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    mailys_babelio le 04 novembre 2019
    “Il est possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, mais il est encore impossible de vivre sans oubli.” Friedrich Nietzsche



    Ce mois ci, nous vous proposons un thème un peu plus abstrait et riche en interprétations : l’oubli. La forme et le genre sont libres, laissez vous porter par le thème.

    Comme d’habitude, vous avez jusqu’au 30 novembre minuit, pour nous soumettre votre texte en répondant ci-dessous. Le gagnant remportera un livre. J’ai hâte de vous lire !
    patricelucquiaud le 05 novembre 2019
    Dans ma boîte à oublis...

    Je me présente : Jonathan Tethanlerre,
    Réparateur d'oublis, ex mécanicien horloger à Sayleurre capitale du Sukremoaltan.
    Eh oui, je me suis reconverti à cause de l'abandon de toutes pendules et montres à affichage analogique, par tous les quidams ayant adopté depuis des lustres la lecture digitale de l'heure numérique sur leur inséparable smartphone ( Et pourtant, la digitale quoi de plus toxique !)
    C'est ainsi, il faut composer avec son temps, savoir rester dans les clous des modes et tendances en vogue, suivre le progrès pas à pas, voilà la raison de ma reconversion. J'ai donc saisi les opportunités du moment et, parmi celles-ci, cette disposition à l'oubli propre aux bipèdes de mon espèce...
    L'oubli, braves gens, mais c'est la grande maladie du siècle ! On oublie très facilement et même il arrive que l'on oublie de savoir ce que l'on a oublié, c'est vous dire l'étendue du désastre !... Et quand on s'est rendu compte que l'on a oublié, vite il faut réparer cet oubli et c'est là, que j'interviens comme pro...
    Avant de vous dire comment j'exerce mon métier et comment je m'y prends pour réparer un oubli il faut déjà dresser la liste des oublis ; vous dire qu'elle est longue serait un euphémisme ; les oublis sont légions !...
    Tout s'oublie : ses lunettes, son stylo, ses clés d'appartement souvent accrochées à celles de la voiture, son portefeuille, ses bagages, son pantalon de pyjama, son slip ou sa petite culotte là où il ne vaudrait mieux pas les laisser, mais, pire encore, son chien ou sa belle-mère sur une aire de repos d'autoroute... Il en est même qui parviennent à oublier leurs soucis, c'est vous dire avec quelle bonne volonté ils oublient … voilà qui est phénoménale !...
    Le plus fréquent des oublis, et là, ce n'est pas de la mauvaise foi, mais non !... c'est l'anniversaire de sa bien-aimée... (on se demande à quel point...) bah oui , … ah ! au début, les premières années – les toutes premières alors – on ne manque pas de fêter l'anniversaire de sa chérie mais, le temps passant, le souvenir s'émousse et on oublie la date, fatalement...
    Dans un autre registre, et ça commence à l'école, c'est l'oubli des consignes, fussent-elles simples, l'enfant, rêveur par nature, oublie vite ce qui vient de lui être dit ou recommandé. Ces oublis sont sources de nombreuses fautes d'orthographe ou d'erreurs de calcul... Il arrive que ce sont les outils d'apprentissage : livre, cahier, trousse ,que l'élève distrait oublie de mettre dans son cartable, le matin avant de partir à l'école... Vous imaginez bien les conséquences qui en résultent... conséquences qui, plus tard, étant devenu adulte, seront bien plus désastreuses si l'on oublie les consignes dans le cadre de son travail ou de sa mission.
    Au-delà de ces déconvenues regrettables, il y a tous ces oublis anecdotiques aux retombées tantôt bénignes, tantôt plus gravissimes, cela va de : oublier son manteau ou chapeau à celui d'oublier son sac avec argent et papiers sur une chaise de bistrot, en passant par la casserole de lait sur le feu de sa gazinière ou le poulet qui crame dans le four,  de fermer les robinets qui alimentent en eau sa baignoire ou bien celui du gaz … les conséquences peuvent être dramatiques...
    A côté de ces oublis involontaires, il y a, bien sûr, ceux intentionnels que, la mine déconfite vous avouez avoir commis maladroitement et que l'on peut associer à ceux que l'on cultive ne voulant rien avouer ni convenir de ce qui est soupçonnable de votre part : Ah non, ça alors je ne m'en souviens pas !... »
    Et dans cette catégorie, il y a toute cette somme d'oublis, du plus anodins au plus invraisemblable des rendez-vous manqués, lesquels se soldent parfois à grand renfort d'explications oiseuses et prétextes truculents...
    On oublie des mots, oralement ou à l'écrit, et on les cherche en vain jusqu'à ce qu'ils vous reviennent à des moments ultérieurs, en d'autres circonstances. Des notions, des connaissances oubliées c'est aussi courant, en fait, tout ce qu'avec le temps, on a enfoui dans son subconscient s'oublie...
    En réalité, on oublie vite une foultitude de faits, souvent ceux où l'on avait pas le beau rôle, l'événement qui n'était pas à notre avantage, Vite ! ça, il faut le ranger dans l'armoire aux oublis, à fond de tiroir dans la commode aux milliers de « n'y plus  penser »... oublions donc !...
    On oublie les visages aussi... eh oui, tous, nous changeons de « bobine » avec les années qui passent, et c'est alors que nous ne reconnaissons plus l'ami(e) pas vu(e) depuis des lustres qui lui ou elle aussi ne nous reconnaît pas.
    « Avec le temps tout s'efface » chantait Léo Ferré...
    Et là, nous arrivons au summum de l'oubli, celui de ses souvenirs, ceux que l'on croyait incrustés à jamais dans notre mémoire et dans la mémoire collective ; un oubli monstrueux qui nous inclus en tant que personne qui a oublié jusqu'à son nom et qui ne reconnaît même plus ses proches, un oubli qui nous déconnecte de la réalité liée au temps et à l'espace … Bonjour les dégâts !...

