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    Larissaa le 04 avril 2018
    Vous êtes-vous déjà imaginé(e) être agent secret ? Contacté(e) secrètement par la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure)... Mais si ce n'était pas vous, et si vous découvriez que l'une des personnes les plus proches de vous l'était réellement et vous le cachait depuis longtemps ? Que feriez-vous ?  

    Avec comme thème : "Vous découvrez que votre conjoint(e), ami(e), est agent secret et mène une double vie...", ce défi du mois d'avril 2018 s'annonce ouvert !




    Votre inspiration et interprétation est libre, et la taille de votre texte ne dépend que de vous.
    Pour participer, il vous suffit de publier votre histoire en cliquant sur "publier" avant le 30 avril à minuit.

    Comme chaque mois, un ouvrage est à gagner pour le/la vainqueur !

    Bon courage à toutes et à tous :)

    Laerte le 13 avril 2018
    Il semble que je suis le premier à proposer quelque chose. 

    Roberto Chacal.
    Tout est arrivé à cause de notre chat Roberto Chacal. Pourquoi s’appelle-t-il ainsi ? D’abord, parce qu’il a effectivement l’haleine qui va avec et que d’autre part, dans le pays d’origine de ma femme, tous les chats s’appellent Roberto. C’est historique et remonte au temps de la tentative de colonisation de la Perdurie par les Condoriens. C’est un Perdurien appelé Roberto qui mit en fuite les envahisseurs aidé par une armée de chats. Certains prétendent que c''était des hommes déguisés, mais la croyance demeure la plus forte. En tout cas, là-bas, la coutume perdure à travers les siècles et en l’honneur de ces héros quasi mythologiques, tous les chats sont appelés Roberto.

    Mais revenons à l’histoire plus récente. Tout a commencé il y a quelques mois lorsqu’un homme en noir, au visage buriné est arrivé chez nous dans une grosse voiture. Il était accompagné d’un officier en uniforme qui semblait avoir avalé un manche à balai.
    -          Monsieur Congre, nous avons à vous parler d’une affaire délicate. Votre femme Kira est Perduriène, n’est-ce-pas ?
    -          Oui, enfin, non, elle est française puisque nous sommes mariés et que je suis Français.
    -          Ne jouez pas sur les mots. Elle est née en Perdurie.
    -          Oui, c’est vrai, et alors. Nous sommes en paix avec cet état, je crois savoir.
    -          Là n’est pas la question. Elle fait des travaux de physique dans un domaine stratégique qui nous intéresse.
    Effectivement, Kira est physicienne. De tous temps, les Perduriens ont été réputés pour être des scientifiques, ce qui les amène à faire des recherches dans des domaines  variés. Ainsi, ma femme est spécialisée dans la biométallurgie. C’est une technologie tout à fait nouvelle et innovante qui prétend transformer l’eau salée en métal. Les recherches sont très prometteuses, et il est quasi certain qu’on pourrait transformer les océans en gigantesques mines métallifères. Les retombées seraient fantastiques, car cela aurait comme corollaire de faire baisser le niveau des océans et donnerait des terres supplémentaires pour élever du bétail pré-salé.
    L’homme en noir poursuivit :
    -          Comme ce qu’elle fait est d’une importance stratégique essentielle, nous craignons qu’elle en fasse plutôt bénéficier son pays originel qui est un état insulaire au milieu du Pacifique, vous ne l’avez pas oublié, je pense.
    -          Mais, ce n’est pas le genre de mon épouse qui est une personne loyale et qui est très reconnaissante à la France de l’avoir accueillie avec enthousiasme.
    -          Oui, c’est vous qui l’avez accueillie et nous n’avons qu’entériné votre choix. C’est vrai que c’est un sacré petit lot ; vous ne devez pas vous ennuyer.
    -          Non mais, dites-donc ! je ne vous permets pas de parler de ma femme comme ça.
    -          Bon, passons ! Nous vous avons expliqué que nous ne pouvons pas prendre de risques. Aussi, vous allez être placés sous surveillance, votre femme et vous-même. Vous ne devez absolument pas lui en parler, sous peine de lui faire courir de gros ennuis ainsi qu’à vous. Me fais-je comprendre ?
    -          Mais, enfin, ça n’a aucun sens. Nous n’avons rien à nous reprocher. Je ne vois pas pourquoi vous vous permettez cet espionnage.
    -          Mon petit monsieur, ne prenez pas vos grands airs. Nous faisons ce que nous voulons, que cela vous plaise ou non. Si vous ne coopérez pas, nous saurons nous occuper de vous. Au revoir, mon cher ! Ne vous en faites pas, nous serons discrets.
    Ils partirent sans un mot de plus. L’homme en noir d’abord, suivi par l’officier impavide qui n’avait pas prononcé une parole.
    A partir de ce moment, je me méfiais de tout. Respectueux des instructions reçues, je n’en dis pas un mot à Kira, mais je ne pensais qu’à ça. Quand j’étais dehors, je me retournais fréquemment pour vérifier si on nous suivait. Chez nous, je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’il y avait des micros qui nous écoutaient. Je n’osais plus avoir des moments d’amour avec Kira qui se demandait ce qui se passait. Et quand j’étais dans mon canapé, je regardais autour de moi à la recherche d’éventuels systèmes d’espionnage.
    Heureusement, cet épisode n’eut qu’une durée limitée. Un matin, alors que nous étions encore au lit, un bruit fluté se fit entendre à l’extérieur. Je regardais par la fenêtre et je vis un engin extraordinaire posé devant l’immeuble. Cela avait l’allure d’une fusée trapue, presqu’ovoïde. Il y avait des hublots comme des trous ; on aurait dit un gros ocarina. Une très longue antenne en sortit et s’allongea jusqu’à notre fenêtre. Au bout, il y avait un œil ou quelque chose d’approchant par l’aspect extérieur. Pourtant ce n’était pas que ça, puisqu’une voix caverneuse en sortit :
    -          Vite, habillez-vous et rejoignez le vaisseau immédiatement. Vous avez quatre minutes pour vous exécuter. Au-delà de ce temps, nous risquons tous d’être désintégrés.
    -          Quoi ? Qui êtes-vous ? Il n’est pas question que nous obéissions à vos ordres.
    -          Je répète ! Obéissez immédiatement, sinon, vous serez désintégrés.
    A ce moment, un jet de matière incandescente sortit du vaisseau pour s’évanouir rapidement dans les airs. Si fugitive que fut cette manifestation, une chaleur brulante persista pendant plusieurs secondes envahissant les alentours.
    Je pris le parti d’obéir, je poussais hors du lit Kira, qui était terrorisée et l’obligeais à se préparer rapidement.
    En courant, nous avons rejoint le vaisseau dont une porte s’était ouverte sur le côté. Là, un homme nous accueillit avec le sourire et referma la porte avec un levier comme dans les avions. Je sentis qu’on redécollait immédiatement. Kira était blottie contre moi, dans une recherche de protection illusoire puisque j’étais incapable de faire quoique ce soit pour lui venir en aide.
    L’homme nous regardait avec une mine satisfaite.
    -          Ha, ha ! Et vous pensez vraiment que je vous aurais fait rôtir. Vous les humains, vous êtes véritablement naïfs.
    Que signifiait cette apostrophe « vous les humains » ? Il n’en était pas un, peut-être !
    -          Eh bien ! Vous semblez surpris que je vous appelle « humains ». Sachez, mes bons amis, que vous êtes maintenant sur un vaisseau d’exploration affrété par l’Erret. Nous venons d’une planète située exactement à l’opposé de la vôtre par rapport au soleil et que vous ne pouvez pas voir, même avec vos prétendues fusées modernes. Nous vous surveillons depuis des millénaires et nous faisons en sorte de semer la confusion dans vos esprits.
    Il parut se rengorger devant nos mines surprises.
    -          Oui, ça vous la coupe, hein ? Eh, bien ! Ce n’est pas fini. Vous aimez votre chat, n’est-ce-pas ? Comment l’appelez-vous déjà ? Roberto Chacal, c’est ça ? Comment a-t-il pu supporter ce nom ridicule ! Eh, bien, sachez qu’il est notre agent depuis le premier jour.
    -          Quoi ? Roberto ?
    -          Oui, les chats sur votre planète sont tous nos agents. Depuis l’Egypte ancienne, nous avons fait en sorte qu’ils soient respectés dans vos maisons et vous espionnent. Vous n’avez jamais remarqué comme parfois, ils vous regardent avec insistance. Dans ces cas-là, ils lisent dans vos pensées sans que vous vous en rendiez compte. De plus, ce sont nos compatriotes.
    A ce moment-là, il sembla se dépouiller de son enveloppe humaine comme les extra-terrestres dans « Men in black » et apparut, à sa place, un grand chat noir avec une tache blanche au cou.
    Il nous laissa nous remettre de notre stupéfaction avant de poursuivre à l’intention de ma femme :
    -          Vous, Zika…
    -          « Kira !», respectez au moins les noms de vos invités, ne puis-je m’empêcher de rectifier.
    -          Oui, Kira, vous avez mené des recherches dans un domaine qui a attiré notre attention. Comme chez vous, nous avons des continents et par la même occasion des mers et des océans. Et nous avons aussi besoin de métal. Donc, vos résultats sont importants pour nous.
    Cette fois, Kira prit la parole. Pas du tout impressionnée de parler avec un chat, elle répondit avec détermination, car on abordait un sujet qui lui tenait à cœur et elle n’allait pas se laisser faire.
    -          Je ne suis pas d’accord. Que ce soit sur l’Erret ou la Terre, mes recherches sont destinées à aider les humains terrestres ou d’ailleurs.
    -          Oh ! Chère Kira, nous sommes parfaitement d’accord. Vos recherches seront menées sur l’Erret mais serviront à améliorer le sort des Terriens. Nous sommes conscients que nos deux planètes sont complémentaires.
    -          Dans ce cas, je veux bien vous aider. Mais j’ai besoin de garanties.
    -          Pas de problème ! Regardez qui voilà.
    A ce moment entra Roberto. Il vint se frotter contre les jambes de Kira, puis contre les miennes, avant de prendre la parole. Je fus à peine surpris d’entendre sa voix comme si je m’attendais depuis toujours à ce qu’il me parle.
    -          Je suis content de vous retrouver. Vous avez toujours pris soin de moi, et je vous en suis reconnaissant. Je veillerai sur vous tant que vous serez sur l’Erret.
    Le grand chat noir intervint :
    -          Ce sera pour très longtemps, je vous préviens.
    C’est ainsi qu’après quelques mises au point, nous fumes acheminés sur Erret qui se révéla une planète très agréable. La pollution y est très maîtrisée et le climat très stable. Un gigantesque laboratoire a été mis à la disposition de Kira qui, ravie, s’est mise au travail avec enthousiasme. De mon côté, on m’a donné une tâche à la hauteur de mes qualifications, c’est-à-dire que j’aide ma femme en lui passant les appareils dont elle a besoin, je passe la serpillière, etc.. Du moment que je suis aux côtés de Kira, je suis heureux.
    Laerte le 13 avril 2018
    Je veux juste signaler que la taille des textes est limitée. J'ai dû modifier le mien plusieurs fois jusqu'à ce qu'on en ait la fin. Une fin tronquée malgré tout. 
    J'avais déjà connu cette mésaventure avec le défi du mois de décembre 2017 (le Père Noël existe).

