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    JML38 le 07 août 2020
    Merci glegat et mfrance pour vos commentaires.
    J'essaye effectivement de rester dans l'humour, peut-être en réaction face à la morosité ambiante.

    Merci également à glegat d'avoir ouvert le défi du mois avec une sympathique "Prison modèle" et l'évasion réussie d'Edmond.
    JML38 le 08 août 2020
    Sympa  Evysev  de nous proposer, en cette période de pénurie sportive, ce texte qui colle on ne peut mieux au thème du mois.
    JML38 le 08 août 2020
    Les fantômes de l'Everest

    8 juin 1924, 17h15, George Mallory atteint le sommet de l'Everest. Il est le premier homme à fouler le toit du monde.

    Lorsqu'on lui demande pourquoi il veut gravir le mont Everest, il répond « parce qu'il est là ».
    C'est sa montagne. Après deux tentatives infructueuses, la troisième est la bonne. Il profite de ce moment unique qu'il attend depuis si longtemps, découvrant un panorama que nul autre n'a contemplé avant lui. Comme il l'avait promis, il dépose un portrait de sa femme sur le point le plus haut de la planète.

    Son seul regret est d'avoir laissé en route son ami Andrew Irvine. Le jeune Écossais s'est sacrifié pour lui permettre d'atteindre l'objectif, restant en dessous du Second ressaut que deux alpinistes ne pouvaient franchir avec l'équipement qui était le leur, notamment l'oxygène juste suffisant pour un grimpeur.

    Avant d'entamer la descente, George prend quelques photos dans la lumière déclinante, pour immortaliser ce qui restera certainement le plus grand exploit de l'alpinisme mondial.

    George Mallory est d'autant plus fier de ce succès qu'il a longtemps semblé lui échapper, l'ascension après le Premier ressaut, après avoir disparu aux yeux de leurs compagnons dans les brumes de l'arête nord-est, ayant plus ressemblé à un chemin de croix qu'à une balade de santé. L'alpiniste anglais ne s'attendait pas à trouver avec le Second ressaut un tel niveau d'escalade à cette altitude, l'obligeant à puiser au plus profond dans ses réserves physiques et techniques pour en venir à bout.

    La descente lui paraît plus facile. Il espère pouvoir bientôt fêter la victoire avec tous les membres de l'expédition britannique. Retrouvant Irvine, qui l'attend sagement n'ayant jamais douté de sa réussite, il lui confie, sans raison particulière, son appareil photo, et les deux alpinistes s'encordent pour rejoindre le camp inférieur.

    En 1999, le corps de George Mallory est retrouvé à 8229 mètres dans la face nord de l'Everest. Celui d'Andrew Irvine, ainsi que l'appareil photo, restent encore à découvrir.
    Nul ne sait à quel moment, ni à quel endroit, l'exploit s'est transformé en drame, la descente victorieuse devenant pour les deux hommes chute mortelle.


    * Il s'agit bien sûr d'une pure fiction, seul le dernier paragraphe n'est pas totalement imaginaire. Même si certains pensent que le toit du monde a été atteint en 1924, il semble plus probable que ce ne fut pas le cas. Mais tant qu'un tout petit doute subsiste, il n'est pas interdit de rêver.
    J'ai écrit dans un commentaire précédent que je restais dans l'humour. J'avoue avoir fait avec ce texte une première entorse à cette règle.
    Evysev le 08 août 2020
    glegat a dit :

    Evysev   La chute est bien amenée (même si elle était prévisible),  pas mal du tout pour un premier pas dans l'écriture de nouvelle.


    Merci beaucoup pour ce retour 😊
    Evysev le 08 août 2020
    JML38 a dit :

    Sympa  Evysev  de nous proposer, en cette période de pénurie sportive, ce texte qui colle on ne peut mieux au thème du mois.