    A la suite de ces énoncés vous pouvez maintenant concevoir l'immensité de ma tâche et la multiplicité des difficultés que je rencontre dans ma profession de réparateur d'oublis...

    Si mon mécano du coin, pour réparer les dommages liés à quelques crevaisons, a besoin de démonte-pneus, moi, c'est à coups de remonte-temps que j'interviens pour réparer la foultitude d'oublis de mes congénères...

    C'est ainsi que comme un détective, en enquêteur avisé, j'utilise le remonte-temps graduellement, méthodiquement, patiemment... Ici, le temps, ce n'est plus nécessairement de l'argent, l'espace si infini, lui, je me dois de le réduire, le jalonner d'événements, le pourvoir et l'agencer avec des montagnes d'objets eux aussi oubliés... reconstituer le décor... ce n'est pas une mince affaire !
    Et puis, réparer un oubli, sachez aussi que c'est aller à l'encontre de sacrées déconvenues même s'il s'agit d'autres que soi-même parce que, en toute logique, parmi ceux-là, il y en a qui, eux, n'ont pas oublié et ne vous ont pas oublié !... Les risques du métier, cela en fait partie... et vous écoper alors à la place de vos « clients »...

    Je termine avec cette assertion : « Oublier est souvent nécessaire pour mieux se souvenir »
    Ceci, voyez-vous, faites en sorte, l'ayant longuement médité, de ne jamais l'oublier ...
    SednaX le 05 novembre 2019
    Bonjour !
    Envie de participer, pour la première fois, juste comme ça, sans prétention ^^

    Un autre style que les précédentes participations, par contre...

    -----

    Onirique
    utopie, 
    bascule
    lente et 
    imperceptible.

    -----

    SednaX.
    franceflamboyant le 06 novembre 2019
    Force de l'oubli.

    J'ai entendu à la radio Boris Cyrulnik dire qu'il avait perdu sa mère dans des circonstances plus ou moins analogues. Pensant à lui, j'ai écrit ce texte...

