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Nos lectures LGBTQI+
Liste créée par Tu_vas_voir_ce_que_tu_vas_lire le 29/06/2019
85 livres. Thèmes et genres : roman , homosexualité , homosexualité féminine , Homosexualité masculine , transgenre

Homosexualité, transidentité, identité queer... Ces sujets longtemps restés tabous en littérature, au point de n'être évoqués le plus souvent qu'à mots voilés jusqu'au milieu du XXe siècle, ont désormais toute leur place dans le paysage littéraire. Pour autant, les auteurs et autrices LQBTQ et les textes abordant ces thématiques n'ont pas toujours la visibilité qu'ils et elles mériteraient. Dans la continuité du challenge #Juindesfiertés sur Instagram qui les met à l'honneur, retrouvez ci-dessous toutes nos lectures arc-en-ciel !

Cette sélection a été réalisée par les bibliothécaires de la Bibliothèque publique d'information.



1. Carmilla
Joseph Sheridan Le Fanu
3.88★ (2087)

Dans un château isolé de Styrie, la jeune Laura s'ennuie d'une existence morne et solitaire en compagnie de son père. Un jour, ils croisent par hasard le chemin de Carmilla, une mystérieuse jeune fille victime d'un accident, qu'ils décident d'héberger le temps de sa convalescence. Bientôt, Laura se sent irrésistiblement attirée par le charme vénéneux de Carmilla, qui l'abreuve de déclarations ardentes. Alors que d'inquiétants phénomènes commencent à apparaître dans la campagne environnante, Laura est progressivement rongée par une étrange mélancolie, comme consumée par l'amour que lui voue Carmilla… Oscillant entre sensualité, érotisme et domination, Carmilla ose suggérer le désir intense entre deux femmes, contre la morale puritaine de l'époque. Métaphore envoûtante de l'amour interdit, ce récit gothique offre à la littérature son premier personnage de femme vampire, figure puissante et éternelle de l'entre-deux.
2. Escal-Vigor
Georges Eekhoud
3.86★ (64)

Paru en 1899, Escal-Vigor de l’auteur belge Georges Eekhoud est considéré comme le premier roman francophone traitant ouvertement d’une relation amoureuse entre deux hommes. Le récit de la relation entre Henry de Kehlmark, comte d’Escal-Vigor, et le jeune pâtre Guidon Govaertz fit évidemment scandale, et valut un procès à son auteur. La subversion d’Escal-Vigor ne réside d’ailleurs pas seulement dans la sensualité avec laquelle Eekhoud évoque l’amour sublime des deux hommes, ni dans leurs discours revendiquant leur droit au bonheur. Escal-Vigor, où le peuple et la noblesse se mélangent allègrement dans une atmosphère de carnaval brumeux, remet aussi largement en question les hiérarchies politiques et sociales, révélant ainsi les idées anarchistes de Georges Eekhoud.
3. De profundis - La Ballade de la geôle de Reading
Oscar Wilde
4.03★ (770)

De profundis est un des derniers textes écrits par Oscar Wilde, bien loin du personnage de dandy désinvolte et railleur que l’auteur irlandais s’était construit via ses pièces de théâtre et ses aphorismes. Et pour cause : il dédie cette longue lettre à son amant Lord Alfred Douglas depuis la cellule de la prison de Reading qu’il occupe suite à sa condamnation pour homosexualité en 1895. Brisé par quatorze mois de travaux forcés, Wilde y revient sur la relation souvent orageuse qui l’unissait au jeune Lord, et mêle ses regrets et l’expression de sa souffrance à un émouvant et durable cri d’amour : “Après la terrible sentence, quand j’étais en tenue de forçat et que les portes de la prison se sont refermées, je me suis assis parmi les ruines de ma merveilleuse vie, écrasé par l’angoisse, décontenancé par la terreur, étourdi par la douleur. Et pourtant, je ne te haïssais pas. Chaque jour, je me disais ‘Je dois garder l’Amour dans mon cœur aujourd’hui, sinon comment survivrais-je toute la journée ?”
4. Corydon
André Gide
3.45★ (213)

