| Sflagg le 09 décembre 2018
Salut !
Petit texte sans véritable fin, mais j'avoue quand le débutant je ne savais pas vraiment où j'allais et qu'en route je n'ai toujours pas trouvé de réponse, donc au final je ne suis pas arrivé bien loin.
La jeune femme aux marrons chauds :
En ce quatorzième jour du mois de février 1925, jour où débute l'histoire qui nous intéresse, la neige tombe sans interruption depuis le milieu de la nuit et la température ne dépasse pas les –5 °C. Il est à peu près dix heures du matin et cela fait déjà deux heures que Catharina Wozdylasky se trouve à son poste, sur une petite place de Paris, à vendre ses marrons chauds. Elle est frigorifiée, mais au fond, elle ne se plaint pas. Elle, elle peut toujours réchauffer ses mains au-dessus de son poêle. Pas comme le vieux Lucien qui, de l'autre côté de la place, vend des journaux. De plus, étant originaire de la Pologne elle avait déjà eu à supporter des températures beaucoup plus basses. Quoique, en cherchant bien, cela ne fût pas souvent et il y avait très longtemps, lorsqu'elle était encore qu'une toute petite fille, avant qu'elle et toute sa famille n'immigrent pour la France. Alors, comprenez bien qu'aujourd'hui, âgée de vingt ans, dans des vêtements mités et trop légers pour la saison, cela lui paraisse encore plus loin.
Une petite brise se lève alors, la faisant frissonner, et elle se pense intérieurement :
"Tien ! il manquait plus que le vent pour que cette matinée soit vraiment pourrie. Si je ne m'attrape pas un bon rhume d'ici ce soir j'aurais vraiment beaucoup de chance. Et tout ça pour quoi, ma fille ? Pour rien, pour dix sous, quinze maximum, une misère quoi ! Qu'est-ce que je fiche là, franchement ? J'aurais mieux fait de rester au lit, j'y aurais été mieux qu'à me les geler sur ce trottoir.
— Allons ! Allons ! Ne désespère pas, ça pourrait être pire, regarde ce pauvre M. Lucien, il n'a pas de poêle lui pour réchauffer ces vieilles articulations. Tu penses un peu aux douleurs qu'il doit ressentir le soir en se couchant. Ça se voit que tu ne sais pas ce que c'est toi que d'avoir des rhumatismes. Et bien moi, je peux te dire que c'est beaucoup plus gênant qu'un petit rhume de rien du tout. Alors, arrête de te plaindre et affronte le froid la tête haute ! Et si tu n'es pas capable de le faire pour toi, fais-le au moins par respect pour lui et son grand âge, ça sera déjà mieux que de ronchonner dans ta barbe. Penses-y ! Ça ne peut pas te faire tant de mal que ça, au contraire tu en sortiras même plus grandie."
La petite voix qui lui répond, c'est la voix qui lui parle depuis aussi longtemps qu'elle puisse s'en souvenir. Une petite voix qui avait d'abord était celle qu'elle donnait à son doudou. Une vieille chaussette noire de papa, en fait, que maman avait bourrée de tissus et à laquelle elle avait cousu d'autres bouts de tissus et des morceaux de laine pour lui faire le nez, les yeux, la bouche et surtout les cheveux. De longs cheveux blonds, de très longs cheveux blonds, car c'était une fille son doudou. Une poupée qu'elle avait surnommée Zonia de son accent zézayant de petite fille. Une poupée qu'elle avait eue pour ses deux ans et qu'elle avait emmenée lorsqu'à six ans ils avaient quitté la Pologne.
Zonia avait toujours été là pour protéger Catharina de ses peurs d'enfant. Elle éloignait les monstres qui se cachaient sous son lit, la consolait lorsqu'elle était triste, lui tenait compagnie quand elle était malade et faisait bien d'autres choses encore. Même le jour du grand voyage elle avait été là, la rassurant, l'encourageant, et tout cela, bien sûr, en lui parlant de cette fameuse voix. Une voix de fille de dessin animé, dirions-nous aujourd'hui, une voix à la Maya l'abeille par exemple, ou, plus simplement, comme il l'aurait dit à l'époque, une voix un peu niée et enfantine. En clair une voix qui rassurait les enfants et surtout qui avait rassuré Catharina pendant cette partie de la vie où l'on se sent si indépendant, si fragile, si petit, et où l'on trouve tout ce qui nous entoure si inquiétant, si dangereux, si grand.
Depuis, sa poupée avait disparu. Son père avait décidé un jour, alors qu'elle avait dans les neuf ans, que sa vieille poupée toute gangrenée devait rejoindre le Père-Lachaise des doudous. Il n'avait jamais été très délicat. Elle avait beau avoir pleuré toutes les larmes qu'elle contenait et crié aussi fort que sa petite voix aiguë le lui permettait : "Que sa petite Zonia n'était pas morte et que s'ils l'enterraient et bé que elle, elle irait s'enterrer aussi et que après il faudrait pas venir la pleurer, car ce serait bien fait pour eux." Peine perdue, sa chère Zonia, son inoubliable Zonia, sa seule amie Zonia partit tout de même pour le grand Père-Lachaise des doudous, ce qui signifie tout simplement qu'elle finît à la décharge municipale. Et ainsi disparut la propriétaire originelle de la voix.