    C'était la guerre et nous marchions. Je tenais sa main fermement mais tout est si lointain que je ne sais plus si je tremblais. Elle ne me regardait pas et nous avancions à pas mesurés, comme si c'était une promenade. Pas besoin de se presser, de regarder partout...Elle se tenait droite, comme toujours, et je crois qu'elle était belle -pour moi du moins- parce que je n'ai plus de souvenirs concrets d'elle et ne peut lui attribuer que la beauté qu'elle étale sur les quelques photos qui ont traversé le temps. Elle y était jeune, plus jeune que ce jour-là, et apprêtée pour poser. C'était un jour de photographe, un petit événement en somme.
    Je me souviens qu'il était tôt et qu'il faisait froid. On était en novembre et, dans le dix-huitième arrondissement, les passants n'étaient pas nombreux. Nous sommes arrivés devant une église et elle m'a dit d'attendre. Le nom des rues, celui de l'église, je sais tout mais ma mémoire s'inquiète de tout livrer ainsi. Il ne faut pas dire la peur, le sourire crispé, la main qui désormais serrait la mienne plus fort encore. Ni l'arrivée d'une femme entre deux âges, en manteau noir et gants de peau. Elle était plus corpulente que ma mère et portait sur la tête un foulard violet. Tout s'est passé très vite. Ma mère a lâché ma main, l'inconnue l'a prise et nous nous sommes mis à marcher en sens inverse. Je me suis retourné deux fois, mais ma mère non. Elle a tourné le coin de la rue et je n'ai même pas souffert.
    franceflamboyant le 06 novembre 2019
    Force de l'oubli.

    Quelques instants plus tard, j'étais dans une école puis, au sortir d'une salle de classe où tout était déjà prêt pour accueillir les élèves, dans une mansarde où j'ai attendu longtemps. Le froid s'insinuait en moi malgré la chaleur du poêle et je me recroquevillais sur moi-même. Je ne crois pas que j'avais peur.
    Plus tard, la dame au fichu violet est venue me donner à manger. Nous avons pris un taxi et dormi dans Paris. Le lendemain, nous avons pris  un train. On a fait une halte dans une petite ville avant de reprendre un autre train. Une carriole, tirée par une mule, est venue nous chercher. J'étais fatigué. Il avait fallu montrer des papiers...Je n'avais à aucun moment posé de question. C'est ce qu'elle aurait aimé. De la même façon, je n'ai émis aucune plainte.
    Plus tard, j'étais dans une ferme en Dordogne. Je ne me souvenais déjà plus du pas souple de ma mère, de la légèreté de son souffle et de cette main qui, sans vraie brusquerie, avait lâché la mienne.
    Plus tard, bien plus tard, devenu psychiatre et psychothérapeute, j'ai écrit des livres sur mon expérience de l'oubli, je suis allé à la radio, à la télévision. J'ai dit ce qui m'était arrivé, ce que j'avais entendu, ce qu'on m'avait dit, sans citer quiconque, sans dévoiler l'autre. Je me suis nourri aussi de ce que me disaient les autres.
    Oublier, ne pas dire, c'est résister et devenir.
    Moi, on m'avait mis dans trois fermes. Je changeais de nom. A la libération, j'ai été adopté. J'ai pu faire des études. J'ai travaillé.
    franceflamboyant le 06 novembre 2019
    Force de l'oubli.

    Elle n'est pas revenue. Elle a disparu. On les emmenait vers l'est à cette époque. On m'a convoqué. On m'a dit certaines choses. Moi, je ne savais plus que cette main qui se séparait de la mienne et que cette femme qui ne s'était pas retournée, allant vers son destin avec la même force étrange qu'avait eu mon père deux ans auparavant. Nuit, brouillard et déchirement.
    J'ai oublié son visage, sa silhouette, ses inflexions de voix, sa minutie, ses inquiétudes. Un temps, son prénom est resté chargé de sens:

    Meryem, Marie, Myriam, Meryem...

    Et puis, il n'est devenu qu'un prénom et ses photos, les images lointaines qui être qui m'avait aimé mais dont je ne gardais rien.

    Je me suis construit par la force de l'oubli.
    patricelucquiaud le 06 novembre 2019
    Un récit court, poignant dans tous les sens du terme  avec ces mains l'une serrant l'autre... il y a ce qui est effacé et  ce qui est resté gravé à jamais. L'essentiel du souvenir, mis en évidence par l'oubli sans doute intentionnel de la part de son subconscient. Force de l'oubli et force du souvenir... un duo de choc émotionnel.
    patricelucquiaud le 06 novembre 2019
    Ah ! il y avait une suite ... en 3 parties donc... L'oubli face à la séparation prend une tournure douloureuse car il faut reconstruire la scène, redessiner les contours d'images toujours floues...  et donc se reconstruire du même coup.
    franceflamboyant le 06 novembre 2019
    Merci  de ces belles réponses !
    Sflagg le 07 novembre 2019
    Salut !

