La mal-aimée
Dans ce bouleversant premier roman, Aline Caudet raconte le calvaire que subit Lucie au quotidien au sein d'une famille qui la rejette. Violence, privation et viols dont elle aura beaucoup de peine à s'extirper. Un récit d'autant plus glaçant qu'il s'inspire du vécu de l'autrice.
Lucie a construit un bonheur simple, entouré de son mari Arnaud et de ses trois enfants, Anna, Théo et Amandine. Une vie paisible soudain bousculée par une assignation en justice. Ses parents réclament le droit de voir leurs petits-enfants. Un choc d'autant plus fort qu'il ravive un passé douloureux.
Un passé auquel Lucie va à nouveau devoir se confronter pour se défendre, pour empêcher cette ignominie. Car ses parents l'ont fait souffrir durant tout le temps où elle a vécu avec eux.
D'abord ignorée par sa mère, elle va devenir au fil des jours le paria de la famille, celle qui est systématiquement rejetée et se verra interdite de partager la table familiale. "Je dois rester à part, seule dans ma chambre. Ma soeur vient me chercher quand il n'y a plus personne dans la cuisine, là je suis autorisée à descendre." Elle peut alors manger les restes si sa mère ne la chasse pas avant.
Une situation que son père constate et accepte, préférant détourner le regard que d'affronter cette furie hystérique. La fratrie, quant à elle, va adopter une position neutre, voire hostile. Sauf sa soeur Estelle, qui va payer très cher ses tentatives de révolte face aux traitements inhumains infligés à sa soeur. Et qui vont perdurer au fil du temps, car personne ne vient rendre visite dans leur maison délabrée et isolée dans la campagne des alentours de Clermont-Ferrand.
Et toute tentative d'appeler au secours est bien trop risquée. "Si j'explique comment je suis traitée à la maison, mes parents, furieux, se retourneront contre moi. J'imagine bien la dame des services sociaux venir avec sa mallette remplie de dossiers, sortir une feuille, un stylo, et poser des questions à mes parents. (...) Elle repartirait, me laissant seule avec mes parents fous furieux. On n'enlève pas comme ça un enfant à sa famille. Je ne sais pas jusqu'où peuvent aller les représailles si je brave cet interdit: rien de ce qui se passe à la maison ne doit sortir du strict cadre familial. Ma mère n'a pas besoin de le formuler, nous le savons."
À l'extérieur, on donne l'image d'une famille unie, on accepte les invitations, notamment chez les grands-parents. La grand-mère attentionnée qui redonne du courage à sa petite-fille en lui donnant l'affection qui lui manque tant. Mais aussi la grand-mère qui s'interdit de demander ce qui se passe dans le bureau du grand-père quand, après le repas le patriarche s'isole avec l'une de ses petites filles. Lucie, Estelle et Madeleine sont violées. Comme le confessera plus tard Madeleine, la décision est alors prise de cesser ces visites dominicales. «Les parents n'ont pas cherché à savoir dans quel état moral nous nous trouvions ni à nous apporter un quelconque soutien psychologique. Ils n'ont pas voulu porter plainte contre le grand-père incestueux. Ils se sont justifiés en disant vouloir préserver la réputation de la famille alors qu'un procès contre le grand-père aurait aidé leurs filles à comprendre la gravité des actes dont elles avaient été victimes, et à se reconstruire. En revanche, ils font à présent un procès à leur propre fille sans se soucier qu'il contribue par là-même à nous détruire.»
Aline Caudet, qui écrit sous pseudonyme, a scindé son roman en trois parties dans lesquelles elle retrace la vie de Lucie jusqu'à son départ du domicile, ses premiers pas de femme à la recherche d'un équilibre avec le lourd lest de son traumatisme et les moyens très limités dont elle dispose et enfin le déroulé de cette action en justice qui va prendre des années jusqu'au jugement.
Si on est forcément sidéré par ce drame, saisi d'effroi par des scènes dramatiques, on ne peut à l'inverse qu'être admiratif de la manière dont, petit à petit, la fillette, l'adolescente et la jeune femme vont parvenir à se défaire de ce carcan, de ce grand manteau noir qui l'empêche de se mouvoir. La force de ce roman tient sans doute dans cette énergie, cette volonté de plus en plus farouche de s'en sortir. Un peu comme dans l'enragé de Sorj Chalandon où un garçon s'évade du bagne où il est retenu et va chercher à se reconstruire. Entre horreurs et résilience, la voix reste étroite et parsemée d'embûches, mais elle existe. La plume d'Aline Caudet est là pour nous le rappeler.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024».Enfin, en vous y abonnant, vous serez par ailleurs informé de la parution de toutes mes chroniques.
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