vibrelivre le 08 février 2020 Fais briller ton rêve Du mur sortaient des iguanes. C'était une génération spontanée. Il en sortait par milliers. Il y en avait un vert, d'assez grosse taille, vautré comme un potentat sur un tabouret ramené du Cameroun. Il lui semblait qu'il le regardait avec malice. Un autre, d'un gris parcheminé, se dressait sur la table comme un chef sioux sur le haut d'une colline. Putain, qu'il avait mal à la tête. Tous les objets alentour, et la pièce elle-même, tanguaient. Ca lui donnait la nausée. La houle du vertige évoquait une piscine à Mérida, de nuit, sous un orage battant. Des loupiotes tremblotantes éclairaient l'eau et les iguanes qui le regardaient nager. Ah quel souvenir. Un moment cosmique, qu' il était conscient de vivre magiquement, ses sens enregistraient, des fils coupants de pluie, des taches de couleur sur du noir, les éclairs, et comme il était bien dans son corps. Mais maintenant, des iguanes, il y en avait trop, une diarrhée d'iguanes. Il se leva complètement du lit, et gagna la salle de bains. Il mit la tête sous la douche, et en se baissant crut vomir. L'acide ne lui réussissait pas. En plus, il n'était pas même accro. C'était juste pour accompagner une vague copine qui avait vraiment besoin de quelque chose. L'acide avait dû être coupé de quels produits dangereux ? Il s'habilla. Il allait sortir. Prendre quelque chose. Se remplir le corps lui ferait du bien. Le soleil lui déchira les yeux. Il lui jetait des flèches qui lui tiraient des larmes et taraudaient son crâne. Il vacilla. Il se souvint de vacances dans les calanques. Il n'avait pas de lunettes pour le protéger des attaques de lumière. Il était là, sur un rocher, aveugle, il percevait des bouts de bleu, de vert, de gris, et il s'était mis à chanter. C'était l'harmonie. Il était seul, au repos, rentré en lui-même, et ouvert à tout . Son être exultait. Maintenant, son corps était froid, des bosses durcissaient ses muscles, des fluides violents circulaient dans ses membres. Il dut s'appuyer sur un réverbère. -Ca va, Monsieur, je peux vous aider ? Quelle voix, un soprano de séraphin. Une ombre grandissait et voletait devant lui. L'image ne cessait de bouger. C'était comme le masque de Scream qu'un ami lugubre se plaisait à s'appliquer pour lui faire exprimer toutes sortes d'émotions épouvantables. -Clai-ai-ai-aire, viens-ien-ien-ien ici-i-i-i. -Maman-a-an-a-an-a-an, il est tout pâ-â-â-â-le. Les voix sautaient comme sur un disque mal positionné sur l'électrophone de sa grand-mère. Ca lui rappelait des soirs de fête où le volume était à fond, et les vibrations lui rentraient dans la gorge. Ce qu'il éprouvait alors, c'était qu'il contenait un monde, et que ce monde, il en était le créateur. Il se retrouva dans un bar, un verre de café devant lui. La fillette le regardait. Elle avait des yeux limpides. Il ne voyait que ses yeux, des faisceaux de lumière, de l'argent, de l'opale. La mer et le ciel sous le soleil de midi. Ca ressemblait à la vie, ça vous insufflait de la force, ça chantait le monde. Ou l'infini. -Bois-oi-oi. Maman-an a dit-i-i de prendre les su-u-u-cres. Que lui disait-elle ? Il se sentait bien. Il n'avait pas peur. Il se retrouvait devant un lac d'Islande en été. Il n'y avait pas de bruit. Le lieu était tranquille, serein. Immobile et intact, comme une aube rimbaldienne. La maisonnette ne paraissait pas habitée. Il aurait dû pousser la porte, être plus curieux... -Bois-oi. La petite fille approcha la tasse. -Maman-an va revenir-ir. Elle est allée à-a-a la pharmacie-i-i, et puis elle va-a-a t'apporter des croissants-an-an. Je voudrais que tu sois-oi-oi bien-in-in quand elle arrivera-a-a. Tu as des yeux tout drô-ô-ô-les. Il but. -Attends-en. La fillette lui sucra d'autorité la boisson. -Ca va-a te donner-é des fo-o-orces. -Merci-i, Clai-è-re. Sa voix sortait d'une caverne. Sourde, profonde et triste. Il toussota. -C'est un joli-i- nom, Clai-è-re. Claire sourit. Il le vit dans l'éclat de ses yeux et la douceur des traits qu'il commençait à distinguer. Il prit une autre gorgée. Il eut du mal à faire passer le breuvage amer, malgré le sucre. Il avait longtemps vécu dans le Nord de la France. Quand il était petit, il accompagnait sa mère dans les fermes, une cafetière en inox attendait sur le feu. La fermière leur servait un jus d'un brun clair, tiédasse. Sa mère remerciait cordialement. -Qu'est-ce que tu veux ? Ca me réchauffe le cœur, cette hospitalité toute simple. Le café, c'est la boisson de l'amitié, lui disait-elle, avec un beau sourire. -On dirait que vous allez mieux. Un autre sourire, tout aussi beau, se superposait à celui de sa mère. Le disque avait été remis en place. -J'ai pris des brioches et de l'aspirine. Je crois que cela ne peut pas vous faire de mal. Comment vous appelez-vous ? -Serge. -Comme Gainsbourg, dit Claire. Maman aime bien Gainsbourg. -Moi aussi. « Je fais des trous, des p'tits trous, encore des p'tits trous ...» -Nous allons vous laisser. Claire a son cours de musique. La consommation est réglée. Prenez soin de vous. -Tu aimes la musique ? -Beaucoup. -Je joue de la clarinette. Et toi, tu joues de quelque chose ? -Du hautbois. -Claire, nous devons partir. Tu vas être en retard. Au revoir, Serge. -A bientôt, Serge. Le hautbois et la clarinette sont frère et sœur, non ? Serge termina le café, prit une brioche, et deux aspirines. Il sortit du café. Le serveur le salua d'un signe amical. |