    Donc, pour ceux qui déposent des textes, vérifiez avant de publier.
    A bientôt.
    Nico8 le 15 avril 2018
    Bonjour, je voulais juste rebondir sur le petit signalement de Laerte. Effectivement j'ai moi aussi constaté lors du défi précédent que la longueur des textes était limitée.
    Bravo Laerte pour votre texte. Moi je ne trouve pas encore l'inspiration mais je suis sûr que ça viendra.
    Pinceau le 19 avril 2018

    Bonjour à tous


    Peu de textes pour l'instant


    Bonne continuation à tous :)  


    La colombe émotive et le paon irrésistible
    Ou le miroir aux alouettes


    Au fil de toutes ces années si proches
    La colombe connaît le paon
    Encore mieux que sa poche
    Autant celle-ci est toujours vide
    Autant le paon toujours plein
    De fleurs gracieuses dans les yeux
    Autant leur passion n'a pas pris une ride
    Toujours animée par un inaltérable feu voluptueux

    Avec son charme insensé
    Le paon est un séducteur dans l'âme
    Et dès leur première rencontre
    Ses extravagances l'avaient immédiatement conquise

    Et pourtant
    Loin d'être un secret de polichinelle
    Le paon a un petit côté volage
    Mais elle avec son petit coup dans l'aile
    S'en balance comme de sa première dentelle

    Toute la basse-cour accorde
    Son violon à l'unisson
    Pour lui clamer en chœur
    « T'es bête comme une oie ! »

    Famille et congénères indiscrets
    Lui rabattent continuellement les oreilles
    « Ce paon n'est pas pour toi 
    Il te prend pour un pigeon ! »

    Imagine un monde ou chacun
    S'occupe seulement de ses affaires
    Comme il serait tellement plus paisible

