AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet



    Mahautbabelio le 02 avril 2021
    Bonjour à tous,

    Pour le défi du mois d’avril nous vous proposons de livrer un texte sur le thème de la folie...

    A la fois inquiétante et fascinante, la folie n’a cessé de faire des ravages au cours de l’histoire. De Nerval à Van Gogh, en passant par Rimbaud ou Artaud, elle possède une multitude de visages. Mais où situer sa limite ? Après tout, la folie ne serait-elle pas un moyen d’accéder à une surréalité inaccessible à l’esprit commun ? Et surtout, ne sommes-nous pas tous fous ?

    De la souffrance de l’internement à l’expérience extatique de la folie, explorez les pistes ouvertes par Maupassant, Stefan Zweig ou plus récemment Joy Sorman. Laissez libre court à votre imagination et emmenez-nous, dans le genre que vous souhaitez, au cœur de cette maladie indicible.

    Comme d’habitude, la taille et la forme de votre contribution est libre et vous avez jusqu’au 30 avril minuit pour nous soumettre votre texte en répondant ci-dessous. Le gagnant remportera un livre.

    A vos plumes !

    Sflagg le 02 avril 2021
    Salut !

    Avant, je l’espère, de mettre une participation toute fraiche, en voici deux plus anciennes.

    L'halluciné.            (17/05/02)

     
    Dans mon quartier il y a un chien
    Il mange de la viande et je sais pas comment il fait
    Dès le matin, au levé à sept heures, il mange de la viande crue.
    Berc, moi ça me débecte et je me demande comment il fait
    Bon je sais, cela n'a pas beaucoup d'intérêt
    Vous allez me dire, ce n'est qu'un chien, bon d'accord je l'admets
    Mais voilà, ça m'interpelle, ça m'obsède
    Mais comment il fait pour manger de la viande à sept heures du matin et en plus crue.
    Question stupide mais oppressante qui ne me lâchera pas temps que je n'y aurais pas répondu.
    Ha si on pouvait parler avec les chiens, il me dirait, lui, comment il fait pour manger dès sept heures de la viande crue.
    C'est vrai ça, pourquoi il fait pas comme tout le monde ?
    Il pourrait prendre un café ou un chocolat au lait, si pour lui le café est trop amer
    Avec des tartines ou des croissants, s'il trouve les tartines trop fades.
    Mais non, c'est de la viande qu'il faut qu'il se tape à sept heures du matin et crue en plus
    Non pas cuite, car si on lui donne le choix, cet idiot choisi la viande crue.
    Moi, je ne connais personne qui ferait ça, alors pour le comprendre, je crois que ça va pas être coton.
    Dans mon quartier il y a un chien qui mange de la viande crue
    Dès sept heures du matin et moi je ne comprends pas
    Mais y a-t-il vraiment quelque chose à y comprendre, car je vois le concierge qui s'éloigne
    Et c'est bizarre, mais à chaque fois qu'il passe, j'y vois plus claire
    Et oui quelle importance que ce chien dès sept heures se gave de viandes crues
    Car en faite ce n'est qu'un fou enfermé à quelques chambres de la mienne
    Celle qui se trouve à l'autre bout du couloir de l'asile psychiatrique où je suis interné depuis quatre ans pour des crises d'hallucinations aiguës.
    Et la vraie question qu'il faudrait que je me pose c'est :
    Pourquoi cet homme se prend pour un chien qui ne mange que de la viande crue dès sept heures du matin ?



    La paranoïaque.              (22/09/02)


    Au bout du corridor, Carrie dort
    Non elle n'est pas morte, même si point ne bouge son corps
    Non elle dort tout simplement, paisiblement
    Oubliant sa terreur, laissant tout seul s'écouler le temps.
    Au bout du corridor, Carrie dort
    Car dans le sommeil elle trouve le réconfort
    Et ainsi elle esquive le souvenir de cette nuit bien trop noire
    Et ne frisonne plus en repensant à ce début d'automne bien trop froid.
    Au bout du corridor, Carrie dort
    Puisque dans ses rêves elle a construit son château fort
    Carrie n'ira plus au bal du diable danser
    Et la fête d’Halloween, plus jamais elle ne pourra l'apprécier.
    Alors au bout du corridor, Carrie dort
    Et si quelqu'un vient la réveiller, elle le mord
    Elle a peur quand elle est debout, car elle sait qu'ils sont toujours là
    Ceux qui ce soir d'octobre l'ont kidnappée et enfermée entre ces murs de matelas.
    Mais quand même au bout du corridor, Carrie dort
    Espérant secrètement que s'évapore le mauvais sort
    Celui qu'elle est persuadée que ce soir là on lui a jeté
    Tout cela parce qu'elle avait dit qu'elle ne croyait pas en la magie, mais à présent elle regrettait
    Car quand ils venaient, ils lui faisaient mal au bras
    Et parfois ils étaient même plus gras.
    Au bout du corridor, Carrie dort toujours pourtant
    Et moi à l'entrée de ce corridor, je souhaite que ça lui dure longtemps
    Sinon elle s'apercevrait que tout cela n'est qu'un cauchemar
    Qu'elle n'a pas été enlevée par des loubards
    Mais qu'elle est entre les quatre murs d'un asile enfermée pour crise de paranoïas
    Ce qui, j'en suis sur, la rendrait folle, car elle ne le supporterait pas.
    heureusement, pour l'instant,  au bout du corridor, Carrie dort
    Et ne voit pas ce que son histoire a de gore.

    S.Flagg !!

    A+ et bonne chance à tous !
    SarM le 02 avril 2021
    Toujours dimanche.


    Il est là, le fusil. Un italien à canons superposés. Calibre 12. Acier blizz. Double détente. J'actionne la clé de bascule, l'arme s'ouvre sur un cliquetis bien huilé. Dans la chambre, j’insère deux cartouches et referme le fusil. Le cliquetis sonne différemment. Mes yeux fiévreux se posent un instant sur les fines gravures de la platine, des arabesques et un faisan.
    Comment j'en suis arrivée là ?


