| franceflamboyant le 11 novembre 2022 THIEL PERE ET FILS
Journal de Madeleine Thiel
4 Janvier 1921 Mes parents ont reçu un courrier d'un hôpital de province où se trouverait un soldat longtemps amnésique. Il semble avoir recouvré ses esprits et évoque avec clarté les siens. Il a donné nos noms et prénoms. Il dit être Aurélien Thiel. Bien sûr, il n'a pas de papiers. Mes parents, fous d'espoir, veulent aller à Moulin où il réside. Ils espèrent que l'hospice qui héberge celui qui pourrait être mon frère, ne sera pas trop déprimant.
16 Février 1921. Watson est sur les dents et moi aussi. Après de nombreuses tractations, l'ex-soldat que mes parents sont allés voir arrive. Il retrouve les siens. Le voilà, il est là. Il nous reconnaît, il pleure ; tout le monde pleure. Il reconnaît les lieux. Avec lui, je vais dans le jardin d'hiver car je sais qu'il l'aimait beaucoup. On en a changé la décoration et le mobilier mais il y a toujours autant de plantes vertes et il dit beaucoup aimer. Il m'explique que des années durant, il ne s'est plus souvenu de qui il était et que le personnel de l'hospice s'est montré bienveillant. Son visage est d'une grande pureté tandis qu'il m'explique qu'il lui semble ressusciter. Je suis croyante, il l'est aussi et nous prions. Quand je lui parle de Julien-Alexandre et de son désir de reprendre l'affaire familiale qui théoriquement lui revient, il ne semble pas irrité. Saurait -il la gérer, lui, il ne sait pas. Depuis qu'il est « revenu sur terre », il fait des cauchemars sur la guerre. La nuit, il crie. Watson, qui déteste Julien-Alexandre, adore depuis qu'il est arrivé ce jeune miraculé et ronronne sans cesse. Mère est en cuisine. Père exulte.
24 Mars 1921 Nous jouons aux échecs sans cesse, dès que j'ai fini le lycée et expédié mes devoirs. Je suis une très bonne élève. Aurélien parle d'une marraine de guerre qui lui a écrit et dont il a même reçu des photos. Il voudrait la contacter de nouveau car elle était généreuse et très jolie mais redoute qu'elle se soit mariée et l'ait oublié. Je lui dis d'écrire. Watson approuve. Mais je ne suis pas sûre qu'il le fasse. Avant la guerre, il était moins timide;
Aurélien se débrouille très bien avec Père. Il pourrait fort bien reprendre les affaires et c'est lui après tout qui était désigné pour le faire. Le plus souvent, nous parlons dans le jardin d'hiver. J'adore mon frère.
26 Mars 1921 Julien-Alexandre nous informe qu'il a fait des recherches. Celui qui s'est introduit chez nous ne saurait être Aurélien Thiel car celui-ci est bel et bien mort au Chemin des Dames. Il tempête, montre des courriers. Mes parents sont stupéfaits. Eux-aussi ont de nombreux certificats et des attestations. En outre, la mémoire est vraiment revenue à Aurélien et il évoque avec eux mille et un souvenirs lointains... Mais mon autre frère reste de marbre. Quoi, dit-il, j'ai engagé un détective et celui-ci a fort bien travaillé. Vous avez été bien naïfs en accueillant chez vous un être qui n'a jamais fait partie de notre famille. Il y a la ressemblance physique, certes, et il y a tout ce qu'il dit qui est là pour vous dérouter; Mais je vous assure que cet homme est un opportuniste doublé d'un faussaire. D'ailleurs, j'ai des preuves ! Les papiers circulent. Ils sont bardés de tampons et de signatures. Tout le monde est stupéfait. Tout le monde s'agite même la bonne et Watson ! Aurélien, lui, reste calme. Julien-Alexandre, dit-il, tu me détestes depuis toujours. Comment pourrais-tu supporter que je reprenne ma place ? Depuis que je suis de retour, tes sourires sont faux. Je me doutais de quelque chose car tu étais par mont et par vaux. Évidemment, la journée est difficile. On se dispute. Au soir, Watson mord Julien-Alexande à la cheville (celle qui fonctionne bien) et s'enfuit avant d'essuyer des représailles. A l'heure qu'il est, je ne sais où il est.