    « Tu es le dindon de la farce ! »

    Parfois juste pour amuser la galerie
    La colombe fait mine de prendre la mouche
    Et les envoie paître dans les orties
    « Non, mais sans blague, de quoi je mêle ? »

    Lorsqu'au chant du coq
    Le paon rentre éméché
    Empestant la cocotte

    Ou lorsqu'elle arrive radieuse
    Et le découvre fanfaronnant dans le salon
    Dansant la salsa comme un pingouin
    Avec quelques poules et pintades à moitié déplumées

    Et puis ces incessants coups de fil
    A point d'heure
    De sa soi-disant secrétaire

    Sans parler de ses présumés séminaires
    A travers le monde

    La colombe un peu tête de linotte
    Et assez tête de mule
    Mais pas si bécasse
    Se gausse en silence du manège du paon

    Au delà des rumeurs et des apparences
    La colombe poursuit sereinement
    Son petit bout de chemin
    Loin de se soucier de toutes ces frivolités

    Tandis que tout le gotha minaudant
    Se focalisent sur les frasques et l'attitude du paon
    Offrant ainsi à la colombe entière latitude
    Pour cultiver son petit jardin secret
    En se berçant du chant des cygnes

    Insensible aux caquetages et autres jacassements
    Des dindes, pies, canards et corbeaux
    Aux sifflements nébuleux des flamants roses
    Et aux roucoulements sournois des vautours
    Personne ne peut soupçonner
    La nature harmonieuse de leurs sentiments

    Tel un tendre coquelicot
    La colombe passe partout incognito
    Perchée sur son vélo
    Avec son panier de poireaux
    Mais nul zigoto
    N'a jamais même eu l'idée cabot
    D'y jeter ne serait-ce qu'un œil indigo

    Et pourtant
    Quand le chat n'est pas là
    Les souris dansent et se gondolent
    Les yeux fermés

    Dès qu'elle a le champ libre
    Angélique la colombe en profite pour tailler la route
    A bord de sa vieille caisse cabossée
    En écoutant Billie Holiday
    Se rendant allègrement dans l'ombre
    Sur les lieux de ses nombreuses missions

    Aux yeux de la galaxie
    La colombe passe pour la reine des pommes
    Une poule mouillée quelconque et sans envergure
    Mais tout le troupeau est à 10000 lieux
    De découvrir le pot-aux-roses

    Seul témoin de ses gestes clandestins
    Son unique confident
    Muet comme une carpe
    Son journal intime
    A qui elle déballe son cœur
    Sans timidité ni tabou
    Lui retraçant de sa plus belle écriture
    Les détails croustillants
    Et plus encore selon son humeur
    De ses trépidantes péripéties
    Les vertes et les pas mûres
    Les planques sapée et grimée en grue
    En bouffant de la vache enragée
    Sous les réverbères vaporeux
    Les plans rocambolesques et foireux
    Les plumes et les bastos perdues
    Les tonneaux dans les ravins

    Tiens c'est drôle
    Dès l'instant où j'écris ces mots
    Je pressens l’imminence de la fin
    Pas toi ?

    « Non, mais dites-moi que je rêve !
    Rien ne vous a mis la puce à l'oreille ? »
    Demande au paon médusé
    Un poulet sceptique et grassouillet
    Aux yeux de merlan frit

    Entre chatoyant chien et loup
    Sautant du coq à l'âne
    Claquent brutalement
    Les portes de l'ambulance
    Où gît le corps inerte de la colombe
    Tandis que le show continue

    Résonne encore en moi
    En me filant la chair de poule
    L'écho percutant et lancinant
    De la tonitruante sirène

    Annickiefer le 20 avril 2018
    TON PERE VEUT ME TUER


    - Ton père veut me tuer. La voix de ma mère est dure comme une terre sèche dont la poussière est soulevée par des bourrasques de colère, particules que je me prends en pleine figure depuis quelque temps. Je plisse alors les yeux, ne reconnais plus, au travers de mes larmes, la maman si douce, parfois drôle, qui taquinait son homme gentiment pour dissimuler ses frustrations. Lorsqu’il partait durant des jours et qu’il lui offrait, pour pardonner son absence, une poupée en habits folkloriques de la région où son travail l’avait conduit, elle lui disait, l’air moqueur, qu’elle aurait bien aimé qu’il lui ramène celle en dessous érotiques avec laquelle il jouait chaque soir. C’est une boutade, se défendait-elle sous nos regards intrigués, ma sœur et moi ne sachant pas si c’était du lard ou vraiment du cochon. Je rougissais d’imaginer mon père avec une autre femme. Honteuse, je fuyais le regard gêné de mon père qui regagnait, dès que possible, le refuge de son atelier, un sourire crispé sur son visage. Maman riait, mais quand l’ambiance était pesante après ses remarques, elle se justifiait en reprenant l’adage : qui aime bien châtie bien.
    - Il a voulu me pousser dans l’escalier ce matin ! Il veut ma mort !

    Maman parle pour elle-même, assise à la table de la cuisine. Debout face à la fenêtre, je lui tourne le dos et observe mon père en train de butter les pommes de terre dans son potager quadrillé comme une page de cahier. Tout à sa place, droit de la graine jusqu’au ciel. Papa a tracé son jardin comme sa vie : sans virages irréfléchis ni marches malheureuses. La vie sur les bons rails, comme il le rappelait lors des repas de famille, ce qui amusait l’assemblée, laquelle ne manquait jamais de faire le parallèle avec son métier.

    Papa conduisait des trains. Il prenait son poste aux aurores, souvent en pleine nuit, et passait souvent plusieurs jours sans rentrer, sans même donner de nouvelles. Il a une femme dans toutes les gares, se plaignait parfois maman, pour enchaîner d’un ton mutin face à mon inquiétude, « gare à ton père, je m’en vais lui botter son arrière-train, moi ! ». Elle agitait l’index sous mon nez retroussé en feignant le courroux et nous éclations toutes deux de rire, les mains enfarinées et le cœur léger. Du moins le mien. Car je surprenais souvent le regard préoccupé de maman lorsqu’elle se croyait seule, ses parenthèses de sourire qui, sur son visage clos, faisaient deux traits d’exclamation. Ma mère était-elle malheureuse ? L’enfant que j’étais alors évacuait ce soupçon pour participer librement aux jeux de l’existence. L’adulte que je suis aujourd’hui admet que c’était pour l’enfant une question de survie. Après tout, ma mère avait choisi cet homme discret et effacé qui se consacrait avant tout à son travail. Il n’en ramenait que des silences, et ces souvenirs en plastique rose bonbon qui encombrent les étagères, la poussière prisonnière de leurs plis amidonnés depuis que maman délaisse son intérieur. Jadis fée du logis, cette dernière traîne désormais dans ses habits de nuit à longueur de journée, ses cheveux hirsutes dissimulant son masque de sorcière. La mine sombre, le regard fixe lorsqu’il n’est pas tourné vers elle-même, elle se pose à sa table et, de sa main tavelée, repousse des miettes imaginaires sur la toile cirée.

