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    vibrelivre le 08 février 2020
    Fais briller ton rêve


    Du mur sortaient des iguanes. C'était une génération spontanée. Il en sortait par milliers. Il y en avait un vert, d'assez grosse taille, vautré comme un potentat sur un tabouret ramené du Cameroun. Il lui semblait qu'il le regardait avec malice. Un autre, d'un gris parcheminé, se dressait sur la table comme un chef sioux sur le haut d'une colline.
    Putain, qu'il avait mal à la tête. Tous les objets alentour, et la pièce elle-même, tanguaient. Ca lui donnait la nausée. La houle du vertige évoquait une piscine à Mérida, de nuit, sous un orage battant. Des loupiotes tremblotantes éclairaient l'eau et les iguanes qui le regardaient nager. Ah quel souvenir. Un moment cosmique, qu' il était conscient de vivre magiquement, ses sens enregistraient, des fils coupants de pluie, des taches de couleur sur du noir, les éclairs, et comme il était bien dans son corps. Mais maintenant, des iguanes, il y en avait trop, une diarrhée d'iguanes. Il se leva complètement du lit, et gagna la salle de bains. Il mit la tête sous la douche, et en se baissant crut vomir. L'acide ne lui réussissait pas. En plus, il n'était pas même accro. C'était juste pour accompagner une vague copine qui avait vraiment besoin de quelque chose. L'acide avait dû être coupé de quels produits dangereux ? Il s'habilla. Il allait sortir. Prendre quelque chose. Se remplir le corps lui ferait du bien.
    Le soleil lui déchira les yeux. Il lui jetait des flèches qui lui tiraient des larmes et taraudaient son crâne. Il vacilla. Il se souvint de vacances dans les calanques. Il n'avait pas de lunettes pour le protéger des attaques de lumière. Il était là, sur un rocher, aveugle, il percevait des bouts de bleu, de vert, de gris, et il s'était mis à chanter. C'était l'harmonie. Il était seul, au repos, rentré en lui-même, et ouvert à tout . Son être exultait.
    Maintenant, son corps était froid, des bosses durcissaient ses muscles, des fluides violents circulaient dans ses membres. Il dut s'appuyer sur un réverbère.
    -Ca va, Monsieur, je peux vous aider ?
    Quelle voix, un soprano de séraphin. Une ombre grandissait et voletait devant lui. L'image ne cessait de bouger. C'était comme le masque de Scream qu'un ami lugubre se plaisait à s'appliquer pour lui faire exprimer toutes sortes d'émotions épouvantables.
    -Clai-ai-ai-aire, viens-ien-ien-ien ici-i-i-i.
    -Maman-a-an-a-an-a-an, il est tout pâ-â-â-â-le.
    Les voix sautaient comme sur un disque mal positionné sur l'électrophone de sa grand-mère. Ca lui rappelait des soirs de fête où le volume était à fond, et les vibrations lui rentraient dans la gorge. Ce qu'il éprouvait alors, c'était qu'il contenait un monde, et que ce monde, il en était le créateur.
    Il se retrouva dans un bar, un verre de café devant lui. La fillette le regardait. Elle avait des yeux limpides. Il ne voyait que ses yeux, des faisceaux de lumière, de l'argent, de l'opale. La mer et le ciel sous le soleil de midi. Ca ressemblait à la vie, ça vous insufflait de la force, ça chantait le monde. Ou l'infini.
    -Bois-oi-oi. Maman-an a dit-i-i de prendre les su-u-u-cres.
    Que lui disait-elle ? Il se sentait bien. Il n'avait pas peur. Il se retrouvait devant un lac d'Islande en été. Il n'y avait pas de bruit. Le lieu était tranquille, serein. Immobile et intact, comme une aube rimbaldienne. La maisonnette ne paraissait pas habitée. Il aurait dû pousser la porte, être plus curieux...
    -Bois-oi.
    La petite fille approcha la tasse.
    -Maman-an va revenir-ir. Elle est allée à-a-a la pharmacie-i-i, et puis elle va-a-a t'apporter des croissants-an-an. Je voudrais que tu sois-oi-oi bien-in-in quand elle arrivera-a-a. Tu as des yeux tout drô-ô-ô-les.
    Il but.
    -Attends-en.
    La fillette lui sucra d'autorité la boisson.
    -Ca va-a te donner-é des fo-o-orces.
    -Merci-i, Clai-è-re.
    Sa voix sortait d'une caverne. Sourde, profonde et triste. Il toussota.
    -C'est un joli-i- nom, Clai-è-re.
    Claire sourit. Il le vit dans l'éclat de ses yeux et la douceur des traits qu'il commençait à distinguer.
    Il prit une autre gorgée. Il eut du mal à faire passer le breuvage amer, malgré le sucre. Il avait longtemps vécu dans le Nord de la France. Quand il était petit, il accompagnait sa mère dans les fermes, une cafetière en inox attendait sur le feu. La fermière leur servait un jus d'un brun clair, tiédasse. Sa mère remerciait cordialement.
    -Qu'est-ce que tu veux ? Ca me réchauffe le cœur, cette hospitalité toute simple. Le café, c'est la boisson de l'amitié, lui disait-elle, avec un beau sourire.
    -On dirait que vous allez mieux.
    Un autre sourire, tout aussi beau, se superposait à celui de sa mère. Le disque avait été remis en place.
    -J'ai pris des brioches et de l'aspirine. Je crois que cela ne peut pas vous faire de mal. Comment vous appelez-vous ?
    -Serge.
    -Comme Gainsbourg, dit Claire. Maman aime bien Gainsbourg.
    -Moi aussi. « Je fais des trous, des p'tits trous, encore des p'tits trous ...»
    -Nous allons vous laisser. Claire a son cours de musique. La consommation est réglée. Prenez soin de vous.
    -Tu aimes la musique ?
    -Beaucoup.
    -Je joue de la clarinette. Et toi, tu joues de quelque chose ?
    -Du hautbois.
    -Claire, nous devons partir. Tu vas être en retard. Au revoir, Serge.
    -A bientôt, Serge. Le hautbois et la clarinette sont frère et sœur, non ?
    Serge termina le café, prit une brioche, et deux aspirines. Il sortit du café. Le serveur le salua d'un signe amical.
    vibrelivre le 08 février 2020
    La vie était simple et tranquille. Qu'est-ce qu'il allait la compliquer avec de la drogue pas nette, des rencontres chelou, et une vie de bâton de chaise ? Il allait arrêter tout ça, se sevrer de ces cochonneries, de toute façon ses trips n'étaient pas si formidables. Il reprendrait ses cours de musique, il commencerait des cours de chant. La musique, c'était son truc. Même s'il n'avait pas un niveau super, quand il jouait de son hautbois, il n'était plus médiocre. Il tenait quelque chose. Le hautbois était sa voix. Avec lui, il pouvait se confier, exprimer ses sentiments immédiatement, sans confusion. Il avait l'impression de communiquer. Pas de dérision, ni de gêne, ni de demi-mots. La conversation était pure. Il se livrait. La drogue, c'était son parabellum. Pire, une capitulation. Il s'extrayait du monde, des gens, des choses, de la nature. Il s'extrayait de Claire, et du beau sourire de sa maman. Le serveur avait été bienveillant. Pourquoi ne pas vivre au milieu de gens sans histoire ? Qu'est-ce qu'il connaissait au fond ? La peur, les mauvais coups, la rouerie.
    Il prit une autre brioche. Il entra dans une église. Non pour prier. Il avait la musique pour s'adresser à plus haut que soi. Il profiterait du silence et de l'ombre pour se recentrer. Il ferait un point.
    Le vitrail laissait filtrer la lumière. Les statues rayonnaient. Il y avait un saint, on eût dit le ravi de la crèche, il laissait loin derrière lui les naïfs, il était tellement niais. C'était un idiot, l'abruti des limbes. Et pourtant, à bien le regarder, à scruter sa physionomie, il exhalait le bonheur. Il devait être en extase. Il était en dehors de lui-même, et tout son être respirait la jouissance. Il ne manquait de rien. Il était complet. En dehors et au-dedans. Simultanément. Totalement lui-même.
    Quand il jouait de son hautbois, il ne lui manquait rien non plus. Il avait eu tout de suite un bon contact avec l'instrument. Sa bouche l'accueillait, il avait très vite trouvé un son. Un vent doux le caressait. Il avait des senteurs de pinède. Il parlait de liberté, d'espace vide à parcourir, de timbres neufs. C'était la genèse d'un nouveau monde . Innocent et symphonique. Correspondances et réconciliations. Le hautbois était une extension de lui-même, bien mieux il faisait partie de lui. Même si ses joues gonflées et rougissantes donnaient à voir de la douleur, non, non, il était heureux, pleinement heureux. Quel con il serait, de le laisser de côté. Pour quelle illusion, quel rêve de voyou naufragé dans des gouffres factices de nihilisme, mirage de vaurien éperdu de sons rageurs et de défonce. Il embrassa furtivement le saint. Idiot, il l'était sûrement. Mais il n'était pas mort.
    Il sortit. En passant devant une brasserie, il vit une pièce obscure. Il s'installa. Commanda des œufs au plat, et des frites bien dorées. Il était prêt. Il ferait briller son rêve. Sa voix sonnerait comme un poème de Verlaine. La voix de son hautbois. C'était la même. A deux, le nimbe de l'âme, ils chantaient l'unité. La passion de sa vie.
    Katrina777 le 08 février 2020
    Envolée onirique.