    Premier jour.
    En toute honnêteté, je ne suis pas mécontente d'être confinée. Ce matin, je me suis levée à l'heure exacte à laquelle j'aurais dû commencer le boulot. C'est un peu comme être en vacances ! A défaut de vraies vacances, mon travail est réduit à un temps partiel. La matinée a suffi à boucler tout ce que j'avais à faire et me voici libre de profiter de mon après-midi.
    Max est loin de partager mon entrain. Il est maussade et grognon... Pour lui, pas grand chose ne va changer, c'est son quotidien de ne pas avoir de quotidien ; j'entends d'obligations routinières. Lui décide habituellement quand et à quelle heure il va travailler. Pas de télétravail mais des besognes à droite ou à gauche. On peut dire qu'il se la coule douce, mais on ne peut nier qu'une fois un chantier commencé, c'est Attila ! Dans la journée, il manipulera ses tonnes de matériaux et remettra ça le lendemain pour peu que la motivation ne l'ait quitté entre temps.
    Non, ce n'est pas le bouleversement de son emploi du temps qui perturbe Max, c'est l’interdiction de sortir de chez lui.

    Deuxième jour.
    Quelques réactions amusantes relevées dans mon entourage : se précipiter chez le coiffeur avant qu'il ne ferme, faire le plein de cigarettes pour le cas où le buraliste ne soit pas considéré comme étant « de première nécessité », acheter tout un tas de graines pour semer à long terme les germes de son autonomie alimentaire...
    Nous ne dérogeons pas à la règle, pas de ruée sur le PQ chez nous mais sur la picole. Max revient de course sans rien à manger mais avec une réserve d'alcool impressionnante que j'imagine pouvoir durer un bon moment. Elle ne tiendra pas la semaine !
    Il entreprend ensuite sa quête personnelle : trouver la véritable raison qui explique pourquoi on nous oblige à rester enfermés chez nous pour une grippe. Il est agité et persuadé qu'on nous cache quelque chose de plus important.

    Mon traitement arrive en bout de course, Max insiste pour que je joigne mon médecin, je pense que je peux tenir.

    Troisième jour.
    Je dois culpabiliser un peu de ce désœuvrement. Je me sens obligée de combler mon temps libre de l'après-midi par des travaux qui m'occupent le corps et l'esprit : rangement, ménage et de nouveau rangement... Très rapidement, il n' y plus rien à mettre en ordre ni à nettoyer dans notre appartement dépourvu d'un espace extérieur. J'aurais bien jardiné. On apprivoise pas si facilement la vacuité...

    Quatrième jour.
    Je fais un rêve récurent. Peu importe où je vais, je me retrouve coincée soit par des rondins de bois, un mur, un chemin sans issu... Puis je me réveille en sursaut avec la désagréable impression que j'ai quelque chose à faire mais je ne parviens plus à me rappeler quoi.

    Cinquième jour.
    Soleil radieux. Je réalise seulement à quel point tout est silencieux dehors. On se croirait dimanche. Pas une voiture ne circule dans la rue en bas de chez nous. Seul le chant des oiseaux entre par la fenêtre grande ouverte. J'ai fait le tour de ce qui pouvait être géré à distance pour le boulot. Me voilà sans plus aucune obligation pour le moment. Plus rien à faire pour m'occuper. Vacuité...

    Sixième jour.
    Max découvre l'existence d'un certain professeur et de son traitement dont j'ai oublié le nom.
    Il me demande où j'ai passé l'après-midi mais je ne me souviens pas d'être partie...

    Max... Tandis que je commence à me faire à mon nouveau rythme, il supporte de moins en moins son enfermement. Lui qui clame à qui veut l'entendre que dehors il n'y a que des cons, il devrait être soulagé de ne plus avoir à les côtoyer... Car, il faut le dire, Max est charmant la plupart du temps sauf quand il subit un « lent » sur la route, ce qui arrive à chaque fois qu'il conduit... Alors, si on a le malheur d'être avec lui en voiture, un flot ininterrompu d’insanités franchit la barrière de ses lèvres. Il hurle, il écume de rage, il vomit des insultes et profère des malédictions à toute volée à s'en casser la voix : «  Mais c'est pas humain ! Putain, y va pas s'arrêter au rond-point ce con ? – coup de klaxon appuyé – Des plaies, vous êtes des plaies ! Vous ne méritez pas de vivre... » Il fait beaucoup de bruit, comme s'il tenait à partager avec vous sa frustration d'avoir été ralenti. Et ça dure, ça dure... On pourrait imaginer que pour pallier ce problème il suffirait de conduire pour lui, mais non ! C'est pire... Quand ce n'est pas lui qui conduit, il a peur, alors en plus de hurler contre le lent qui est devant, il hurle contre toi qui conduis, parce que tu ne sais pas conduire...
    Aujourd'hui et grâce au confinement, Max est préservé des cons sur la route. Il ne se sent pas mieux pour autant. Alors il boit.

    Il brandit un papier. Mon ordonnance ? J'élude.

    Septième jour.
    Plus de télévision. Le matraquage médiatique m'est insupportable ainsi que l'hypocrisie des applaudissements en soutien aux personnels soignants... Ça n'est certainement pas d'applaudissements dont ils ont besoin mais de plus de moyens ! La culpabilisation véhiculée par le canal médiatique m’insupporte ainsi que toute la mièvrerie qui l'accompagne : « prenez soin de vous » disent-ils. Hé, vous, femmes et enfants coincés à la maison avec un mari désœuvré qui n'a plus aucun moyen de gérer sa frustration que de vous foutre sur la gueule ; prenez soin de vous surtout ! Il faut être inventif pour trouver un endroit où se planquer dans 30 m².

    Plus un cachet dans mes plaquettes, je pensais en avoir une de secours. Il faudrait que j'appelle mon médecin.

    Huitième jour.
    Je suis allée faire les courses aujourd'hui. Ça m'a fait un drôle d'effet de voir la grande surface quasi déserte. Les gens osent à peine s'approcher ou même se regarder quand ils se croisent dans les rayons. Certains ont des gants, rares sont ceux qui portent un masque. Ils ne semblent pas craindre d'être regardés de travers bien que la consigne ait été claire : laisser les masques disponibles pour le personnel soignant. A nous, ils ne servent à rien.
    Je prends la dernière plaque d’œufs, c'est une plaque de trente. Je n'en ai pas besoin de tant mais il ne reste que ça. J'aurais bien pris, si j'en avais trouvées, quelques bières de la marque corona.
    A mon retour, je trouve Max révolté, le professeur a un traitement efficace, mais on le décrédibilise.