S’il le publie d’abord anonymement en 1911 avant d’en revendiquer la paternité en 1924, Gide cite dans son journal Corydon comme son livre “de plus grande utilité, de plus grand service pour le progrès de l’humanité”. Suivi en 1925 et 1926 par Les Faux Monnayeurs et Si le grain ne meurt, deux autres textes essentiels qui finissent de lever le voile sur l’homosexualité de l’auteur - déjà évoquée à mots plus couverts dans des romans antérieurs -, Corydon est un texte fondamental dans l’histoire des représentations de l’homosexualité. Certains aspects du discours de Gide paraîtront aujourd’hui dépassés, notamment lorsqu’il distingue des “types” d’homosexuels. Mais le propos central de Corydon, qui vise à démontrer, en allant aussi bien sur le terrain des sciences naturelles que de la psychanalyse, que l’homosexualité n’est en rien contre-nature et à revendiquer une place dans la société pour les homosexuels, reste aujourd’hui encore pertinent. Et continue d’impressionner tant la prise de position apparaît, pour l'époque, courageuse.
5. La danse pieuse
Klaus Mann
3.12★ (58)

Andreas Magnus, jeune peintre et fils d'un médecin réputé, ambitionne de réaliser une toile représentant Dieu en personne, entouré d’une ronde d’enfants. Au lendemain de la Grande Guerre, il cherche un sens à sa vie et décide de quitter le domicile familial pour s’installer à Berlin. Dans la pension qu’il occupe, il se lie d’amitié avec Franziska, une jeune femme à l’allure androgyne, qui lui fait découvrir les bas-fonds de la ville. Andreas commence à se produire dans des cabarets, fréquente des chanteuses, des travestis et les milieux homosexuels. Il s’éprend de Niels, un jeune éphèbe instable et ambigu, dont il suit la trace de Hambourg à Paris. Publié en 1926, La danse pieuse est le premier roman allemand à parler ouvertement d’homosexualité et à se revendiquer de Paul Verlaine, Oscar Wilde ou Herman Bang. Assimilé à son héros, Klaus Mann provoque le scandale, affichant publiquement sa sexualité et le désarroi de sa génération. Hanté par le Berlin décadent de l’entre-deux-guerres, porte-parole d’une jeunesse allemande perdue après défaite de 1918, Andreas Magnus symbolise l’incapacité à donner forme à sa vie et à ses propres désirs, dans une danse effrénée et vaine.
6. Orlando
Virginia Woolf
3.88★ (1688)

A la cour d'Elisabeth I, Orlando est un jeune homme à la beauté solaire, favori de la reine… Mais après être tombé amoureux de Sasha, fille de l'ambassadeur de Russie, et après avoir sommeillé pendant sept jours, Orlando se réveille femme. Sous ses nouveaux traits, Orlando traversera les décennies, jusqu'à devenir une poétesse célèbre à l'aube du vingtième siècle. Surtout, elle découvrira sous un tout autre jour la condition féminine et les multiples avatars du désir. Virginia Woolf considérait Orlando comme une simple “récréation”, et sa forme le démarque effectivement de ses autres romans : versant tantôt dans un onirisme chatoyant, tantôt dans le pastiche amusé, Orlando est un roman aussi changeant que son personnage principal. A la fois lettre d'amour secrète pour Vita Sackville-West, à qui il est dédié, et sidérante projection dans l'esprit d'un être double, Orlando reste un texte nimbé de mystère et de magie, qui fait de l'identité transgenre de son héroïne un formidable révélateur des âmes et du monde.
7. Le puits de solitude
Radclyffe Hall
4.00★ (314)

