet-le-Duc

Quelle bonne idée ont eu les éditions Delcourt de lancer cette série consacrée aux Bâtisseurs ! Surtout, en commençant par Viollet-Le-Duc, l’homme qui voulait ressusciter Notre-Dame, Salvio Rubio, Eduardo Ocaña et Maz ! sortent d’un quasi oubli, un homme qui sauva une quantité impressionnante d’églises, de cathédrales, de châteaux.
Tout cela n’est pas si loin puisque nous sommes au XIXe siècle et tous ces monuments menacent ruine. Pour avoir admiré et visité la Cité de Carcassonne, le château de Pierrefonds et, bien sûr, Notre-Dame de Paris, j’ai toujours eu beaucoup de mal à comprendre les critiques envers cet architecte hors normes.
Il est vrai, comme Salvio Rubio l’explique très bien dans les pages documentaires qui clôturent cette magnifique BD (Merci Vincent !) que Viollet-Le-Duc a eu tendance à en faire un peu trop… Pour moi et pour la plupart des gens, ce n’est pas grave. Seuls comptent le régal des yeux et la sauvegarde de monuments qui font notre fierté nationale.
Justement, cette BD commence avec le terrible incendie du 15 avril 2019 : Notre-Dame en flammes ! La flèche s’effondre. Heureusement, les statues qui l’ornaient étaient à Périgueux pour y être restaurées…
Après avoir subi les caprices des rois, la colère des révolutionnaires, les séquelles du temps et être devenue même un simple entrepôt, Notre-Dame revenait sur le devant de l’actualité en 1832, grâce à Victor Hugo et son fameux « Notre-Dame de Paris ». Notre grand écrivain, furieux, voyant dans quel état est la cathédrale, dit toute sa colère à Prosper Mérimée qui est Inspecteur des Monuments historiques.
Rien n’est simple à ce moment-là car l’hostilité de l’Académie des Beaux-Arts est manifeste : on déteste le style gothique. On lui préfère le classicisme grec ou romain.
C’est un simple dessinateur qui a femme et enfant, Eugène Viollet-Le-Duc, que Mérimée veut voir car il est connu pour son attrait envers le style gothique.
L’histoire est lancée. Le scénario concocté par Rubio me fait partager doutes et inspirations, combats et réussites d’un homme qui doit délaisser sa famille pour mener à bien son plus grand projet : rendre à Notre-Dame toute sa grandeur.
Il faut beaucoup d’argent, des maçons, des charpentiers, des spécialistes du plomb, des ferronniers, des menuisiers et surtout un maître d’œuvre efficace et présent sur le chantier quand l’architecte est en province.
Cet homme oublié, Rubio, Ocaña et Maz ! lui rendent justice. Il se nomme Jean-Baptiste-Antoine Lassus. Il a 7 ans de plus que Viollet-Le-Duc et a déjà restauré la Sainte-Chapelle, tout près de Notre-Dame.
Même s’il est impossible d’être exhaustif dans une BD, les auteurs m’ont bien fait comprendre toute l’évolution d’un chantier immense, mené à bien avec les moyens de l’époque. Louis-Napoléon Bonaparte qui devient Napoléon III, personnage contesté, aura un rôle positif pour la réussite du projet de Viollet-Le-Duc.
Chaque dessin de Eduardo Ocaña montre bien le travail énorme réalisé. Les images bien tristes des obsèques de Lassus offrent des visages impressionnants. Enfin, quatre pleines pages me régalent avec la flèche terminée et Notre-Dame dans toute sa splendeur. La vue aérienne finale est un bonus très apprécié.

Puisqu’il faut sauver Notre-Dame à nouveau et que le chantier semble bien avancé, l’idée était excellente de rappeler l’œuvre de Viollet-Le-Duc pour redonner toute sa splendeur à un monument débuté en 1163, pour lequel les travaux avaient duré deux cents ans mais qu’il fallait impérativement sauver… comme aujourd’hui.
Rendez-vous est donné le 8 décembre 2024 pour la réouverture de la cathédrale !