    Voici ma courte et modeste participation, qui ce coup-ci n'a rien d'humoristique.


    Tête vidée d’une mémoire en berne                 (07/11/19)


    Il est où Blier ?
    Il l’a oublié.
    Il n’a tellement plus de mémoire
    Qu’il ne se reconnait même plus dans le miroir.
    Alzheimer,
    Maladie amère
    Qui lui vole ses souvenirs
    Avant de le laisser sans avenir.

    Il est où Blier ?
    En train de babiller.
    Il n’a tellement plus de mémoire
    Qu’il ne comprend même pas qu’il avance dans le noir.
    Alzheimer,
    Sa femme devient sa mère,
    Obligée de s’en occuper et d’agir
    Comme son cerveau la voit et le désir.

    Il est où Blier ?
    Au fond des oubliettes.
    Il n’a tellement plus de mémoire
    Qu’il ne se rend même pas compte qu’il est dans un mouroir.
    Alzheimer
    Et il meurt,
    Car il n’a plus pensé à vivre,
    Mais heureusement pas plus à en souffrir.
     
    S.Flagg !!

    Bonne lecture et chance à tous !!
    fortdeleve le 07 novembre 2019
    Pareil pour moi première fois.

    Pour ne pas oublier que tu es là toujours en moi,niché au creux de la mémoire de mon coeur,vestige ancien d'un amour ancien je me plonge dans les ténèbres de nos souvenirs vécus à deux.
    Quelle ne fut pas ma surprise de te savoir là à m'attendre!
    Tu n'as pas changé,la beauté de ton âme frôle à nouveau mon regard et je me berce de nos folles histoires.
    Je ne peux et ne veux pas t'oublier car sans toi je ne serais plus là..

    Bonne lecture
    Alexandra
     le 07 novembre 2019
    -" Non mais là, ce n'est vraiment plus possible ! Je te l'ai déjà dit, il faut penser à ou bli er ! ...qu'est ce que tu ne comprends pas dans cette phrase? Regarde moi ça ! A quoi ça te sert d'emmagasiner les dates d'anniversaire de gens que tu ne vois plus ? les numéros de téléphone qui ne sont plus attribués? les prénoms des enfants que tu n'as jamais revus? ...Il faut  faire quelque chose, vraiment... .
    -Très bien, je suis d'accord ...quoi par exemple ? 
    -Je ne sais pas, t'as pas une touche "reset" ? 
    - Ben...non, je ne vois pas où ...
    - Bon alors, juste un petit choc , pour une légère amnésie ?
    - Euh ... c'est un peu violent non ? 
    - Oui, bon, je suis excédé, alors j'y vais un peu fort...Faisons un tri ? De quoi voudrais-tu ne plus te souvenir ?
    - Pourquoi pas des filles pénibles à l'école, surtout celles du collège...Je n'ai plus envie de voir leurs visages !
    - Ok...je note
    - Et les périodes où maman était malade?  ça me bouleverse tellement...
    - Alors ça, je ne suis pas sur que ce soit une bonne idée : c'est important que tu les aies en mémoire, même si c'était pénible : tout ce qui concerne ta maman, tu le gardes.
    - Oui tu as raison ...et ...quand mon hamster est mort? 
    - Pourquoi pas, mais tu le veux vraiment ?
    - Non, ça ne prend pas beaucoup de place et puis, je l'aimais bien, mon hamster ....Alors, quand j'ai eu l' accident dans la voiture de cet homme, avec qui je ne devais pas être ?
    - Alors, ce serait plutôt bien mais ...pas possible : ton nez !...
    - Quoi, mon nez ?
    - Tu te demanderas toujours pourquoi il est cassé si tu oublies ce "malencontreux" épisode ...Et comme ça se voit, comme....le nez au milieu de la figure...
    - Ok, très drôle...j'ai compris : je  ne peux pas oublier ce qui m'a blessée physiquement, c'est ça ? 
    - Oui et moralement aussi, même si tu aimerais souvent .
    - Bon alors, les cadeaux que j'ai reçu et que j'ai trouvé moches ?
    - Très bien !  fais moi une liste ...
    - Oui, alors, je n'ai jamais reçu de cadeaux moches ...enfin, je crois ...
    - Victoire!  tu as du oublier ?
    - Peut-être pas si ça n'a pas existé ....
    - Mais tu m'agaces !
    - Ça y est, je sais ! Les mots que je n'aurais pas du dire, les gaffes, les situations gênantes, les énormités ! je ne veux plus y penser ...j'ai trop honte....
    - Le fait est que tu as une belle collection ...on pourrait évacuer, ça ferait du vide......bonne piste ..
    - Et tout ce que tu as dit, les numéros de téléphone, les adresses, les dates d'anniversaire, les prénoms des parents, des enfants, les repas servis chez les uns, les musiques écoutées chez les autres ...quand ça ne sert plus autant jeter tout ça  ! 
    - Bonne résolution ! on s'y met quand tu veux .
    - Super ...on fait comment ? ..
    - Alors ça ...il faut y réfléchir.
    - Mais là c'est ton rôle de cerveau non ?
    - Oui...mais je ne sais pas pourquoi ça fonctionne mal chez toi.... l'oubli...."
    Laerte le 08 novembre 2019
    Y a déjà de belles choses sur le thème de novembre. Bravo à vous tous.
    En attendant, voilà ce que je vous propose. Je sais, c'est horrible, mais ça existe aussi.