    Merci beaucoup !
    franceflamboyant le 08 août 2020
    Glegat : deux beaux textes. Merci d'avoir ouvert le bal !
    Evysev et Angelivre : j'ai bien aimé !
    Idem, JML
    franceflamboyant le 08 août 2020
    CHUTE EXPRESS
    Les Anonymes.

    1. Double tentative de suicide aux Chutes du Niagara. Le cas Daniel Ferguson.

    Il y a des gens comme ça, leur ligne de vie est longue, leur ligne d'amour est tourmentée et leur ligne de chance littéralement cisaillée. Circulez, y'a rien à voir. Voici les réflexions qu'à vingt ans, à Salt Lake City, se faisait le jeune Daniel Ferguson. Un prénom de prophète, ça c'était sûr et certain, mais une vie...Il n'avait pas choisi d'être le neuvième enfant d'une famille de mormons, d'avoir comme tous les autres un prénom biblique et d'être programmé pour devenir un serviteur du Seigneur zélé dans la prière et bon en affaire. Contrairement à d'autres branches protestantes du christianisme où il ne fleurait pas bon d'aimer le profit, les mormons, eux, ne voyaient aucune contradiction à s'enrichir sous le regard attentif et quelque peu tatillon du Père bien aimé. Son père était actionnaire de Delta Airlines et sa mère de IBM. Ceci dit, il s'agissait d'une famille « normalement aisée » possédant une grande maison avec dix chambres, un quadruple garage et une piscine de dimensions satisfaisantes pour que les après-midis dominicaux fussent agréables en belle saison. Manque de chance pour lui, Daniel Ferguson était un mouton noir. Alors que ses frères et sœurs se confiaient à la divine miséricorde et espéraient en tirer profit et réconfort, il ne croyait à rien. Il était de plus mauvais élève et fainéant sur le plan sportif, faute qui, en Amérique, est rédhibitoire. Aimant faire la grasse matinée tous les jours, renâclant à apprendre, renâclant à prier, Daniel, avait à vingt ans, reçu l'anathème parental : Puisque tu méprises les commandements divins, moleste Jezabel et Sarah, tes deux grandes sœurs, Samuel, Tobie, Luke, Jérémie, Ézéchiel et Zacharie, tes frères et ne respectes pas ton père et ta mère, nous te prions de quitter le domicile familial ! Va tenter ta chance et si tu reviens, c'est que tu auras pris la mesure de tes fautes ! Revenir, ah ben non ! Daniel ne voyait pas son avenir comme ça et du reste, il prit ses jambes à son coup et rejoignit à Chicago, un cousin éloigné de son père, avec lequel il fit un apprentissage de garagiste. De l'Utah, il n'avait pas vu grand chose d’intéressant même s'il reconnaissait que c'était un très bel état, aimé des touristes. Chicago et l’Illinois lui plurent bien plus et il se mit, pour une fois, à étudier. Réparer des voitures, ça lui allait bien. Il ne roulait pas sur l'or mais il était autonome et on ne l'embêtait pas. Malheureusement pour lui, il se maria avec une des secrétaires de l'entreprise pour laquelle il travaillait, une certaine Joanna, une rousse au caractère tranchant. Au bout de trois ans, la Belle se rebiffa. Son mari ne la faisait pas vivre sur un assez grand pied et ne s'occupait pas de leur fille, Lillie-Belle. Maligne, elle engagea un bon avocat qui colla tous les torts à Daniel. Tel le pauvre Adam après son embrouille avec Eve et ce serpent à la langue fourchue qui avait tout gâché,  Daniel se retrouva pauvre et dut s'exiler..
    franceflamboyant le 08 août 2020

