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Bouvard et Pécuchet



Interrompue en raison du décès subit de Flaubert, Bouvard et Pécuchet fut sans aucun doute l'entreprise littéraire la plus ambitieuse menée par l'écrivain, la plus radicale et obsédante, la plus incertaine aussi. Un projet que lui-même qualifierait à plusieurs reprises de totalement insensé, mais qui se révélerait pourtant fondamental pour son oeuvre : peut-être enfin le livre tant rêvé, portant «sur rien», celui qu'il avait toujours espéré pouvoir écrire un jour..?



«Du reste - avoue-t-il ainsi, entre autres à George Sand dans une lettre datant de 1874- il faut être absolument fol pour entreprendre un pareil livre. J'ai peur qu'il ne soit, par sa conception même, radicalement impossible. Nous verrons. Ah, si je le menais à bien…quel rêve ! »



Du reste aussi, après coup, renversé à son tour par ce mouton à cinq pattes, ou sans pattes si l'on préfère, le lecteur pourrait avoir envie de faire siennes les paroles du grand Gustave : il faut également être un peu cinglé pour se lancer dans la lecture de ce curieux roman qui résiste toujours sauvagement à se laisser catégoriser et à livrer toutes ses clés !



Un ouvrage très, pour ne pas dire trop touffu, farci pratiquement à chacune de ses pages d'un réseau de références de toutes sortes et dans tous les sens, mais paradoxalement d'une constitution assez chétive en tant que fiction, dégraissé jusqu'à l'os, dépourvu quasiment d'intrigue. Reproduisant invariablement le même scénario, énumératif et cyclique, au risque de paraître à la longue quelque peu rébarbatif. Doté de surcroît d'un narrateur qui ne semble pas très enclin à s'investir dans les nobles charges qui incombent d'habitude à ce dernier, se laissant confondre trop souvent aux personnages eux-mêmes, brillant surtout par son in-signifiance et par son «in-science» à lui!

Mais quel culot, Monsieur Flaubarre...!!



Livré en l'état, inachevé, un an après la disparition de son auteur, accueilli à sa sortie par une immense consternation générale, aussi bien de la part des lecteurs que des critiques, unanimement (exception faite à Maupassant qui était immédiatement venu à la rescousse de son ami dans un article publié dans Le Gaulois du 6 avril 1881), l'esprit de feu l'écrivain, là-haut, devait quant à lui probablement s'amuser des réactions très majoritairement hostiles à son ouvrage posthume, qu'il avait pressenties et dont il se s'était bien prémuni déjà de son vivant!!

N'avait-il pas laissé entendre, entre autres, que son but en l'écrivant était de pouvoir surtout «cracher le dégout qu'inspirait la bêtise de ses contemporains » ?



Assez engageant, donc, sur le plan intellectuel par le nombre faramineux de domaines et de savoirs qu'il convoquera, surtout par touches et avec force ellipses qui n'arrangeront pas les affaires d'un lecteur quelque peu scrupuleux, dérisoire en même temps par le bêtisier digne d'un almanach à gros tirage dans lequel ces derniers finiront systématiquement par se dissoudre, gravement risible en surface et drôlement grave au fond, acerbe critique dénonçant l'arrogance de la pensée positive-scientiste et les travers de la société française à l'époque tumultueuse de la Restauration et des débuts de la Seconde République sous son aspect de pantalonnade aux traits grossis, caricaturaux, Bouvard et Pécuchet ne se laissera pas facilement apprivoiser par un lecteur amusé au départ, puis, au fur et à mesure, de plus en plus interloqué, probablement un peu dépassé, lassé par moment par son caractère répétitif, très impressionné cependant, jusqu'au bout, par le côté surdimensionné, encyclopédique, par ce gigantesque chapiteau savant dressé par Flaubert à la seule fin d'encadrer les tribulations burlesques de ses deux dilettantes clowns chercheurs !