    Neuvième jour.
    La France durcit le confinement, les sorties sont limitées à un kilomètre autour de chez soi. La meute des journalistes s'est transformée en meute de chiens, ils rongent leur os jusqu'à la moelle et décomptent de façon alarmante les morts supplémentaires dans le monde.
    Les premiers jours avec Max, on regardait chaque soir un film de zombies en plaisantant sur le fait que le virus muterait peut-être et que du jour au lendemain, une horde s'abattrait sur la planète. En réalité, n'est-on pas déjà tous des zombies ?

    Dixième jour.
    Max me rebat les oreilles avec ses théories. Je cherche le calme, j'aspire à l'apaisement, à la sérénité, je souhaite apprivoiser cette vacuité imposée mais sans succès... Tandis que je médite, il médit. Il m'invective, me prend à parti. Il aime la polémique, je la fuis, il insiste, je l'ignore, il répète, je suis coincée. Il beugle, il s'égosille, il gueule, il braille, il piaille, il crie... Pas seulement quelques minutes, mais sans arrêt. Les mots deviennent blessants pour les oreilles, les blessures morales deviennent physiques, le son fait mal. Mes tempes palpitent, ma pression sanguine monte, ma respiration s'accélère, chaque mot tape, frappe, cogne, entaille, mord, lacère, déchire, laboure, arrache, déchiquette...
    Je cherche à garder le contrôle car répondre c'est pire et surtout, ça fait tout repartir ! Si je ne dis rien, il finira par s'arrêter. Parfois, ce qu'il dit est tellement absurde, injuste, que je ne peux m'empêcher de rire nerveusement mais d'un rire qui pleure. Quand c'est fini, il marmonne. C'est tout aussi irritant parce que ce n'est pas encore vraiment terminé et on appréhende que la colère reprenne sans crier gare.
    L'alcool aidant, ses élucubrations se font confuses dans la soirée puis à la nuit tombée, enfin, tout s'arrête. Il prend le large en claquant la porte.
    Le soulagement de ne plus l'entendre laisse place après plusieurs heures à l'inquiétude de ne pas le voir rentrer.

    Onzième jour.
    Les relents de fond de bouteille m'accueillent dans le salon. Vide. Toujours pas de Max. Je ne dois pas m'en faire... C'est un dur à cuire...
    Il y a quelque chose que j'ai oublié, mais je ne parviens pas à me rappeler quoi. Tout est calme et silencieux, comme un dimanche. Quel jour est-on ?

    Douzième jour.
    Retour de Max à l'aube. C'est moi qui délire ou il a les mains couverte de sang ? Son mutisme est complet. Il va s'enfermer dans la chambre. J'ai peur de ce que j'ai vu briller dans son regard ; un éclat dément.
    SarM le 02 avril 2021
    Treizième jour.
    C'est le monde à l'envers, Max exige des explications sur mon comportement des jours précédents ! J'ai beau tenter de le raisonner, rien à faire, il est persuadé que c'est moi qui ai mis les voiles sans raison et sans lui donner aucune nouvelle. Complètement ahuri, il dit que je perds les pédales. C'est à cause de l'épidémie, c'est dans l'air, il y a trop de monde sur Terre et il faut faire le vide. Ils rendent les gens fous pour qu'ils s'entre-tuent ! Et en vociférant ces propos incohérents, il brandit une boîte de médicaments. Il veut me forcer à en prendre, c'est le fameux traitement, secret, celui de ce professeur dont j'ai oublié le nom.

    Dimanche.
    J'ai dû la jouer fine. Hier, j'ai fini par accepter les médicament que Max voulait me forcer à prendre mais je n'ai rien avalé. J'ai tout recraché dans la taie d'oreiller. Il est calme depuis qu'il croit que je suis son traitement. Je pense qu'il se l'est procuré lors de son escapade illégale.

    Dimanche.
    Aucun bruit dehors, tout est calme... Le soleil brille mais je n'entends pas les oiseaux. Ça n'est pas normal, on devrait toujours entendre les oiseaux.

    Dimanche.
    Personne dans les rues, plus un bruit dans l'appartement. Où sont passés les autres locataires ? Max est dans le salon. Il me demande si j'ai bien dormi. Mon air détaché ne l'a pas convaincu. Avec un air suspicieux, il me demande si j'ai pris mes médicaments.

    Dimanche.
    Je suis allée me réfugier dans le bureau. Il a trouvé les cachets recrachés dans la taie d'oreiller. Il est fou ! Il hurle, les yeux exorbités : « depuis quand tu ne les prends plus ? Depuis quand ? Tu réalises pas ce que t'es en train de faire ! T'as perdu pied ! » Puis il s'acharne sur la poignée verrouillée de la porte. Comme elle refuse de céder, je l'entends qui décharge sa haine sur tout ce qui lui tombe sous la main. Il brise, écrase, percute, renverse. A moins qu'il ne cherche désespérément le double de la clé ?
    Acculée, sachant pertinemment que nous sommes les derniers survivants de ce complot mondial et que personne ne viendra me sauver ; comme il n'arrête pas de s'agiter désespérément en parlant de ma maladie, ma psychose, comme le bruit m'est devenu insupportable, je prends le fusil caché dans l'armoire du bureau.

    Ma psychose ? Mon traitement... Trop tard.

    Il est là, le fusil. Un italien à canons superposés. Calibre 12. Acier blizz. Double détente. J'actionne la clé de bascule, l'arme s'ouvre sur un cliquetis bien huilé. Dans la chambre, j’insère deux cartouches et referme le fusil. Le cliquetis sonne différemment. Mes yeux fiévreux se posent un instant sur les fines gravures de la platine, des arabesques et un faisan.

