| Laerte le 19 décembre 2017
Voilà, voilà! J'arrive! Pas mal du tout, ce que je viens de lire.
Pour moi, ce mois ci, ce sera donc ça (merci pour votre indulgence) :
Père Noël ? Un boulot de ouf.
24 décembre au matin, c’est la fièvre dans le bureau qui bruit doucement. Parfois, un son plus fort parvient de l’entrepôt voisin. C’est une palette qui a été posée trop vite ou un carton qui est tombé. Puis le bourdonnement sourd reprend. Tout le monde s’agite à qui mieux mieux, surtout le patron.
- Laerte, tu sais où sont mes lunettes ?
- Oui, Monsieur, sur votre nez.
- Ah ! Oui, merci ! Mais cesse de m’appeler Monsieur, j’ai un nom, bon sang !
- Oui, je n’y arrive pas, euh… Monsieur.
- Oui, bon, tu as des nouvelles du cargo chinois ?
- Oui, il est au Havre en cours de déchargement.
- D’accord, tu leur dis de laisser tout ça sur le port, je passerai chercher tout le chargement directement sur place. Comme ça, je commencerai par la Normandie et après, je verrai comment j’enchaîne.
- J’ai eu un appel de Libourne, à propos de la petite Agathe qui voudrait un petit frère.
- Mais, j’ai déjà répondu des milliers de fois à ce sujet. Ce n’est pas possible. D’abord, parce que je risque des ennuis avec les papas, et puis il faut que les mamans soient d’accord. Ça encore, je pense qu’elles ne demanderaient pas mieux.
Il prend un air avantageux en se caressant doucement la barbe, puis il ajoute :
- Mais non, il faut prendre son temps pour ces choses là. Et là, je n’en ai vraiment pas. Donc, tu lui fais mettre de côté une poupée garçon, et hop ! ça ira. Et sinon, au garage, ils ont réparé le patin du traineau ?
Il m’a déjà demandé la même chose quatre fois.
- Mais, oui ! je vous l’ai dit tout à l’heure !
- Oui, bon, dis tout de suite que je perds la boule. Tu verras quand tu auras mon âge !
- Sinon, j’ai aussi reçu un courriel de Saint Nicolas. Il a été débordé le jour de sa fête, et il n’a pas pu faire sa distribution en Alsace. Il demande si vous pouvez, cette année, vous en occuper.
- Ah, non ! C’est pas possible ! Chaque année, c’est la même chose. Il faut sans arrêt venir à son secours. Et puis, il a conscience que les petits Alsaciens sont encore en train d’attendre ? Il a de la chance que je sois gentil et que je sois trop occupé pour l’appeler. Je lui aurais passé un sacré savon au Nicolas, saint ou pas.
- C’est juste pour cette année, qu’il a dit !
- Oui, c’est ça ! Il dit la même chose tous les ans. Cette fois, c’est l’Alsace, l’année dernière, c’était la Saxe. Et l’année prochaine ? La Suède ?
- Oui, mais il n’est pas comme vous avec une équipe pour l’épauler. Il est presque seul pour tout faire.
- Oui, peut-être, mais il a moins de pays à sa charge. Maintenant, j'ai la Chine qui s'y met aussi. Tu te rends compte qu'ils sont plus d'un milliard. Il s'arrête un instant pour réfléchir puis ajoute : - Tu sais, je pense qu’il va falloir faire une réunion avec les autres : Saint Nicolas, la Petite Souris, les Cloches de Pâques, Baba Yaga, Croquemitaine. Enfin, bref ! Tous les mythes enfantins pour redéfinir nos domaines de compétence.
- D’accord, Monsieur, je vais noter de vous en reparler quand on sera plus au calme.
- A part ça, les rennes, comment vont-ils ? Ils ont eu assez de lichen ?
- Oui, il y a eu juste un problème avec Danseuse qui avait un caillou entre ses deux sabots à la patte arrière droite. On l’a soignée et elle va bien.
- Ah, ma Danseuse ! Toujours un peu fragile. Et très douillette, c’est vrai. De toute façon, ils n’ont pas à poser le pied par terre.
Il finit par s’assoir et se pencher sur les cartes routières pour faire son itinéraire. Les routes, il s’en moque, mais il ne peut pas s’empêcher de préparer son itinéraire avec minutie.
Son principal problème, c’est le chargement. Au début, tous ces jouets entassés dans le traineau représentent un poids colossal. Les rennes peinent à chaque démarrage. Cette année, il a décidé de commencer par la Normandie, ce n’est pas le plus pratique, mais le Vieux a de la ressource et de l’expérience.
Soudain, il se redresse.
- Dis donc, tu as répondu à BFMTV ?
- Oui, je leur ai dit que vous n’accordiez aucune interview pour qui que ce soit.
- Ils devraient le savoir depuis le temps que je leur dis. Chaque année, c’est pareil. Quand on approche de la date, ils me relancent.
- Ben, oui, pour eux ce serait le scoop du siècle.
- Tu parles d’un scoop. Ils n’ont pas compris que ce qui compte, c’est ce que pensent les enfants qui croient en moi. Les laisser imaginer, c’est ça qui est important.
Les heures passent à toute vitesse, le ciel s’assombrit.
La nuit tombe.
Il est l’heure de partir. Le traineau est surchargé, les rennes attelés pleins d’énergie piaffent d’impatience. Ils savent bien que c’est leur nuit. Celle qui une fois par an fait qu’on les admire, qu’on les aime plus qu’à n’importe quel moment de l’année.
- Bon allez ! mon gars, on y va !
- Bon voyage, Monsieur !
- Arrête de m’appeler « Monsieur ». Comment je m’appelle ?
- Euh ! Ben… Nestor.
- Eh, bien, tu vois quand tu veux ! Allez salut, à demain !
- Bonne route, Nestor ! Je n'ai jamais compris pourquoi le Père Noël veut qu'on l'appelle Nestor.
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