    La brûlure et la glace.

    Cela fait des heures qu'elle marche dans le parc. Elle tourne en rond dans le noir, sans réellement savoir où elle va. Elle sait simplement qu'elle est perdue. Elle voudrait se réfugier dans son univers familier, rentrer chez elle. Mais elle ne peut pas. Comment rentrer après ça, raconter ce qui s'est passé,  fournir des détails peut-être. Non, cela lui paraît horrible, ce serait revivre l'horreur.
    Mais que fait-elle pour l'instant ? Sinon, ressasser interminablement les mêmes idées.
    Elle voudrait effacer ce qu’elle a vécu, oublier.
    Mais non !
    Elle se dit qu'elle aurait dû agir autrement, qu'elle aurait dû lutter davantage, se défendre avec plus d'énergie. Elle a eu peur et elle en était paralysée. L'autre en a profité, évidemment.
    Elle a mal dans tout son corps ; c'est une douleur permanente comme un orage qui gronde longuement, mais aussi parfois ce sont des pointes d'acier qui la transpercent brutalement.
    Elle a mal aussi dans sa tête. Son esprit s'égare dans des  reproches insensés. Comme si elle était responsable de ce qui lui arrive !
    Elle se dit aussi que dès le début, elle n'aurait pas dû lui prêter attention, que peut-être, si elle ne s'était pas retournée quand il l'a interpellée, il aurait laissé tomber.
    Et puis, sans cesse, lui reviennent la même scène, les mêmes images : cet homme qui se jette sur elle, qui la renverse, qui lui serre le cou d'une main tandis qu'il lui arrache son jean, comment a-t-il fait ? Puis sa culotte. Elle se débat tant qu'elle peut, mais il la frappe violemment à l'estomac. Elle a un hoquet étranglé, le souffle coupé et lui en profite pour la prendre. Elle a l'impression que son bas-ventre est traversé par le feu. Elle est coupée en deux. Elle veut crier, mais sa voix s'étrangle dans sa gorge. Lui, s'agite sur elle tout en lui bloquant la respiration. C'est atroce et ça semble durer des heures. De sa main libre, il se met à lui pétrir un sein. La souffrance irradie dans tout son corps, comme si elle brûlait.
    Elle se dit soudain qu'il va la tuer. Cet homme qui la torture, ne s'est même pas caché, n'a même pas cherché à ce qu'elle ne le reconnaisse pas.
    Un sanglot l'étouffe davantage encore.
    Et puis, il se relève, lui assène une gifle et s'en va. Il n'a pas dit un mot, il a juste pris son plaisir violemment sur une fille qu'il a rencontré par hasard. Elle en est encore plus humiliée. C'est comme si elle ne comptait pas dans cet acte barbare, qu'elle n'était qu'une chose insignifiante, à peine plus qu'un objet.
    En plus d'être avilie, elle se sent sale, souillée au plus profond d'elle-même. Dans son ventre, sa peau, son être, son âme. Elle est persuadée de n'être que déchéance et corruption.
    Elle tente de trouver un moyen de calmer les douleurs qui l'assaille, elle touche son ventre brûlant et sa poitrine meurtrie sans que rien ne s'apaise. Elle gémit doucement comme un jeune enfant.
    Dans son errance, elle avise un bassin où la lune se reflète ; c'est joli et romantique. Mais qu'a-t-elle à faire de romantisme en cet instant ? Elle s'y dirige. Elle a décidé de s'y baigner pour se défaire de toute cette salissure intolérable. Elle se déshabille, ne gardant que son écharpe et entre dans l'eau. On est en novembre, et c'est glacé ! Elle ne s'en aperçoit pas, elle est indifférente à tout ce qui n'est pas son horreur de la dégradation qu'elle a subie.
    Elle reste longtemps dans cette onde anesthésiante, laissant le froid envahir ses membres et la débarrasser de son obsession.
    Lorsqu'elle ressort, le vent l'enveloppe aussitôt ajoutant son froid à celui de l'eau qui l'a déjà pénétrée.
    Elle fait encore quelques pas hésitants, de plus en plus malhabiles.
    Puis, de plus en plus lente, elle finit par se figer nue, son écharpe autour du cou, dans une attitude humble mais libérée.
    Elle est désormais inaccessible, apaisée, faite de matière dure, de glace ou de métal inaltérable, incorruptible.
    Ses pensées n’existent plus, elle a tout oublié.
    Laerte le 09 novembre 2019
    Merci beaucoup!
    patricelucquiaud le 09 novembre 2019
    Jusqu'à s’effacer de toutes mémoires, l'absolu irréversible dans le "se faire oublier" - oh que ça fait mal !...
    Un récit qui fait froid mais ne laisse pas de glace... on souffre avec... on compatit... on prend la mesure d'une telle ignominie : Le viol, ce n'est pas que celui du corps mais aussi celui effroyable de l'entité spirituelle ("Moi" ou "Je") qu'est chaque être humain...
    Bravo pour ce texte poignant !
    franceflamboyant le 09 novembre 2019
    Je vous lis ce soir, Laerte...
    Ogusta le 11 novembre 2019
    Bonsoir à tous.
    Ma petite contribution à caractère historique. Nous sommes le 11 novembre. N'oublions pas.
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    Oubli