    Simple détonation puis le silence. Et la vacuité, enfin apprivoisée.
    vibrelivre le 06 avril 2021
    Recto verso
    I


    Il est sale, il est nu ; il a les yeux qui flambent.
    On le laisse errer. Il va.
    Comme il veut ?
    Comme une barque que le courant pousse, privée de gouvernail. Attention à la roche qui brise !
    Qui l'a mis dehors ? Qui lui a ôté ses habits ?
    -C'est lui. C'est lui-même !!
    Il va par les rues. Il dort sur les bancs. Il traîne aux abords des marchés.
    Il est nu au-dehors, poudré de crasse, des poux dans la tignasse. Plus besoin de lui chercher des noises. Les embrouilles sont dans sa tête.
    Où est l'obscène ?
    La barque folle roule sur le fleuve, elle balance comme un arbre ivre. Ses hoquets la soulèvent. Elle fend les vagues qui refluent. L'inconsciente.
    Ses yeux jettent le feu. Il est bourré à l'intérieur. Il a reçu trop de gnons. Il s'est bercé longtemps de bobards. Il a bu. Il a voulu y croire.
    Il a les yeux jaunes. Non ! Ce n'est pas ce que vous croyez.
    Des lueurs luisent d'humidité et de chaleur. Elles font peur. Elles ont peur.
    Les flammes se dressent et se tortillent au son d'un air que le vent éteint. C'est un corps jaunâtre qu'une transe étreint. Ce sont des mains rougies qui se joignent, elles supplient. La bouche grimace. Des os, des tendons, des veines saillent. Boutés du dedans. Comme si un démon, des esprits, quels génies, voulaient sortir. C'est de mauvais augure. Il faut fuir. La bave et l'écume s'écoulent.
    La barque s'échoue dans un amas d'algues et de branches où des poissons sont morts. Clap, ppot, clap, ppot. Ça clapote. L'air se cherche. On entend clabauder plus loin. Des chansons qu'on répand comme la pisse et le sang, de l'eau croupie. Déjà on gît dans l'effroi hideux de quelque chose qui nous dépasse, et qui est là, mais où ? C'est proche, ça poisse, ça sent même... Tu sens ?
    Alors on voit les yeux d'or dans un visage maigre et usé, strié de traces, moches et violettes. Il faut échapper à l'éclat. S'il nous perçait ?
    Qui va mal ? Y a-t-il quelqu'un qui aille bien ?
    Quand il est là, seul et nu, sale avec ses yeux qui divaguent .
    La barque, on dirait qu'elle attend.
    Les gens en prière disent de ne pas y monter.
    Le regard en feu crame tout. Bordel, c'est la pagaille. Les plombs pètent.
    Mais qu'il s'en aille. Il est prostré comme un totem qui demande pardon. Qu'on lui demande pardon. Nos cœurs résonnent comme des tambours. C'est l'arrivée de l'orage. Il est à son affaire. Au son il apporte la lumière. Il lance des éclairs. Torves et de travers. Il ne faut pas le regarder. On est dans le sacré. Chaud, chaud, le sacré, sacrément chaud. Des gerbes de pluie explosent, une pluie qui râpe. Nos membres sont raclés comme de vieilles dents qui pourrissent. Le crin liquide stimule la circulation. Clac !
    La barque a bougé. Ou les algues lui ont cédé la place. Le feu s'éloigne. L'air desserre sa prise.
    Il est nu. Il erre. Il tangue. Qu'on lui laisse les lieux. Il sait plus que nous.
    EveLyneV le 07 avril 2021
    Titre : 1 + 1 = ?

    Ce matin, allongé sur le sol froid, dès que j’ai ouvert les yeux, j’ai su.
    L’œuvre, près de moi, confirmait sa venue. Une écriture d’une plume fine et noire, des caractères irréguliers, des « pattes de mouche », une désorganisation dans le remplissage des feuilles. Contrairement à moi qui formais des lettres pleines, régulières, et ordonnais mes paragraphes. Je tournai précautionneusement les pages, toutes se ressemblaient. Je me frottai le front, du sang presque caillé me tacha la main. Je me levai et regardai dans le miroir qui pendouillait, à moitié accroché à une corde. Je distinguai un regard hagard, des cernes noirâtres, des joues blêmes, du rouge, des poils hirsutes sur le menton. Qui était cet individu ? Assurément pas moi, le dandy propre, soigné et fardé souvent outrageusement, et envié par tous ! Les femmes me courtisaient, certains hommes également, mais j’avais conscience que la plupart me jalousaient.
    L’autre avait visité l’appartement, aménagé à sa manière, décoré comme il l’entendait. Des livres onéreux, éparpillés sur le sol sale, à moitié ouverts, déchirés parfois côtoyaient des porcelaines ébréchées, voire cassées. Des débris répartis partout où mes yeux se posaient. Je ne reconnaissais pas le nid douillet et attrayant que j’avais installé des années auparavant.
    Le chaos.
    D’un geste, je repoussai le miroir qui cliqueta plusieurs fois contre le mur. Le bruit me tapa sur les nerfs. Je fermai les paupières et respirai fort. Je bloquai ma respiration jusqu’à étouffer. Je haletais. Alors la toux me reprit. Contre la porte, des poings s’abattirent et une voix claqua :
    — Tu m’entends ? Ouvre cette porte… Je peux t’aider…
    Qui était-ce ? Lui ? L’autre ? Sans doute, il voulait entrer de nouveau ! Je ne le laisserai pas, jamais. Je m’assis dans un coin et maintins ma tête dans mes mains qui, placées sur mes oreilles, m’extrayaient  du monde extérieur. Je n’entendais que mon sang. Après un long moment, je dégageai mes oreilles et me fondis dans le silence si absolu. Je me redressai, et pendant des heures je marchais de long en large, sans fin. L’énergie monta dangereusement en moi et mes forces se décuplèrent. Je brandis une chaise et  désormais…

     ---

    Ce matin, dès qu’il a ouvert les yeux, j’ai su qu’il savait.
    L’œuvre, près de lui, confirmait ma présence. Une plume et une écriture différentes, des « pattes de mouche » qui noircissaient les pages, sans suivre les lignes. Contrairement à lui dont les lettres bien ordonnées donnaient une impression de netteté et de calme. Il se frotta le front et fut surpris d’y trouver du sang, en partie coagulé. Il se mira dans le miroir qui, désormais décroché du mur, brinquebalait au bout d’une corde. Se contemplait-il ? Les minutes passèrent, très lentes. Il sembla ne pas se reconnaître. Non, il n’était plus le même ! Lui, souvent moqué par ceux qui n’acceptaient pas ses airs de dandy, apprêté, maquillé… Ah ça, on ne l’envierait plus !
    Il  observait son logement si confortable et qui lui correspondait. De rage, j’avais projeté des livres, les avais déchirés et piétinés, puis de même les porcelaines qui toutes représentaient des scènes attendrissantes et ridicules. Avec plaisir, je les voyais joncher le sol. Il semblait si attristé.
    L’ordre, tel que je le concevais.
    Soudain, il ferma les yeux et se mit à aspirer l’air bruyamment et comme s’il s’étouffait. Et il toussa. Je me préparai. On cogna contre la porte. De toutes mes forces, je lui criai silencieusement : « non, n’ouvre pas ! »
    Je le vis hésiter. Alors, moi, je priai… Inconcevable ! Il s’assit. Je profitai de son désarroi. Et pendant qu’il marchait, j’agissais...  Nous brandîmes une chaise et désormais…
    Je savais qu’il savait...