    Quittant Chicago, il atterrit à Albany, dans l'état de New York où il répliqua sa mésaventure. Une nouvelle épouse, quatre ans de mariage dont deux d'agréables, une autre petite fille et un divorce pour faute. La première fois, il avait dû donner toutes ses économies pour éponger la séparation ; Cette fois, il se retrouvait endetté à vie, avec menace de prison s'il ne payait pas. Grace, qui ne portait pas bien son nom, ressemblait finalement à Joanna, et Graziella, sa seconde fille, à Lillie-Belle, la première. Filles de chipies vous êtes, filles de chipies vous resterez ! Cette fois, Daniel mit le cap sur la frontière canadienne. A Niagara Falls, on cherchait un chauffeur ayant des connaissances en mécanique. Il avait postulé. Arrivant en pleine saison, Daniel fut ébloui. Quel beau lieu et quelles chutes magnifiques ! On en avait plein les yeux. Bien sûr, Daniel fit face, trouva un logement, travailla et économisa mais il ne lui fallut pas six mois pour prendre une décision. A une vie anonyme et somme toute peu intéressante, devait répondre une mort passe partout. Là, c'était injuste ! Il n'y avait aucune corrélation entre le peu d'importance accordée à une vie humaine par sa famille ou la société et le fait de mourir dignement. Bien au contraire à une existence parsemée de difficultés, pouvait répondre une fin de vie inattendue car héroïque. On lui avait enseigné l'exemplarité quotidienne mais très vite, il s'était fâché avec elle. Avec une mort pareille, c'est une autre exemplarité qu'il rejoindrait : celle des floués qui voulaient être grands !
    Aussi prit-il une grande décision : il se suiciderait en se jetant dans les chutes et ceci, de façon médiatique ! De quoi provoquer un séisme moral à Salt Lake City, tout au moins dans sa famille ! Pour ce faire, Daniel décida de ne rien laisser au hasard et pour être sûr de bien réussir dans son entreprise, il s'acheta trois livres d'occasion. Le premier était une étude très générale sur le suicide, qu présentait des perspectives historiques, psychologiques et sociologiques. A ce qu'il comprit, il existait des suicides domestiques cachés, de peu de valeur, et d'autres, spectaculaires, qui attiraient la lumière sur la victime et d'une certaine manière, lui conférait courage et ténacité. Il cocha de nombreuses pages de cet ouvrage, souligna je ne sais combien de paragraphes et en stabilota d'autres, qu'il jugea excellents. Le second était un manuel pratique du type Le Suicide pour les nuls. Il y trouva force mise en garde contre les dangers de l'impréparation ! Combien avaient avalé des comprimés en se trompant sur la dose mortelle pour avoir lu trop vite ! Combien s'étaient retrouvés par terre, contusionnés ou carrément estropiés, pour s'être pendus avec une corde peu solide ? Il arpenta donc le côté américain des chutes et observa avec soin tous les endroits d'où il pouvait sauter. Il devait être sûr de lui ! Enfin, le troisième livre était un petit guide touristique sur les chutes et Daniel y admira de très belles photos. Il comprit, à les contempler, que l'heure choisie était capitale car ce suicide devait être spectaculaire. Tôt le matin ou tard le soir, il perdrait son public...Il fixa donc un jour, une heure, un mois. Un trente août. Ce serait une journée radieuse où, tant canadiens qu'américains, les touristes déambuleraient satisfaits. A quinze heures une précises, Daniel, qui avait au préalable donné son préavis pour son logement, mis ses affaires en ordre et rédigé beaucoup de courrier, se dirigea vers le point névralgique des opérations.
