Créées en 1925 les éditions José Corti sont une maison d`édition fondée par José Corti. Elle a publié des auteurs célèbres comme André Breton, Paul Eluard, Aragon ou encore Julien Gracq qui n`aura aucun autre éditeur à part la Pléiade. La librairie et la maison d`édition de José Corti se trouve depuis 1935 au 11 rue de Médicis.

John Muir est écossais. Il émigre aux Etats-Unis, plus précisément dans le Wisconsin, avec sa famille, il a une dizaine d'années. Il fait des études de botanique et exerce de nombreux métiers ce qui lui permet de voyager. C'est un explorateur, un botaniste, un écrivain du XIXe siècle, un humaniste, un écologiste. Il a rencontré, entre autres Ralph Waldo Emerson et Henry David Thoreau, deux autres amoureux de la nature.
"Célébrations de la nature" réunit différents textes publiés dans les journaux américains. Et je me suis plongée dedans avec bonheur. Son style proche de la nature rend vie à un monde qui a malheureusement et pratiquement disparu. "Là je ralentis mon ardeur, car je buvais le vent résiné, épicé, et parce que, sous les branches de cet arbre imposant j'avais le sentiment d'être de retour chez moi sans dommage." John Muir dévoile devant mes yeux ébahis et émerveillés la nature encore sauvage des Etats-Unis. Il témoigne de la géologie des sols, des hivers glaciaires, des montagnes et des vallées, des gorges et des cavités, de la faune et de la flore qui se renouvellent. de la poussières, des cendres, du passé mouvementé de ce grand pays. Les animaux sauvages qui ne connaissent pas encore l'homme et qui ne se méfient pas se laissent approcher. Il a devant les yeux une énorme bibliothèque géologique.
J'ai volé avec le Cingle d'Amérique et écouté sa voix moelleuse, flûtée, j'ai fréquenté l'écureuil de Douglas. J'ai escaladé les montagnes de la Sierra où j'ai rencontré le mouton sauvage. J'ai assisté à d'immenses brasiers rugissants. J'ai fureté dans la forêt géante de la Kaweah.
Même si la nature est résiliente, les outrages des hommes ont détruit une grande partie de ce patrimoine. John Muir voyait déjà la catastrophe climatique. "Malgré tout le gâchis et le saccage incontrôlés ainsi perpétrés, tel un véritable ouragan, depuis plus de deux siècles, il n'est pas trop tard - même s'il est grand temps - pour le gouvernement d'entamer une administration rationnelle des forêts." Il semble ne pas avoir été écouté.
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Au Château d’Argol /Julien Gracq
Albert sur le conseil avisé de son meilleur ami vient d’acheter sans l’avoir jamais visité le petit château d’Argol en Bretagne et tandis qu’il chemine lentement sur le sentier tortueux y menant, il savoure étrangement l’angoisse naturelle du hasard.
Albert est le dernier rejeton d’une famille noble et riche et a vécu toute son enfance entre les murs solitaires d’un manoir de province. Le démon de la connaissance s’est rendu maître depuis longtemps de cet esprit curieux. Figure angélique et méditative faite pour pénétrer les arcanes les plus subtils de la vie, il passe pour dédaigner les femmes et consacre son temps à la recherche philosophique. Hegel est son idole.
Le château se dresse à l’extrémité d’un éperon rocheux et domine une solitude sylvestre tout alentour qui parait à Albert triste et sauvage telle un bois dormant dont la tranquillité absolue étreint son âme. Dès la visite intérieure il remarque que la plus grande partie des salles et les aîtres en général semblent dépourvus de toute destination précise et lui procurent une sensation bizarre de malaise, simplement meublés de cathèdres de chêne. Le sol est jonché de fourrures en abondance d’once et d’ours blanc.
Le chapitre descriptif évoquant le château et son environnement est sublimement écrit par Julien Gracq dont on ne vante plus la qualité et la beauté inégalées du style.
Peu à peu une ambiance de vacances s’installe et Albert se laisse aller au charme de cette demeure étrange tout en se consacrant à la logique hégelienne, la Bretagne lui prodiguant toutefois ses séductions pauvres, ses fleurs humiliées, ses genêts, ses ajoncs, ses bruyères couvrant les landes.