“Reconnaissez-nous, oh Dieu, devant le monde entier ! Concédez-nous, à nous aussi, le droit à l'existence !” Ces deux phrases, les dernières du Puits de solitude, sont le cri de Stephen Gordon, héroïne du livre. Celle-ci découvre dès son jeune âge son penchant pour les femmes, mais fait face tout au long de sa vie à une succession de déceptions amoureuses. Si le roman de Marguerite Radclyffe Hall ne présente pas d’issue heureuse pour ses personnages - il faudra attendre pour cela Carol de Patricia Highsmith, en 1952 -, et bien qu’il n’évoque leurs relations physiques qu’avec une très grande pudeur, le Puits de solitude fait figure de pionnier dans la représentation des amours lesbiennes. Il met surtout en scène une héroïne forte, qui assume son homosexualité et ses choix, à l’image de l’auteure Radclyffe Hall, qui vécut trente ans durant avec la sculptrice Una Troubridge, et qui était connue dans les cercles littéraires au début du siècle dernier pour sa façon de s’approprier une garde-robe masculine. En dépit du soutien de Virginia Woolf, Vita Sackville-West et E.M. Forster, Le Puits de solitude fut interdit au Royaume-Uni suite à une violente campagne de dénigrement. Cela ne l’empêche pas de se vendre à un million d’exemplaires aux Etats-Unis entre 1916 et 1943, date de la mort de l’auteure.
8. Alexis ou le traité du vain combat - Le coup de grâce
Marguerite Yourcenar
3.87★ (1127)

“Cette lettre, mon amie, sera très longue”, écrit Alexis à sa femme. En une centaine de pages, il ambitionne de révéler tout ce qui le tient éloigné de celle qu'il a épousé par dépit, à commencer par ses désirs homosexuels. Marquées par l'influence d'André Gide, les révélations d'Alexis sont aussi une libération : sil ne fait que “se résigner” à ses penchants, son courage permet à deux êtres - lui et sa femme Monique - de s'affranchir de la culpabilité et de sortir du déni. Marguerite Yourcenar fait preuve d'une justesse redoutable dans l'analyse psychologique, annonçant déjà les profondeurs des Mémoires d'Hadrien, mais reste très prudente dans sa façon d'évoquer le désir d'Alexis. Signe d'une époque : elle n'a que 24 ans lorsqu'elle écrit Alexis, publié en 1929. Dans une passionnante préface écrite trente ans plus tard, elle revient sur cette langue “circonspecte” qu'elle prête à son héros tourmenté, mais aussi sur ses regrets d'avoir donné une cause psychanalytique trop forcée à son homosexualité. Quelques repentirs qui n'entament en rien la grande originalité de ce premier roman incontestablement attendrissant.
9. Querelle de Brest
Jean Genet
4.09★ (337)

Peu d’écrivains ont fait autant pour la reconnaissance d’une véritable culture homosexuelle et queer que Jean Genet. De son premier roman, Notre-Dame-des-fleurs, à la pièce posthume Splendid’s en passant par son seul film, Un chant d’amour, et le poème de prison Le condamné à mort, l’œuvre de Genet ne cesse de célébrer un homoérotisme placé sous le signe des voyous et des garçons des rues. Parmi ces œuvres, Querelle de Brest, adapté au cinéma en 1982 par Rainer W. Fassbinder, brille d’un éclat particulier. Son héros, Georges Querelle, matelot viril et magnétique qui sème le trouble y compris chez les hommes hétérosexuels, cristallise les tensions qui structurent le regard de Genet sur l’homosexualité. A la fois amant passionné et assassin, issu des bas fonds interlopes mais visant une expérience de l’extase quasi-métaphysique, Querelle incarne cette dialectique du danger et de la béatitude chère à Genet.
10. Un garçon près de la rivière
Gore Vidal
3.91★ (272)

Au coeur de leurs dernières grandes vacances et avant de se séparer, Jim et Bob découvrent l'amour dans les bras l'un de l'autre. Marqué au fer rouge par cette première expérience sexuelle, Jim renonce à faire des études pour s'engager comme Bob dans la marine marchande, avant de découvrir les communautés gays émergentes de Los Angeles et New York. Mélancolique et indécis, maladivement obsédé par le souvenir de son premier amant, Jim Willard est cependant un personnage des plus attachants, et le premier héros gay de roman américain à vivre sa sexualité sans sentiment de culpabilité ni de honte. Un changement de perspective historique, qui fit naître une polémique sans précédent autour du Garçon près de la rivière à sa publication en 1948. Si l'aspect révolutionnaire du roman de Gore Vidal est moins évident aujourd'hui, il garde néanmoins un charme certain grâce à son évocation lumineuse et sensuelle de la naissance d'un amour, et sa restitution vive et colorée du Hollywood gay des années 40.
11. Les Amours interdites
Yukio Mishima
4.09★ (707)