2 août 1921 Après des semaines infernales, Aurélien s'est enfui en laissant une lettre dans le jardin d'hiver. Les documents que mon odieux frère lui a mis sous le nez l'ont finalement effrayé. Il dit avoir menti et vouloir s'évanouir dans la nature. Julien-Alexandre veut lancer la police à ses trousses mais ma mère l'interpelle et le somme de ne rien faire. Je pleure dans le jardin d'hiver. Watson est revenu après une longue fugue et pousse des miaulements indignés. Il évite mon horrible frère. Celui-ci, j'en suis convaincue, ne dit pas la vérité.
25 septembre 1921 Watson me comprend et je comprends Watson. Cette histoire là est louche. Si Aurélien avait été un faussaire, d'une manière ou d'une autre, il se serait trahi, n'est-ce pas Watson? Mon compagnon cligne des yeux : il est parfaitement d'accord. Il manque à ce chat l'allure de Sherlock Holmes et son flegme anglais...Discrètement, nous enquêtons, nous fouillons, nous observons. J'ai retrouvé sous une vasque de fleurs que personne ne bouge jamais les papiers d'identité de mon frère soldat et avec l'aide de Watson, une lettre étrange. Il a fallu creuser, déterrer une boîte et l'ouvrir. Elle contenait les pages d'un Journal tenu par Aurélien. Il sentait sa mort venir et il savait qu'elle lui viendrait par son frère...
2 octobre 1921 Père a parlé d'arrêter de travailler et de tout céder à Julien Alexandre. J'ai poussé un hurlement et on m'a demandé si j'étais folle. J'ai fouillé discrètement dans la chambre de mon frère, Watson sur mes talons. Il y a toutes sortes de fioles dans un tiroir. J'en ai senti les odeurs. L'une d'elle m'a intriguée ; J'ai pensé à un poison. En conséquence, au dîner, j'ai fait en sorte que mon frère boive un verre de vin dans lequel se trouvait un peu de liquide contenu dans la fiole. Il s'est évanoui et son malaise durant, il a fallu appeler le médecin. Toutefois, personne ne s'est retourné vers moi. Ne suis-je pas une simple jeune fille?
Conseil de guerre avec Watson dans le jardin d'hiver : Julien Alexandre est un meurtrier. Nous allons le confondre. Les yeux jaunes de mon animal préféré ne trompe pas, sa fourrure hérissée non plus. Il est en guerre.
12 mai 1921 Grand soleil. On devrait passer une bonne journée et déjeuner et dîner sur la terrasse. Drôles d'idées dans la tête.
15 mai 1921. J'ai contacté un détective par téléphone puis je l'ai vu. Il a commencé par me faire la cour puis, comme je me fâchais, il s'est repris. Il est venu dans le jardin d'hiver, à regardé des photos d'Aurélien puis a paru rêveur. IDehors, dans les plates bandes, mon frère est là, il en donnerait sa main à couper. La maison est grande, mes parents prennent des somnifères, la bonne est un peu sourde et moi j'ai du mal à veiller. Il aura fait le coup la nuit, cet être malveillant que je déteste.
Aurélien aimait particulièrement la partie la plus sauvage du jardin, celle où les arbres poussent très haut et où les fleurs sont nombreuses au printemps. Je ne sais pourquoi j'ai délaissé cet endroit. Mon chat sur les talons, je m'y rends et tout d'un coup, j'ai de forts soupçons. C'est ici ! C'est ici ! Mue par une formidable énergie, je prends une pelle et je creuse mais bientôt j'appelle à l'aide un des jardiniers qui travaillent pour nous et lui aussi creuse. Je maudis le détective, que j'ai consulté car il a pris ses jambes à son cou et en même temps je suis contente car c'est moi qui suis aux commandes. Que m'importe après tout ! Au mépris des convenances, je lance avec rage des pelletées de terre pour creuser plus loin. Watson, très concerné, fait sa part du travail. Un corps apparaît...Aurélien ! Méconnaissable physiquement, il est reconnaissable à ses vêtements et à cette chevalière qu'il portait à la main droite. C'est une vision horrible, j'en conviens, mais je ne regrette pas mon acharnement. Je crie, j'appelle à la rescousse, je crie au meurtre. Papa et maman arrivent et hurlent. Julien-Alexandre, que tout ce tintamarre a attiré, devient livide. Je me raidis telle une figure de la justice. Watson bombe le torse et foudroie son adversaire du regard. Aux arrêts, l'assassin, aux arrêts !
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