L'on ne peut en réalité qu'être admiratif face à l'appétit cyclopéen dont a dû faire preuve l'écrivain, à sa constance à engraisser des années durant cet ornithorynque boulimique de savoirs et de savoir-faire les plus divers. On peut l'imaginer avançant parfois péniblement, voire à l'aveugle, hésitant, traversant, comme il nous l'apprend à travers sa correspondance, des périodes de grande lassitude et découragement, se demandant si le jeu valait bien la chandelle…

Flaubert aurait en effet consulté quelques 1 500 ouvrages différents en vue de son livre, balayant quasiment tous les domaines et toute la somme disponible de connaissances de son époque, depuis l'alpha de l'«agriculture», jusqu'à l'oméga de la «zoologie», en passant par la chimie, la physiologie, l'astronomie, la géologie, l'archéologie, l'histoire, la littérature, la magie, la religion, la philosophie, la pédagogie, la politique…et on en passe !!



Quant à la précision et à la concision légendaires de son style, il semble y avoir veillé plus que jamais à en écarter tout ornement dispensable, toute fioriture discursive, tout artifice romantico-romanesque, le ramenant pour ainsi dire au rez-de-chaussée de son propos parodique et tranchant!

Peu soucieux par ailleurs de développer plus en détail une déjà au départ assez maigre trame, d'y apporter des éléments supplémentaires de contextualisation des évènements, des situations, des motivations ou de la psychologie à peine esquissée de ses personnages (jamais, en tout cas, au-delà du strictement nécessaire aux enjeux narratifs de chaque épisode), suivant par ailleurs un schéma qui se répétera donc aussi de façon absolument identique de chapitre en chapitre, (intérêt éveillé par un savoir, des idées, un domaine de compétences/ lectures, mise en pratique/ échec, désintérêt ), on peut au bout d'un moment trouver que Flaubert exagère quand-même à insister de la sorte à faire du surplace, à ne rajouter que le minimum au minimum, de l'inachevé à de l'inachevable… Et se dire que tout bien considéré, le livre risque, à l'instar des désastreuses expériences de ses héros, de n'aboutir qu'à tourner et tourner en rond…!!!



Strictement parlant, Bouvard et Pécuchet ressemblerait alors, aux yeux du lecteur et en tant que roman, à ces énormes gâteaux qui s'avèrent remplis d'air une fois qu'on mord dedans! Dit autrement, en matière d'imaginaire fictionnel et de roman au sens propre, l'on risque sérieusement de rester sur sa faim.



«Bouvard et Pécuchet m'emplissent à un tel point que je suis devenu eux, leur bêtise est mienne et j'en crève» ( Correspondance de Flaubert– Lettre à Edma Roger des Genettes)



Bien sûr, nous aussi, s'il y a quelque chose que nous avons bien compris à propos de votre énigmatique roman, c'est que la bêtise de Bouvard et Pécuchet, c'est aussi la nôtre ! Que Bouvard et Pécuchet, c'est nous !



Mais alors, serait-il impossible de l'appréhender autrement, sans se retrouver forcément dans la même position que ces deux personnages en quête d'un auteur, ce jusqu'à se faufiler dans l'esprit de ces derniers, ou dans celle d'un auteur pas prêt non plus à faire des concessions, cherchant avant tout à «cracher sur la bêtise» de ses congénères ? Devant l'échec de la raison théorique et pratique, de l'inutilité de toute démarche cumulative de savoirs? Sans autre distraction possible que celle d'en dresser interminablement le bêtisier !?



Bêtise des bêtises, tout ne serait que bêtises ?!



Ne vaudrait-il mieux pas dans ce cas approcher ici (exceptionnellement) l'auteur plutôt comme un cousin éloigné de Lewis Carroll, ou, pourquoi pas, comme un oncle putatif d'un Franz Kafka encore à venir…?