    franceflamboyant le 08 août 2020
    A quinze heures dix, après avoir fait mine d'observer, émerveillé, le spectacle des chutes, il enjamba le parapet et sauta, entouré d'un halo de AaaaaaaaaaaaaaaaaaaH Nooooooooooooooooooon, regarde, il y a un type qui se tue ! Et de Ne faites pas ça, monsieur ! Ah ben, il l'a fait ! Pendant le temps relativement court qui le sépara de son choc avec l'eau, Daniel eut la désagréable surprise d'entendre la rivière Niagara et les chutes lui parler ! Non, c'est qui ce guignol ? Quoi ! Encore un suicidé ! Mais quel pedzouille ! Il n'a pas sauté au bon endroit ! Franchement, pourquoi on perd du temps, nous ? Son corps traversa la surface de l'eau puis remonta. Suffoqué, crachant et toussant, Daniel imagina qu'il n'aurait rien à faire, des courants violents l'entraînant vers un maelstrom fatal. Erreur monumentale, il fut déporté sur sa droite et s'échoua contre un gros rocher où il passa quelques heures trempé, glacé et hébété. Avec horreur, il vit s'approcher un hélicoptère. Une porte s'ouvrit et un filin descendit. Un sauveteur y était accroché et bientôt , Daniel se retrouva inexorablement tiré d'affaire, son corps tremblant collé à celui d'un moustachu musclé ravi de l'opération qui consistait à le remonter. A l'hôpital où on le plaça en observation, il fit l'objet de photos et de selfies et plus tard, des journalistes locaux l'interrogèrent tandis que toutes sortes de témoins qui n'avaient pas vu grand chose, affirmaient le contraire et voulaient passer à la télé. Toute honte bue, Daniel se dit que ces chutes étaient des blagueuses car de là où il avait sauté, il avait peu de chance d'en réchapper. Mais pas grave, il ferait une nouvelle chute et cette fois...Deux mois plus tard, Daniel, qui était sans travail mais vivait chichement de ses économies, se glissa hors de chez lui en fin de matinée et fonça vers les chutes. Une partie de l'hiver, elles étaient partiellement gelées, alors, il fallait faire vite. Il changea d'endroit, et au moment de sauter croisa le regard niais d'un pigeon. Tu ne vas pas faire ça, toi, homme de peu de foi ! Ben, si. Daniel enjamba le parapet et sauta, revivant la même expérience ! Les chutes se mettaient à parler. Ah, il le refait ! Ah ouaih, du cran, quand même ! Accueillons-le oui, accueillons-le ! Et en effet, sa traversée de la vie à la mort fut telle qu'il le voulait. Son corps malmené se disloqua, son âme s'éparpilla et il devint une des légendes des chutes, faisant corps avec elles et s'émerveillant de leur force indomptée ! Il était cet Indien qui avait su que les colons exterminerait son peuple ou l'asservirait, cette femme malade qu'on aidait plus alors qu'elle avait lutté bravement, cet original qui pensait que tout doit être pensé noblement même sa mort, cette actrice, cet homme politique. Il ajoutait un maillon a la chaîne des désespérés qui refusaient de tirer minablement leur révérence. Les chutes grondaient et il grondait aussi.
    franceflamboyant le 08 août 2020
    CHUTE EXPRESS
    Les Anonymes.

