
A plus de quarante ans, déjà célèbre et en exil à Capri (à la fois pour raison de santé et pour échapper à la répression croissante), Maxime Gorki décide d'écrire son autobiographie. le premier tome, consacré à son enfance, paraît en 1913, il commence à la mort (lors d'une épidémie de choléra) de son père et s'achève quand son grand-père le chasse peu après la mort de sa mère, de tuberculose. A aucun moment l'auteur ne mentionne son âge, des moments marquants de son enfance sont mis en lumière sans précision de date, si ce n'est qu'ils sont dans l'ordre chronologique. Au début du récit il a donc dans les trois ans, et à la fin, il n'a guère plus d'une dizaine d'année quand son grand-père lui annonce : «il est inadmissible que tu restes à vivre à mes crochets ; va-t'en plutôt par le monde... »Entre ces deux décès se succèdent des scènes de grande violence, entrecoupées de moments plus lumineux de complicité avec sa grand-mère ou la nature. le style de cette autobiographie est dans une veine réaliste et naturaliste, et comme souvent au 19ème siècle, on n'y parle pas beaucoup aux enfants, on les écoute encore moins, et on les éduque à coup de fouet. Mais j'ai beau chercher dans la littérature de l'époque, de telles enfances se trouvent surtout dans des familles d'alcooliques (le grand-père de Gorki ne boit pas, sa mère non plus) ou lorsqu'un des deux parents a un problème psychologique majeur (et la société réprouve tout en se voilant la face et en ne faisant rien). Ici la violence est admise, banalisée, que ce soit envers les enfants, envers les femmes, envers les subalternes. Ceux qui la réprouvent laissent faire, jusqu'au père d'Alexis (c'est le prénom de naissance de l'auteur) qui refuse de porter plainte contre ses beaux-frères pour tentative de meurtre. La morale est souple aussi en ce qui concerne le vol, considéré comme tel uniquement si on vole pour soi-même (mais on peut voler pour aider ses parents ou son patron). Tout cela semble la norme. Pour Alexis la religion est étonnante : il n'y a guère de points communs entre le Dieu bienveillant que prie sa grand-mère et le Dieu rigide et terrifiant de son grand-père. Ce livre suinte la misère morale, la petitesse mesquine, la bassesse et la bêtise par ignorance. Mais il n'est pas vraiment question de pauvreté, et en tout cas la misère morale est là bien avant. Il ne faut pas s'y tromper, au début du récit le grand-père de Gorki est à la tête d'une petite entreprise qui marche, il est même un petit notable, président de la Corporation des teinturiers de Nijni Novgorod. Tout part à vau-l'eau quand il partage ses biens avec ses incapables de fils, à partir de là c'est une longue dégringolade dont Maxime est le témoin, sans toujours tout comprendre sur le coup. Une chose m'a frappée, sur laquelle l'auteur ne s'appesantit guère : il est orphelin, ses deux cousins sont orphelins de mère (l'une, tuée par son mari, l'autre, morte en couches), son père était orphelin, son grand-père aussi. Cela fait vraiment beaucoup d'orphelins, et une immense carence de modèle parental. Ce qui est remarquable c'est la résilience extraordinaire de Gorki, à travers le modèle de son père transmis par la grand-mère (que l'on retrouve dans le choix de son pseudonyme : le prénom de son père suivi de son pseudonyme) et celui de son grand-père qui lui apprend à lire et qui curieusement n'a pas que des mauvais côtés ! Par contre, que l'auteur est optimiste quand il pense que son livre peut permettre d'extirper tout ce mal de la société russe : à peine plus d'un siècle plus tard, en 2017, la Russie a dépénalisé les violences domestiques (aussi bien envers les femmes qu'envers les enfants) tant qu'il n'y a pas hospitalisation, pour protéger la famille ! Depuis la police ne se déplace même plus et les cas sordides se multiplient. Par contre ce livre est toujours lu par les écoliers, apparemment plus pour valoriser la résilience face à l'adversité que pour ses critiques sociétales !
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