    Que c’était bon de sentir cette brise légère de la fin du printemps effleurer mon visage encore et encore. La coquine partait et revenait, glissant délicatement le long de mon nez, elle s’amusait à tournoyer autour de mes narines frémissantes saisies des réjouissantes senteurs de lilas qui embaumaient les lieux.
    Les yeux clos, je prenais un plaisir intense à déguster suavement ces exhalations florales telles des bonbons aux saveurs fruitées, le sourire aux lèvres. Que j’étais bien.
    Je sentais la douceur bienfaisante des premiers rayons vraiment chauds m’incitant à m’abandonner à ce bien être extraordinaire et pourtant si simple.
    J’ouvris un œil…petits moutons neigeux clairsemés dans ce champ azur, un ciel trop lumineux pour que j’ose insister plus longtemps.
    Profond soupir de bien être, les bras étendus dans l’herbe fraîche qui jouait à me chatouiller sous la partie la plus tendre de ma peau, ma respiration ralentissait lentement.
    Dans le lointain, très lointain, mon esprit engourdi par tant de bonheur, percevait des sons mélodieux semblant venir du ciel. Les anges avaient l’air d’accompagner ma douce torpeur de leur symphonie d’un autre temps.
    Plus les êtres célestes se rapprochaient et plus leur orchestre paraissait perdre en instruments. Cependant, en parallèle, l’instrument d’honneur clamait haut et fort son amour, prenant toute la place comme s’il désirait étendre sa voix puissante à tout l’univers.
    Enfin, il apparut soudain dans le ciel, un violon, tel un majestueux petit vaisseau spatial d’un bois luisant venu d’ailleurs. Il progressait vers moi, m’invitant au voyage. Je me redressais d’un bond et enfourchais ce singulier destrier en un instant.
    La seconde suivante, nous défions les vents célestes, parcourant cette étendue infinie à une vitesse vertigineuse, évitant tous les oiseaux qui nous fonçaient dessus gaiement. Chose étrange, les chants harmonieux de ma monture accompagnaient notre envolée, tels des cris de triomphes majestueux perçant l’immensité saphir dans laquelle nous étions plongés.
    Les sons grandirent en intensité…à un point que…je sursautais, me retrouvant sur mon séant dans l’herbe verte, les yeux écarquillés, buste dressé, cherchant autour de moi d’où venait l’attaque !
    C’est alors que mon regard se figea sur cette douce apparition. Une jolie jeune fille, violon en semi écharpe, les yeux clos et le sourire aux lèvres tel que je l’avais moi-même eu avant qu’elle ne me sorte de mon évasion onirique.
    J’étais si heureux que ce soit elle qui m’ait sorti de ce rêve, car j’eus immédiatement l’espoir secret qu’elle m’en fasse un jour entrer dans un autre…car son violon m’avait touché de sa flèche en plein cœur.
    Je m’appelle Aurel, j’ai bientôt dix ans, et cette fille-là qui vient de saisir mon âme, je ne pourrai l’oublier. Et quand je serai grand, je saurai la retrouver, et je ne la quitterai plus jamais !
    EleanorTilney le 11 février 2020




    -          Maman, j’arrive pas le collant… tu peux le mette ?

    Je roulai douloureusement, attrapai le réveil pour le coller sur mes yeux de myope : il était cinq heures. Le collant, c’était celui de sa poupée.

    -          Non, je ne mets pas le collant, c’est encore la nuit.

    Accommodante, mais les pieds froids, Solange se glissa sous la couette, tout contre moi, et je respirai dans ses cheveux. Je savourai et me réveillai lentement. Au bout d’un quart d’heure, je me rendis bien compte que nous ne nous rendormirions pas ; alors je commençai à lui faire des petits bisous. Elle me les rendit en gloussant.

    -          Petit-déjeuner ?

    -          Ouiii

    Nous nous levâmes, elle en sautillant, moi en me dépliant douloureusement. J’avais quarante ans, et j’avais fait du sport hier.

    Nous fîmes son lit, j’enfilai à sa poupée le fameux collant qui m’a servi de réveille-matin.

     

    -          Je veux tout là-haut.

    Dans la cuisine, Solange aimait petit-déjeuner assise sur le plan de travail, à côté de l’évier, adossée à la fenêtre. Sur le petit rebord s’alternaient deux ou trois jouets minuscules. Ce matin-là, un éléphant, un lutin et un ours polaire. Je me demandai combien de mois ou d’années elle allait faire cela. J’ai toujours eu la mauvaise habitude de penser au moment où un bonheur allait prendre fin.

    -          YA CHARLIE !!!!

    Les tympans percés par le cri de Solange, j’ouvris la porte-fenêtre à Charlie, le chat des voisins. Charlie était une perfection de chat : beau, doux, beige, câlin, ronronnant, calme.

    -          C’est un tigre.

    -          C’est la même famille : les félins.

    -          C’est un tigre.

    Sourires et câlins au grand poilu.

    Après avoir bataillé avec une ouverture pas facile de bouteille, je lui donnai du lait. Quelques temps auparavant, une copine de train m’a dit que le lait était très mauvais pour les chats, mais je n’avais pas encore eu le temps de vérifier cette information étrange.

    Ça me faisait tellement plaisir de câliner presque tous les jours Charlie que j’espérai le fidéliser avec mon lait entier et bio. Je n’osai pas passer à l’étape de l’achat de croquettes, parce que Rémi, mon mari, était contre l’envahissement de notre territoire par le chat.

    Et je ne voulais pas non plus voler Charlie. Si j’avais un Charlie à moi, je ne voudrais pas qu’il s’installât chez mes voisins.

    Donc, le lait pour Charlie, l’orange et les céréales pour Solange et moi. Et mon café au lait, épais et sucré, avec la peau du lait.

    -          Je t’aime beaucoup très fort.