La voix, elle, par contre, ne disparut pas, continuant de la guider, muant avec l'adolescence en une voix plus mûre et dont le discours aussi se transformait. Elle devenait plus pertinente, plus perfide, plus troublante au fur et à mesure qu'elle se rapprochait de sa maturité.
Catharina en est arrivée là de ses réflexions sur cette voix qui a gardé le nom de Zonia et qui au fond ne la dérange pas tant que ça. "Je te suis bien utile en fait et au fond tu m'aimes bien n'est-ce pas ?" Dis d'ailleurs cette dernière comme pour répondre à la dernière pensée de Catharina. Lorsqu'une troisième voix vint s'insinuer dans leur conversation y mettant par delà même fin :
"Bonjour Mlle Catharina ! On rêvasse ? Je vous tirerais bien mon chapeau d'y arriver par un tel froid, mais j'aurais trop peur que mes oreilles ne se transforment en glaçon instantanément. L'homme qui vient de parler partit d'un rire franc, riant à sa propre plaisanterie. C'est le brigadier Dubourdeil, le gendarme assigné à la surveillance du quartier, son premier habitué de la journée. Ce qui veut dire qu'il est à peu près dix heures et quart, elle le sait, car c'est l'heure où il passe tous les jours pour lui acheter une portion de marrons, histoire de se réchauffer et de mieux faire passer sa ronde.
— Bonjour brigadier ! Je remarque que si cette froidure ne m’empêche pas de me perdre dans mes pensées, il n’a pas non plus encore réussi à geler votre sens de l’humour.
Tout en répondant au représentant de l’ordre, elle attrape une page d’un des journaux de la veille que lui vend au quart de son prix le vieux Lucien. Elle roule ensuite la feuille de chou en cône et la remplit d’une portion de marrons chauds à peine un peu plus grosse que celle qu’elle donne à ses autres clients. Mais n’allez pas croire que c’est par peur de l’uniforme, non ! Bien au contraire même, car, quoiqu’elle n’ose se l’avouer, elle a un petit faible pour le jeune policier toujours souriant. Souriant, et pour cause, vu que lui aussi a le béguin pour la jeune femme, ce qui justement le met en joie chaque fois qu’il la voit. Hélas pour eux, d’ici quelques minutes, cette idylle, même pas encore naissante, se verra tuée dans l’œuf, avorté à tout jamais. Mais ça ne sera que dans quelques minutes, pour le moment l’espoir subsiste encore.
Elle tend le cornet de marrons au brigadier qui, en échange, lui donne un sou. Ce dernier, sans même enlever ses gants pour ne pas se geler les doigts à cause du froid ni se les brûler à cause de la chaleur des marrons, se met en suivant à en décortiquer un et le manger.
C’est à ce moment-là qu’arrive le troisième personnage de cette histoire, mais aussi le second des habitués de Catharina : le charbonnier Luigi Bonenni, qui n’est pas qu’un client, mais aussi son fournisseur de charbon, car il faut bien du charbon pour faire cuire les marrons. Luigi est un vieil italien, arrivé en France alors qu’il était encore jeune, et qui, malgré le temps écoulé, a toujours son accent d’origine. Ce qui plait énormément à Catherina qui, elle, a perdu le sien assez vite après sa propre arrivée dans le pays.
Les salutations de politesse même pas entamées, elle est déjà en train d’enrouler une nouvelle page de journal en cône et de la fourrer d’une portion (normale, ce coup-ci) de marrons chauds, qu’elle tend à l’homme qui lui ne la paye pas en échange. Il retirera la somme du prix du charbon qu’il est venu lui livrer. Ils se sont arrangés ainsi quand elle est devenue sa cliente au début de l’hiver. Lorsqu’elle a repris la place de sa mère, à présent trop âgée pour pouvoir continuer.
— Bonjour les amoureux, ça roucoule ?
Lance alors Luigi d’un ton moqueur. Ce qui fait aussitôt rougir les deux interpelés qui ne peuvent s’empêcher de s’en défendre.
— Mais non ! Bredouille l’un.
— Même pas vraie ! Ajoute la seconde. "
C’est à ce moment précis qu’aurait dû débuter leur histoire, bien aidé par le charbonnier. Sauf qu’au lieu de ça, c‘est toute autre chose qui commence. Une chose qui va changer leur vie à tous et pour toujours. Une chose qui va, hélas, empêcher que leur amour voie le jour. Une chose incroyable, inimaginable, extraordinaire et j’en passe. Une chose que je ne saurais même pas comment vous l’expliquer, vous la décrire, vous en parler. Ce qui tombe bien, vu que de vous en conter le début m’a donné envie de marrons chauds et que si je veux pouvoir en manger, il va falloir que je me dépêche de descendre aller en acheter au vendeur du coin de la rue avant qu’il ne ferme. C’est pour ça aussi que je suis obligé de mettre un terme à ce récit qui pourtant partait si bien. Dommage !...
S. Flagg, Decembre 2018.
Bonne lecture et bonne chance à tous !!
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