 | CaptainNahamEricka le 22 août 2019
15 jours que l'Airbus A 380 m'a lâché sur l'île de La Réunion. 15 jours et, je plane encore. Réveillé ou encore endormis ? Qu'importe ! Je ne suis pas vraiment sûr d'avoir atterri. Alors, si c'est un rêve, ma foi, soyez sympa et... Fermez-la !
Ne me réveillez pas.
Paris m'avait volé mon sommeil, sans rien m'offrir en échange. Mais, je lui ai bien dit, les yeux dans les yeux, de ce que j'en pensais : "Paris, ville de merde, tu pues ! Je t'aime mais, je te quitte !"
Paname, je sais, pourtant, qu'un matin, tu viendras en douce, me réclamer ton tribut. Et, j'entends d'ici ton appel implacable. Tu mentiras en me promettant des merveilles, tout ce que peut nous offrir le monde moderne, des solutions à tous mes problèmes, la pointe de l'art, le mouvement pur. Et, je te croirai. Et, je renoncerai à tout, pour toi, abandonnant dans l'instant la plus belle des perles de l'Océan Indien. Pour toujours addicte à l'oxygène délétère de ta surface capitale.
Pour l'instant, sur cette île, je dors et je bois. Je rêve que je dors. Et, je bois, en rêvant, dans un cercle parfait d'abandon éternel. Oui, je suis le Roi !
Mariette, débitrice de son état, me sert en ne buvant, elle, que mes paroles. Pendant que je tente sans succès de ne pas me noyer dans ses yeux, étoiles océanes, cascades de lumière. Qu'elle déverse, l'air de rien, directement de son sourire vers mon cœur, pas prêt pour ça. Mais, qui le serait ? Pour l'instant, je tiens le cap, diluant son amour sous des litres de cette bière âcre qu'elle me tire sans trop rechigner.
Régulièrement, elle insiste pourtant, me prévient :
- Un jour, mes cousins, mes frères, et tout ce qu'ils comptent comme connaissances dans l'Ovalie, viendront, sans chichis, se saisir de tes poignets, de tes chevilles. Et, ce jours là, il sera trop tard pour m'appeler "ma chérie" !
Puis, dans un sourire vertigineux, me promet la soupe aux requins, si je persiste encore longtemps à hésiter pour l'épouser.
- Putain, le mariage, ils font encore ça, ici ? - C'est pas la mer à boire, me dit Denis, son frère cadet. - J'avoue, qu'on se pende ici, qu'on se pende ailleurs... Comme disait Brassens ! - Hé ! C'est de ma sœurette dont tu causes, con d'ivrogne métropolitain !
J'adore ce gars. Le compagnon parfait pour mes descentes liquides. Il se fout de tout mais n'autoriserait personne à l'exprimer à sa place, surtout en public. Persuadé que ses deux mètres d'épaules suffisent à rendre ses propos indiscutables, il éclate pourtant d'un rire violent et communicatif lorsqu'il me découvre incapable de m'effrayer de ses menaces.
- Crétin de parisien, tu sais pas ce que tu perds. C'est une perle, Mariette ! - Et moi, un poulpe à l'encre impénétrable. - C'est l'air vicié de ta capitale qui l'a tout dissout, ton petit os de seiche ! - Gros malin, commande-nous donc une tournée de rhum gingembre, et tu verras c'que tu verras. Conjurons, mon ami, conjurons !
Alors, on boit. Ce ne sont pas vraiment des vacances, plutôt une fuite. Mais, la puissance du décors, la température et, ce je ne sais quoi, la course des planètes, font que ça ressemble à l'endroit parfait pour ne plus jamais dé-saouler. Alors, on boit et on re-boit. Offrant godets aux compagnons de zinc, sans trop vérifier les pedigrees. Avec cette impression rassurante d'avoir la terre entière pour amis de croisière.
Pourtant, hier, j'ai essuyé un sévère refus. Un rugbyman, qui se fait appeler Reno, m'a bien envoyé chier, alors que je lui tendais le pichet pour remplir son verre. Bravant le torticolis, j'ai croisé le regard du géant, une seconde à peine. C'était pas très chaleureux. Ça sentait le fait divers, le cadavre dans les poubelles ou, au mieux, le baume du tigre sur os brisés.