    L’autre, c’était moi. Moi, j’étais lui.
    isa-vp le 08 avril 2021

    TRAQUÉE

    Quelqu’un veut entrer

    Je ne l’ai pas vu, entendu probablement ou juste senti peut-être

    En tout cas, je sais qu’il est là et qu’il me traque

    Un couloir au milieu, des fenêtres de chaque côté, une porte au bout

    Je cours pour tout verrouiller

    Chaque fenêtre une à une, puis la porte

    Il fait sombre

    J’ai tout fermé, les yeux, les oreilles puis la bouche

    Je suis essoufflée, je m’accroupis dans la pénombre, recroquevillée entre mes bras

    Le calme revient en moi

    Je serre ma tête entre mes mains et, au milieu de la forme ovale de mon crâne, deux grands yeux me regardent

    Il est entré !
    elodie1989 le 08 avril 2021
    Coucou

    Merci pour ce défi, je n'osais pas et puis le thème m'a rappelé mon métier d'infirmière psy alors je tente sur la bipolarité ^^

    Toc, Toc

    Toc, toc, qui es-tu ce matin ?
    Un caillou, une étoile, une galaxie.
    Je file à travers l'infini, calme et serein, brûlant de vie.

    Il parait que je me consume dans un âtre en ruines.
    Pourtant, les seules cendres que je goûte me sont données par ces satellites en blouse blanche.
    Ces cerbères à têtes de seringue, ces serviteurs du faux dieu Morphée.
    Ils tournent, tournent autour de moi.
    M'empêchant de gouverner ma planète quand je voudrais en être roi.
    Et malgré cela je m'écrase dans un nuage de poussières étoilées,
    Bleu valium ou rêve somnolé.
    Soudain, tout disparait dans un voile lacté. Mon cosmos devient gouffre, mon sourire abîmé.
    Ma raison a pris feu, ma folie explose. Mon cerveau, un amas de cratères sans fond, une croûte d’ecchymoses.

    Il parait que je déprime.
    Pourtant, je ne ressens rien. Pas même l'envie d'un antidote.
    Et le bleu cède sa place au blanc dépakote.

    Toc, toc, qui es-tu ce soir ?
    Un cosmonaute en dérive, une comète en désespoir.
    Qu'on me rallume, qu'on me guide à travers ces astéroïdes.
    Ce champs, miné de cris et de larmes qui me broie et me noie, m’assassine et me ranime.

    Il parait que je m'éteins dans un âtre glacé.
    Pourtant, le seul froid que je ressens se trouve dans vos yeux qui me clame dément.
    Rejeté, je lève alors les miens dans le vide, percute un fragment de lucidité pour contempler ce spectre où mes rêves se sont échouées.
    La lune insolente brille au-dessus de moi.
    Libre et sereine.
    Fous et reines.
    Tantôt étoile morte, tantôt ampoule vive.
    Bientôt, elle aussi s'éteindra quand l'infirmière viendra sonner le glas.

    Mais moi, moi je serai encore là.
    Petite luciole à l'agonie,
    Petit insecte aux ailes opiacées.
    Qui supplie qu'on le laisse se brûler une dernière fois à la flamme aliénée.

    Toc, toc, qui seras-tu demain ?
    karmax211 le 08 avril 2021
    Bonjour,

    ma contribution au thème du mois d'avril.





