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    SergeTailler le 04 mai 2019
    Ce lundi-là, il est près de vingt-trois heures lorsque Martin quitte l’atelier de sculpture alors que le cours est terminé depuis près d’une heure. Depuis qu’il a entrepris cette activité, il a pour habitude de prolonger la leçon et de discuter de ses projets en cours et futurs avec Félix, son professeur, alors que les autres artistes sont déjà rentrés chez eux.

    Il quitte le cours beaucoup plus tard que les autres jours après avoir consacré la soirée entière à raboter au papier de verre un singe terminé depuis plusieurs semaines déjà. Il a entretemps commencé d’autres pièces mais elles restent à l’abandon. Obnubilé par la finition de son animal, il le rabote pour qu’il soit parfaitement lisse et peaufine encore quelques menus détails. Lorsque qu’il range ses outils, il réalise que les tables sont couvertes de poussières et que le sol est jonché de fragments de terre éclatés. Il rince l’atelier à l’eau tout en bavardant avec Félix qui l’attend pour fermer.

    Ils verrouillent la porte de la classe et en arrivant à l’extérieur, Martin est surpris par le vent froid et humide qui le saisit au visage. Les premières gouttes commencent déjà à tomber lorsqu’il ferme la porte de sa voiture.

    Cela fait plus de dix ans que Martin pratique la sculpture. Il prend ses premiers cours peu après avoir rencontré Sandra. Le choix de cet atelier est d’ailleurs une initiative de cette dernière qui se met à la recherche d’une activité culturelle ou créative qu’elle peut partager avec son amoureux. Et son aspiration est d’être à ses côtés durant trois heures et non d’apprendre à modeler.

     Elle s’en désinvestit rapidement et perd son assiduité et son appétit pour ce projet alors que de son côté, il y prend goût dès le premier cours et ne veut rater son rendez-vous artistique sous aucun prétexte. Dès la semaine qui suit la rentrée, il n’est plus physiquement aux côtés de Sandra mais déjà en osmose avec la matière qui pousse son imagination à esquisser les positions sensuelles et érotiques des premières femmes nues qu’il va créer. Il considère d’ailleurs sa nouvelle activité comme thérapeutico-artistique et se plait à raconter que sa nouvelle passion lui permet d’exprimer ce qu’il a probablement refoulé trop longtemps. 

    Lorsqu’il s’engouffre dans sa Lancia Delta, l’horloge du tableau de bord affiche déjà vingt-deux heures quarante. Il est beaucoup plus tard que d’habitude et il doit encore parcourir soixante minutes de route avant d’être chez lui. Ce soir, il va rentrer le ventre vide car, à une heure aussi tardive, il est peu probable que le Chinois où il a l’habitude de repasser après le cours soit encore ouvert. Il y prend souvent un repas express avant la fermeture car le lundi, c’est toujours la course entre le bureau et l’atelier.

    Il engage la clé de contact dans le tableau de bord et quitte prudemment la petite cour de l’atelier pour ensuite s’engager lentement dans la petite rue pavée défoncée qui sépare la petite impasse de la grande chaussée qui le conduit vers l’autoroute.  Il est lancé à vive allure sur la chaussée détrempée lorsqu’il remarque que l’enseigne du chinois est déjà éteinte et donne un filet de gaz tant que le feu est encore au vert. Il s’engage sur la bretelle d’autoroute lorsque la pluie redouble d’intensité. Les essuies glaces raclent bruyamment l’eau qui s’amoncelle et Martin augmente le volume de l’autoradio qui joue Heathen, le dernier Bowie qu’il écoute en boucle depuis des semaines. Envoûté par l’intro du troisième morceau, il augmente le son et pousse sur l’accélérateur sans se soucier des trombes d’eau qui s’abattent sur le bitume.

    Malgré la musique et le bruit de la pluie qui ricoche sur le capot, il remarque que son portable posé sur le siège passager vient de vibrer à deux ou trois reprises. Il le saisit d’une main et son attention est immédiatement attirée par le fil d’actualité de son profil facebook. Il lève le pied et se rabat sur la première bande. Il a la gorge nouée et son cœur commence à s’emballer. Il vient de recevoir un message de Julie, à qui il a adressé une invitation il y a plus de deux mois. Elle vient d’enfin accepter et lui envoie un message.

    — Bonsoir Martin. Cela me fait bien plaisir de te retrouver. J’espère que tout va bien pour toi. Bises. Julie.

    Surpris, Martin relit le court message à plusieurs reprises. Il ne sait comment réagir. Indécis, il ralentit encore puis relance sa voiture, décidé à rejoindre la station essence qui n’est qu’à quelques kilomètres. Il n’entend plus Bowie ni rien d’autre, occupé à se demander quelle suite donner au message de Julie. Il s’engage sur le parking de la station essence et laisse le moteur tourner pendant que la pluie claque sur le toit de sa voiture. Pensif, il sort de la Lancia et allume une cigarette sous le crachin.

    — Bonsoir Julie. Désolé de ma réponse tardive mais j’étais à la sculpture et ne découvre ton message qu’à l’instant.

    Cela fait près de vingt minutes qu’il a reçu son message. Peut-être n’est-elle déjà plus en ligne. Martin relit le commentaire qu’il vient de lui envoyer. Il trouve sa réponse ridicule et regrette déjà de l’avoir envoyée. Trop impatient de lui répondre sans trop savoir quoi lui écrire.

    — A la sculpture ? Parce que tu es devenu sculpteur maintenant ?

    — Non, non. Juste un hobby…je dirais une passion…enfin…c’est compliqué.

    Il relit son écrit quatre fois et se demande ce que Julie va lui répondre.

    — Ah ah. Je ne t’aurais jamais imaginé faire de la sculpture mais tu peux parfois être étonnant !

    — Etonnant ? La sculpture n’a vraiment rien d’étonnant et contrairement à ce que l’on peut penser, elle n’exige aucune aptitude particulière…

    — Etonnant ….je dis ça parce que c’est toi que je trouve parfois étonnant, Martin.  Avoue quand même  qu’il faut être un peu barge pour faire ce que tu as fait et me dire ce que tu m’as dit il y a 10 ans. Tu ne trouves pas ?


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