| vibrelivre le 05 février 2021
Composition française
C'était un lundi matin, un retour de vacances scolaires. Le prof en avait profité un max, il reprenait le sourire aux lèvres et sans avoir préparé son premier cours. On lui ferait la grâce de passer sous silence les suivants. Un lundi gris, sans lumière, une de ces journées qui grossirait le tas des longs jours de routine, un temps sans surprise, grinche, qui n'attaquait pas la semaine, qui la fondait plutôt dans un ensemble fadasse, éteint, rampant. J'étais dans un monde vide, et lourde de mes dix-sept ans comme une jument morte, c'est grave prosaïque comme expression, ça m'allait mieux qu'une robe à une vache, la robe que je portais et que ma mère m'avait confectionnée, ah, l'amour d'une mère, ce que ça peut être tarte parfois et si souvent, terriblement, impossible à digérer, et la vache que j'étais, vous savez, celle des sept grasses. C'est qu'elle est ingratement pubère, et nubile pour sûr, et pour se dégoter le mari, c'est pas gagné du tout, grognait le père. Une fille de cet âge sur les bancs de l'école, c'est … contre-nature, finissait-il par exploser, la preuve, elle est ronde de partout, et elle n'en finit pas d'enfler. Doukelpudonktan. J'étais seule sur mon banc, au fond de la classe, ramassée dans mon tablier d'un gros bleu, on était en semaine 2, un gros bleu comme l'était mon corps difforme, et mon âme meurtrie. C'était ma période romantique. Moi aussi je voulais que les wagons m'emportent, que m'enlèvent les frégates, mais j'avais les bottes collées dans la terre argileuse. Je n'étais même pas maudite, juste le vilain petit canard qui finirait en vilain grand canard, et qui continuerait à chanter faux. Le prof souriait. Il était jeune. Les belles, et les moins belles, filles de la classe le badaient. Il pouvait bien ne pas préparer son cours. Et puis il jouait si bien de la batterie. On me l'avait dit. Des cœurs étaient tombés. Ça avait saigné entre les poumons, du vermillon, même chez les garçons. Quand ça percute, tchac, boum, vlan, ça enfonce, ping, schlak, ça défonce, ouch, schlonk. Une tuerie, la batterie. Le premier cours du lundi, ouille, aussi. -Pour bien commencer la semaine, un petit travail d'écriture. Vous imaginez qu'une couleur tombe du ciel. Je n'en dis pas plus. A vous de vous débrouiller avec ça. A vos plumes ! Vous avez une heure. Tranquille, le mec. Soixante minutes à glander. Quant à nous, nous pisserions de l'encre à tort et à travers. Quelle couleur pourrait donc tomber du ciel ? Le blanc, bien sûr, et la féerie de la neige, mais des puristes diraient que ce n'est pas une couleur. Le blanc, ouste, éliminé. Du gris, du noir, comme un ciel de pluie et de brouillard. Sans imagination. Un terril d'avant la reconversion, couleur d'tierre et caillots. Ben ch'est nin biau. A jeter. Du jaune, un bout de soleil joyeux, ou une épée d'orage, une excalibur réinventée, fichée dans son rocher, toute dorée de ses super-pouvoirs . Facile. Ou du rouge, comme les feux du soir, ou de ces oranges qui galvanisent. Trop vu. Et qu'on ne me parle pas de bleu, encore moins d'azur. Mais alors, quelle couleur ? Pas de rose fifille, ni l'incroyable palette des dragons, noir, rouge, violet, or, vert. Non, non, non. Et puis d'espoir, je n'en avais pas. Même s'il tombait du ciel, je ne le ramasserais pas. Fallait trouver une couleur qui n'existe pas. Après tout, le ciel en réservait des promesses et des mensonges. Et puis, qu'on n'aille pas resservir les créatures monstrueuses, les aliens de toutes sortes. J'étais mon propre Alien. J'en avais soupé. Puisqu'elle n'existait pas, la couleur serait sans couleur. Comme moi. L'horreur. Du biographique, pire, de l'auto. Poubelle. Et pourtant, qu'est-ce qui m'emplissait ? Qu'est-ce qui m'étouffait ? Cette espèce de boa très constrictor qui me serrait très fort dans ses replis et me privait d'oxygène ? Tiens, et pourquoi pas la peau d'un boa avec ses écailles qui renvoient et réfractent la lumière, ses taches irisées qui chatoient et qui changent dans des ondulations fascinantes ? Soit, mais un boa, ça peut tomber d'un arbre, même d'un arbre très, très, haut, et il se saisit la nuit du dernier homme de la colonne, quand les autres poursuivent leur marche noire trouée de feux qui vacillent, mais du ciel, ça serait un sacré scoop.
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