    La campagne environnante est vallonnée de buttes verdoyantes en collines boisées, souvent en leur sommet un fort ancien se dresse, accusateur. Il s'élève vers le ciel, unique trace anthropiques en des lieux à priori naturels. On se demande pourquoi des bâtisseurs choisirent un jour ce promontoire au milieu de nulle part, car la vie, ici s'avère peu animée, un brin lente et monotone, douce parfois. Le matin, des brumes trainent en ville et flottent au dessus de la rivière, elles apportent une note de féérie à l'ensemble pourtant les bois à l'horizon ne ressemblent pas à Brocéliande... Quoique je ne connaisse pas Brocéliande, ni grand chose du monde sauf à la télévision. Je suis née ici, j'y ai grandi, j'ai aimé un homme il y a longtemps, je crois, nous avons fondé une famille, habité la maison et travaillé la terre. Puis, la maison, la famille, le village ont disparus.

    Je suis restée pour me souvenir, pour aider ceux qui restaient encore, d'anciens voisins, les gosses de ma sœur, le mien, le chien qui était revenu un matin de décembre maigre et efflanqué, une patte en moins, mais vivant, un mois environ après le silence, avant le début du deuxième hiver. Avant ce soir là, il n'avait pas de nom, c'était le chien. Quand on voulait l’appeler avec mon homme, on criait Le Chien et il rappliquait en ramenant nos bêtes. Depuis, avec le petit on l'a appelé Miracle et il a gardé ce nom jusqu'à sa mort. Il est devenu vieux ce chien, comme une revanche à l'égard des gens et de leurs misères... Certains on trouvé ça injuste que ce soit un chien qui survive à toute cette crasse et pas nos bras, nos maris, nos voisins, nos gosses ou nos amis. Moi, ça me faisait rire ! Il nous jetait toute notre bêtise d'humains à la gueule cet animal et il avait bien raison. Quand il est mort, peut-être vingt ans plus tard, je vous jure, il était unique ce chien, j'ai pleuré, je l'ai pleuré plus que les braves, plus que ma famille et que les ruines du village. Pour lui, il me restait des larmes, je l'ignorais.