    -          Moi, aussi, je t’aime ma puce.

    -          Je veux prendre le métro avec toi.

    -          C’est le train que je prends ma puce.

     

    Tout cela était tellement bon que je lambinai un peu. Toute molle, je me mis en retard.

    Brossage de dents, débarbouillage. Je n’aurais pas dû poursuivre avec crème et maquillage, au vu de l’heure, mais l’habitude est une force puissante.

    -          Moi aussiii, j’en veux !

    Je lui tendis le pinceau, qu’elle enfonça dans le poudrier comme si elle voulait piler du basilic avec un mortier. Nuage de poudre.

    -          NON, tu l’abimes !

    Meeeeerde, elle partit en boudant. Gros câlins de récupération, dernier bisous de bonne journée, elle alla rejoindre son père dans son lit tandis que je me précipitai vers ma voiture.

    Le pare-brise était gelé. Évidemment, puisque j’étais en retard. J’accrochai la poignée glacée de la portière, mon sac numéro deux tomba et j’entendis le verre de ma boîte-repas exploser.

    Misère, exaspération. Mon corps me pesait soudain trois fois plus que le chiffre affiché sur la balance (que déjà j’appréciais moyennement).

    Étant maman, j’avais toujours de l’essuie-tout dans ma voiture. J’essayai de ramasser le plus gros du verre, mais notre lotissement était nouveau (enfin deux ans, quand même), les lampadaires ne fonctionnaient pas encore, et je n’y voyais presque rien, je priais pour ne pas m’entailler les doigts…

    Il faudrait que je prévienne Rémi de faire attention pour Solange, il devait rester des bouts de verre.

    Quand enfin je m’assis sur le siège conducteur, en poussant la ventilation à fond pour dégeler les vitres, un coup de fatigue / blues me terrassa. Je pensai à Apolline qui avait dû se glisser sous la couette chaude, à côté de son papa ; je voulais les rejoindre !

    Mais l’habitude est plus forte que la lassitude. Je fis marche arrière et commençai à rouler en direction de la gare.

    Le premier rond-point sur la route était le plus minuscule rond-point de la France entière ; d’ailleurs beaucoup d’automobilistes le franchissaient tout droit, en passant sur le terre-plein, moins haut qu’un ralentisseur. Mon père s’en était offusqué ; il est alsacien. En son honneur, je passai en première pour marquer la courbe de ce tout petit rond.

    A ce moment, je fus plongée dans l’obscurité. Le noir complètement complet. De façon générale, j’ai vite peur, et quand j’ai peur, je ne réfléchis plus, alors que mon QI me satisfait habituellement. Là, ce fut la panique. Mes pieds lâchèrent les pédales, mon cerveau aussi.

    Je savais ou plutôt je sentais que je n’étais pas aveugle, mais que c’était bien l’extérieur de moi-même qui était devenu noir, pâteux et silencieux. Je raccrochai quelques neurones en me disant « tu es seule dans la voiture, Solange n’est pas sur le siège arrière ». Mais je sentais toujours la voiture en mouvement.

     Je sentis mon siège se transformer, et je vis apparaître la tortue que je chevauchais, enfin, que je tortuais plutôt. Son rythme était lent, son pas scandait une mélodie étouffée.

    A mes côtés scandait Solange sur sa vache rebondissante. Sa couronne dorée était un peu trop petite pour sa tête de vache, du coup, elle était placée un peu de guingois sur ses cornes.

    Nous arrivâmes au bord du lac. La vache s’arrêta pour que Solange puisse mettre son maillot, mais la tortue s’enfonça gracieusement dans l’eau. Je nageai dans l’eau brumeuse pour rejoindre Solange. C’est l’éléphant de mer qui amena le ballon jusqu’à nous, et la joie rebondissait des gouttes d’eau vers les lunes, et éclairait le rire de Solange.
    Lutvic le 11 février 2020
    Les livres de Jonas

    Dans un trou profond, au cœur de la mer, l'eau m'entoure. Je suis dans le monde des morts.
    Je flotte depuis trois jours et trois nuits entre des plis rougeâtres, au gré d'un souffle que je devine m'emporter. J'avance tantôt vers les méandres des vaisseaux, tantôt vers les constellations dentelées des muqueuses, glissant et tournoyant dans des cavités veloutées, pulsatiles, spasmodiquement irriguées par le sang du monstre. Mon âme vivote, se contracte et se dilate pareillement, oscille et s'ondule. De terreur, je tombe dans la torpeur. Je me laisse dégringoler.
    Là, amarrée contre une paroi molle et tremblotante, parsemée de papilles fluorescentes, seule parmi ces brillances épithéliales, je songe.
    Je ne me noie pas, je ne crie pas, je n'ai plus peur. Je parle. Je dois parler avec moi-même ou m'adresser à un interlocuteur invisible : je raconte, je me justifie, je me perds dans les détails ; j'expose la difficulté d'apprendre à vivre dans une autre langue ; j'exhibe la souffrance sourde que me procure tous les jours l'absence de ma fabuleuse bibliothèque, laissée derrière moi, avec « ma vie d'avant » ; j'explique combien j'ai du mal à trouver ma place ; je suis prolixe ; je m'attarde longuement sur l'étrangeté d'errer, jusque dans mes rêves, entre deux univers linguistiques. Et plein d'autres sottises auxquelles pourrait seulement s'intéresser un vague interlocuteur caché dans un cachalot ou dans les livres du grand monde.

    Le matin d'avril suivant ce rêve – l'un de mes premiers dans un appartement baigné de lumière du 13ème, où j'ai emménagé après plus d'une décennie de vie à l'étroit –, je suis sortie me balader dans mon nouveau quartier.

    Je pensais aux ruptures et aux commencements qui composent toute vie, je humais les odeurs de Bò-Bún et de coriandre, de viande rôtie et des voitures et je me demandais, distraite, ce qu'un interprète des rêves pourrait faire du mien.

    Arrivée rue de la Maison Blanche, j'ai saisi le regard rieur d'un vieil homme moustachu sortant, un livre à la main, d'une librairie. J'y suis entrée. Cela m'a offert instantanément la clef de mon rêve et sa suite, son inattendue éclosion dans le réel : la librairie Jonas brillait de ses mille titres comme les belles entrailles d'un cachalot mythique. Avec, en prime, l'intelligence des libraires qui chuchotent, ménageant sagement la solitude des visiteurs. Il y avait aussi des jolies cartes épinglées astucieusement, que j'ai imaginées sans peine entre les mains des personnes chères. Et des affiches, des annonces, la promesse des événements et des échanges autour de l'écrit et du plaisir de lire. Le Jonas plein de livres pulsait de vie.

    Est-ce mon rêve qui a généré cette rencontre ? Ou bien les livres de Jonas m'avaient envoyé un signe avant-coureur, en forme de songe coloré et contrariant ? Quelle importance ? La porte de la librairie m’avertissait déjà, décorée par la phrase et le pochoir de l'artiste Miss Tic : « L'art et la vie ne font qu'un ».

    Le choix éditorial, dans le ventre de Jonas, m'est aussitôt apparu comme impeccable de rigueur et d'exigence. La marelle des rayons m'invitant à sauter d'un âge à l'autre, des grands livres cartonnés pour les mômes à la sociologie, des actualités juteuses aux classiques, dévoilait une subjectivité éclairée. Des goûts évidents et familiers. J'étais en proie à un éblouissement heureux : une bonne librairie est celle qui entre en résonance avec ta façon d’appréhender le monde.