- C'est quoi, son soucis, au Reno ? T'as une idée de ce que je lui ai fait, Denis ? - Il est amoureux de Mariette, depuis la maternelle. C'est plus clair pour toi ? - Who ! La lose. Elle ne le calcule pas d'un pet. Dis, niveau violence, on est comment ? Force 5 ? - 10 - Bien… Bien, bien, bien… Et, tu me conseilles quoi, pour finir mon séjour en un seul morceau ? - Épouse-la ! - Super conseil… T'es bourré ou quoi ? - Quoi ? - T'es con !
Le matin, qui arrive souvent aux alentour de 15h, je vais retrouver Mariette, pour me glisser auprès d'elle, pendant sa sieste . Elle accepte, ravie de laisser mon corps se frotter contre sa peau sombre. Sacrifie son repos à nos étreintes. Et, sous ses lèvres violettes, le bonheur n'est plus ce fantôme irréel qui me pousse, le jour, vers l'abîme.
- Mariette, tu sais... Je… - Chut ! Pas maintenant. Caresse-moi, doucement. - Là ? - Oui, là, comme ça… À cet endroit, c'est vraiment… Hummm ! Vraiment trop bon !
Pour l'entendre ronronner dans mes oreilles, je ferai n'importe quoi. Je ne sais pas de quoi sont faites ses cordes vocales, mais c'est du domaine de la toxicologie. Interdit à la vente. Fermez les labos ou, on est bon pour l'émeute générale ! À chacun de ses gémissements, elle déploie, dans de tendres volutes aériennes et complices, l'empreinte de toute son intimité. Et je reçois cette onde, bandé comme un âne. Elle vient se plaquer sur mon tympan, remonte, pour validation, vers mon crâne halluciné, pour finir par irradier chacunes de mes cellules. Tout devient clair, brillant, encore plus chaud... Et pas mal humide.
C'est toujours à ce moment-là que sa mère l'appelle. Prescience, instinct maternel, diplôme de Mme CasseKouye de première, que sais-je ? Même au téléphone, la Monique, elle en impose.
- Me dit pas que tu es encore avec ce petit blanc ? Tu sais ce qu'il te veut ? Tu veux que je te le dise, ce qu'il te veut ? - Maman, arrête, s'il te plait. C'est pas du tout ce que tu imagines. - Ce que j'imagine ...? Je vais te dire, ce que j'imagine ; c'est qu'il est beaucoup trop près de toi, avec vraiment pas assez de vêtements pour être honnête. Voilà, ce que j'imagine !
Prescience, c'est ça ! Avec, quand même, une bonne dose de délire. Cette femme me hait sans me connaître. Elle ne m'a jamais vu. Pour elle, nous sommes tous pareils. C'est un peu agaçant. Des comme moi, y'en a qu'un. Et, c'est moi !
En plus, la vieille peau ne lâche jamais l'affaire, tant qu'elle n'a pas largué son dernier missile Scud :
- Et, savais-tu que ton cousin François l'a vu avec une autre. Ah ! Il ne te dit pas tout, le petit français ! - Nous aussi, sommes français, Maman. Et notre intimité ne te regarde d'aucune manière. Bisous !
Touché-coulé !
Je lui avait déjà fait un survol de mes problème de libido, à Mariette. Ils ont commencé depuis que j'ai mis un pied sur cette île ; je suis en feu. Qu'est-ce que j'y peux ? Ici, la réalité est augmentée naturellement ! Et, tout le reste suit. Alors, oui, si je croise Mélissa, y'a moyen que ça finisse dans la catégorie "amateur vérifié" d'un site spécialisé. J'aurais envie de dire que c'est elle qui a commencé mais, mes souvenirs sont flous. De toutes façons, on se croise pas tant que ça.
Bon, ça serait quand même cool que j'arrête mes conneries. Déjà, me mettre à la place de Mariette ; comment je le prendrais, si je la trouvais à genou, devant un autre, tentant de calmer le feu d'un baobab par quelques coups de langue bien placés ? J'ai beau admirer son puissant désir de sauver l'humanité, cette abnégation à vouloir régler les problèmes de toutes et tous, là, ça piquerait un peu ma jalousie à vif, j'avoue.
- Je ne te reproche rien, dit-elle. Simplement, ne m'oublie pas trop longtemps !
Après, je ne sais plus. Je me réveille encore saoul de la veille, sous un palétuvier, les pieds dans l'eau. Et, il fait toujours beau. C'est à cette heure que Mariette me manque. À cette heure que je me remets en quête de sa présence. Parfois, c'est assez compliqué. Les locaux, perfides, m’envoient vers la montagne, alors que, le « Milles fleurs de houblon », le bar où elle officie, avec, au premier étage, la chambre où elle vit, sont tout près de la plage.
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