    - Tu crois le connaître, mais ton père n’est pas celui que tu crois.

    Excédée par son insistance, je me retourne vivement et, parce que j’ai mal à chaque fois que mon père est attaqué, demande d’un ton hargneux ce qu’elle insinue encore. Les joues tombantes dans un pli amer, les cernes comme des coussins pour ses yeux décolorés, l’âge agrippé à la peau comme contre une paroi de stuc raviné, elle poursuit d’une voix monocorde :
    - Non, ton père n’est pas celui que tu crois. Ton père ment comme il respire.
    Ce que j’éprouve alors monte de mes tripes, me saisit à la gorge. Je sens la rage au bout de chaque doigt, l’envie de la saisir et de l’étriper, de la prendre au col de sa robe de chambre ornée de médailles de sauce tomate ou de moutarde qui me monte au nez. De la secouer, la secouer jusqu’à ce qu’en tombent les fruits acides de ses rancunes. Depuis le temps que ça dure ! Depuis le temps que cette femme, insidieusement, a pris la place de ma maman, de l’épouse ! Depuis le temps ! Je n’en peux plus ! Papa n’en peut plus ! Les allusions graveleuses, les critiques acerbes, les reproches incessants lui sont constamment renvoyés, comme s’il s’agissait pour elle de régler ses comptes avec ses propres renoncements. Elle m’avait dit un jour qu’elle ne regrettait rien, qu’elle aimait mon père et cela malgré ses absences et son caractère taciturne. C’est vrai, papa ne sait pas partager ses ressentis, ne s’appesantit jamais sur ses états d’âme, n’aligne trois mots que pour contester une facture ou parler de la pluie ou du beau temps avec les voisins. Mais elle l’avait choisi, lui, le simple mécanicien, le petit employé de la SNCF qui, grâce aux cours du soir, put enfin réaliser son rêve : conduire des trains.
    - J’vois pas en quoi papa aurait menti, ai-je enfin répondu en suivant à nouveau les gestes méticuleux de mon père, penché au-dessus de ses plants de tomates comme un nuage. Il a travaillé à la SNCF toute sa vie, il a mérité une retraite tranquille et toi, toi, tu lui empoisonnes la vie !
    J’ai susurré ces derniers mots. Malgré le mal qu’elle nous fait, maman ne les mérite pas : elle est malade, ce n’est plus elle qui parle ! C’est ce mal larvé, rampant qui s’est insinué dans son esprit et qui dévore chaque once de matière grise.
    - Ton père est un agent… - De la SNCF, je sais ! l’ai-je interrompue, le ton véhément.
    Le rire aigre de ma mère monte comme venu d’une grotte.
    - Que tu crois !
    Maman a soulevé sa masse branlante, les poings posés sur la table. Je l’entends qui approche, sens déjà son haleine de médicaments dilués dans l’alcool, ou inversement. Une pulsion me plaque contre la porte-fenêtre, j’en tourne la clé pour m’enfuir. Mais elle est déjà sur moi, parle dans ma nuque, et ce qu’elle me confie, au comble de sa folie, met un point final à mes doutes : cette femme a perdu la tête, à me parler d’agent secret, à prétendre que papa travaillait pour la Nation, et que, sous chaque jupe rêche de danseuses locales, se cachaient des microfilms ou des messages secrets.
    - Tu ne me crois pas ? C’est pour ça qu’il a voulu me pousser dans les escaliers, ce matin. Il sait que je sais !
    Je refuse d’en entendre davantage, me précipite dans le jardin. Papa ne lève pas la tête, continue consciencieusement son travail de désherbage au pied des tomates. Je me tiens plantée à ses côtés, raide comme un tuteur, à calmer en moi la tempête, cette lame de fond du passé revenue à la surface, sur laquelle je surfe depuis des mois sans apprendre l’équilibre.
    - Comment tu la trouves aujourd’hui ? demande-t-il enfin. - Comme d’hab : dans ses délires. Voilà qu’elle prétend que tu as voulu la tuer.
    Mon père me jette un regard incrédule :
    - La tuer ? - Ouais, dans l’escalier ce matin. - Ah ! Ça !
    Il n’en dit pas davantage. À sa voix, se confirment les poussées paranoïaques de maman, qui interprète une présence comme étant nuisible ou une aide forcément perverse.
    - Elle a eu un malaise, je l’ai rattrapée, c’est tout ! reprend mon père tout en jetant les mauvaises herbes dans un seau. - Elle dit aussi que tu as été un agent secret, dis-je en exagérant mon rire. Jusqu’où ça va ! - Oui ! C’est terrible, cette maladie ! conclut mon père en se levant. J’ai le temps de voir son visage contrarié avant qu’il ne s’éloigne vers le cabanon.
    Étrangement, les propos ubuesques de ma mère ne l’ont pas étonné. Il prend cela comme une absurdité de plus dans son monde qui vacille. Mais quand même ! Un sentiment de gêne, de doute, s’insinue en moi tandis que je retourne dans la maison. Maman a repris sa place en bout de table, le dos voûté et le regard absent, preuve qu’elle est vacante à elle-même pour un long moment. Je vais dans le salon. Le long du mur, les étagères où s’alignent les poupées dans leurs dentelles durcies et leurs couleurs comme un drapeau, sont blanches de poussière. Prise par je ne sais quelle frénésie, me voilà à les soulever une à une, à les retourner comme un sablier dans l’espoir de connaître les dessous de l’histoire. Je connais mon père. Je sais sa réaction lorsque la vérité frôle sa pudeur. Je pense qu’il est facile de tout mettre sur le dos de la maladie. Cela n’a pas de sens ! Je deviens folle moi aussi.
    - Tu es toujours de son côté, hein ?
    Adossée au chambranle de la porte de la cuisine, ma mère me gratifie de son air soupçonneux. Elle lève son regard chassieux vers l‘horloge accrochée au linteau de la cheminée et écarquille les yeux :
    - C’est presque l’heure ! Son chef va bientôt appeler. - Qui ça ? - Le chef de la DG je ne sais pas quoi. Il téléphone tous les jours, et ton père accourt comme un chien. Il me croit trop folle pour comprendre ce qu’il dit, mais moi, je l’entends : il dit oui, non, pas aujourd’hui, je vais réfléchir, comme s’il avait peur. Depuis qu’il est à la retraite, ton père est une poule mouillée. - Arrête !
    Ma mère ne tient pas compte de mon ordre et, agitée comme en mode essorage, se rapproche de moi, la bouche grande ouverte sur des dents encombrées de reliquats de nourriture.
    - Son chef le relance pour qu’il reparte en mission, j’en suis sûre, ou bien, c’est pour savoir s’il s’est enfin débarrassé de sa bonne femme. Je suis sûre qu’il complote quelque chose ! - Comment peux-tu dire des choses pareilles ?
    Ma rage m’aveugle. J’en oublie que je subis les délires d’une malade mentale. Je la frôle pour quitter le salon quand retentit, dans le corridor, la sonnerie du téléphone. Ma mère arbore une mimique satisfaite, met un index sur la bouche pour m’incite
    Annickiefer le 20 avril 2018
    TON PERE VEUT ME TUER