    Sans le chercher, je l'avais trouvé, le coin préféré de mon quartier : entre les mots et les pages, là où l'on peut se nicher chaudement, à l'abri du froid, entre les plis d'autres sensibilités, parmi les méandres des phrases et la dentelle des idées. Là où l'on saisit un fragment au hasard et l'on décide de faire sien tout un livre, voire un auteur. Là où l'on revient, pour trouver encore et encore, sans chercher guère.

    Mon songe est ainsi devenu l'expression d'une rencontre : car tout lecteur passionné rêve des librairies pleines de livres aptes à lui adoucir la vie, et tout vrai libraire, me semble-t-il, rêve des lecteurs qui rêvent de ses livres.
    Herve-Lionel le 12 février 2020
    La passante du square







    « Chères images aperçues

    Espérances d’un jour déçues »




    Antoine POL.













    La touffeur de Juillet m’a attiré vers un banc de ce jardin public où je viens souvent distraire mon ennui et ma solitude. Un livre souvent m’accompagne.




    Je n’ai jamais quitté La Rochelle où je suis né. Cette ville est ma patrie, ma terre, et je crois que j’y mourrai. D’ailleurs, sans avoir vraiment un pied dans la tombe, ma récente retraite m’en rapproche cependant un peu même si ma relative bonne santé me permet d’espérer pour moi encore de bonnes années.




    Je fréquente ce petit square et j’y suis souvent seul. Quelques arbres et des bancs y offrent fraîcheur et repos au centre de la cité. J’aime venir m’y asseoir pour quelques instants et regarder les gens passer, vaquer à leurs occupations, prendre le temps de vivre ou au contraire lutter contre un horaire qui leur mange la vie. C’est un plaisir bien innocent. C’est désormais ma place ici, comme, enfant, j’étendais ma serviette éponge sur la plage de la Concurrence pour un après-midi de bain de mer et de soleil. Cela ressemble un peu à une fin de parcours !




    Ce petit parc devant lequel beaucoup passent sans même le remarquer rend un hommage discret à Alexandre Auffredi à qui la vie a permis de mesurer la fragilité de l’amitié et la relativité des engagements humains. Un buste en bronze le représente. Au XII° siècle ce riche marchand avait eu l’idée un peu folle d’engager toute sa fortune et celle de sa femme, Pernelle, pour armer sept gros navires dont la mission était de rapporter d’Afrique des épices et des richesses. La flotte partit donc et, sans nouvelles, il finit par vendre tous ses biens et, de bourgeois influent qu’il était, devint mendiant. Tous ses amis et même ses parents lui fermèrent leur porte. Seule Pernelle ne l’abandonna pas! Au bout de sept années de navigation, les bateaux s’en revinrent à La Rochelle chargés d’or, d’ivoire, d’épices. On chercha Auffredi et on finit par le trouver, en haillons, sur le parvis de St Barthélémy, tendant la main. Revenu à meilleure fortune, on ne manqua pas de le célébrer. Il n’en tint pas rigueur aux Rochelais puisqu’il fonda dans la cité un hôpital qui porta son nom. C’était là un bel exemple d’humanité.




    N’y voyez aucune malice, mais quand j’y viens pour voir passer les gens, je choisis de préférence les femmes. J’ai la faiblesse de les préférer jeunes et jolies. Parmi la foule, j’en fixe une, sans insistance évidemment pour ne pas la mettre mal à l’aise. Mon regard la suit un instant, la lâche si une autre se présente et m’attire davantage... Je la repère de loin à son allure, à son pas, à sa façon de marcher. Dès l’abord ses yeux m’attirent. Ils sont le reflet de l’âme et disent plus long sur elle que les mots eux-mêmes. Elles révèlent à eux seuls les traits du visage, l’illuminent!




    La peau m’attire aussi, mais elle n’est pas forcément blanche, pas non plus halée par le soleil, elle est la peau. De loin j’en devine le grain, la douceur, la saveur peut-être? C’est comme les cheveux, je les aime vagues et flattés par le vent...




    Celle qui vient vers moi à tout cela et plus encore, et ce qu’elle cache de son corps sous ses vêtements légers et colorés n’est pas de mon domaine, ne me concerne pas...




    Tout ce qui fait sa beauté, son pouvoir de séduction appartient sûrement à un autre et en ce moment je trouve qu’il est bien chanceux! Moi, je me contente de regarder, pas comme un voyeur, mais comme un être humain qui apprécie ce qui est beau. Ah, la beauté des femmes! Elle m’a toujours bouleversé!




    Mon regard se porte sur ses mains, fines et sans bijoux. Elles soulignent par leur balancement le tangage de son corps tout entier. Sur ses lèvres tout juste soulignées sans excès, sur son cou gracile, sur la finesse des traits de son visage, sur son iris d’une transparence bleue...




    Nos yeux ne se croisent pas. Comment pourrait-elle faire attention à moi? D’ailleurs elle ne peut pas m’apercevoir à cause de l’ombre. Elle ne peut donc pas me sourire. Avais-je été assez fou pour espérer cela? De toute manière, je le sais, je n’ai jamais plu aux femmes, je n’y peux rien!




    Peut-être est-elle réservée, timide, hautaine ou indifférente au monde qui l’entoure? Elle jette un œil distant aux vitrines, se laisse à peine distraire par la circulation à l’entour. Elle semble absente. Peut-être est-elle préoccupée, pensive, amoureuse...? Elle songe peut-être à ce qu’elle va faire, à ce qu’elle va dire tout à l’heure...? Pas de complicité donc entre nous. Tant pis pour moi!




    Ça y est, elle est passée! Elle m’a presque frôlé mais ne m’a toujours pas aperçu. Comme toutes les femmes elle traîne derrière elle un parfum. Celui-ci est discret, une eau de toilette peut-être et sa fragrance me fait rêver, mais elle est déjà pour moi l’image d’un manque et d’un certain échec. Je n’y peux rien, je suis un sentimental impénitent... et ma passante est déjà loin, happée par la foule.




    Que me reste-t-il d’elle ? Ses pas pointus sur l’asphalte, le souvenir frais de son parfum, l’ombre portée de son corps sur le sol... Peut-être en rentrant chez moi tout à l’heure, dans l’intimité de mon bureau, fixerai-je avec des mots l’émotion de ce moment, la clarté de son regard ou le balancement de sa robe pour qu’ils appartiennent à mon univers et qu’ils soient marqués pour moi du sceau du souvenir. Peut-être ou peut-être pas? Allez savoir! J’ai une sensibilité (d’aucuns diraient une sensiblerie) à fleur de peau. J’accumule dans mes cartons ces moments secrets que l’alchimie de l’écriture transforme au détriment parfois de mon sommeil. Heureusement que je dors seul. Je porte cela en moi, je n’y peux rien. Je suis en permanence émerveillé par la beauté des femmes, même si tout cela n’enfante que du fantasme et du vide. Cela ne donnera que du papier gâché, noircie de ma main... Oh, je commence à en avoir l’habitude. C’est sûrement pour cela que j’ai définitivement choisi de ne pas me fixer, de ne pas m’engager ...




    Elle a donc disparu dans la foule, cette passante diaphane qui un temps, court il est vrai, m’a fait rêver à d’impossibles aventures... Et puis, tout à coup, je ne sais pas ce qui m’a pris, une sorte de sursaut de mâle, attardé peut-être, mais je me suis levé d’un coup, j’ai marché dans sa direction, je l’ai suivie comme un adolescent malhabile. J’ai même couru abandonnant mon livre, un mauvais roman, je crois.




    Je suis d’un naturel timide, réservé. Il m’arrive parfois d’être paralysé, incapable de prononcer une parole devant quelqu’un qui m’impressionne, mais aujourd’hui la hardiesse s’est emparée de moi. C’est un peu comme si cette femme éphémère avait provoqué chez moi une sorte de possession que je dois absolument exorciser.