                                          JUSTE QUELQUES FAUX PLIS DANS MON CERVEAU


    As-tu senti ma présence ce matin ?
    Non...
    Mais j'étais là, tout près de toi... tu avais mis trop de Polo... pour un peu, j'en aurais toussé.
    C'est des blagues !
    Jacques, mon Jacques, surveille ta grammaire !
    Mais je vous interdis de...
    Gros nigaud, que crois-tu m'interdire ?
    Mais j'en ai marre à la fin !!! Va-t'en Satan ! Va-t'en Satan ! Va-t'en Satan !Hop, j'tai bien eu, t'as disparu poil au cul !
    Il faut que je surveille Françoise de plus près... sans qu'elle s'en doute. Je suis sûr que cette salope cherche à m'empoisonner. Elle doit se demander comment je fais pour échapper à tous ses arsenics, toutes ses ciguës qu'elle fout dans ma bouffe et dans mon pinard. Mais salope, j'ai repéré ton manège et j'ai plus d'un tour dans mon sac... rira bien qui crèvera le dernier.
    Mon Dieu, faites que je vive jusqu'à 98 ans, mon Dieu, faites que je vive jusqu'à 98 ans, mon Dieu, faites que je vive jusqu'à 98 ans.
    Jacques ?
    Ou... oui...
    Comment va Julie ?
    Julie ? J'connais pas !
    Mais ne fais pas l'enfant, nous savons toi et moi que tu la connais.
    JE NE CONNAIS PAS DE JULIE !
    Ne te fâche pas. Pourquoi as-tu gardé son string rose ?
    Ssssttttrr... vous dites n'importe quoi...
    C'est pas beau de voler le linge des demoiselles !
    JE N'AI RIEN VOLÉ DU TOUT ! D'ailleurs, tu m'emmerdes... ainsi font font font les petites marionnettes, ainsi font font font... trois p'tits tours et puis s'en vont. ET PUIS S'EN VONT ! Tu l'as eu dans l'fion pov' con ! Et t'es marron, parc'que t'es bidon et qu'c'est moi l'patron.
    J'ai envie d'une Pall Mall... juste pour me détendre. Mais là, je ne peux pas. Je suis à court. Il faut que je m'approvisionne, mais MON bureau de tabac, il est fermé. Oh, Josy, pourquoi qu't'es partie ? T'avais la belle vie... mais t'es comme toutes ces salopes, t'avais les flammes aux bajoues... t'as pas pu résister, t'es partie te faire tringler par des doryphores. Et où est-ce que j'vais m'trouver des clopes à présent, hein ? Chez la grosse Laura ? Mais son bastringue, y pue, et pour rentrer à l'intérieur, t'as vu sur l'trottoir tous ces triangles des Bermudes, toutes ces lignes barbelées ? J'fais comment pour contourner toutes ces chausse-trappes, hein, dis ? Salope !
    Ce n'est pas ainsi qu'on parle aux dames, Jacques !
    Qui est là ?
    Mais c'est moi ! Depuis le temps, tu fais toujours l'étonné, c'est un jeu ?
    Je n'joue pas avec des mauvais joueurs... et puis, vous êtes pas vrai !
    Si je ne suis pas vrai, pourquoi me parles-tu ?
    C'est un piège... de l'autre !
    L'autre ? Tu veux parler de Julie ?
    Hiiiiiiii !!!
    Calme-toi, Jacques...ça va passer.
    ...
    À propos de Julie, où est-elle ? Ça fait deux jours qu'on n'a plus de ses nouvelles.
    JE NE CONNAIS PAS CETTE PERSONNE !
    Tu as un petit voilier sur la Siane ?
    Et alors ?
    C'est là que tu les emmènes ?
    Je n'y vais que pour pêcher.
    Et tu as besoin d'appâts, de beaucoup d'appâts... c'était un bel appât, Julie. Dommage, c'était une jolie fille !
    C'était une salope ! Bien fait ! Giclé, elle a giclé la pépée !
    Docteur ?
    ...
    Docteur ?
    Oui...
    Vous allez bien, docteur ?
    Pourquoi cette question, monsieur Finch ?
    J'ai cru vous entendre dire "pépée" quand je vous ai parlé de Marie...
    Marie ?
    Oui, ma femme.
    Bien sûr, monsieur Finch, bien sûr... J'ai appelé l'infirmière ; elle va vous raccompagner jusqu'à votre chambre.
    Mademoiselle Letournel, raccompagnez monsieur Finch jusqu'à sa chambre.
    Bien, docteur.
    Ah, mademoiselle Letournel, vous rajouterez cinquante gouttes d'Haldol à son traitement... vingt gouttes le matin et trente le soir.
    Je note, docteur. Je fais entrer la patiente suivante ?
    Mais évidemment mademoiselle Letournel. Pourquoi croyez-vous donc que je suis ici si ce n'est pour soigner ces pauvres diables égarés sur un chemin noyé dans d'épouvantables ténèbres. Je suis le phare, le gardien qui leur donne cette petite lumière qui les rassure et qui endigue leurs pulsions démoniaques. Sans moi, ces... créatures se seraient depuis longtemps emparé de l'a...
    Mademoiselle Julie P., docteur.
    NOOON !!!
    SarM le 08 avril 2021
    Brr ! Effrayant de constater que les élucubrations miasmatiques de cet individu ne sont autres que celles du docteur.
    Chuchotement le 08 avril 2021
    DÉMENCE ANNONCÉE 


    J’avais 5 ans lors de mes premiers contacts avec d’effroyables créatures. En fait, ces jouets d’enfants habitaient le grenier où j’habitais, seule, avec ma grand-mère. Ils ont donné vie à mes pires cauchemars.

    Je m’éveillais en sursaut, la chair de poule de la tête aux pieds, sans personne vraiment pour me rassurer car mon aïeule était sourde et muette. J’ai donc grandi dans un monde où tout pouvait me faire glacer le sang et me faire sursauter.

    À l’école, intimidée par des gamins insolents, j’ai eu souvent mon lot d’expériences humiliantes. La peur me déstabilisait, me paralysait. Je refoulais par en dedans toutes mes frayeurs, jusqu’à faire des troubles anxieux. Cris, sursauts, souffle court et palpitations ponctuaient ma vie quotidienne. Les amateurs d’horreur souriront, les braves et téméraires me tourneront en dérision.

    Je n’ai pourtant jamais manqué de courage. Mon âme avait simplement choisi ce parcours.

    Les bêtes sauvages et sanguinaires prenaient refuge dans mon cœur. Laissée à la merci de mes terreurs, je n’avais d’autres choix que de tenir jusqu’au bout, sinon, c’était l’hospitalisation assurée. Tant de fois j’ai vu ma mère me parler d’énigmes familiales, de lieux hantés. Ces espaces transitoires jumelés à ses angoisses démentielles l’ont conduite à abréger sa vie.

    Je gardais jalousement mes monstres sacrés en moi. Je les nourrissais. Je savais que le pire allait advenir et qu’il serait un jour trop tard pour reculer. Mon quartier devenait mon village hanté et mes plans, aussi abominables les uns que les autres, achèveraient bientôt la décadence amorcée.

    N’ayant pas les nerfs assez solides pour me constituer une personnalité fonctionnelle en société, la maladie mentale gagnait du terrain et mes déchirures intérieures s’agrandissaient. Ne me laissant aucun répit, la folie terrifiante installait une ambiance lugubre à toutes mes journées.

    Puisant dans l’éventail de mes concepts horrifiants, des créatures machiavéliques prenaient leur première respiration dans le monde que je leur avais créé…

    glegat le 09 avril 2021
    Déjà beaucoup de textes de qualité inspirés par ce thème.  J'ai apprécié en particulier celui d'elodie1989  je suis en train de peaufiner ma contribution que je vais sans doute poster aujourd'hui ou demain.
    glegat le 09 avril 2021
    Le visiteur

    La pluie a cessé depuis un moment. Le ciel uniformément gris forme une voûte opaque et oppressante. Quelques bourrasques agitent les frondaisons. Derrière la vitre, j'observe la rue déserte. Non loin, une silhouette aux contours familiers apparaît, celle d'un homme de haute taille. Ce qui me frappe à cet instant, c'est sa chevelure blanche qui se déchaîne comme l'écume sur l'étrave. Sa coiffure ressemble à des sarments de vigne blanchis par le givre ou à un nid fait de brindilles et de fils de coton qui s'agitent sous le vent. Le visage exprime la tristesse et la dureté d'un homme prématurément vieilli par le poids des épreuves plus que par celui des années. Ses traits ont considérablement changé, cependant, je le reconnais. Derrière des bésicles de myope aux verres épais, les yeux se cachent et le regard porte court, à quelques pas seulement, dirigé vers le sol, comme en pénitence. Le corps est légèrement voûté, le pas lourd et lent. Il se dirige vers le portail soulève le loquet et pénètre dans l'allée. Il est vêtu d'un long et épais manteau noir élimé. Il s'approche de la maison. Dans un instant, il sera là, surgissant du passé, sombre et craintif comme un spectre novice. En quelques secondes, l'histoire de notre rencontre défile sous mes yeux et j'éprouve une indicible sensation, un mélange de crainte et de nostalgie. Vingt ans se sont écoulés depuis sa dernière visite. C'est un moment que j'appréhendais et espérais tout à la fois. Je songe à ce coup de téléphone imprévu, reçu il y a quelques jours :

    « J'ai trouvé une façon nouvelle d'écrire...Cela m'est venu comme dans un songe... Mais pour l'instant je ne peux pas t'en dire plus...».