    - Ton père veut me tuer. La voix de ma mère est dure comme une terre sèche dont la poussière est soulevée par des bourrasques de colère, particules que je me prends en pleine figure depuis quelque temps. Je plisse alors les yeux, ne reconnais plus, au travers de mes larmes, la maman si douce, parfois drôle, qui taquinait son homme gentiment pour dissimuler ses frustrations. Lorsqu’il partait durant des jours et qu’il lui offrait, pour pardonner son absence, une poupée en habits folkloriques de la région où son travail l’avait conduit, elle lui disait, l’air moqueur, qu’elle aurait bien aimé qu’il lui ramène celle en dessous érotiques avec laquelle il jouait chaque soir. C’est une boutade, se défendait-elle sous nos regards intrigués, ma sœur et moi ne sachant pas si c’était du lard ou vraiment du cochon. Je rougissais d’imaginer mon père avec une autre femme. Honteuse, je fuyais le regard gêné de mon père qui regagnait, dès que possible, le refuge de son atelier, un sourire crispé sur son visage. Maman riait, mais quand l’ambiance était pesante après ses remarques, elle se justifiait en reprenant l’adage : qui aime bien châtie bien.
    - Il a voulu me pousser dans l’escalier ce matin ! Il veut ma mort !

    Maman parle pour elle-même, assise à la table de la cuisine. Debout face à la fenêtre, je lui tourne le dos et observe mon père en train de butter les pommes de terre dans son potager quadrillé comme une page de cahier. Tout à sa place, droit de la graine jusqu’au ciel. Papa a tracé son jardin comme sa vie : sans virages irréfléchis ni marches malheureuses. La vie sur les bons rails, comme il le rappelait lors des repas de famille, ce qui amusait l’assemblée, laquelle ne manquait jamais de faire le parallèle avec son métier.

    Papa conduisait des trains. Il prenait son poste aux aurores, souvent en pleine nuit, et passait souvent plusieurs jours sans rentrer, sans même donner de nouvelles. Il a une femme dans toutes les gares, se plaignait parfois maman, pour enchaîner d’un ton mutin face à mon inquiétude, « gare à ton père, je m’en vais lui botter son arrière-train, moi ! ». Elle agitait l’index sous mon nez retroussé en feignant le courroux et nous éclations toutes deux de rire, les mains enfarinées et le cœur léger. Du moins le mien. Car je surprenais souvent le regard préoccupé de maman lorsqu’elle se croyait seule, ses parenthèses de sourire qui, sur son visage clos, faisaient deux traits d’exclamation. Ma mère était-elle malheureuse ? L’enfant que j’étais alors évacuait ce soupçon pour participer librement aux jeux de l’existence. L’adulte que je suis aujourd’hui admet que c’était pour l’enfant une question de survie. Après tout, ma mère avait choisi cet homme discret et effacé qui se consacrait avant tout à son travail. Il n’en ramenait que des silences, et ces souvenirs en plastique rose bonbon qui encombrent les étagères, la poussière prisonnière de leurs plis amidonnés depuis que maman délaisse son intérieur. Jadis fée du logis, cette dernière traîne désormais dans ses habits de nuit à longueur de journée, ses cheveux hirsutes dissimulant son masque de sorcière. La mine sombre, le regard fixe lorsqu’il n’est pas tourné vers elle-même, elle se pose à sa table et, de sa main tavelée, repousse des miettes imaginaires sur la toile cirée.

    - Tu crois le connaître, mais ton père n’est pas celui que tu crois.