     Fritz, la chute du Mur de Berlin et les Pepper de l'est.

    Architecte d'intérieur, Fritz Pepper n'avait pas connu la seconde guerre ni les tensions de la guerre froide qui avaient conduit à l'érection de ce mur honteux qui coupaient en deux une ville dont la beauté architecturale avait du être monumentale. Il avait beau gagner de l'argent, avoir le vent en poupe comme architecte, vivre dans un bel appartement ancien près du château de Charlottenbourg et s'entendre honorablement avec ses parents, il souffrait. On avait fait du mal à son pays, l'Allemagne et on avait martyrisé sa capitale, ce Berlin qui avait porté beau jusqu'à cette défaite traumatisante. Il ne passait jamais près du Mur sans rentrer les épaules et sentir sa gorge se nouer. Enfant, avec les siens, il était à Cologne mais son père et sa mère qui étant natifs de Berlin avaient voulu y revenir. Il avait dix neuf ans quand il y avait commencé ses études supérieures et désormais, il en avait trente trois. Comme beaucoup d'Allemands, il s'était heurté au mutisme de ses aînés pour qui il était impensable d'évoquer l'accession au pouvoir d'Hitler, ses provocations qui avait entraîné la mondialisation de la guerre et la mise au pas de tout un peuple. Impossible d'évoquer certains faits. Son père avait trente cinq ans à sa naissance en 1959, ce qui signifiait qu'en 1939, il en avait quinze. Sa mère était un peu plus jeune. Qu'avaient-ils pu ignorer de l'Allemagne nazie ? Ils n'avaient pu échapper aux jeunesses hitlériennes, à la propagande et au conditionnement de la pensée. Mariés en 1949, ils n'avaient reçu le cadeau imposé du Fürher,un exemplaire de Mein Kampf, présent que tout couple recevait le jour de son mariage sous le nazisme. Mais ce n'était pas parce que cet ouvrage était pour eux sans intérêt. C'était parce la guerre était finie et le guide mort. De plus, Georg Pepper avait vingt et un ans en 1945. Que lui avait-on demandé ? Avait-il comme d'autres été enrôlé comme soldat pour pallier le manque de combattants plus âgés et mieux formés ? Il n'avait jamais rien dit là-dessus pas plus qu'il n'avait jamais évoqué les difficiles années d'après-guerre où il avait fallu encaisser la défaite allemande, l'ouverture des camps, le retour des prisonniers, le maintien de certains d'entre eux en détention, les procès dirigés contre le régime, qui avaient vu bon nombre de ses compatriotes devenir très mal à l'aise ou prendre un air dégagé quand ils n'étaient pas frappé d'amnésie et ce mélange de honte et de dégoût qui les avait submergés tout d'un coup parce qu'après leur avoir demandé de se plier à une règle, d'autres leur avaient expliqué qu'elle était mauvaise. Annette, sa mère, n'avait pas dit grand chose non plus. Sa propre mère lui avait inculqué son art de vivre : être une épouse modèle, le repos du guerrier. Elle avait réagi puisqu'elle avait fait des études mais elle était nostalgique d'une certaine époque, de certains hymnes... Lui, Fritz, savait que ses parents avaient trente cinq et trente deux ans quand il était né. Il était fils unique. Ils avaient mis le temps...De cette ville partagée en quartiers anglais, français, américains et russes, ils ne disaient rien et du mur non plus. Ils avaient du droit l'un et l'autre et étaient à la fois cultivés et polyglottes mais jamais Georg ne parlait anglais ni sa mère français. Ils lisaient les classiques de la littérature allemande et en parlaient avec bonheur mais ne faisaient jamais allusion aux prestigieux auteurs contemporains qui dépeignaient la douloureuse situation dans laquelle se trouvait leur pays. Du reste, ils ne sortaient jamais de certains quartiers, notamment ceux où ils auraient pu voir évoluer des intellectuels d'avant garde qui selon, eux, étaient de mauvais goût...
    Angelivre le 08 août 2020
    Merci @franceflanboyant ! Voilà un texte intéressant
    franceflamboyant le 08 août 2020