Surviennent deux visiteurs attendus, Herminien son ami le plus cher qui étonne toujours par une singulière aptitude à percer à jour les mobiles les plus troubles de la conduite humaine, et une certaine Heide qui en une seconde peuple tout le château de sa radieuse et absorbante beauté. Albert ignore tout de la nature des rapports entre Herminien et Heide. Et il va aller de surprise en surprise quand Heide s’approche de lui…
« Les solitudes qui environnaient le château se refermèrent vigilantes sur les hôtes dont le séjour parut très vite devoir revêtir une durée indéfinie… »
Confortablement installée Heide « se repaissait avec une inconscience animale de l’air vif et exaltant et de la pureté des eaux vives », avec Albert en point de mire paraissant revêtir une robe de fraîcheur et d’innocence.
La présence d’Albert lui semble s’élargir aux limites extrêmes de son domaine enchanté après que le premier soir sur la terrasse elle lui a donné un baiser dont l’audace la plonge encore dans une parfaite stupéfaction.
Une force irrépressible pousse Heide et Albert l’un vers l’autre, Heide s’abandonnant comme une esclave soumise, « élevant vers lui comme une prière les trésors d’un corps qui lui est entièrement dévoué. » Mais Albert, insensible , méprise un triomphe pour lequel il n’a pas combattu tandis qu’Herminien espionne la belle séductrice suivant de l’œil et de la pensée chacun de ses pas et s’interroge , ignorant la pauvreté extrême des sentiments d’Albert pour Heide, livré qu’il est chaque soir à une imagination destructrice.
L’hallucinante séquence du bain de mer à trois, nus, est révélateur de ce jusqu’où sont capables d’aller dans l’autodestruction les trois personnages.
Puis vinrent les jours de longues pluies bretonnes s’abattant sur Argol frappant d’un lourd désœuvrement les hôtes du château, la parole se faisant rare et peu significative. On s’évitait avec persistance, le malaise planait… Lorsque réapparurent les rayons du soleil ouvrant toute grande la forêt et ses embûches aux trois hôtes d’Argol, Albert solitaire s’enfonça dans les halliers bordant le ruisseau et allongé glissa dans une profonde rêverie avec cependant la sensation indéfinissable et prochaine d’un danger…L’enchantement avait disparu et soudain il crut voir l’impensable au bord du ruisselet. Fantasme ou réalité ?
La mort rôde autour du château et même dans le château et tout trois vont y être confrontés dans un final assez violent, la haine alternant avec l’amour, avec le thème de Parsifal en toile de fond.
Ce roman surréaliste paru en 1938 est le premier du genre et le premier roman de Julien Gracq. Et déjà le style extrêmement travaillé et poétique fait merveille tout au long de ce dédale de situations étranges et surprenantes et préfigure la vague gothique. La violence des sentiments est rarement explicite et le lecteur devra lire entre les lignes de ce qui est suggéré. De longues descriptions en harmonie avec les sentiments des personnages parcourent ce récit au caractère onirique. Pas de dialogue . Sont ici posées les premières pierres qui permettront l’écriture du Rivage des Syrtes dix ans plus tard, le chef d’œuvre de Julien Gracq.
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Le Rivage des Syrtes
Julien Gracq (1910-2007)/Prix Goncourt 1951
Issu d’une des plus vieilles familles aristocratiques de la seigneurie d’Orsenna, une république fictive à une époque indéterminée mais que l’on pourrait situer sur les rives de la Méditerranée (j’y reviendrai en fin de commentaire), Aldo hésite sur son avenir et finalement choisit de partir comme observateur dans une forteresse des provinces du sud érigée sur le rivage des Syrtes. Cette forteresse considérée comme le purgatoire où l’on expie quelque faute de service durant des années d’ennui interminables, surveille la mer des Syrtes qui sépare Orsenna seigneurie assoupie dans une torpeur voisine de l’anéantissement, du Farghestan, pays imaginaire ennemi immémorial, situé sur l’autre rive, avec lequel Orsenna est en conflit depuis trois siècles bien que de fait une paix très précaire soit établie depuis longtemps entre les deux états.
