Tout commence par la découverte d'une femme morte au bord de la mer. On devine qu'il s'agit de l'Anna du titre, mais rien ne l'indique vraiment. On n'en sait pas plus sinon qu'auprès de ses affaires, on retrouve le livre d'un auteur inconnu : Paul Constant.
Puis, les voix emmêlées des principaux protagonistes nous racontent l'histoire : Anna, Paul et François le mari. Trio banal en soit pour une sordide histoire d'infidélité ? Non, il s'agit d'un coup de foudre, une véritable histoire d'amour. Histoire de peaux, histoire d'eaux, mais aussi histoire de la banalité de la vie avec ces obligations, ces travers. Vie banale qui ressurgit quand Anna se sent envahie par cet amour foudroyant. Elle pense alors à son mari, ses enfants, sa vie rangée. Banalité de la vie qui pourrait ramener sur terres les amants, mais le drame se noue, entre celui qui part, celle qui hésite et celui qui devine...
On aimerait se laisser embarquer dans l'amour tout neuf d'Anna, la tendresse amoureuse de Paul, l'espoir d'une autre vie, et puis non, la vie, la terrible vie est là et (sujet du roman ou pas) Anna tente de s'expliquer, de ramener de la raison, de redescendre sur terre... Il advient alors ce que l'on nous a montré dès les premiers lignes de ce roman.
Quelque chose en moi reste sur le bord du chemin. Il me manque le grand frisson, le drame intense, l'amour merveilleux.
Pourtant la vie d'Anna et la narration de l'écrivaine en ont décidé autrement. On ne saura pas tout. On échafaudera des plans. On sera déçu.
Mais une femme est morte, ne l'oublions pas.
Morte d'avoir aimé, morte de ne pas avoir choisi, d'avoir cru en l'intelligence des hommes ou d'en être déçue à tout jamais... Il nous restera à "Attendre Anna" ...
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Avec Filature(s), Jeff Sourdin file une métaphore kafkaïenne et subtile de la réalité de l'écrivain confronté à la relation complexe et tourmentée avec son narrateur, "double fantasmé" tout puissant, voire tyrannique, au fil de déambulations savamment orchestrées dans l'architecture du récit-ville. Réel et fiction, faits et imaginaire, passé et présent se mélangent et se confondent, de détricotage en reconstruction, les images se superposent et l'on "revient sur nos pas pour effacer nos propres traces". Mais qu'advient-il de l'auteur soumis à l'emprise diabolique de sa voix narrative qui lui "vole jusqu'à son âme", réduit à une simple marionnette ballottée dans le grand labyrinthe des mots, invisible, anonyme, et dont le portrait s'affiche partout dans les rues? Quand vivre et écrire sont devenus indissociables, qu'une part de soi enfouie menace de remonter à la surface, "le corps est un, l'esprit multiple et l'imaginaire sans fin. Ne crains rien".
Rien à craindre vraiment? Il est pourtant une diagonale du vide où résonnent les noms d'écrivains "que nul ne connaît, ne fréquente, ne rencontre", hommage poignant aux plumes lumineuses et amies sous des cieux littéraires menaçants. Ceux qui les connaissent les reconnaîtront.
Reste l'écriture, "remède contre la fuite, refuge contre le vide", un fil solide sur lequel avancer, danser parfois, à défaut de reprendre pied dans le réel, qui, comme disait Lacan, est insupportable.
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Une écriture dense, d'une densité de cristal et de brume, d'étoile lointaine et de luciole proche, une écriture comme une lueur parfois vacillante mais toujours présente, comme la flamme des bougies de Georges de La Tour. S'y dit, avec pudeur, une volonté de ne jamais céder, une tenace résilience. On y devine bien des chagrins, bien des orages, bien des fêlures pas toujours cicatrisées, mais cela exprimé, je devrais dire traduit, en une langue d'un lyrisme à fleur d'encre, à lisière de peau, en toute discrétion.
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