    Soudain, je me suis senti capable de tout, de tout inventer et de tout tenter. Je ne me reconnaissais plus, non je n’étais plus moi! Les yeux de ma passante étaient vraiment extraordinaires pour provoquer chez moi une telle réaction. J’ai toujours été étonné par cet élan mystérieux qui pousse les gens les uns vers les autres. C’est vrai que ce n’est pas la première fois que je tombe amoureux et qu’un seul regard fait basculer ma vie. Pour moi, c’est plutôt bon signe. Quand même, à mon âge, ce n’est pas sérieux. Je pourrai, oh, très largement, être son père!




    Qu’importe après tout la contingence des choses humaines, les conventions, les règles de bienséance, je suis bien décidé à attirer son attention, à faire quelques pas en sa compagnie, à mâcher quelques mots avec elle. Ah, le miracle de la rencontre!




    Après tout, on n’a qu’une vie et le plaisir appartient à l’instant et surtout à celui qui le saisit. Les choses humaines sont transitoires et nous ne sommes ici que de passage. Je sais tout cela, et depuis longtemps, alors, à quoi bon hésiter!




    Voyons, elle a quitté mon champ de vision, a tourné à droite dans la rue au coin de la quelle on aperçoit une enseigne qui représente une paire de lorgnons. Je m’y précipite... mais elle est déjà loin. Me serai-je trompé? Aurait-elle été plus rapide que moi?




    *




    -Allez, Monsieur, il ne faut pas rester là !




    Celui qui viens de me secouer porte un uniforme et un képi. Il m’invite à quitter le banc sur lequel je me suis assoupi...




    Le petit square que j’ai choisi pour cette soirée d’été est réservé à cette heure pour une manifestation publique. Les Rochelais se souviennent une fois l’an d’Alexandre Auffredi et c’est aujourd’hui, précisément!




    Je le sais pourtant, les fins d’après-midi estivales sont toujours pour moi ensommeillées!
    glegat le 12 février 2020
    Très beau texte  !  @Herve-Lionel@
    Herve-Lionel le 12 février 2020
    merci
    CaptainNahamEricka le 12 février 2020


    Ici (Vie de [rêve) de vie] Là-bas



    C'est à douze ans qu'on rate sa vie. Personne ne nous prévient. Et pourtant, tout pourrait, tout aurait pu, être différent. C'est qu'à cet âge-là, on pense avoir le temps. Devant soi, c'est l'infini, pur et lumineux, privé de tout irrémédiable. Je te croisais tous les jours pendant les intercours. Je faisais partie des marcheurs, occupés à rien d'autre que de parler, en faisant le tour des bâtiments. Mais toujours en sens inverse était le chemin que tu empruntais. À ton premier sourire, je ne sus que dire. J'avais besoin de trouver, au milieu d'un océan d'émotions, celle qui te plairait. La perle rare. Je n'étais pas là pour rigoler avec nos sentiments. Alors, je passais la nuit à prévoir cette rencontre. Je préparais la phrase parfaite que j'allais t'offrir le lendemain. Et puis, je te voyais arriver en souriant. Et j'oubliais tout. Mes belles idées nocturnes envolées, je restais muet.

    J'ai raté ma vie, j'ai rêvé ma vie. La nuit, je te parlais en rêvant. Tes réponses étaient parfaites. Ton sourire était parfait. Alors, comment le jour aurait-il pu lutter ? Face à mes rêves, la réalité perdait à chaque fois. Ton sourire même, je le soupçonnais, n'était-il pas sourire de dépit ? Devant mon mutisme, n'étais-tu pas lassée, déçue, offensée ou furieuse ? Et chaque jours raté nécessitait une perle encore plus belle que la précédente pour me faire pardonner. Il me fallait demander à la nuit, à la solitude et au calme où elle se cachait. Et chaque nuit me mentait, m'éloignait de toi en prétendant avoir découvert le meilleur des scénarios possibles.

    Un jour, j'ai compris qu'il était trop tard. Tu avais fini de me sourire. Malgré toutes les phrases précieuses et dorées que j'avais collectionnées. Malgré tout ce que je ressentais pour toi. Malgré tous ces rêves où nous nous comprenions sans efforts. Alors, ce réel affligeant, à douze ans, je l'ai laissé glisser, s'évaporer pour ne plus jamais vivre qu'ici. Dans cet endroit où le temps n'a pas de prise. Où les rêves sont sans cesse renouvelés. Et si ton visage a pris d'autres formes, s'il a fondu ce n'est que pour mieux s'incruster dans chacune de mes pensées. Dorénavant, tu es une idée, le fantôme de mes illusions, de mes incapacités, plus réelle que tout ce qu'on dit être réel. Tu voyages le long de mes neurones, accompagnant chaque information synaptique, colorant tous mes potentiels d'action de la couleur sombre de cet échec qui m'est le plus cher. Cet échec, dernière chose qu'il me reste de toi, de ma jeunesse, d'un avenir possible ; tatoué à jamais, ma peau.

    Longtemps la vie a cru en moi, cru que je finirai un jour par te laisser tomber. Mais, elle aussi s'est lassée. L'infini n'est pas d'ici. Ici, tout a une fin, tout est raté d'avance. Alors ne me reste à vivre que ce rêve de vie, là-bas. Je ne vois plus rien d'autre à faire ; me tirer de cet ici et maintenant. Car là-bas, dans ce monde qu'un appelle rêverie, les choses sont beaucoup plus claires. Ici, les réussites passent, les empires s'effondrent, la mort a toujours le dernier mot. Là-bas vit une évidence. Nous nous croisons toutes les nuits. Je lui souris. Elle me réchauffe. Je n'ai même pas à trouver de mots pour la remercier. Elle sait tout déjà, et mieux que moi, de ce que je suis, du mystère d'où je viens et de l'infini où je vais. Je n'ai plus qu'une seule chose à faire ; la suivre là-bas, confiant et enfin ravi de n'être qu'un rêveur muet qui s'était, pour une vie, perdu ici.
    franceflamboyant le 13 février 2020
    Les rêves de Dora