Aldo, le narrateur, découvre alors le quotidien de la forteresse et constate qu’il n’y a rien à observer et que le laisser-aller somnolent de cette garnison pastorale est général. Tout est calme, irrémédiablement calme ! « J’ouvrais ma fenêtre à la nuit salée : tout reposait sur cinquante lieues de rivage, le fanal du môle sur l’eau dormante brûlait aussi inutile qu’une veilleuse oubliée au fond d’une crypte…Cette vie dénudée s’offrait clairement, dans l’évidence de son inutilité même, à quelque chose qui fût enfin digne de la prendre. »
Aldo se lie peu à peu avec le capitaine Marino qui dirige la forteresse. Il a bien remarqué qu’une certaine torpeur règne au sein de la base et sous l’œil sceptique de Marino, vieil officier aguerri et blasé, il tente de réveiller ce petit monde. « J’exaltais cette vie retombée de ma patience ; je me sentais de la race de ces veilleurs chez qui l’attente interminablement déçue alimente à ses sources puissantes la certitude de l’événement….Il ne se passait rien. C’était une tension légère et fiévreuse, l’injonction d’une insensible et pourtant perpétuelle mise en garde…Ah ! le rassurant de l’équilibre, c’est que rien ne bouge. Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle pour faire tout bouger. Rien ne bouge ici et cela depuis trois cents ans… »
Jusqu’au jour où Aldo croit distinguer dans la nuit un bateau longeant la côte en s’éloignant. Le lendemain, une patrouille avec le «Redoutable » commandé par Marino est menée le long des côtes des Syrtes. Sans succès. Mais pour Aldo l’essentiel n’est pas là bien qu’il découvre au cours d’une promenade une anse cachée où se dissimule un bateau arrimé non loin d’une demeure isolée.
Pour Aldo inquiet et nerveux à qui la solitude et l’inertie commencent à peser, l’action va plutôt se situer dans le cadre d’une liaison amoureuse avec Vanessa Aldobrandi, dernière descendante d’une très vieille et riche famille aristocratique d’Orsenna, dont le trisaïeul a trahi la confiance en s’alliant aux Farghiens. Aldo découvre que Marino et Vanessa se connaissent, ce qui crée en lui un certain malaise. L’idée le trouble qu’une suspecte collusion existe entre eux surtout lorsqu’il est convié à une fête à Maremma chez Vanessa qui devant Aldo, séductrice, ne veut surtout pas faire mentir sa réputation de prodigalité somptueuse. C’est alors qu’Aldo découvre que le bateau mystérieux appartient à Vanessa.
Dans un style magnifique, Julien Gracq nous décrit l’ambiance de la fin de soirée chez Vanessa : « La musique s’était tue dans les salons et une rumeur plus lointaine immobilisait les façades de pierres de Maremma. La flèche des sables fermait l’horizon d’une barre noire ; par la passe ouverte, les rouleaux de vagues gonflés par la marée déferlaient en paliers phosphorescents de neiges écumeuses, en degrés démesurés qui semblaient crouler théâtralement par saccades du cœur même de la nuit. Un crissement solennel montait des sables, et, comme la frange du tapis qui déborde d’un escalier de rêve, une nappe aveuglante venait se défroisser à mes pieds mêmes sur les eaux mortes. » On entend le ressac… Quel style !
Dans les jours qui suivent, l’ambiance change au sein de l’Amirauté sous l’action de Fabrizio qui veut rénover la forteresse afin d’occuper les habitants. Il semble soudain que l’ennui ait disparu de l’Amirauté, et en quelques jours la forteresse est débroussaillée, jaillissant alors de ses haillons. Tous ces changements en apparence insignifiants entrainent avec eux un trouble qui va jusqu’à changer le goût même et la saveur de l’air. Aldo pris dans ce tourbillon ne fréquente plus dans sa solitude inexorable la salle des cartes, véritable réceptacle de silence dont le souffle froid et moisi l’avait chaque fois saisi à la gorge comme celui d’un hypogée. C’est comme si la vie était revenue avec le bruit familier des outils et des voix résonnant autour de la forteresse comme une prise de possession de ces ruines. Aldo n’est plus le même.
Rejoignant Vanessa, Aldo découvre le calme des plaines grises qui mènent à Maremma, toujours moites de brume au matin, ressemblant à ces aubes d’été languides qui se trainent comme assommées sous une fin d’orage.
