 | vibrelivre le 08 mai 2023
Ils firent leur plus beau sourire et dirent à la maîtresse: _ Théo demande où on peut trouver des magiciens. On peut quand même pas lui dire que ça n'existe pas. Qu'est-ce qu'on peut lui répondre à la place ? _ D'abord les magiciens existent. Les enfants ouvrirent des yeux ronds. L'instit était tombée sur la tête ? _ Il y a des prestidigitateurs qui font sortir des colombes de leur chapeau … _ Mais Théo cherche un autre type de magiciens. Il veut que son magicien lui construise … Jules et Fru se regardèrent. Ils allaient trop en dire. _ Oui ? _ Une soucoupe volante, dit Jules, tout essoufflé brusquement. _ Eh bien, dites à Théo de lire ou d'aller au ciné. C'est bien aussi les livres et les films. Ils peuvent vous faire rêver. Ils remercièrent leur maîtresse, et sortirent de leur panoplie leur sourire d'enfants reconnaissants. Finalement, n'étaient-ils pas un peu magiciens eux aussi ? _ Rien à faire du côté des adultes, décréta Fru. _ D'accord, opina Jules. Ils tombèrent sur Ibrahim. Il avait un sac de bonbons à côté de lui, dans lequel il puisait souvent et d'une main plus que généreuse. _ C'est pas bon de s'empiffrer de bonbons, dit Fru sentencieusement, à qui les bonbons ne disaient rien. _ T'as qu'à m'en donner quelques-uns. Je vois qu't'as des bonbons soucoupes. Je les aime bien, ceux-là. Il se tourna vers Fru, et lui fit un clin d'oeil. _ Moi, en fait de soucoupes, j'aimerais mieux en avoir une en vrai. _ Et j'te parie que tu sais pas où trouver un magicien pour t'en construire une, insista Jules. _ Moi, j'ai vu E.T. Sur You Tube, et ma voisine a dit que sa mère avait des pouvoirs pour en produire une, poursuivit Ibrahim. _ Ta voisine ? dit Fru. _ Ouais, c'est une voyante. Ma mère dit que c'est une Gitane, et qu'il faut pas croire les Gitanes. Mais si vous voulez, on peut aller la voir. _ O. K., on n'a pas grand-chose à faire, en vrai. Quand ils arrivèrent chez la voisine, c'est sa fille qui vint leur ouvrir. Elle avait une robe rouge à pois noirs, des cheveux longs et noirs comme les yeux de Fru, et lisses, Fru adorait les cheveux lisses, et il en voulait de pareils. C'était comme si deux cascades s'écoulaient de derrière sa tête. C'était aérien. De la poésie, comme aurait dit l'une de ses répétitrices. Un paradis de poésie. _ Salut, Esmé, hein c'est vrai que ta mère sait faire des soucoupes ? dit Ibrahim. Ibrahim, avec sa voix qui muait, la cassait, la poésie. Il passait de la flûte au tuba, et parfois usait d'une scie qui crissait comme un camion maintes fois replâtré. _ Des soucoupes, et un tas d'autres choses, répondit Esmé en posant ses yeux de fée sur Fru. _ Comme une machine à remonter le temps ? dit Fru. _ Tout, dit Esmé. Tu veux remonter le temps ? Fru ne savait plus. Dans le temps d'aujourd'hui il y avait Esmé. _ Et toi ? dit-il. _ Je pourrai t'accompagner si tu veux. Le cœur de Fru faisait des galipettes. _ Pourquoi pas ? dit Fru. _ Mais il faut la machine, souligna Jules pragmatique. La voyante fumait. Les volutes ondulaient devant son visage qu'elles voilaient. Fru ne voyait que son porte-cigarettes noir qu'elle tenait dans ses mains gantées de longues mitaines en résille, qui laissaient voir des ongles interminables peints alternativement de rouge et de noir, et des veines proéminentes comme elles l'étaient sur les mains d'une des répétitrices. Sa mère serait vieille comme son père ? Ha, ha... _ Ainsi, vous voulez remonter le temps, dit la voyante d'une voix pierreuse comme si elle venait d'échouer sur une plage, en avalant quelques galets, telle une sirène perdue. _ Oui, répondirent Jules et Fru comme si la leur de voix disparaissait dans une des spirales de fumée. _ Ils veulent une soucoupe comme celle d'E.T, ajouta Ibrahim pour rester maître de la visite. _ Ils veulent changer de temps ou parcourir l'espace ? s'impatienta la Gitane dont les cordes vocales vibraient comme une râpe. Quand elle parlait, elle émettait un souffle cahoteux, hérissé, malgracieux. C'était un des effets de ses pouvoirs ? _ On veut voyager dans le temps, dit Jules avec détermination. Quant à Fru, il ne disait rien. La fumée qui dansait, les rochers qui roulaient, les gants qui scintillaient, et les yeux d'Esmé l'hypnotisaient. Il était envoûté. _ Ben Fru, dis quelque chose, c'est ton idée d'abord, s'inquiéta Jules. Fru sortit à grand-peine de son état vaporeux. _ Je veux saluer Cyrano, le cadet de Gascogne. La maîtresse leur avait fait voir la fameuse scène du balcon. Le cours du reste avait pour thème le balcon. Elle leur avait d'abord montré Roméo et Juliette, comme ils s'aimaient ces deux-là, et comme ils parlaient bien. Puis celle où Cyrano soufflait à ce bêta de Christian les mots qui séduiraient Roxane. Quels mots ! Fru ne les avait pas tous compris, mais les sons, la façon de les dire, les échos lui avaient procuré un tel émoi qu'il voulait être beau comme Christian et savoir parler comme Cyrano qui avait un si joli chapeau avec une si jolie plume. La maîtresse n'avait-elle pas parlé de panache ? Ça attaquait bravement, les a sonnaient comme des clairons de victoire, et le che prolongeait la fierté du combat gagné. L'épée grisée battait le pavé. Pa-na-che. Les lèvres de Fru souriaient et il fermait les yeux.
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