    On revient toujours aux origines, cela, Dora, le sait. C'est pourquoi, elle rêve souvent de la rue d'Assas où en 1907, elle a vu le jour. Elle y a été un bébé fille aux petits vêtements chargés de dentelle et a très vite su qu'on la trouvait belle. Une fille unique l'est toujours et Dora, dès qu'elle a pu saisir l'éclat de fierté qui illuminait le regard de Josip Markovic, son père, l'a compris. Elle est la prunelle de ses yeux et ce n'est pas rien de l'être. Josip est un exilé qui, après la Croatie, a étudié à Zagreb, à Vienne et à Paris où il exerce le métier d'architecte. Il s'est marié à une française catholique, Julie Voisin. Le début d'un rêve ...
    Celui-ci se poursuit à Buenos-Aires où il a obtenu plusieurs commandes dont celle de l'ambassade d'Autriche-Hongrie. Il en fait les plans et la construit et l'empereur François-Joseph le décore pour cette prouesse. Il en est heureux mais à ces flatteries, il préfère la contemplation de sa fille : Marguerite Dora Markovitch. Qui sera -t'elle cette toute petite fille qui vit en Amérique du sud, des parents exilés, et semble pouvoir appartenir au monde entier ? Il rêve tout éveillé de son grand avenir...
    En 1926, la famille revient à Paris. L'enfant a grandi mais ses parents la regardent toujours autant, le père surtout, fasciné par cette créature de dix-neuf ans au maintien tout ibérique et à la séduction argentine. C'est que l'espagnol lui vient bien plus naturellement que le français...Et puis, il y a cette inversion de prénom. D'abord Dora-Marguerite...Puis très vite, seulement Dora puisque Marguerite disparaît. Maar, cela viendra dans la foulée. Elle se souvient du nom de son père, cette jeune femme décidée mais elle va tellement plus loin. Elle aussi, bien qu'éveillée, rêve. Maar. Par Mar qui est facilement traduisible mais Maar qui, à cause de cette double voyelle, offre à tant de possibles. Peut-on être anodine et s'appeler Dora Maar ? Non, on ne peut pas !
    franceflamboyant le 13 février 2020
    Rêver, c'est regarder et regarder, c'est rendre des comptes aux arts. Ce n'est pas son père, le constructeur d'ambassades et d'opéras, qui dira le contraire. Alors, Dora suit les cours de l'Union centrale des arts décoratifs de Paris mais elle s'initie aussi à la photographie et pour conclure, elle apprend le dessin à l'académie Julian et va aux Beaux-Arts. Et elle apprend. Et, au cours de sa vie, elle prend des photos, procède à leur agencement, dessine et peint. Et elle s'arrête rarement, qu'on la regarde ou pas, qu'elle soit jugée intéressante ou non, qu'elle soit entourée ou vive en recluse. Dès l'abord, André Lhôte et Henri-Cartier-Bresson s'arrêtent à elle. Qui est cette femme ? Quel est son regard ? Quel est son rêve ? Est-elle de ce monde ?
    Elle en fait partie, oui, autant qu'elle peut mais quand elle ne peut plus travailler avec ces deux photographes, elle fait cavalier seul. Belle cavalière qui parcourt Barcelone puis Londres où elle traque les effets de la grande dépression et fige sur la pellicule des visages défaits, affolés, des dignités perdues...
    Son père, éternel admirateur, l'aide à ouvrir un premier atelier qui est bientôt remplacé par un second. La Croatie, l'Autriche-Hongrie, l'Argentine, la France : voilà tout ce qui la compose cette Dora au beau visage et aux rêves sibyllins. Dès le départ pour elle, tout s'est enchaîné. Aux avenues parisiennes et aux parcs arborés, ont succédé les avenues de mai, les places de la liberté et tous ces monuments grandiloquents qui, à la Belle-époque, constituent le centre de Buenos-Aires. Puis Paris a repris ses droits et dès lors, Dora ne sait si cette grande ville qui est trop exotique pour elle ou l'inverse. En tout cas, ça la fait rêver...
    Pierre Kéfer travaille avec Jean Epstein pour lequel il est photographe et décorateur. Elle le rencontre. Mais elle rencontre aussi Brassaï avec lequel elle travaille , puis Louis-Victor Emmanuel Sougez qui est le directeur du magazine L 'Illustration. Que de mentors...
    Dora est une jolie femme qui peut-être ne le sait pas ou au contraire, le sait trop. Une solution : rêver trop d'art. Qui sait.
    1930. Louis Chavance la fait-elle rêver ? Il est né en 1907, comme elle, et pour l'instant, il fait du cinéma. Monteur, mais aussi scénariste, il sait s'entourer : Jean Vigo, Pierre Prévert pour ne citer qu'eux. Plus tard, il s'illustrera comme scénariste avec Le Corbeau où Pierre Fresnay aura bien du mal à débusquer celui qui sème tant de haine et de perturbations dans une petite ville de province. Il côtoiera Marcel Lherbier, André Cayatte et Christian-Jaque. Brun, distingué, parisien, il est un interlocuteur intelligent, tour à tour grave et rieur, qui doit convenir à cette jeune femme si singulière et créative.
    Et puis, il y a le groupe Octobre. Prévert, qui en est la figure de proue, écrit et charge  l'ordre établi : les politiciens ridicules, les gros industriels, les bourgeois bien-pensants et défend le théâtre du peuple qui veut jouer Eluard et Aragon ou voudra le faire...
    franceflamboyant le 13 février 2020
    Dora se rêve t'elle réaliste, elle qui les entend parler, ces théoriciens, ces poètes, ces rêveurs qui veulent coller à la réalité et renverser les valeurs ? Ou bien se rêve-t'elle en princesse lointaine, en diva exotique, cette jeune femme brune au physique piquant qui ne déparerait pas dans un mélodrame latino-américain en costumes ?
    Quand elle expose à Paris pour la première fois seule, elle montre son travail de photographe à la galerie Vandeberg. Noir et blanc et Surréalisme.

    En 1933, elle rencontre Georges Bataille. Quel rêve poursuit-elle avec cet homme plus âgé qu'elle qui poursuit une œuvre complexe et se voulant inclassable ? Il est celui qui déclarera en 1961, à une journaliste : : « Je dirais volontiers que ce dont je suis le plus fier, c'est d'avoir brouillé les cartes [...], c'est-à-dire d'avoir associé la façon de rire la plus turbulente et la plus choquante, la plus scandaleuse, avec l'esprit religieux le plus profond » Ce « brouillage », dira la critique, est d'autant plus manifeste en raison des multiples versions, manuscrits et dactylogrammes de ses textes, et aussi parce qu'il a souvent usé de pseudonymes pour signer certains écrits (récits érotiques) : Troppmann, Lord Auch, Pierre Angélique, Louis Trente et Dianus.
    Dora  peut-être est encore plus belle. Elle incite à l'amour. Adorer Dora, est-ce si difficile ? Elle a photographié et était l’œil du photographe. Elle sait ce qui se passe quand on met son œil dans l'objectif et que la photo qui sera faite sera tout sauf réaliste, qu'elle dira l'un de vos vrais visages, mais qu'elle montrera aussi l'un des faux, qu'elle établira un pont entre ce qui est prosaïque et ce qui est onirique...Un portrait d'elle la montre presque à nu, son visage aux traits délicats émergeant d'une zone d'ombre. Et sur la droite, en hauteur...Qu'est-ce que c'est ? Une toile d'araignée...
    franceflamboyant le 13 février 2020
    Amante de Bataille jusqu'en 1934
    Et ensuite, l'histoire tant attendue ! Fin 1935, Maar est engagée comme photographe de plateau sur le film de Jean Renoir, Le Crime de monsieur Lange. À cette occasion, Paul Éluard lui présente Pablo Picasso en janvier 1936 dans le café Les Deux Magots.
    Le rêve éveillé d'une femme souveraine, une reine sanglante, une vierge approchée mais non profanée : celui de Dora.
    Le rêve d'une femme qui ne fréquente que des gens d'images et de paroles. Ces poètes, ces cinéastes, ces écrivains, ces photographes, ces peintres...Il y a si peu de femmes qu'elle en sortira grandie. Elle est si jeune qu'elle sera adulée et si brillante qu'on ne pourra l’abîmer, même dans les extrêmes du regard, quand les hommes veulent des jeux privés qui peuvent aller si loin, qu'elle les regarde et qu'ils la regardent.
    Portrait fictif d'une rêveuse.
    Portrait de Dora.
    Rêve éveillé.
    franceflamboyant le 13 février 2020
    Très joli texte, Lutvic !
    Lutvic le 13 février 2020
    Merci ! 
    Emilie69 le 14 février 2020
    Texte reecrit par captain_de_niroth                     


