| leoseba le 10 mars 2023
Bonjour à Tous !
Voici mon texte pour ce mois de Mars.
Très bon Week-end
PapiTime
Dans un château du Bordelais, de nos jours.
— Elle est dans la famille depuis près de deux cents ans. Elle appartenait à Louis De Croze, ton aïeul. Il trouva la mort lors d’un duel en 1814 à Paris. ( NDLR : voir mon histoire du défi de février : 4h08 ;) ).
— Whech ! C’est stylé !
— Cette montre à gousset est passée de génération en génération. Elle est le témoignage d’une histoire de famille qui perdure et, qu’il te faudra respecter.
— Ouais grave !
— Tu sais Matisse, c’est important pour moi et pour notre famille ! Jean s’agaçait. Son fils, téléphone dans la main, était bien plus absorbé par les notifications qui s’affichaient sur l’écran de son smartphone que par la rhétorique de son père.
— Oui papa, j’ai compris ! C’est la montre d’un arrière-grand-père et il faut y faire gaffe ! C’est bon, j’ai pigé, j’suis pas teubé !
Jean balançait la tête imperceptiblement de gauche à droite, exaspéré par l’attitude puérile de son fils.
— Depuis maintenant deux cents ans, cette montre passe de main en main. Aujourd’hui tu as vingt ans, et désormais c’est à toi d’en prendre soin. Elle t’appartient et tu la remettras à tes enfants, comme nous l'avons tous fait jusqu’ici. Il marqua une pause. Matisse ! Hurla-t-il, Nom de Dieu, tu m’écoutes !
— Vas-y, quoi ?!! C’est mon anniversaire aujourd’hui ! Et les potes m’envoient des messages pour me le fêter ! T’as un problème avec ça ! Rugi Matisse à son tour.
Les deux s’étaient levés et se bravaient du regard. Jean, chemise à carreaux et pantalon velours aubergine, plutôt frêle, pas très grand, catégorie : poids léger. Face à lui, Matisse, survêtement de marques, sneakers, tempes rasées et cheveux longs plaqué sur le crâne, un bon mètre quatre-vingt-dix, cent kilos, catégorie : poids lourd.
Ils ne s’étaient jamais entendus, jamais compris. Leurs personnalités étaient beaucoup trop opposées. Le père pensait acheter l'amour de son fils, en cédant à tous ses caprices et en distribuant de l'argent. Et en échange de quoi, il espérait que Matisse se rapproche de lui, qu’il lui ressemble. Qu’ils aillent à la pêche ensemble, qu’ils bricolent la vieille dauphine ensemble. Mais Matisse repoussait ce père, qu'il jugeait enfoui sous une multitude de principes archaïques. Lui était ultra connecté, ultra populaire, ultra provocateur. Matisse surfait sur la richesse et la notoriété de son nom, et ne jurait que par ses sons, son flow et son rap.
— OK, désolé ! Le jeune homme savait que pour avoir la paix il devait lâcher du lest. Excuse-moi, d’accord ! Je vais la protéger moi la montre du papi.
Gonflant le torse, il frappa ses pectoraux avec sa main et esquissant un sourire il continua
— T’inquiètes, avec moi, elle ne craint rien ! Je descends ! À plus !
Il prit la montre dans la main de son père, la fourra dans la poche de son Adidas et disparut.
Jean resta un moment figé, tournant l’écrin de la montre entre ses mains. Est-ce qu’il avait bien fait ?
Il se souvenait du jour où son père lui avait transmis cet objet, ô combien précieux à leurs yeux. Ce fut un instant rare, remarquable, solennel. C'était une passation de pouvoir, la complicité profonde entre un père et son fils.
Et aujourd’hui, rien !
Jean ressentait de la tristesse, une infinie solitude. À l’étage en dessous, il entendait la musique cacophonique qui sortait de la chambre de son fils. Une larme s’échappa de sa paupière.
*
Deux ans plus tard, dans une célébrée émission de Télévision.
— Mesdames et Messieurs, j’ai le privilège de recevoir MATISSE !!! scandait le présentateur.