    Excédée par son insistance, je me retourne vivement et, parce que j’ai mal à chaque fois que mon père est attaqué, demande d’un ton hargneux ce qu’elle insinue encore. Les joues tombantes dans un pli amer, les cernes comme des coussins pour ses yeux décolorés, l’âge agrippé à la peau comme contre une paroi de stuc raviné, elle poursuit d’une voix monocorde :
    - Non, ton père n’est pas celui que tu crois. Ton père ment comme il respire.
    Ce que j’éprouve alors monte de mes tripes, me saisit à la gorge. Je sens la rage au bout de chaque doigt, l’envie de la saisir et de l’étriper, de la prendre au col de sa robe de chambre ornée de médailles de sauce tomate ou de moutarde qui me monte au nez. De la secouer, la secouer jusqu’à ce qu’en tombent les fruits acides de ses rancunes. Depuis le temps que ça dure ! Depuis le temps que cette femme, insidieusement, a pris la place de ma maman, de l’épouse ! Depuis le temps ! Je n’en peux plus ! Papa n’en peut plus ! Les allusions graveleuses, les critiques acerbes, les reproches incessants lui sont constamment renvoyés, comme s’il s’agissait pour elle de régler ses comptes avec ses propres renoncements. Elle m’avait dit un jour qu’elle ne regrettait rien, qu’elle aimait mon père et cela malgré ses absences et son caractère taciturne. C’est vrai, papa ne sait pas partager ses ressentis, ne s’appesantit jamais sur ses états d’âme, n’aligne trois mots que pour contester une facture ou parler de la pluie ou du beau temps avec les voisins. Mais elle l’avait choisi, lui, le simple mécanicien, le petit employé de la SNCF qui, grâce aux cours du soir, put enfin réaliser son rêve : conduire des trains.
    - J’vois pas en quoi papa aurait menti, ai-je enfin répondu en suivant à nouveau les gestes méticuleux de mon père, penché au-dessus de ses plants de tomates comme un nuage. Il a travaillé à la SNCF toute sa vie, il a mérité une retraite tranquille et toi, toi, tu lui empoisonnes la vie !
    J’ai susurré ces derniers mots. Malgré le mal qu’elle nous fait, maman ne les mérite pas : elle est malade, ce n’est plus elle qui parle ! C’est ce mal larvé, rampant qui s’est insinué dans son esprit et qui dévore chaque once de matière grise.
    - Ton père est un agent… - De la SNCF, je sais ! l’ai-je interrompue, le ton véhément.
    Le rire aigre de ma mère monte comme venu d’une grotte.
    - Que tu crois !
    Maman a soulevé sa masse branlante, les poings posés sur la table. Je l’entends qui approche, sens déjà son haleine de médicaments dilués dans l’alcool, ou inversement. Une pulsion me plaque contre la porte-fenêtre, j’en tourne la clé pour m’enfuir. Mais elle est déjà sur moi, parle dans ma nuque, et ce qu’elle me confie, au comble de sa folie, met un point final à mes doutes : cette femme a perdu la tête, à me parler d’agent secret, à prétendre que papa travaillait pour la Nation, et que, sous chaque jupe rêche de danseuses locales, se cachaient des microfilms ou des messages secrets.
    - Tu ne me crois pas ? C’est pour ça qu’il a voulu me pousser dans les escaliers, ce matin. Il sait que je sais !
    Je refuse d’en entendre davantage, me précipite dans le jardin. Papa ne lève pas la tête, continue consciencieusement son travail de désherbage au pied des tomates. Je me tiens plantée à ses côtés, raide comme un tuteur, à calmer en moi la tempête, cette lame de fond du passé revenue à la surface, sur laquelle je surfe depuis des mois sans apprendre l’équilibre.
    - Comment tu la trouves aujourd’hui ? demande-t-il enfin. - Comme d’hab : dans ses délires. Voilà qu’elle prétend que tu as voulu la tuer.
    Mon père me jette un regard incrédule :
    - La tuer ? - Ouais, dans l’escalier ce matin. - Ah ! Ça !
    Il n’en dit pas davantage. À sa voix, se confirment les poussées paranoïaques de maman, qui interprète une présence comme étant nuisible ou une aide forcément perverse.
    - Elle a eu un malaise, je l’ai rattrapée, c’est tout ! reprend mon père tout en jetant les mauvaises herbes dans un seau. - Elle dit aussi que tu as été un agent secret, dis-je en exagérant mon rire. Jusqu’où ça va ! - Oui ! C’est terrible, cette maladie ! conclut mon père en se levant. J’ai le temps de voir son visage contrarié avant qu’il ne s’éloigne vers le cabanon.
    Étrangement, les propos ubuesques de ma mère ne l’ont pas étonné. Il prend cela comme une absurdité de plus dans son monde qui vacille. Mais quand même ! Un sentiment de gêne, de doute, s’insinue en moi tandis que je retourne dans la maison. Maman a repris sa place en bout de table, le dos voûté et le regard absent, preuve qu’elle est vacante à elle-même pour un long moment. Je vais dans le salon. Le long du mur, les étagères où s’alignent les poupées dans leurs dentelles durcies et leurs couleurs comme un drapeau, sont blanches de poussière. Prise par je ne sais quelle frénésie, me voilà à les soulever une à une, à les retourner comme un sablier dans l’espoir de connaître les dessous de l’histoire. Je connais mon père. Je sais sa réaction lorsque la vérité frôle sa pudeur. Je pense qu’il est facile de tout mettre sur le dos de la maladie. Cela n’a pas de sens ! Je deviens folle moi aussi.
    - Tu es toujours de son côté, hein ?
    Adossée au chambranle de la porte de la cuisine, ma mère me gratifie de son air soupçonneux. Elle lève son regard chassieux vers l‘horloge accrochée au linteau de la cheminée et écarquille les yeux :
    - C’est presque l’heure ! Son chef va bientôt appeler. - Qui ça ? - Le chef de la DG je ne sais pas quoi. Il téléphone tous les jours, et ton père accourt comme un chien. Il me croit trop folle pour comprendre ce qu’il dit, mais moi, je l’entends : il dit oui, non, pas aujourd’hui, je vais réfléchir, comme s’il avait peur. Depuis qu’il est à la retraite, ton père est une poule mouillée. - Arrête !
    Ma mère ne tient pas compte de mon ordre et, agitée comme en mode essorage, se rapproche de moi, la bouche grande ouverte sur des dents encombrées de reliquats de nourriture.
    - Son chef le relance pour qu’il reparte en mission, j’en suis sûre, ou bien, c’est pour savoir s’il s’est enfin débarrassé de sa bonne femme. Je suis sûre qu’il complote quelque chose ! - Comment peux-tu dire des choses pareilles ?
    Ma rage m’aveugle. J’en oublie que je subis les délires d’une malade mentale. Je la frôle pour quitter le salon quand retentit, dans le corridor, la sonnerie du téléphone. Ma mère arbore une mimique satisfaite, met un index sur la bouche pour m’incite
    Annickiefer le 20 avril 2018
    Désolée, ma nouvelle est trop longue ou partie trop vite : voilà la suite et fin :



