Bonjour
juliebabelio Ci-dessous mon texte.
Bonne lecture et belle journée,
La Musique du Saladier !
C’est dimanche ! Je me réveille dans la petite chambre du haut. Le soleil filtre à travers les persiennes. Mémé est déjà dans la cuisine. Je l’entends au bruit des casseroles qui se mélangent à la voix de l’animateur d’RTL et qui me parviennent depuis le rez-de-chaussée.
Comme tous les jours, mémé s’est levée de bonne heure. Elle a enfilé ses bas de contention, sa blouse et sans doute avalé un bol de chicorée. Je dis sans doute, car je n’ai jamais vu déjeuner mémé.
Ensuite, chaque matin, elle s’affaire en cuisine tout en écoutant attentivement l’émission « La Valise » dont elle ne perd pas une miette.
« La Valise », c’est un jeu diffusé à la radio et qui permet de faire gagner de l’argent. Chaque jour, l’animateur annonce la somme d’argent contenue dans une valise virtuelle. Un numéro de téléphone est tiré au sort dans l’annuaire. Si le candidat, appelé en direct, décroche et qu’il est capable de donner le montant exacte de la somme annoncée, il la gagne. A l’inverse, la cagnotte est remise en jeu, pour le lendemain. Une bonne façon de fidéliser les auditeurs. En tout cas, ça fonctionne plutôt bien avec mémé !
Mais quand le candidat appelé ne décroche pas ou qu’il ne connait pas le montant contenu dans la valise, ça l’agace vraiment mémé ! Alors elle râle parce que, elle, elle le connait.
Je crois que chaque jour, mémé espère secrètement que c’est son téléphone qui va sonner. Parce qu’elle aimerait bien gagner mémé.
En descendant l’escalier, je suis enveloppée par un air de musette qui s’échappe maintenant du poste de radio et anime la petite maison d’une gaité contagieuse.
Mémé, qui m’a entendue arriver, cesse momentanément de s’activer.
—Bien dormi ma chicorée ? me dit-elle en me souriant et me couvrant de son regard bleu bienveillant.
Je m’avance vers elle pour l’embrasser. Sa peau est douce et lisse. Plus lisse que celle de maman. Plus fine et fragile aussi.
Mon bol est déjà sorti et posé sur un coin de la table. Mémé ajoute le lait chaud au cacao qui a déjà trouvé sa place à l’intérieur du récipient.
Tout prêt de mon bol, il y’a un saladier. Le même, comme à chaque fois que je mange chez mémé. Au fond, repose déjà une vinaigrette sans moutarde, dont le nombre de cuillérées d’huile et de vinaigre a scrupuleusement été respecté et mesuré. Elle est comme ça mémé. Elle cuisine dans le respect des recettes qu’elle suit à la lettre et dont chaque modification fait l’objet d’un ajustement minutieux dans son carnet. Parce que mémé, elle met beaucoup d’amour dans tout ce qu’elle fait.
J’observe ce saladier, prêt à accueillir la salade du jardin que rince soigneusement mémé. Elle n’y déposera cependant les quelques feuilles qu’au moment de déjeuner, pour éviter qu’elles ne perdent de leur fraîcheur et de leur croquant.
Un peu avant midi, alertées par un coup de klaxon, nous sortons pour aller à la rencontre du boucher-charcutier qui vient d’arrêter son camion devant la maison. Mémé lui achètera de la viande et du saucisson car, le saucisson, elle sait que j’adore ça, ma mémé.
Quand vient l’heure de manger, mémé dépose le saladier sur la table de salle à manger, autour de laquelle nous prenons place pour le repas. Mémé est vraiment douée pour mélanger la salade. Elle remue avec des gestes habiles les feuilles qui, jamais, ne tombent à côté. Moi, ce qui me plaît, à cet instant précis, c’est le doux son du bruit émis par les couverts en bois qui se heurtent aux parois du saladier. Un bruit sourd, familier, et rythmée, un peu comme une chanson qu’on aime écouter et qui dégage quelque chose d’apaisant et rassurant à la fois.
Dans ces moments-là, j’ai hâte de grandir pour pouvoir à mon tour mélanger la salade et ainsi pouvoir jouer la même musique que mémé avec le saladier.
Plus tard, dans la journée, mémé s’installera derrière sa machine à coudre, au bout de la même table sur lequel nous avons mangé. Car c’est petit et exigu chez mémé. Elle travaillera tissus et étoffes avec minutie. Quand le bruit émis par la machine cessera temporairement, seul le « tic-tac » régulier de l’horloge, accrochée au mur juste au-dessus de la télé, viendra troubler le silence de la pièce.
Parce que la télé, chez mémé, on ne l’allume que pour la regarder, quand vient l’heure du programme qu’on a choisi de regarder. Le reste du temps, la télé, elle est éteinte laissant ainsi toute la place aux autres bruits de la maison.
Après sa besogne, mémé me proposera de faire de la pâtisserie. Le saladier, sera lavé, séché et prêt à accueillir pâte à gaufres ou pâte à beignets. Je la regarde faire avec ses mains habiles et ses gestes assurés. Je l’aide aussi quand elle m’y autorise et ajoutant, chacun leur tour, les différents ingrédients. Pendant ce temps, mémé supervise, m’encourage et m’apprend.
Au moment du goûter, nous dégusterons ensemble les délicieuses pâtisseries préparées. Elle est gourmande mémé, mais comme elle le dit tout le temps, elle ne mange que des miettes ! Sauf que moi, je la vois bien picorer plus qu’elle ne veut bien l’admettre.
Le saladier reprendra ensuite sa place dans le placard jusqu’à la prochaine recette.
Cet objet-là n’est pas beau à proprement parler. C’est un simple saladier en grés qui a la particularité d’émettre des sonorités qui m’évoquent la vie chez mémé. Un peu comme une chanson qu’on a plaisir à entendre et qui raviverait nos souvenirs les plus tendres.
Aujourd’hui, je suis assez grande et j’ai maintenant le droit de mélanger la salade avec les couverts en bois. La couche de vernis qui recouvrait le saladier et lui donnait un aspect luisant s’en est vite allée. Sans doute la cause du lave-vaisselle que mémé, elle, n’a jamais utilisé.
Sans sa couche de verni, il apparaît maintenant quelque peu terni. La fissure sur le côté s’est légèrement agrandie aussi. Mais il joue toujours la même musique. La musique du bonheur réconfortant d’avant, quand mémé était encore-là.
Car des deux, aujourd’hui, il n’y a plus que le saladier qui soit encore en vie. Et désormais, c'est dans mes placards qu'il est placé et rangé.
A ma mémé adorée et à nos bonheurs partagés.