Quoi ??? Flaubert, le réaliste, en précurseur malgré lui de l'absurde ? Quel contresens, direz-vous!

J'en conviens, oui, dit comme ça, ça a l'air pas mal farfelu...!



Et pourtant, à force de vouloir décortiquer la réalité, que trouve-t-on derrière celle-ci ?

Ce n'est pas là, en définitive , ce que chercherait à faire l'auteur par rapport aux savoirs et à la mentalité de son époque? Mettre à jour une absurde fatuité ?



Et pourtant, du côté de ses créatures aussi, à force de tourner en rond et d'espérer qu'un savoir soit susceptible d'ordonner et donner un sens à la vacuité de leur existence, nos deux naïfs copistes - qu'on pourrait d'ailleurs rajouter au passage à la liste de ces couples légendaires masculins (Quichotte et Pança, Holmes et Watson, Laurel et Hardy, Dupont et Dupont…) renversant par leur seule présence déjà la logique ordinaire des choses- ne ressembleraient-ils d'une certaine manière à cet autre duo célèbre de clowns sur une route quelques décennies plus tard attendant en vain leur maître-(mot)...?



Enfin, en cherchant à fuir la banalité de leur quotidien à Paris dans leur trou enchanté de Chavignolles (ah, toujours la Normandie…), délivrés enfin des contraintes imposées par les besoins matériels de la vie grâce à l'héritage inespéré touché par Bouvard, notre paire d'ingénus ne s’embarque-t-elle dans une sorte d'aventure au pays des merveilles de la connaissance tournant bientôt au cauchemar ?



Personnellement, en tout cas, ce serait bien par un effet de «nonsense», tant sur le fond que par la forme et la construction même du roman, ces dernières sans doute encore trop «bizarres» en 1880, que j'aurai pu éviter la consternation ou un certain ennui qui, tout de même, j'avoue, commençaient plus d'un siècle après à pointer aussi dans mon esprit…



Quoi qu'il en soit, Bouvard et Pécuchet est un roman qui ne pourrait peut-être pas se contenter d'une simple lecture en tant que «satire philosophique» classique. Un drôle de «classique», d'ailleurs, qui, selon les mots très judicieux d'un de ses nombreux commentateurs, serait toujours, encore de nos jours, «en quête de ses lecteurs»!



Bref, pour ce qui me concerne, quand j'ai enfin cessé de chercher à tout prix à comprendre où l'auteur voulait en venir au juste, j'ai commencé à vraiment l'apprécier!



Car si l'oeuf se casse, on ne peut plus du tout le recoller, n'est-ce pas ? Quoi qu'on en fasse, on n'arrivera plus à le faire tenir ensemble à nouveau! Au lieu d'insister en vain, ou de philosopher là-dessus (de préférence en allemand…), ne vaudrait-il mieux pas s'en faire une comptine, et s'amuser ?



Dommage vraiment que Flaubert n'ait pas eu le temps de s'atteler au second volume de leurs aventures. Il paraît que Buvard et Perroquet devraient s'y livrer à coeur joie à cette dernière tâche..!





...

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Le Procès

Attention, cette critique dévoile une partie de la trame de cette histoire, donc si vous voulez lire ce livre sans ne rien connaître de ce récit et tout découvrir par vous-même je vous conseille de ne pas me lire maintenant.



Le procès, de Franz Kafka, raconte l’histoire d’un homme qui se fait un procès à lui-même. Et sans l’aide d’Irvin Yalom, je serais passé à côté de certaines choses et je n’aurais jamais compris l’absurdité de ce qu’il va vivre dans ce roman.



En fait, dans ce livre, il est question de culpabilité existentielle, et toute cette histoire se passe dans sa tête. C’est ce qui explique ce système judiciaire absurde et oppressant auquel il est confronté.



Je tiens à préciser que dans cette critique certains passages ne seront pas de moi, mais d’Irvin Yalom. Des passages tirés de son livre Thérapie existentielle, qui aident à mieux comprendre cette œuvre de Franz Kafka qui peut paraître déroutante. 