    Cette révélation m'avait surpris et j'ai voulu en savoir plus...

    En insistant, je finis par obtenir quelques explications confuses. Alors j’ai commencé à comprendre, il n’avait pas seulement trouvé une nouvelle façon d’écrire, mais aussi une autre manière de penser, d’être, de vivre. Raymond n’était plus le même homme, ni tout à fait un autre. Le Raymond que j’avais connu était un brillant penseur, un artiste, un révolté voulant changer le monde. Boulimique de connaissance il avait accumulé un savoir encyclopédique sur les religions, les philosophies et d’autres domaines plus ésotérique comme l’anthroposophie. Il tentait de comprendre le monde afin de le rendre meilleur. D’un naturel sanguin il s’emportait facilement, voulait convaincre. Épris de justice et de fraternité il souffrait de voir notre monde se déshumaniser, il était prêt à se battre seul contre tous tel un Don Quichotte. Mais le comportement des hommes l’avait désespéré : les promesses non tenues de paix et de progrès, les guerres, les massacres, la récupération politique des peurs générées par les pandémies et le réchauffement climatique, la pollution, la cupidité, l’égoïsme, en un mot la bêtise et la cruauté dominaient le monde.

    Au fil des années, après avoir subi tant de désillusions, ses forces l’avaient peu à peu abandonnée. Aujourd’hui l’homme qui est devant moi, usé, vieilli, n’est plus qu’une ombre. Pourtant il émane de lui une aura spéciale, comme s’il subsistait au fond de son être une braise prête à rallumer un feu. Toute son énergie est rassemblée dans ses yeux. Lorsqu’il développe une idée, son regard magnétique capte l’attention, son visage s’illumine et il retrouve pour un instant sa fougue d’antan.

    Il est là, en face de moi, sa haute stature un peu sombre contraste avec la lumière matinale qui pénètre dans la pièce. Il m’explique son projet : écrire une synthèse de tout le savoir indispensable à l’humanité. Il n’a retenu des œuvres complètes des philosophes que quelques idées et principes, de la bible il a extrait l’équivalent de deux pages, l’ensemble des doctrines religieuses est résumé dans un seul chapitre. Il considère que la plupart des bibliothèques contiennent des centaines, voire des milliers de livres inutiles ne faisant que reprendre sous des formes à peine différentes des textes déjà existants. Il a pris l'habitude d'arracher des ouvrages les pages qu'il juge superflues, ainsi, après ce désherbage drastique son immense bibliothèque est devenue un mausolée de livres à l'agonie. Ce travail immense de lecture et de synthèse semble l’avoir épuisé. De ses mains tremblantes, il étale sur la table des feuillets remplis d’une écriture minuscule aux lignes ondulées comme soumises à une pensée erratique. Ce que je peux lire et les commentaires qu’il me fait confirment mon impression. Raymond est sur le point de basculer, d’un côté le génie de l’autre la folie. Une frontière très mince sépare ces deux mondes.
    eclipse-psychique le 09 avril 2021
    Bonjour,

    Pour ma part je propose un poème que j'ai écrit en provençal, accompagné de sa traduction en français. Tout est parti d'un article de presse dont le fait divers m'a interpellée, peinée, inspirée. Je me suis interrogée sur cette forme d'alinéation, de déconnexion avec la réalité lorsqu'une personne perd un proche mais conserve son corps en décomposition chez elle. 


    Desligada

    La sornura cuerb un monde barrat :
    Dins la cambra ont tei sospirs despareisson
    Ai caud puèi ai freg, de tu s'es sarrat
    Lo lutz de mei nuechs, que en tu se teisson.

    E vòlan vòlan lei bèstias foscosas
    Que vonvonejan a l'entorn de nautrei ;
    Car dins lo jardin de l'amor fangosa
    Cantan mai fòrt que baton lei còrs nòstres !

    Dòrmes de lònga, laisses sus lo liech
    Lo mèu odorós dau còrs : de foliá
    M'acusan, elei ! Diables de l'Infèrn,

    Non te prendràn pas, que restèm ensems.
    Se lo fau, lo fuòc au fons de mon sen
    Ié cremarà tot, laissant qu'un luòc fèr.




    Déliée

    L'obscurité couvre un monde fermé :
    Dans la chambre où tes soupirs disparaissent
    J'ai chaud puis j'ai froid, de toi s'est rapproché
    La lumière de mes nuits, qui en toi se tissent.

    Et volent volent les bêtes sombres
    Qui bourdonnent autour de nous ;
    Car dans le jardin de l'amour boueux
    Elles chantent plus fort que battent nos propres coeurs !

    Tu dors sans cesse, tu laisses sur le lit
    Le miel odorant du corps : de folie
    Ils m'accusent, eux ! Diables de l'Enfer,

    Ils ne te prendront pas, car nous restons ensemble.
    S'il le faut, le feu au fond de mon sein
    Y brûlera tout, ne laissant qu'un lieu indompté.
    plume33000 le 09 avril 2021
    La folie c'est de réaliser que l'espace temps est différent
    la folie c'est de se percevoir différent,

    Différent  des autres gens,
    parfois absent aux exigeants, impertinents et autres embêtants.

    La folie c'est le monde dans lequel on vit,
    l'énergie qu'il nous faut déployer pour rester vivant et engagé.

    Se sentir engagé c'est pouvoir décider du chemin suivi,
    c'est choisir le lieu, l'activité, le métier, l'amour et nos amis.