    Il faut dire qu'on vivait tous les deux depuis un bail. Le gamin nous ayant largués l'été de l'année trente pour suivre ses rêves vers la capitale. Il disait qu'il reviendrait. Honnêtement, nous ne l'attendions pas, il suivait l'exode, la cohorte immense de tous les déçus en fuite vers un avenir meilleur, la grande ville, un avenir, la vie enfin ce qu'il en restait. Il était jeune et il devait dépenser le temps, le plumer comme un poulet fumant, en tirer le jus nécessaire, en épuiser la lumière car le ciel s'obscurcissait déjà au loin. Le vacarme et la boue ne s'éloignent jamais complètement, ils patientent en embuscade et quand vous avez oublié leur existence, ils resurgissent tels de vieux démons tapis sous les courbes du sol pour grignoter le labour et les champs que vous imaginiez éternels. Je le sais. Je les ai vu tomber. Ils ont tout pris sauf Miracle. Lui leur a fait un sacré pied de nez ! Patte de truffe plutôt !

    Enfant, mon père me disait toujours de me méfier des costumes et des paroles bien tournées. Il racontait une histoire de la fin de son siècle à lui où tous ces messieurs qui nous dirigent avaient conduit chez nous, la famine, les armes et le sang pour revendiquer des terres dont chacun se moquait bien qu'elles appartiennent à la patrie ou à une autre et qu'on y parle notre langue ou la germanique pourvu que l'on s'y comprenne et qu'on y meure pas de faim. Moi, j'aimais grimper en courant la colline jusqu'aux forts qu'il avait construit et dont il semblait si fier : Douaumont, Faux, Belrupt, La Chaume, Souville... Je les imaginais indestructibles comme des sortes d'anges gardiens. Quelle folie ! Rien ne retient les hommes sauf peut-être leurs esprits mais parfois la pensée sombre et les humains se transforment en bêtes, bien pire que les bêtes. Les bêtes ne s'entretuent jamais par milliers. Les bêtes définissent des territoires et rarement les défendent au prix de leur vie. Elles savent reculer.

    La terre autour de moi, n'a pas oublié.
    A la fin du charnier, quand le gamin, Louis je crois, j'ai tendance à oublier son nom, à le confondre avec ceux des morts, partis ou morts, ils ne sont plus là, du pareil au même finalement, c'est ça aussi la guerre, la solitude de ceux qui restent ; bref, quand il vivait encore chez nous, je l'emmenais dans les creux du monde. Les voisins trouvaient ça fou, mais Miracle voulait y retourner et je ne voyais pas pourquoi j'aurai refusé. Le premier hiver, tout a gelé, on aurait dit un champs de roches et de fissures, couvert de lacs et de trouvailles bien plus étranges : des vêtements et des lettres, des corps bien sûr, méconnaissables, des os, des membres et des armes. Les armes, certains venaient les prendre. Je pense qu'ils cherchaient à les revendre pour ce refaire une santé. Moi et Miracle, elles ne nous ont jamais intéressés, nous préférions les hommes... Ceux qui avaient péris ici pour satisfaire d'autres hommes toujours vivants et gras, campés ailleurs et qui continuaient cette folie sans eux désormais. Leurs corps avaient tant souffert, Miracle aimait les lettres et les uniformes, il me les ramenait, je les lisais ou les identifiais et remettais des noms sur ces os, ces corps sans visage, leurs histoires surgissaient autour de nous dans la lande déserte de Lorraine.