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Crépuscule

Avec Crépuscule de Philippe Claudel, nous voilà dans un village d’une province reculée située dans un empire imaginaire qui ressemble un peu à l’empire austro-hongrois, au début du XXe siècle.
L’histoire se déroule en hiver, sous un climat rude, un hiver qui semble sans fin.
Ce village presque arriéré est composé d’une majorité de chrétiens 1378 habitants et d’une petite communauté musulmane qui compte cinquante-quatre âmes, les deux religions cohabitant pacifiquement.
Deux enfants découvrent un cadavre, celui du curé retrouvé la tête fracassée par une pierre. Aussitôt la tension devient palpable…
Le binôme, constitué du capitaine Nourio aux pulsions sexuelles récurrentes et de son adjoint Baraj, deux hommes plutôt mal assortis aussi bien physiquement que moralement, est chargé de l’enquête.
Mais que peut-il se passer lorsqu’un prêtre, celui qui incarne la religion dominante d’un village, un de ses membres éminents, est assassiné ? C’est à cette question que tente de répondre Philippe Claudel.
L’auteur nous offre avec Crépuscule, à la fois un roman policier, un roman psychologique, un roman social, un roman noir, très noir, mais surtout, sous l’aspect d’un roman historique, un roman qui nous parle d’aujourd’hui.
Alors que de l’autre côté de la frontière, se trouve un pays dont la bannière est ornée d’un croissant d’or, bouillonnant de force vive, il est intéressant de voir, comment cet Empire qui commence à décliner, à s’éteindre, va prendre le prétexte de ce fait divers sanglant pour éradiquer de son sein cette petite communauté musulmane, naissante mais active, et la massacrer.
On assiste à la faveur du meurtre du curé, à la montée de la violence, de la haine, dans un engrenage irréversible et on découvre le comportement abject et corrompu du Maire, du Rapporteur de l’Administration, du Notaire, du Conservateur des archives, des trois Maîtres d’école, du Receveur, etc... Une scène de chasse à l’ours particulièrement épique met en avant leur complicité.
Impossible de ne pas voir dans ce mécanisme de la haine qui se met en place et cette recherche de bouc-émissaire des échos avec la période dans laquelle nous vivons, où on instrumentalise certains faits que l’on retourne, détruisant ainsi la vérité historique pour aller dans la direction souhaitée.
Dans Crépuscule, Philippe Claudel ne se borne pas à écrire une énigme policière, il raconte la fabrique d’une contre-vérité, une mécanique millénaire tellement actuelle, à savoir, trouver un ennemi commun, ce qui va souder la communauté.
Comme avec Le rapport de Brodech, La petite fille de Monsieur Linh, Les âmes grises (Prix Renaudot 2003) ou L’archipel du chien, je me suis à nouveau régalée avec la lecture de ce roman magistral et envoûtant, à l’atmosphère terriblement inquiétante, qu’est Crépuscule. De suspens en rebondissements, il m’a tenue en haleine du début à la fin, fascinée par ce questionnement on ne peut plus d’actualité.
Dans ce monde crépusculaire qui est décrit, le texte très visuel de Philippe Claudel permet une magnifique approche des personnages, des animaux et de la nature.
Les personnages sont solidement dépeints et leurs caractères finement analysés.
Si j’ai trouvé trop présentes et répétitives les pulsions sexuelles de Nourio, j’ai beaucoup apprécié son Adjoint, ce géant maladroit et méprisé par son Capitaine, déjà maltraité et moqué dans son enfance, le seul à ne pas courber l’échine, poète à ses heures mais dont les vers s’effacent au fil de leur création…
Crépuscule de Philippe Claudel est une sorte de fable politique, une réflexion remarquable, profonde et troublante, sur la nature humaine et sur la fabrication de la vérité historique.
De ne pas nommer précisément, ni le lieu où se déroule l’histoire, ni l’époque à laquelle elle se déroule, est une manière d’élargir le propos et de le rendre universel, une manière de dire : cela pourrait se passer ailleurs, aujourd’hui ou demain… Inquiétant...