    La folie c'est de répondre sans cesse à des besoins qui finalement n'en sont pas,
    D'être contraint et forcé de suivre le mouvement, l'accélération même si on n'en veut pas.

    La folie c'est de ne plus penser, réfléchir et rêver,
    Flâner au gré du vent et laisser nos pensées voyager.
     
    La folie c'est de ne plus regarder, voir autour de soi,
    Les autres dans leurs singularités et respecter leurs choix.

    Se sentir enfermé, cloîtré ,forcé de toujours marcher,
    Rester courbé et avancer coûte que coûte , quitte à se démantibuler.

    La folie c'est d'accepter, se résigner, 
    s'éloigner de nos rêves, de nos envies  de liberté.


    La folie c'est d'écouter nos désirs inconsidérés,
    Contre vents et marées,
    D'outrepasser le bien-fondé
    Et de de toujours lutter,
    Se révolter

    La folie c'est aussi de s'émanciper,
    De tout envoyer promener,
    De prendre ta main et de tout quitter,
    Partir voyager et s'aimer.

    indelebilevagabonde le 09 avril 2021
    fêlé/les petits objets/Juste ébréchée, la petite tasse de vaisselle anglaise aux motifs fleurs tendre, fine porcelaine aux petits reflets nacrés, logée dans son compartiment, dorlotée et nichée au coeur de papier de soie, rosée. Celle-là trouve sa place aux côtés des autres, des centaines d’autres, comme estampillées, sur lesquelles je veille, précieusement, jalousement, comme si chacune d’elles était menacée.

    De quoi d’ailleurs ?

    Je me demande bien : d’extinction ? Peut-on imaginer un jour la disparition ultime et programmée des tasses ? Est-ce vraiment crédible ?

    Chacune a sa place, bien définie, et nulle part ailleurs qu’à sa place.Elles sont vestiges d’un autre temps, d’un épisode gustatif certain. Ce n’est pas celle-là que je préfère bien sûr, si le choix était si évident, si elles n’étaient pas toutes si belles, je ne me sentirai pas l’obligation de toutes les conserver, de les chouchouter ainsi.

    Chaque jour, j’admire, j’observe, je contemple, je fixe…

    Bon, j’admets, je suis bolophile..C’est venu comme ça, un jour, un détour, je suis tombée sur ma première tasse, elle était originellement ébréchée, à se demander de nous deux,  lequel était le plus fêlé…

    M.G/indelebilevagabonde
    glegat le 10 avril 2021
    indelebilevagabonde  petit récit très réussi, bravo !
    indelebilevagabonde le 10 avril 2021
    Je vous remercie..
    vibrelivre le 11 avril 2021
    Recto verso
    II


                                                         Hey mec
    c'est l'appel du vertige 
                                       l'obsession du nouveau
                                                                            la tentation de savoir 
    t'as la tête vidée
                           dévissée
                                        renversée
                                                        eh mec
    avec tes yeux
    comme des lames
    qui creusent
               profond
                                ton blair
                                chalumeau
                                 qui perfore
                le fond
                                                  ta bouche
                                                   sans mots
                                                  qui HU-U-U-U-RLE … quoi

    dis qu'est-ce que t'as vu que tu ne pouvais pas voir
                                                        mec

               la barque était planquée sous les palétuviers
               à leurs racines elle s'épaulait
               presque
               on eût dit un abri
               et les branches soudain ...
                                cassées
                                cassées
               mec par qui dis c'est l'esprit
               sans bruit
               il rôdait sous les algues dans la boue
               ça quoi frisottait froid sur mes poils
               il a poussé la barque direction la mer

               peut-être ... elle s'est noyée

    comme toi … peut-être

    tu n'en es pas revenu
    de là
    d'où
                                                                mec
               la rame était silencieuse
               on s'est courbé comm' si on priait
               on n' voulait pas déranger
               on avait fait les offrandes
               qu'est-ce qui a foiré
                                                               mec
    vibrelivre le 11 avril 2021
    quand tu as plongé tu as souri
    les yeux déjà partis
    déjà
    vers l'ailleurs vers la nuit
    l'eau n'a pas frémi
    pas une feuille n'a tremblé
    les pieds au sec
    j'ai bien regardé
    la lune riait ...
                                                puis la lune a claqué
                                                                                                mec
    les eaux ont gonflé on eût dit un python un long python ondulant vers sa proie …
                                                                    toi
    le vent a soufflé des crabes ont eu peur m'ont griffé les pieds
    des gens étaient là nimbés de blanc ça inquiétait on eût dit des Anciens
                                               des Anciens de sous la terre
                                                                                                mec
    et de leurs doigts sans chair ils ont dit non
    qu'est-ce que j'ai fait
                                                                                                mec
    qu'est-ce que j'ai fait j'ai gambillé
    comme un taffeur piteux
                                                                                                hey mec
    je te demande pardon

    qu'est-ce qui s'est passé on t'a retrouvé … marqué
                                                                                                mec
    des gnons oui mais un coup de dent sciant
    les yeux révulsés tu appartenais
                                                  à qui
                                                  à qui
                                                                                                mec
    on t'a ôté les habits t'étais sonné t'avais maigri tu empestais
                                                 la peur
                                                           ou c'était moi
    on t'a mis à l'écart des ombres giguant dans tes yeux fixes
    un récit dont les mots sont scellés
    un récit de sorciers dont les pages poissent
    les pages puent
    et ne tournent pas
    on s'englue
    d'où vient l'odeur dis on dirait qu'elle est jaune
                                                un jaune
                                                             comme moi

    tu restes là prostré
    tu ne parles pas
    tu ne veux pas ou s'il t'en empêchait dis
                                                                                                mec
    c'est un esprit mauvais
    un fétiche sacré
    un abîme
    le vide ?
    qu'est-ce qui nous a tournéetboulé la tête
                                                                                                 hey mec
    c'est l'appel du vertige 
                                      l'obsession du nouveau
                                                                          la tentation de savoir
    un délire sans suite
    une déception de ouf
                                                                                                    mec
    depuis sans cesse je sombre
    je tombe
    je tombe
    hagard
    dans des fonds
    sombres
                             et roulent des ombres
                             et des tam-tam
                             en une transe sauvage
                              barbare

                 et pourtant … j'ai trouvé
                               la godille
    mais qu'est-ce que ça veut dire
                                                                                                      mec







Pour participer à la conversation, connectez-vous

{* *}