                               Mon rêve

        Je te revois, on devait avoir moins de 10 ans. Nous étions de la même ville mais pas de la même école. Il n’empêche que mon cerveau, ou plutôt mon cœur, ne t’avait pas oublié.
    Arrivée au collège, je te revois encore, toujours aussi beau. Mais je réalise en une seconde que « nous » n’existera jamais, même si l’on a les mêmes passions. Tu étais toujours entouré, alors que moi, plus j’étais discrète et mieux je me portais.
        Pourtant, un jours, tu as décidé de me mettre la mains au cul ! Je me rappelle m’être retournée et s’il n’y avait pas eu tes amis, je t'aurais giflé ! Nos regards se sont croisés. Tu tenais ma main. Je crois t’avoir dit « pauvre con ». Arrivée chez moi, je l’ai raconté à ma mère, tellement déçue que tu fasses cela. Mais elle me répondit que les garçons peuvent être débiles, quand quelqu’un leur plait. « Quelqu’un leur plait… » Ce bout de phrase, je ne l’ai jamais oublié .
         Tu as fini le collège. Moi, quelque années après, mais sans t’oublier. Jusqu’à cette fois au Macdo. Tu ne m’a pas parlé, juste regardée. Je pensais que tu viendrais, mais non, ce sont mes larmes qui t’ont remplacé. Mon cœur t'aime, mon cerveau pense a toi, et pourtant « nous » ne sera jamais. « Nous » sera un rêve, ou plutôt un cauchemars, qui m’empêche de vivre et d’avancer. Alors, mon rêve, je te dis « adieu ». Car je sens que le sommeil me fuit. Et toi avec....
    Blakflint le 15 février 2020


    - Bonjour.

    - Ou… ou je suis? Que m’est-il arrivé?

    - Cela n’a pas d’importance pour le moment.

    - Pardon ?... Comment je suis arrivé là ?... je suis mort ?

    - Pas encore, mais vous n’êtes plus ce que vous pourriez qualifier de « vivant ».

    - Quoi ? cela n’a aucun sens !

    - Le corps et l’esprit ne sont pas limités à deux états basiques, mais cela n’a pas d’importance pour le moment.

    - Que m’est-il arrivé ? Qu’est que je fous ici ?

    - Détendez-vous. Vous êtes, ici, en sécurité. Nous reprendrons cette conversation plus tard, dormez maintenant.

    - Mais je n’ai…..

    *******

    - Bonjour.

    - Mmmhh ! vous revoilà, qu’est ce que vous m’avez fait ? vous m’avez drogué ?

    - Non, nous n’utilisons pas ces méthodes, mais cela n’a pas d’importance pour le moment.

    - Qu’est ce qui en a alors ?

    - Vous sentez vous plus serein ?

    - Pas vraiment non. Etre enfermé et retenu prisonnier ne correspond pas tout à fait à mon top des instants de quiétude.

    - Vous n’êtes pas enfermé, ne voyez-vous pas ?

    - Merde !!!, comment avez-vous fait ça ?!!!j’aurai juré… nous étions dans cette pièce!!! et là…

    - Il faut des clefs pour ouvrir des portes. Mais cela n’a pas d’importance pour le moment.

    - Non ce n’est pas possible je suis devenu dingue, c’est impossible, il y a une explication concrète !… comment… comment sommes-nous sortis ?!!!

    - Détendez-vous. Vous êtes, ici, en sécurité. Nous reprendrons cette conversation plus tard, dormez maintenant.

    *******

    - Bonjour.

    - Vous pouvez arrêter de faire ça ? Sérieux.

    - Vous sentez vous plus serein ?

    - Si ça peut vous faire plaisir… Qui êtes-vous ? A moins que cela aussi n’ait pas d’importance.

    - Cela en a. Vous nous connaissez depuis longtemps, sous différents noms.

    - Le F.B.I. ? La C.I.A. ? les Anonymous ?...

    - De tout âge votre monde a parlé de nous dans ses récits, sous une forme ou sous une autre.

    - Attendez, vous avez dit « votre monde » Alors quoi ? J’ai été enlevé par des extraterrestres ? Ahah c’est du délire, vous vous moquez de moi.

    - En ces termes cela peut vous paraitre irréel, mais le propos reste exact, nous ne sommes pas Terriens. Voyez.

    - Encore ce tour de passe-passe ! comment vous faites ç.... Attendez… c’est… c’est la terre là, dans le ciel ?!

    - Pas exactement, plutôt une projection. Votre conscience doit intégrer mes informations avec parcimonie.

    - C’est un peu difficile à croire quand même, je ne comprends rien, que se passe-t-il ? pourquoi je suis là ?

    - Détendez-vous. Vous êtes, ici, en sécurité. Nous reprendrons cette conversation plus tard, dormez maintenant.

    *******
    Blakflint le 15 février 2020
    - Bonjour.

    - Non vraiment, il faut arrêter de faire ça.

    - Vous sentez vous plus serein ?

    - Désorienté plutôt. Pourquoi m’avoir choisi, moi ? Si vous êtes vraiment ce que vous prétendez être, vous n’avez eu que l’embarras du choix, alors pourquoi moi ?

    - Vous n’êtes pas le seul, il y en a d’autres, une multitude.

    - Il y en a d’autres ? combien ?… J’ai… tellement de questions…

    - Nous aurons tout le temps d’y répondre, mais cela n’a pas d’importance pour le moment vous devez comprendre avant.

    - Comprendre quoi ?

    - Nous vous avons trouvé au Hasard. L’univers est infini et notre technologie plus avancée que la vôtre, mais matériellement elle ne nous permet pas encore de voyager ou bon nous semble. Dans un certain sens, vous vous êtes déjà rendu plus loin que nous avons pu le faire.

    - Comment suis-je arrivé là alors ? vous avez dit être allé sur terre durant des siècles ?

    - Nous ne nous sommes jamais rendus sur votre planète, pas au sens où l’entendez du moins, mais nous vous avons étudié, longtemps.

    - Je ne vous suis pas, je n’y comprends rien, dites-moi franchement ce que vous attendez de moi parce que là je…..

    - Détendez-vous. Vous êtes, ici, en…

    - Attendez !!! Pas encore !!! ça va je suis détendu.

    - …. Nous ne pouvons quitter notre planète, la force de gravité étant extrêmement puissante la dépense énergétique est considérable. Les ressources naturelles, n’étant pas inépuisables, nous avons jugé sage de ne pas les gaspiller.

    - Alors comment êtes-vous allé sur terre?

    - Il y a d’autres chemins qui relient les mondes. Avez-vous déjà rêvé ?

    - Bien sûr que oui, ou est le rapport ?

    - Avez-vous déjà rêvé de lieux inconnus, mais familiers ? rêver d’un parent, un ami, mais être dans l’incapacité de le reconnaitre tout en sachant qu’il s’agit bien de lui? Rêver d’un livre, ou d’une lettre et être dans l’incapacité d’en lire le texte mais de le comprendre ?

    - oui, mais c’est le cas de tout le monde non ?

    - Evidemment, mais comprenez-vous le sens de cela ?

    - En créant des rêves le cerveau permet le stockage d’informations en développant des circuits nerveux par la création de synapses qui assurent la connexion entre les neurones.

    - Vous avez en partie raison pour l’aspect mécanique, mais pour créer un rêve, il faut une pensée, je vous laisse juger, nous reprendrons cette conversation plus tard, dormez maintenant.

    *******

    - Bonjour.

    - ….. Je suis mort c’est ça ? J’étais chez moi, j’ai vu ma famille comme…. mais je n’étais pas là n’est-ce pas ?

    - Je vous l’ai dit, la mort n’est qu’un état, non une finalité. Pourriez-vous dire qu’il s’agissait vraiment de votre famille ?

    - Je les ai vus.

    - Vraiment ? Vous devez comprendre, vos savants étaient sur le point d’entrouvrir la porte menant au déplacement psychique, mais trop tard. Ils n’ont pu concrétiser leur théorie.

    - Trop tard pour quoi ?