Dans son livre, Irvin Yalom nous explique tout d’abord ce qu’est la culpabilité existentielle, à ne pas confondre avec la culpabilité traditionnelle. Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous possédons tous « un ensemble inné de capacités et de potentialités », dont nous avons connaissance, et que lorsqu’on ne les exploite pas, que l’on ne vit pas sa vie pleinement, on éprouve alors un profond sentiment de culpabilité existentielle. Comme le disait Otto Rank : « […] nous nous sentons coupables à cause de la vie non utilisée, de ce que nous portons en nous de non vécu ».



Irvin Yalom écrit : « Personne n’a décrit la culpabilité existentielle de manière aussi frappante et saisissante que Franz Kafka. Le refus de reconnaître et de se confronter à sa culpabilité existentielle constitue un thème récurrent dans l’œuvre de Kafka. Le procès débute par les lignes suivantes : « On avait sûrement calomnié Joseph K…, car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin. » Joseph K. est sommé de se confesser mais clame son innocence. Le roman constitue un récit des efforts entrepris par Joseph K. pour prouver son innocence au tribunal. Il tente d’exploiter tous les recours possibles, mais en vain, puisqu’il n’est pas confronté à un tribunal ordinaire. Comme le lecteur en prend progressivement conscience, il comparaît devant un tribunal interne, instauré à l’intérieur de lui. […]



En fait, cet homme est cité à comparaître devant le tribunal de la culpabilité existentielle et choisit d’éviter cette confrontation en interprétant la culpabilité dans le sens traditionnel. Il clame son innocence. Après tout, il n’a pas commis de crime. « Il doit y avoir une erreur », pense-t-il, et il consacre du temps et de l’énergie à essayer de convaincre les autorités externes qu’il s’agit d’une erreur judiciaire. Mais la culpabilité existentielle n’est pas le produit d’un acte criminel commis par le sujet. C’est même le contraire ! La culpabilité existentielle (quel que soit son nom, « auto-condamnation », « regret », « remords », etc.) naît de l’omission. Joseph K. est coupable de ce qu’il n’a pas fait de sa vie. »



Voilà en gros l’explication de ce que vit Joseph K. dans Le procès selon Irvin Yalom. Il explique même très bien ce qui se passe dans le chapitre Dans la cathédrale, mais je n’en parlerai pas pour ne pas trop spoiler l’histoire (au cas où vous auriez quand-même décidé de lire ma critique avant d’avoir lu le roman).



Dans ce livre, Franz Kafka en profite pour critiquer le système judiciaire et la bureaucratie. Mais quand on a compris que Joseph K. est le seul à vivre cette histoire, qu’il est seul avec lui-même dans sa tête à se débattre contre cette culpabilité existentielle qu’il ne comprend pas, et qu’il est le seul juge dans cette affaire, on comprend encore mieux le côté absurde et déroutant de cette histoire. En sachant cela, on ne lit plus ce roman de la même façon.



Si les explications d’Irvin Yalom peuvent aider certaines personnes à relire Le procès et à l’apprécier, j’en serai ravi. Moi, malgré ces explications, je n’ai pas aimé. Je ne saurais pas vraiment expliquer pourquoi. Cette idée de culpabilité existentielle et de procès intérieur me donnait pourtant énormément envie. C’est avec beaucoup d’attente et d’espoir que j'ai commencé à lire ce livre car je trouvais le sujet très prometteur. Mais malheureusement je n’ai accroché ni à l’histoire ni au personnage principal. J’essaierai de donner une deuxième chance à Franz Kafka en lisant un autre de ses romans, La Métamorphose, mais si celui-là ne me plait pas non plus, je crois que je pourrai dire que cet auteur n’est pas fait pour moi, ou du moins que je ne sais pas l’apprécier.



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