    Petit à petit, je me suis mise à renvoyer les lettres à leurs destinataires et ils ont répondu. Ils semblaient apaisés, désormais ils savaient où était tombé ce père, ce fils, ce frère... Les inconnus nous désemparaient, Miracle et moi, nous ne savions comment leur rendre leurs âmes, les laisser reposer en paix, alors nous avons pris l'habitude de déposer leurs restes à Douaumont, comme ça par hasard, peut-être à cause de toutes les vies que ce fort stupide avaient volées. Je ne faisais pas la différence entre les français et les autres, je ne l'ai jamais faite, tous étaient morts inutilement, l'oubli les guettait au coin des bois calcinés de la plaine. Je renvoyais tout. Les familles me répondaient et accompagnaient souvent leurs réponses d'un petit pécule que je n'attendais pas, mais qui nous servit tout de même à reconstruire la maison et à la rendre plus belle les années passant. Au printemps dix-sept, le champs de bataille a dégelé, alors avec Miracle et les trois gamins, le mien et les deux orphelins de ma sœur, on a décidé de rendre hommage aux soldats en leur donnant des fleurs. On s'est mis à porter toutes les graines des fleurs du village sur la glaise, les abeilles et les oiseaux ont saisi l'aubaine. Les années suivante, la végétation a couvert les traces ignobles, le sang des hommes, des chiens et des chevaux dans la terre et nous avons continué à trouver des restes éparpillés. Avec le temps, ils sont devenus plus rares, nos visites également, puis les jeunes ont pris la poudre d'escampette. Ils ne pouvaient pas rester ici, le passé devaient coller à leurs semelles telle la boue du charnier.

    Après Miracle, un autre chien est venu, un chien de la paix, qui ne l'a pas connue longtemps puisqu'en 1940, les hommes avaient de nouveau oublié le vacarme et la fange. A mon tour, je me suis oubliée. Cette fois-ci, je n'avais pas de famille à perdre et les villageois me considéraient comme une parias. Après tout, je communiquais avec l'ennemi. Un jour, un allemand est venu, jadis sa famille avait reçu de ma part la lettre de son père mort dans un trou du fort de Faux en 1916. Il m'a donné la nourriture en sa possession et nous avons prié ensemble pour la paix, nous étions en 1942, j'avais 45 ans.

    Demain, j'aurai 100 ans. Nous sommes à l'aube du XXIème siècle. Rien n'a changé. Depuis 1916, je n'ai aucune foi en l'homme, le chien se souvient bien mieux. J'ai redonné aux âmes errantes de la plaine un nom et une place parmi les vivants. L'oubli ne les a pas tous effacés. Malheureusement, je vois autour de moi se multiplier les haines et les égoïsmes, Verdun ne nous a rien appris, vingt ans après nous avions déjà oublié. Comment avons-nous pû ? Aujourd'hui cinquante ans après notre seconde erreur, que reste-t-il ? Des os dans la glaise qu'un Miracle déterre au détour d'une ballade matinale ? Le silence, encore un peu, après le saccage des bombes ? Des mots sur des livres de classe qui ne signifient pas grand chose ? Je viens de vivre cinquante années de paix. Hélas, je suis devenue comme mon père, je crains que les hommes en costume n'aient tout simplement oublié et que les autres n'y pensent plus. Il leur reste tant à vivre...

    En hommage à ceux qui sont morts là bas et à ceux qui sont restés...
    Walex le 11 novembre 2019
    Des textes poignants !
    Pour ma part, je serais plus léger.



    L'oubli (1)

    Maman bisous, bains, câlins,
    Moments et mots aimants,
    Premiers pas, repas,
    Bras de papa…
    Je ne m’en
    Souviens
    Pas
    .
    franceflamboyant le 12 novembre 2019
    Très beau texte, Ogusta.
    SerendipiteEyre le 12 novembre 2019
    J'oublierai ton visage
    J'oublierai ton rire
    Je quitterai ton rivage
    M'éloignerai de ta ligne de mire

    Dans le feu et les ruines
    De mon âme en fusion
    Tu es apparue divine
    Semant la confusion

    Superbe et étherrée
    Pareil à l'indolent
    Voilier dans le couchant
    Qui ne cesse d'errer

    Nous étions le temps d'un soir heureux
    Spectateurs de l'irréel
    Devant une constellation nouvelle
    Formée par les étoiles de nos yeux

    Tu as choisi pour te protéger
    D'oublier l'évidence
    Alors sache que si je l'ai digéré
    Dans mes rêves c'est avec toi que je danse

    Et si nous étions les héros d'un long métrage
    Mon esprit est clair et sans nuage
    Ce serait
    Eternal sunshine of the spotless mind





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