La surprise que lui réserve Vanessa l’enjôleuse, c’est Vezzano, un îlot rocheux qu’il rejoignent en bateau, un havre de sensualité et de mystère où leurs corps vont se rapprocher : « Elle était contre moi, muette, ses seins durs et nus sous sa blouse tendus par la fraicheur comme une voile étarquée…Mes yeux glissèrent vers la naissance de ces seins que soulevait un souffle sans loi… Nous dûmes passer de longues heures dans ce puits d’oubli et de sommeil… tandis que s’anuitait l’île avant le retour des fantômes du soir…, et qu’à l’horizon montait dans le clair de lune le Tängri à la cime énigmatique et omineuse, palpitant irréellement sur la mer effacée… Je trouvais une délectation lugubre dans ces nuits de Maremma, passées parfois tout entière auprès d’elle, qui sombraient par le bout au creux d’un déferlement de lassitude, comme si la perte de ma substance qui me laissait exténué et vide m’eût accordé à la défaite fiévreuse du paysage, à sa soumission et à son accablement. »
Insensiblement et de façon très détournée, Vanessa, qui marche sur les traces de son ancêtre, instille en Aldo l'envie de mener à sa guise les affaires de la Forteresse et de transgresser la frontière maritime qui sépare Orsenna du Farghestan. La fatalité fait son chemin et Aldo cédant à une impulsion irrésistible approche, avec hardiesse et par curiosité, un jour son bateau des côtes ennemies lors d’une mission de reconnaissance de routine avec le Redoutable… En proie au vertige de l’irréversible, Aldo et Fabrizio courent vers l’irréparable. Un inexorable destin fait son chemin… Coups de canons farghiens, une escarmouche telle une vétille qui va avoir des conséquences paradoxales, celle déjà de désennuyer la population d’Orsenna et de la forteresse, qui toutes deux sombraient au fil du temps dans une léthargie séculaire tant et si bien que l’éventualité d’une guerre ou d’une expédition punitive est agitée avec complaisance, se situant encore dans une abstraction incolore et vaguement fantastique, tandis que le cœur réactivé de la ville se remet à battre. On se remémore alors cette maxime de café du commerce : « Il nous faudrait une bonne guerre !)
La déclaration de Danielo antique édile de la ville ne laisse planer aucun doute quant à la suite : « Les temps sont venus, alors il est temps que les trompettes sonnent, que les murs s’écroulent, que les siècles se consomment et que les cavaliers entrent par la brèche… »
Julien Gracq dans ce roman à la gestion dramatique de l’attente remarquable, a su acclimater un style très personnel à son expérience surréaliste. Pour lui, l’essentiel n’est pas ici de raconter une aventure mais de suggérer un univers étrange et un peu mystérieux, hors du temps et de l’histoire. « Dans une sorte de clair obscur maintenu tout au long de ce vaste poème en prose par la magie des images et l’envoûtement d’un style unique, l’auteur maintient un climat de mystère, se suspens permanent, l’attente d’une catastrophe vaguement pressentie mais impossible à situer et à contrôler, comme si l’auteur voulait nous faire éprouver, jusqu’au plus profond de notre être, la condition de l’homme devant le destin. »
Dès le début, sur le fond, j’ai songé au Désert des Tartares de Dino Buzzati, puis au Château de Kafka, deux romans également étranges avec lesquels le livre de Julien Gracq a des ressemblances quant à l’ambiance, excepté pour ce qui concerne le propos, la poétique et le style, lequel est exceptionnellement personnel et sublime.
Quelques remarques géographiques intéressantes pour tenter de situer l’action de ce roman. Hors roman, Syrte est une ville de Libye. La mer des Syrtes au temps des Grecs puis des Romains se situait entre Carthage et Cyrène puis plus généralement et plus tard figura l’ensemble de la Méditerranée. On a pensé que l’auteur situait la cité état d’Orsenna à Venise avec sa lagune et ses eaux dormantes et que le Farghestan représentait l’Empire Ottoman. Donc on le voit, un mélange des lieux et des époques.
Enfin, certains exégètes ont vu dans ce roman une allégorie illustrant le déclin de l’Occident. Chacun se fera son idée.
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