    Ma rage m’aveugle. J’en oublie que je subis les délires d’une malade mentale. Je la frôle pour quitter le salon quand retentit, dans le corridor, la sonnerie du téléphone. Ma mère arbore une mimique satisfaite, met un index sur la bouche pour m’inciter à me taire et à écouter. Je hausse dédaigneusement les épaules et me précipite vers le combiné. Mais mon père m’a devancée.
    Une main maculée de terre devant la bouche, il susurre en me jetant un regard par en dessous pour signifier que ma présence le dérange. J’entends les petits pas de maman glisser sur le carrelage dans mon dos. Elle murmure :
    - Tu vois, je te l’avais dit ! Ton père trame quelque chose. Écoute…
    L’une comme l’autre dressons l’oreille. La paranoïa de maman m’a contaminée. Comme à son habitude, mon père se contente d’écouter lui aussi son interlocuteur. La conversation me paraît interminable. Enfin, il acquiesce :
    - Bon, d’accord… Aujourd’hui… Bon… Je fais le nécessaire. À tout à l’heure.
    Mon père raccroche. Il va directement dans leur chambre à coucher. J’entends la porte de l’armoire qui grince.
    - Va voir, va voir ce qu’il complote, me répète maman, les traits décomposés.
    Je pose une main rassurante sur son épaule, puis me rends dans la chambre. J’avise une valise au sol. Mon père, dissimulé derrière le battant ouvert, y jette pêle-mêle des vêtements.
    - Tu t’en vas ?
    Ma voix est un filet pris à la gorge d’une petite fille. Je me rappelle ses départs répétés, son uniforme de la SNCF soigneusement plié au-dessus de chemises blanches, de pantalons sombres, l’odeur de son après-rasage dont il me collait quelques gouttes derrière l’oreille en riant. Je me rappelle mon chagrin récurrent, lorsqu’il nous quittait, sans regrets, me semblait-il alors.
    - Non ! C’est ta mère qui va partir !
    Je reconnais alors dans la valise sa chemise de nuit fleurie, le pull rouge qu’elle affectionne tant, sur ses culottes larges comme des étendards. Papa referme la porte de l’armoire. Il s’approche de moi, s’empare de mes mains et, m’incitant à le regarder, me confie :
    - La Direction Générale des Hôpitaux vient d’appeler. Il y a enfin une place pour ta mère dans un EHPAD qui possède une unité Alzheimer.
    Mon père a les larmes aux yeux, et cela me fend le cœur. Je m’accroche à son cou pour ne plus voir ses larmes couler et recueillir un peu de sa peine :
    - Je n’en pouvais plus. Alors, j’ai fini par faire la demande. Il y avait déjà une place, mais je m’étais rétracté. Je m’en veux, tu sais. Une ambulance vient la chercher tout à l’heure. Ne dis rien à ta mère. Mieux vaut garder le secret.
    Nico8 le 21 avril 2018
    Terrassé. Je suis terrassé. Ce matin, avant de partir, ma femme m'a annoncé qu'elle était "agent secret". Rien que ça ! Agent secret, et pourquoi pas reine d'Angleterre ? Je ne l'ai pas cru, mais elle m'a montré des preuves irrévocables. Je n'en reviens toujours pas. Ma femme, celle avec qui je partage mon existence depuis plus de trente ans, est une espionne de haute importance. Mais comment est-ce possible ? Comment ne m'en suis pas aperçu plus tôt ? Mon Dieu ! Et moi qui croyais qu'elle était fleuriste ! Je suis un gros nul, voilà tout.
    Le pire c'est qu'elle m'a dit ça en vitesse, sur le pas de la porte. Et comme preuve elle a sorti de sa veste une carte officielle, comme ça, d'un geste. Puis elle est partie. Et moi je suis là, sonné, complètement sonné.
    Nous nous étions un peu disputés, je lui reprochais de se la couler douce, de se laisser vivre un peu trop. Elle me parlait toujours de ses fleurs, me disait qu'elle les admirait à longueur de journée. Moi, ça m'énervait un peu qu'elle passe ses journées à rien faire et qu'elle ramène un meilleur salaire que le mien alors que je ne chôme pas. Je me disais "mais c'est pas vrai, comment on peut gagner autant d'argent avec des fleurs ? En plus elle n'a presque pas de clients" je comprends mieux maintenant. Je lui ai fait des reproches, nous nous sommes énervés, et elle a craqué. Elle a craché le morceau. Elle m'a révélé la vérité : qu'elle n'était pas fleuriste mais agent secret. Le choc que ça m'a fait ! Elle ne va pas s'en tirer comme ça, je l'attends de pied ferme. Habituellement elle rentre vers 18 heures. Il est très exactement 18h09, elle ne devrait plus tarder.
    18h17, la voilà qui arrive. Je trépigne.
    - Je n'ai pas pu aller travailler, tu m'as terrassé avec ce que tu m'as dit ce matin.
    - Encore des reproches, décidemment tu ne changeras jamais. Tu pourrais au moins me laisser le temps d'enlever mon manteau avant de m'agresser.
    - Oh mais allez-y je vous en prie madame. C'est vrai qu'il ne faut pas vous brusquer, vous faites partie des hautes sphères !
    - Pfff, n'importe quoi !
    - Ben c'est vrai vous n'êtes pas n'importe qui, madame est agent secret.
    - Je n'aurais pas dû te le dire mais tu m'as poussé à bout.
    - Ah ! Madame voulait encore me cacher la chose, c'est du joli !
    - Oui, et normalement tu n'aurais jamais dû savoir quel était mon vrai métier. J'ai commis une énorme faute en te le révélant. Je n'en avais pas le droit.
    - Non mais oh ! ça va là ! Je suis ton mari, ça fait des années qu'on vit ensemble.
    - Je ne vois pas ce que ça change. Il m'est interdit de divulguer cette information à qui que ce soit, mari ou pas.
    Elle s'en va dans la cuisine, visiblement très énervée. je l'entends qui s'empare de la bouteille d'eau posée sur la table et la repose brutalement. Elle a dû boire au goulot, ça ne lui arrive presque jamais. Elle reviens et me pointe du doigt.
    - Maintenant que tu sais, j'espère que tu ne diras rien à personne. C'est très important, tu comprends ?
    - Non, je suis trop bête pour comprendre.
    Elle agite la tête, toujours très énervée. Je reprends la parole.
    - Bien sûr que je comprends, ça coule de source.
    - Ne fais pas de gaffe, ça pourrait me coûter cher.
    - J'ai compris, je te dis.
    Elle semble se détendre légèrement. Moi aussi il faut que je me calme, que j'apaise la situation. Je sais pas comment elle va le prendre mais j'aimerais en savoir plus maintenant. Je suis assez curieux, je le reconnais, c'est un vilain défaut qui m'accompagne depuis longtemps et je n'arrive pas à m'en défaire. Comme on dit : on ne se change pas.
    - Je suis désolé de t'avoir mal parlé.
    Voilà, je prépare le terrain, je m'excuse avant de lui poser des questions.
    - On oublie. Je peux comprendre que ce que tu as appris t'ai choqué. C'est normal.
    - Je suis content qu'on reparte sur de bonnes bases.
    - Moi aussi.
    - Maintenant qu'on a fait la paix et que je suis au courant de ton vrai travail, on peut en parler ?
    - Et tu veux que je te dise quoi ?
    - Je sais pas moi, tu pourrais me dire qui tu as dans le viseur en ce moment par exemple.
    Elle se met à rire, c'est plutôt bon signe.
    - Bon ok, mais ne t'y habitues pas hein !
    - Promis !
    - En ce moment je surveille une femme, c'est une folle de première catégorie.
    Je rigole à mon tour.
    - Ah oui ? Qu'est-ce qu'elle a cette femme ?
    - En fait elle est présidente d'une association totalement clandestine, inscrite nulle part, mais qui attire certains adeptes et ça nous inquiète un peu.
    - Ah...
    - L'association s'appelle "Les insoumis".
    - Une partisane de Mélenchon !
    Elle rit de bon cœur.
    - Non rien à voir avec Mélenchon très cher.
    - Ah pourtant on aurait pu le penser.
    - Oui mais aujourd'hui il y a plein de gens qui se disent insoumis. Eux ils sont insoumis parce qu'ils s'opposent à certaines normes.
    - Oui ben c'est pas bien méchant.
    - Ne crois pas, ils sont très bizarres, même complètement fêlés. Ils estiment que les gens ne devraient pas sortir de chez eux trop souvent autrement ils faudrait qu'ils laissent leur logement à un SDF et prendre sa place, qu'ils devraient manger à des heures raisonnables, pas après 13 heures et ne pas se coucher après 23 heures. Ils sont contre les sorties nocturnes car notre place la nuit, selon eux, est dans un lit.
    Comment se fait-il que je n'ai jamais entendu parler de cette association ? Les quelques principes que ma femme viens d'évoquer avec moquerie me plaisent bien à moi.
    - Mais encore ?
    - Ben c'est déjà pas mal mais puisque tu en redemandes, ils voudraient instaurer une fête des roses et des rosiers.
    - Et alors ? C'est une bonne idée.
    - Oui enfin c'est surtout ridicule et inutile. Ensuite ils sont pour l'interdiction de l'apprentissage de l'Anglais dans les écoles. Même les collèges et lycées.
    - Ils ont raison.
    Elle lève les yeux au ciel.
    - Ils veulent aussi interdire aux gens d'aller à plage les jours de grande chaleur.
    - Excuse moi mais là encore ils ont cent fois raison, il faut être idiot pour se rendre à la plage quand il y fait des températures excessives et un soleil de plomb.
    - Ah la la mon pauvre tu vieillis mal. Qu'est-ce que ça sera quand tu auras 80 ans ?
    Je préfère ne pas répondre, je ne voudrais pas que nous nous disputions de nouveau.
    - Bon et ils disent quoi d'autre tes insoumis ?
    - Que le monde est fou, que les gens sont fous, etc...
    - Oui ben ça ma cocotte c'est vrai et ça fait belle lurette qu'on peut s'en rendre compte. Franchement vous n'avez personne d'autre à surveiller ? Je n'imaginais pas que les agents secrets surveillaient des personnes de ce genre. Pourquoi ne pas se renseigner sur la recette du gâteau au chocolat de la voisine dans ce cas au moins nous pourrons refaire le même à la maison.
    - Si on nous demande de nous renseigner sur eux c'est qu'il y a une raison. Reconnais quand même qu'ils sont pas clairs et si leur organisation prend de l'ampleur il risque d'y avoir des débordements, certains sont border line.
    - Pour tout te dire j'aimerais bien faire connaissance avec ces gens.
    - C'est pas vrai ! Ma parole, tu es malade !
    - Ben quoi ? Je la trouve intéressante cette association j'y peux rien.
    - Mais tu veut te venger en fait, c'est ça ?
    - Pas du tout, tu comprends rien.
    - Si si je comprends même trop bien. Tu es jaloux alors tu veux foutre le bordel dans ma vie professionnelle. Je vais avoir des problèmes si on apprend que mon mari fait partie d'un groupuscule suspect.
    - Mais absolument pas, je suis juste intéressé par ces insoumis dont je n'avais pas entendu parler. Et je ne vois pas ce que cette association peut avoir de suspect, leurs idées sont plutôt à prendre en grande considération.
    - Tu es fou !
    - Non je suis un insoumis !
    Et voici que je me mets à danser en craint à tue tête "insoumis ! insoumis !" sous le regard désespéré de ma femme.
    scooby le 26 avril 2018