    Fritz, lui, était différent. Que des Allemands dans son pays se soient comportés avec une cruauté sans nom, ça le blessait et qu'on martyrise ainsi sa capitale, ça lui faisait mal au cœur. Quand il descendait la K Damm et qu'il contemplait ce qui restait de la cathédrale, il avait l'impression que ses pieds entraient dans le sol et il en allait de même quand il se rendait au Reichstag et qu'il voyait le mur, juste derrière lui. La grande tour d'Alexander Platz le faisait frémir comme le Berliner ensemble, le théâtre de Bertold Brecht qui se trouvait du mauvais côté. Depuis longtemps déjà, il vivait dans l'idée que sa famille qui avait été nombreuse avait vécu un peu partout à Berlin et ceci depuis le dix-huitième siècle. Cela signifiait clairement qu'après la guerre, quand les hostilités est-ouest avaient dégénéré, il y avait de fortes chances qu'une partie des siens ait vécu là où désormais se dressait Berlin-est...On pouvait encore se voir bien sûr mais avec le Mur et le durcissement des règles à respecter, on n'avait plus pu le faire. Longtemps silencieux, Fritz, qui menait dans la capitale, la vie d'un célibataire endurci se défiant des femmes, s'était vers 1985, soudain réveillé. Bon, qui était à l'ouest ? Qui était à l'est ? Et on faisait comment maintenant ? A contrecœur, Annette d'abord puis Georg ensuite avaient fini par sortir des photos et dire des noms. Mon frère, sa femme, leurs enfants, leurs petits enfants, ton cousin, ta cousine...Des communistes notoires...S'ils avaient cherché à les voir ? Mais au début, oui et puis, ils avaient eu peur. Et elle ? Ta cousine Gudrun. Gudrun Pepper. Blonde aux yeux bleus. Jolie.
    franceflamboyant le 08 août 2020
    -Quand le Mur tombera j'irai la voir ! Je tomberai amoureux d'elle !
    -Tu n'es jamais amoureux de personne, toi. Jamais avec une femme ! Et puis, elle est peut-être mariée...
    -Je tomberai amoureux d'elle.
    -Ces gens de l'est, pas la même mentalité...
    Mais en 1987 et 1988, Fritz avait remué ciel et terre pour en savoir plus sur cette branche inconnue de la famille Pepper et il avait appris beaucoup. Le fait que ceux-là se soient retrouvés de l'autre côté du mur était plus dû à des raisons professionnelles ou sentimentales que politiques. Un jour, ils avaient compris que c'était fini et qu'ils ne pourraient se déplacer que dans l'enceinte des pays de l'est. Ils attendaient leur heure comme tous ceux qui guettaient l'effondrement du géant russe et alors, ils paraîtraient. Au début de l'année 1989, Fritz eut la certitude que tout changerait et en novembre alors que le colosse soviétique était à terre, son rêve se réalisa. La nuit du 9 novembre, le mur fut démoli pierre à pierre tandis que, dans la ville, s'élevait une immense clameur. Fritz, accompagné d'amis, couraient partout faisant face à ces gens de l'est qui soudain paraissaient. On se saluait, on pactisait on s'embrassait. Les gardes avaient filé. Un vent de liberté soufflait. Il devait être deux heures du matin quand il se trouva, au niveau de la porte de Brandebourg face à une jeune femme blonde qui avait ramassé des cheveux en chignon bas sur sa nuque. Interdit, il sentit son cœur battre la chamade. Cette fille...
    -Gudrun ? Gudrun Pepper ? Vous lui ressemblez !
    La jeune femme allait, selon lui, éclater de rire tout en faisant mine par cette nuit historique, de répondre à ses avances. Il saurait plus tard quelle était sa vraie identité...Mais il n'en fut rien car celle qui était devant lui, en manteau gris et bottes noires, était celle qu'il cherchait !
    -Comment savez-vous mon nom ?
    -Je ne le sais pas. Moi, je suis Fritz Pepper.
    Elle sourit, amusée.
    -Le cousin Fritz ?
    -Exactement.
    Elle était venue avec ses parents et ses deux frères et ils se regardèrent.
    -Le Mur est tombé, dit-elle. Sa chute a été brutale en fin de compte...
    Fritz qui serrait les mains de sa cousine dans les siennes était heureux comme jamais. C'en était fini de cette offense à la dignité, de cette punition permanente. Ses parents qui, ne voulant rien savoir, avaient déclaré cette nuit identique aux autres, dormaient là-bas mais lui, comme tant d'autres, clamaient le retour de la liberté et l'effondrement de la tyrannie...Ce soir là, ils filèrent vers Postdamer platz pour fêter l'événement et il leur sembla qu'en ayant été démoli pierre à pierre, le Mur avait entraîne dans sa chute toute la honte qui les paralysait...
    franceflamboyant le 08 août 2020
    CHUTE EXPRESS
    Les Anonymes.