    - Cela n’a pas d’importance pour le moment.

    - Evidement… et pour le déplacement psychique ? Vous voulez parler de quitter son corps ? de N.D.E ?

    - Non, je parle de déplacement conscient. Dans ce que vous appelez « physique quantique » il est avéré qu’une particule peut être soumise à plusieurs états diffèrent, vitesse, position, le tout simultanément. c’est le principe de superposition quantique. À travers les rêves, la pensée suit le même schéma de façon inconsciente. En comprenant cela l’univers vous ouvrait ses portes. Au fil des siècles, nous avons appris à maitriser cette aptitude d’ubiquiter à travers nos rêves. Nos premières tentatives de communication avec vos peuples lors de projections hasardeuses ont malheureusement marqué votre histoire. N’avez-vous jamais entendu parler d’apparitions mystérieuses, d’esprits errant, de voix ineffable ou autres présences irrationnelles ?

    - Attendez-vous voulez dire que vous seriez à la base de nos légendes ? de nos religions ?

    - Oui, mais depuis nous avons appris à ne plus interférer, seulement observer.

    - Je ne suis pas sûr que le kidnapping rentre dans la catégorie « observation »

    - Les personnes que vous avez vues ont été votre famille mais ne le sont plus.

    - C’est… Je… je crois que ne me sens pas très bien, j’ai besoin de m’allonger un moment.

    - Les informations ont été denses, vous comprendrez mieux la prochaine fois. Détendez-vous. Vous êtes, ici, en sécurité. Nous reprendrons cette conversation plus tard, dormez maintenant.

    *******
    Blakflint le 15 février 2020
    - Bonjour.

    - Bonjour.

    - Vous sentez vous plus serein ?

    - C’est bizarre mais à chaque fois que j’ai ce blackout, j’ai l’impression à mon réveil de vivre une nouvelle réalité. C’est difficile à expliquer.

    - Je comprends, n’êtes-vous pas une personne différente de la veille à chaque réveil ? votre esprit a évolué, votre corps a changé. Vos cellules se renouvellent à chaque instant et il en est de même pour toute chose dans l’univers, des plantes meurent, changent, naissent. Des animaux. Des minéraux. Tout est en perpétuelle évolution.

    - Vous digressez encore.

    - Ne saisissez-vous pas ? tout est lié, le temps, l’espace, la matière, l’énergie, n’êtes-vous pas cela ? matière et énergie ? Vos rêves vous en donnent l’accès.

    - Alors les lieux que j’ai vus en rêve existent donc réellement ? tous mes rêves étaient réels ? ma famille ?

    - Sous une certaine forme oui, n’étant qu’énergie pure votre esprit navigue librement sans contrainte de temps ni d’espace. Vous croyez avoir vu votre famille mais ce n’était une empreinte résiduelle, quand votre enveloppe charnelle se décompose, les atomes la constituant sont assimilés par la terre, puis redistribué, dans les végétaux, l’eau, l’air et retourne aux animaux qui s’en nourrissent. C’est une façon parmi des milliers de vous réintégrer au cycle.

    - Au cycle de la vie ?

    - A plus grande échelle. Au cycle cosmique. Toute la matière constituant l’univers existe depuis l’origine, chaque atome de votre corps a déjà appartenu à un autre groupe de particules formant peut être, une étoile, une nébuleuse, un grain de sable, ou même un simple proton.

    - C’est vertigineux.

    - L’affinité que vous avez pu ressentir pour une personne est due à la présence en quantité plus ou moins dense de vos particules passées se trouvant en elle, nous appelons ceci la résonance. Grâce à vos rêves vous pouvez ressentir ses amas à travers l’espace et le temps et voyager vers eux.

    - Mais je ne comprends pas, si à un moment ou à un autre, j’ai fait partie de toute la matière existante, je devrai entrer en résonance avec n’importe quoi, non?

    - Cela est infiniment plus complexe en réalité. Nous-même, sommes loin de tout connaitre sur le fonctionnement de l’univers, le chemin est long mais nous aurons le temps.

    - …. Je ne rentrerai jamais n’est-ce pas ?

    - Non.

    - Et ma famille ?

    - Vous avez vu une résonance de leur passé.

    - Alors c’est fini ?

    - Pas encore, bien au contraire, vous êtes libéré du temps à présent. Afin que votre esprit survive ici, vous deviez assimiler progressivement ces nouvelles informations, les accepter, sans cela le choc aurait été trop grand.

    - Ou sommes-nous ?

    - Nous sommes ici dans les ARCHIVES. Votre terre a disparu, depuis maintenant plusieurs siècles. Nous stockons les connaissances de mondes éteints. Votre enveloppe charnelle n’existe plus telle que vous l’imaginez. Vous n’êtes plus qu’une partition, une sauvegarde de la mémoire de votre espèce. Venez, c'est votre tour.

    - Et vous?.... Qui êtes vous?

    - Vous voulez dire, qui sommes nous? Connecté nous deviendrons TOUS, les dépositaires du savoir.
    secondo le 15 février 2020
    Le gars du cauchemar

    Le gars était déjà venu me faire ultra peur. Il adorait ça, me voir m'entortiller dans mes cauchemars en trempant mes draps d'une sueur acidourlée. Le gars adorait ça. Il se penchait sur mon lit et regardait mon visage en riant, sans faire de bruit comme une araignée démesurée et irréelle mais il était bel et bien là. A côté de moi.
    En me réveillant je me secouais comme un chat après avoir bu pour éparpiller au quatre coins de la chambre les résidus d'horreur qui me chauffaient les meninges. Et je dois dire que ça fonctionnait plutot bien. La journée pleine de clarté s'exclamait alors autour de moi, je prenais mes cliques et mes claques et je courrais toute la journée entre les filles, le travail, les nounous, les activités légères et autres fitness. Quand je revenais je ne réalisais que tard qu'il me faudrait dormir, au risque de revoir le gars de mon cauchemar.
    Si j'avais eu un mari, j'aurais pressé mon visage contre sa poitrine et j'aurais bien été protégée pour m'endormir. Du moins je me faisais croire cela, alors que là, du sel sur une plaie, un couteau rouillée sur le coeur, j'attendais l'heure fatidique qui viendrait me chercher.
    L'endormissement venait me surprendre entre une ligne de King ou d'Austen et me jetait sans ménagement dans des scènes de salons anglais où de terribles monstres me poursuivaient toutes dents dehors en glougloutant des spasmes de série Béates.
    Un soir, au prix d'une force mentale extrême, j'arrivais à m'extraire du rève affreux comme au sortir d'une grotte humide, en gravissant les marches mousseuses de quelques affreux puits. Agrippant la margelle de mes doigts en sang je sortis de mon lit exténuée. J'allumais vite la lampe de chevet et découvris essoufflée et apeurée que mes lunettes n'étaient plus à leur place, que mon stick à lèvres était ouvert alors que je l'avais fermé avant de m'allonger, qu'une feuille trainait sur le plancher et des mots rouges de sens s'y étalaient avec indécence et provocation "Je suis là".
    Je bondis de mon lit, puis me ralentis ne voulant pas réveiller les petites qui dormaient dans la chambre à côté. Mais tout à coup, un doute affreux me saisit et si le gars s'en prenait à elles. J'ouvris la porte de la chambre et les découvris toutes deux assises dans leurs lits cages, un sourire démoniaque et démésuré sur leurs petits visages d'anges plein de dents acérés et de cruauté affichée. Je tombais à la renverse et entendis un grattement derrière moi, un souffle, une humidité de sous bois... jusqu'à ce que je me réveille pour de bon cette fois, avec le gars assis sur le matelas à côté de moi.





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