    Qui es-tu?
    Je me réveille un matin
    Je ne sais plus qui tu es
    Un simple citadin
    Ou un agent secret

    Toutes ces années de confiance
    Sans aucune méfiance
    Tu avais tes secrets
    Je l'acceptais avec respect

    Mais loin de m'imaginer
    Que tu avais une double vie
    Même si tu faisais preuve de fidélité
    Je me sens vraiment trahie
    Larissaa le 03 mai 2018
    Le mois d'avril est terminé, et c'est maintenant l'heure des résultats.

    Comme d'habitude, il est difficile de trancher tant les textes sont différents, se complètent, et s'égalent, mais nous devons choisir un gagnant. 

    Pour le thème "vous découvrez que votre conjoint(e), ami(e), est agent secret et mène une double vie...", nous avons choisi la nouvelle de Annickiefer qui propose un texte littéraire dramatique et émouvant. Félicitations pour cette jolie plume ! Annickiefer, vous pouvez envoyer vos coordonnées ainsi que vos goûts de lecture et auteurs préférés à lara@babelio.com. Vous recevrez ensuite un livre original choisi dans notre bibliothèque :).        
    Pour les autres participants, comme chaque mois, nous attribuons des Oscars.

    Pour ce mois-ci, l'Oscar du texte le plus original est attribué à... Laerte !

    L'Oscar du texte qui correspond bien au thème et qui explique comment régir face à la vérité est attribué à... Nico8 !    


    Une fois encore, un immense merci pour toutes vos participations et vos textes plus savoureux les uns que les autres. Ces textes, vous aimez les écrire mais nous aimons aussi les lire.
    Merci à tous les fidèles et pour les nouveaux, laissez-vous guider par votre plume et votre imagination... 


    --


    Pour le nouveau défi du mois de mai, nous vous proposons un thème autour du voyage puisque le festival international du livre et du film Étonnants Voyageurs aura lieu du 19 au 21 mai prochains !

    Le sujet est : "Vous vous réveillez sur une île déserte"

    Les amateurs de Lost, ou encore de Pirates des Caraïbes, ce thème est fait pour vous ! Il est évidemment aussi réalisé pour ceux qui apprécient plus particulièrement Shutter Island, par exemple...





    Participez au défi du mois de mai 2018 :

    https://www.babelio.com/groupes/21/Le-Cafe-Litteraire/forums/21/Discussion-generale/17159/Defi-decriture-du-mois-de-mai-2018
    Laerte le 09 mai 2018
    Après quelques jours d'absence, je viens remercier le jury pour la distinction dont il m'honore.

    Et bravo à Annick que j'avais devinée comme future lauréate avec son texte très émouvant et si bien construit.

    Et bravo et merci aux autres participants.

    A la prochaine sur un île déserte.
    Venez nombreux, elle en sera moins déserte, et du coup on risque alors le hors sujet.
    Pinceau le 10 mai 2018

    Bravo aux gagnants et aux peu de participants!


    Je rejoins Laerte pour inviter de nombreux écrivains en herbe à rejoindre cette île


    Car ce jeu d'écriture prend l'air des rescapés d'un naufrage...


    Bonne inspiration à tous

    Nico8 le 10 mai 2018
    BRAVO à Annickiefer et à tous les participants. Effectivement nous n'étions pas nombreux ce mois-ci mais je suis sûr que l'île déserte séduira de nombreux lecteurs !

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