     Sébastien Raoul, Turquoise et sa chute de rein.

    A quarante trois ans, Sébastien Raoul, cadre aux impôts, estimait qu'il avait une pierre à la place du cœur et qu'il était assez logique qu'on le quitte. Il venait de divorcer d’Élise, une femme bien qui enseignait les lettres classiques et se sentait soulagé. Il n'était pas en colère, juste logique. Il avait cru pouvoir aimer parce qu'on lui avait dit que c'était facile, mais en fin de compte, il estimait avoir été leurré. Après dix-huit ans de mariage, il se sentait vide. Élise partit s'installer dans le midi de la France avec leurs deux filles, suite à une mutation à laquelle elle tenait beaucoup. Il fut content pour elle et profita des vacances d'été auxquelles il avait droit pour déménager , s'installer dans un deux pièces et se débarrasser de tout un fatras de meubles, de livres et de vêtements que son épouse et ses filles lui avaient laissé sur les bras. Bientôt, il évolua dans un décor sobre où ne subsistaient que les éléments de décoration et les pièces de mobilier qui lui plaisait. Il fut content puis s'ennuya. L'été Bourges était une ville barbante, selon lui.. Un ami à lui lui suggéra de s'intéresser aux arts. Sébastien se creusa la tête et se souvint que jusqu'à l'adolescence, il avait adoré dessiner. Il décida donc de reprendre des cours. La photographie lui plaisait aussi et il suivit quelques stages. Six mois plus tard, il était content de lui. Il peignait des natures mortes plutôt abstraites et photographiait des entrepôts vides avec passion. Toutefois, Benoît, ce même copain qui lui avait suggéré de se tourner vers les arts, se montra perplexe. C'était plutôt bien, ce qu'il faisait, mais c'était totalement déprimant.
    -Tu ne penses jamais à dessiner une femme ? Ou à faire des portraits ?
    -Jamais.
    -Pourquoi ?
    -Timide.
    Benoît suggéra malgré tout à son ami de peindre d'après un magazine, ce qu'il fit avec succès. Les femmes qu'il peignait étaient plutôt belles mais comme figées. Elles peinaient à exister réellement. Il devait peindre d'après modèle et le bon copain lui présenta une dénommée Turquoise, une étudiante qui revenait le weekend  à Bourges et aimait bien poser. Les débuts furent difficiles. Seul avec elle, Sébastien paniquait. Elle était trop vraie, trop vivante. C'était une métisse au beau corps et aux yeux de braise. Avoir avoir tenté de faire d'elle des portraits pleins de vie, il préféra déclarer forfait et lui dit de ne pas revenir dans le studio qu'il avait aménagé pour peindre. Sagace, elle hocha la tête.
    franceflamboyant le 08 août 2020
    -Vous êtes bloqué.
    -Je le sais bien.
    -Mais vous pouvez me peindre !
    -Je ne le crois pas.
    -Je le crois, moi.
    A sa grande surprise, elle passa dans la minuscule salle de bain, revint enveloppée d'une serviette, se tourna, laissa tomber la serviette éponge suffisamment bas pour que son dos paraisse entièrement et, penchée en avant, attendit. Suffoquée, Sébastien contempla alors la plus belle chute de reins qu'il eut jamais vue. Bientôt, il coucha son émerveillement sur une toile puis une autre, fit des croquis et dans les semaines qui suivirent, il portraitura sans cesse cette femme de dos que ce fut avec ses pinceaux, ses crayons ou son appareil photo. Cette Turquoise le rendait à lui-même bien plus sûrement qu'une quelconque thérapie. Il n'aurait jamais osé touché la jeune fille, ne pensait ni à l'embrasser ni à l'étreindre mais elle devenait son rêve. Cette nuque gracile, ces belles épaules, ce dos mince, ces hanches et pour finir cette exquise chute de rein ! Il y avait de quoi postuler pour séjourner au paradis. Et quand l'été finit et qu'il exposa pour la première fois , on s'extasia. On pariait sur la beauté de la jeune femme, qu'on ne voyait que de dos mais lui misait tout sur cette partie de son corps qui était, selon lui, la plus belle et le rendait si heureux !
    JML38 le 08 août 2020
    Imagination débordante franceflamboyant, bravo.
    J'ai bien fait de placer ma chute du mur de "Berlain" avant, sinon j'aurais eu l'air bête.
    franceflamboyant le 09 août 2020
    Michel Martin s'est intéressé à l'événement même si il n'était pas très doué pour l'orthographe. Fritz Pepper, y était, lui à Berlin et le spectacle de sa ville soudain libérée l'a transporté. Concernant Berlin, d'ailleurs, c'est une ville où je me suis rendue plusieurs fois quand il y avait le fameux Mur puis il y a quelques années pour voir les effets de la réunification. C'est donc un sujet qui me tenait à cœur depuis longtemps. Quant à votre texte, je le trouve très réussi. Juste la longueur qu'il faut, une raillerie douce-amère qui n'est jamais méchante et une tendresse pour les personnages...Merci pour votre lecture et ces échanges !
    glegat le 09 août 2020
    franceflamboyant  Merci pour tes récits dont certains sont à la frontière du réel et de l'imaginaire.  C'est un exercice difficile que tu maîtrises.
    glegat le 10 août 2020