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La danseuse

Du "je" au tutu...
Patrick Modiano n’a pas sa carte de la confrérie de ceux qui écrivent comme il parle… et c’est tant mieux.
J’ai essayé à nouveau de suivre une de ses dernières interviews pour la sortie de ce roman et j’en veux terriblement à son éditeur de lui imposer ce supplice à chaque publication. Il est prix Nobel de littérature, pas d’éloquence et il n’est surement pas le meilleur avocat de son œuvre. Si cet auteur écrit la plupart du temps à la première personne, c’est peut-être justement pour s’épargner la peine de parler de lui à haute voix. Entre des phrases dont on cherche encore la fin et des « euh » d’élevage, j’ai quand même compris qu’il avait choisi de bâtir son dernier récit autour de la danseuse du titre car la gigue classique exige beaucoup de discipline, de corrections et de répétitions… comme l’écriture. Est-ce pour cette raison que Patrick Modiano refait toujours ses gammes et écrit chaque fois un peu le même roman, éternelles flâneries en jet-lag de l’époque ?
Avec un peu moins de cynisme, je pense surtout que Patrick Modiano retrouve dans les mouvements de la danse, la grâce et l’élégance qui caractérisent son style. Quand je lis un de ses romans, j’ai toujours le sentiment de suivre une plume qui volète le long des rues d’une ville silencieuse, sans trottinettes électriques et livreurs de pizzas.
Nous revoilà donc dans le Paris des années 60 avec un narrateur qui oscille toujours entre le ravi de la crèche et le poète contemplatif qui se cherche. Le jeune homme qui entre en littérature par le velux d’une chambre de bonne pour doper des traductions de romans anglo-saxons un peu trop light, joue aussi le baby-sitter d’un bambin d’une dizaine d’années dont la mère est danseuse. Comme le petit rat n’a pas croisé que d’aimables rongeurs dans sa vie, entrechats et chiens, la jeune femme est entourée d’un célèbre maître de ballet, Boris Kniaseff, et d’une sorte de parrain bienveillant aux activités clandestines. Du balai au ballet. Importuns au pas, chassés.
Lire du Modiano, c’est accepter de se balader dans le temps avec sa prose unique comme déambulateur. J’ai abordé cette lecture sans surprise, certain d’y retrouver mon chemin, dans des rues aux ambiances cotonneuses où le lecteur marche sur la pointe des pieds pour ne pas bousculer les souvenirs de l’auteur.
Une petite révolution néanmoins dans ce texte. Le sexe. En général, avec Modiano, on ne fait que marcher. Je referme ses livres en ayant mal aux mollets et quelques ampoules. Pourtant, avec un bouquin de 100 pages, je ne risque pas le claquage. Ici, il ne passe pas de l’autofiction à l’autofriction mais si, jusqu’à présent, son « je » manquait de corps, il camoufle moins les désirs dans ce roman. L’effet tutu, dirait Degas.
J’ai également aimé dans l’arrière salle de cette histoire, cette croyance que l’art, danse comme écriture ou peinture, peut sauver quelques destins mal embouchés.
Enfin, il y a la critique du Paris d’aujourd’hui, celui des valises à roulettes des touristes qui effarouchent les nostalgies en même temps que les pigeons.
Une agréable promenade en terrain connu.
Une Révérence pour La Référence.
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Dracula

« Sans aucun doute, les vampires existent : certains d'entre nous en ont la preuve ! Et même si nous n'avions pas fait nous-mêmes cette malheureuse expérience, l'histoire du passé fournit des preuves suffisantes de leur existence. Je reconnais qu'au début j'étais sceptique. »

Et moi donc!
Si on m'avait dit qu'un jour je lirais une histoire de vampires, pire, que je viendrais m'abreuver aux sources mêmes du mythe créé par Bram Stoker à la toute fin du dix-neuvième siècle, que non seulement j'y prendrais un intense plaisir, mais qu'en plus je parviendrais à y croire, du moins à y croire assez pour éprouver l'envie irrépressible de poursuivre ma lecture jusqu'au bout…
Si on m'avait dit que je me rendrais en Transylvanie, plus précisément dans un château terriblement lugubre et isolé, habité depuis des siècles par un comte à la force herculéenne et au teint cadavérique, aux canines carnassières et aux lèvres vermeilles gorgées de sang humain…
Si on m'avait dit que soir après soir, le coeur palpitant et l'épiderme frissonnant, je ferais le gué dans un cimetière de Londres à l'abri d'un antique cyprès, guettant une silhouette fantomatique se faufilant entre les tombes, serrant dans ses bras de non-morte un malheureux enfant innocent…
Si on m'avait dit, enfin, que mon esprit rationnel finirait par céder devant l'accumulation de faits aussi extraordinaires qu'irréfutables et, ostie sur le calice, qu'en dépit de mon aversion pour tout ce qui relève de la superstition et de l'idolâtrie, je finirais par convenir que, ma foi, quelques chapelets de fleurs d'ail et un ou deux crucifix, ça pouvait toujours être utile…
… J'aurais esquissé une moue sceptique et je serais retournée à mon cher Proust.

Et pourtant, à moins que je n'ai rêvé ou plutôt cauchemardé durant ces deux semaines passées en compagnie du comte Dracula, tout cela a réellement existé.
« Nous ne pouvions croire que les choses que nous avions vues de nos propres yeux, entendues de nos oreilles eussent été vivantes et réelles. Toute trace en avait été effacée. Mais le château était toujours debout, dominant une étendue de désolation. »
Les voix conjuguées des deux récitants le talentueux Pierre-François Garel et la délicieuse Mélodie Richard — oui, j'ai opté pour la lecture audio m'assurant une plongée plus immersive encore — m'ont accompagnée durant mes promenades solitaires, s'amusant de me voir sursauter au moindre bruit suspect dans les fourrés. Elles m'ont tendrement bercée, ces voix, lorsque, douillettement lovée près du feu de cheminée dans le réconfort de bras aimants, je me retrouvais transportée au temps de mon enfance, à cette heure précieuse où ma mère, chaque soir avant de m'endormir, me lisait un conte de Perrault ou des frères Grimm.