Le public, debout, les bras en l’air, hurlait le nom de celui qui s’avançait vers le plateau. Vêtu tout de blanc, baskets imposantes, pantalon large et doudoune brillante impressionnante. Le jeune avait son téléphone dans la main et posait au milieu de ses fans en transe. Photo, vidéo, tous se précipitaient pour apparaitre sur les réseaux à ses côtés.
— Matisse ! Mesdames et Messieurs !!
Le jeune rappeur, restait debout devant la table du présentateur, encourageant le public à crier encore plus fort.
— Quel succès !! Quelle ovation !! Commença l’animateur, plus bas, afin de calmer les clameurs de la foule
Matisse s’assit enfin.
— Ouais ! En vrai, ça fait plaisir !
L’animateur reprit :
— Un premier album, salué par la critique internationale. Un titre obsédant, qui résonne sur toutes les radios et sur les télés du monde entier. Un clip d'animation incroyablement original. Vous êtes nommé pour toutes les plus grandes récompenses musicales de l’année. Il marqua une pause et regarda son invité. Matisse ? Vous pouvez nous expliquer ? Quel est votre secret ?
— Bah en fait ! je sais pas. C’est du boulot, une passion, c’est la rage quoi, tu vois !!
— Et ce titre « PapiTime », il serait inspiré d’une montre qui appartenait à un de vos grands-parents.
— Ouais ! Carrément à un ancêtre ! Y parait que ce papi il était royaliste et surtout trop libertin le frérot, et ça lui a couté la vie, tu vois. Un sourire s’afficha sur le visage de Matisse. Sûr que ce mec assurait grave !
— Et cette montre vous l’avez sur vous ?
— Ouais, bien sûr ! Elle et moi on se quitte plus. Et fouillant dans les poches de sa vaste doudoune, il sortit la montre à gousset que Jean lui avait confiée deux ans auparavant.
— Tu vois, continua Matisse, ça faisait une paire d’années qu’on glandait avec les potes à faire des sons, à trainer dans les festivals Rap, mais ça perçait pas. Un jour, pour l’anniv de mes 20 ans, mon père y me donne cette montre à chaine, et y m’explique que faut y faire attention, tu vois. Que c’est important ! Du coup je la montre à mes potes, et là tous se foutent de moi, avec ma relique du treizième siècle. On rigole bien ! Et on commence à improviser un Rap sur la montre, sur l’heure, le temps qui passe, les différences entre les époques, les divergences générationnelles et, « Papitime » est né !
— Très émouvante votre histoire ! Je peux la toucher ? demande le présentateur amusé.
— Ouais, tiens, mais fais-y gaffe ! Mon daron regarde la télé et y supporterait pas que tu l’abimes, répliqua Matisse en exagérant un clin d’œil face à la caméra.
— Jolie pièce ! Donc, c’est cette montre qui a été le déclencheur de tout ce succès ? dit-il en la rendant à Matisse.
— Ouais, bon, y a pas que ça, derrière y faut travailler et rencontrer des gens. Mais, c’est vrai que je suis plus le même depuis qu’elle est à moi. Avec moi, elle est moins tranquille que dans sa petite boite en bois précieux bien planquée au fond d’un tiroir à jamais voir le soleil. Maintenant, elle rayonne, elle resplendit, elle vit ! Elle est représentée sur la pochette de l’album, elle sert de Logo pour la prod. Et tu sais pas, c’est comme si, elle était magique, frérot ! Peut-être que dans ma poche, elle a été frottée et qu’un génie chargé de deux cents ans d’histoire est apparu, et m’aide à réaliser mon rêve !
— Fantastique ! Bravo !! Coupe le présentateur, préoccupé par le temps d’antenne. Il se tourne vers le public, vous voulez « PapiTime » ?
Ce dernier répond instantanément, en hurlant « Matisse ! Matisse ! »
— Merci Matisse, d’être passé nous raconter cette belle histoire, dit le présentateur en checkant avec le jeune rappeur. Matisse se dirige vers la scène en saluant son public, et faisant tourner la montre autour de son majeur.
— Mesdames et messieurs, il est en live pour nous ce soir ! Il nous interprète « PapiTime »… MATISSE !! et.. sa montre à gousset !!!!
FIN
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