    Le miraculé


         Par un beau matin de printemps, happé par le parfum des marronniers en fleurs, Benoît, d’un geste vigoureux, s’empare de sa canne sort de son appartement et descend l’escalier de bois qui le mène à l’orée du quai Conti.

      Il est accueilli par le bruit familier de cette voie dont les échos sont atténués par la proximité de la Seine. Il marche d’un pas alerte et se réjouit à l’avance du terme de sa promenade. Les effluves de café et de croissants chauds narguent ses narines lorsqu’il passe devant le café Anglais. Il reste insensible au miroitement des bijoux exposés à la devanture de la joaillerie. Il longe l’hôtel des monnaies sans un regard sur son imposante façade et arrive bientôt à sa destination : la bibliothèque Mazarine.

     Il pénètre dans l’édifice avec le même émoi que le premier jour et ressent les vibrations émanant de ce lieu historique chargé du savoir des hommes. L’odeur des boiseries et des maroquins rouges l’enivre et le dirige vers la salle de lecture comme s’il était conduit par la main d’une bienveillante hôtesse.

     Un tumulte de silence l’enveloppe, il se trouve au milieu d’une foule invisible et tranquille dont le bouillonnement interne n’affleure que par un fluet murmure. Il longe la grande galerie et caresse du bout des doigts les somptueuses reliures, il hume les fragrances de cires, de papiers et de cuirs qui réveillent les papilles de l’imaginaire. Enfin, il s’arrête devant une étagère, tâtonne quelques instants avant de trouver l’ouvrage qu’il convoitait. Avec précaution, il l’extrait d’entre ses congénères et s’installe non loin à une table libre. Il s’assied, pose sa canne et ouvre le livre. Il tourne les premières pages et fait glisser ses doigts sur le papier aux délicats reliefs.

     Le miracle se produit de nouveau, les images affluent dans sa tête, les couleurs inondent l’espace, le soleil se lève à l’horizon, les armées se mettent en branle, les cavaliers chevauchent des montures sauvages, le monde s’ouvre à son esprit, à nouveau, il peut voir !

    Fin
    mfrance le 10 août 2020
    Bravo à Glegat, EVIbout et Silver 43 de vous être jetés si vite dans le bain
    Angelivre : comme il fait mal ce texte si réaliste, qui laisse le lecteur sans voix.
    Evysev : merci de nous offrir un petit bout de Tour de France pour pallier le manque de cet été sans sport !
    ... Et comme elles sont bonnes les chutes de franceflamboyant





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