Bref, ce fut une lecture en tous points merveilleuse, enfin… presque en tous points, mon intérêt et mon attention s'étant quelque peu relâchés dans le dernier tiers. Après avoir assez longuement réfléchi à la question, je dirais qu'il y a essentiellement deux raisons à cela.
La première tient à l'évolution de l'un des personnages à mes yeux le plus prometteur et le plus original du livre : Mina Harker. Fiancée, puis épouse de Jonathan Harker, l'infortuné jeune homme prisonnier du comte Dracula en début de roman, dotée d'une intelligence exceptionnelle (« un cerveau d'homme (sic) incroyablement doué, avec un coeur de femme (re-sic) », faisant preuve en toutes circonstances d'un sang-froid exemplaire, elle m'a paru tout droit sortie d'un roman de Jane Austen. Aussi ma déception fut grande quand Bram Stoker, obéissant aux contraintes de l'intrigue à moins que ce ne soit aux préjugés de son époque, lui fait subir une métamorphose aussi soudaine que parfaitement injuste et, qu'après l'avoir hissée au rôle si convoité de l'héroïne déterminée prenant en main son destin, il la relègue sans état d'âme à celui, maintes fois ressassé, de l'héroïne romantique, exsangue et éthérée, ne pouvant plus compter, pour son salut, que sur le concours chevaleresque des hommes.
La seconde raison, moins évidente, tient à la tension narrative. le roman, constitué de plusieurs récits enchâssés — lettres, coupures de presse, journaux intimes de Mina et Jonathan Harker, journal de bord du Docteur Seward — est habilement construit pour créer le suspense. Basculant sans cesse d'une situation, d'un personnage à l'autre, n'hésitant pas à interrompre l'action au pire moment, le tout en opérant des reculs dans le temps, il place le lecteur dans une attente insoutenable. Ce procédé, diablement efficace, sera longuement analysé plusieurs décennies plus tard par le maître du suspense, Alfred Hitchcock :
« La différence entre le suspense et la surprise est très simple. [...] Nous sommes en train de parler, il y a peut-être une bombe sous cette table et notre conversation est très ordinaire, il ne se passe rien de spécial, et tout d'un coup : boum, explosion. Maintenant, examinons le suspense. La bombe est sous la table et le public le sait [...]. Il sait que la bombe explosera à une heure et il sait qu'il est une heure moins le quart. Dans le premier cas, on a offert au public quinze secondes de surprise au moment de l'explosion. Dans le deuxième cas, nous lui offrons quinze minutes de suspense. »
Durant les deux premiers tiers du roman, j'étais en plein dans la situation décrite par Hitchcock, je détenais des éléments cruciaux que les personnages ignoraient, j'étais véritablement sur des charbons ardents, brûlant de les voir, enfin, comprendre la situation, tout en me demandant comment ils allaient y parvenir. Sauf qu'une fois qu'ils l'ont bien comprise et longuement analysée (et même, très longuement), il ne leur reste plus qu'à traquer Dracula pour tenter de l'éliminer. On quitte alors définitivement l'état d'anticipation angoissée créé par le suspense si habilement déployé par Bram Stoker pour s'acheminer vers un dénouement assez conventionnel dont l'issue ne fait guère de doute.

Il reste qu'en dépit de ces bémols ce roman fut une formidable expérience de lecture. L'une de ses plus grandes réussites à mes yeux est de mettre en scène des personnages aux profils variés, puissamment incarnés qui, s'ils n'échappent pas toujours aux clichés de l'époque — l'Angleterre victorienne — sont profondément attachants. Quant à Dracula, ni tout à fait un homme, ni tout à fait le Diable, il est cruel, certes, mais par nécessité. Au fond, il cherche seulement à persévérer dans son être, comme dirait Spinoza, un philosophe cher à mon amie Hélène. S'il survit depuis des siècles, c'est parce qu'il suce le sang des hommes, et s'il est condamné à le faire jusqu'à la fin des temps, c'est parce qu'il a lui-même été vampirisé. D'une certaine façon, lui aussi est à plaindre, comme l'explique Mina à l'un de ses compagnons d'infortune. Ce qui n'empêche pas de le combattre sans merci, au contraire, puisque l'avenir de l'humanité en dépend et, peut-être plus important encore, le salut de nos âmes…

Un grand merci à Doriane (@Yaena) ainsi qu'aux copains (@NicolaK, @Patlancien, @Djdri25) dont les retours enthousiastes et incitatifs m'ont donné une folle envie de découvrir ce livre.




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