Lorsque Shunsuké Hinoki, vieil écrivain amer et misogyne, rencontre Yûichi, il est aussitôt convaincu que ce jeune homme sculptural sera son dernier chef d'oeuvre. le poussant dans les bras de trois de ses anciennes maîtresses tout en lui faisant découvrir les plaisirs de l'homosexualité, il espère en faire sa créature et briser les coeurs de celles qui l'ont déçu… Au risque de voir l'élève dépasser le maître. Dans une forme évoquant le roman européen du XIXe, Les Amours interdites met en scène la sensualité narcissique et volontiers cruelle de Yûichi, qui d'amant en amant découvre le pouvoir de sa beauté. A travers cet alter-ego, Mishima dévoile son rapport à sa propre homosexualité, telle qu'il l'évoque dans l'autobiographique Confession d'un masque. Parcourant les lieux marginaux de la sexualité gay dans le Japon de l'après-guerre, les Amours interdites interroge crûment l'hypocrisie des codes de la virilité dans une société japonaise qui exige des hommes une masculinité héroïque tout en niant la charge esthétique et érotique de leurs corps.
12. Carol - Les Eaux dérobées
Patricia Highsmith
4.07★ (564)

Pour publier Carol, Patricia Highsmith dut se résoudre à utiliser un pseudonyme et à trouver un nouvel éditeur. Aujourd'hui, et grâce au brillant film de Todd Haynes sorti en 2015, ce roman connaît un regain de popularité. Avec la finesse psychologique qu'on lui connaît, Patricia Highsmith y évoque l'amour naissant entre deux femmes qui, peu à peu, se soustraient aux conventions. Carol connut un beau succès dès les années 50 notamment parce que, fait rarissime alors, il racontait une relation lesbienne dont l'issue était heureuse.
13. La Chambre de Giovanni
James Baldwin
4.09★ (1214)

A son arrivée à Paris où sa fiancée Hella doit le rejoindre, le jeune Américain David se voit ouvrir les portes d’un monde nouveau par Jacques, habitué des bars interlopes de la capitale où se forment les couples à la faveur de l’obscurité. Il y rencontre Giovanni, barman, et l'attirance immédiate qu'il ressent lui rappelle une première expérience homosexuelle, faite au sortir de l’adolescence… La chambre de Giovanni met en scène la crise de conscience de David, déchiré entre sa fiancée et son amant, entre son désir réel et sa crainte de ne pas se conformer aux codes de la société. James Baldwin signe là un roman radicalement original pour son époque et analyse avec subtilité la profonde détresse psychologique de son héros, un homme qui ne peut ni aimer ni s’aimer, victime de son incapacité à s'affirmer.
14. Un homme au singulier
Christopher Isherwood
4.02★ (196)

Depuis la mort de son compagnon, George Falconer traverse sa vie comme un automate. Ni ses cours de littérature à l’Université de Los Angeles, ni ses timides rencontres avec ses voisins, ni ses dîners occasionnels avec sa meilleure amie ne parviennent à troubler l’écoulement régulier des jours. Jusqu’à ce qu’un de ses étudiants, Kenny, émerge de la masse indistincte de ses camarades pour venir, gauchement, perturber le quotidien mécanique de George. Avec la pudeur et la réserve qui le caractérisent, Christopher Isherwood fait le portrait d’un homme au crépuscule de sa vie, à l’heure où tout vacille. George, britannique égaré dans une Californie de carte postale, est démesurément conscient de sa singularité dans un univers qui valorise les comportements grégaires. Dépassé par la liberté frondeuse dont font preuve ses étudiants, il a perdu son seul point d’ancrage avec le monde qui l’entoure : son compagnon, dont le souvenir à peine convoqué est pourtant le centre de gravité du roman, construit tout entier autour de l’immense béance qu’est sa disparition. A travers ce héros à la mélancolie élégante et surannée, Christopher Isherwood signe un grand roman de la solitude, miroir de sa propre existence.
15. Numbers
John Rechy
3.30★ (42)

Après avoir passé des années dans son Midwest natal, Johnny Rio est de retour à Los Angeles. Aucun de ses anciens amants n’a oublié cet ancien prostitué, disparu du jour au lendemain, et dont la beauté virile reste pour beaucoup inoubliable. Mais si Johnny est à nouveau en ville pour une dizaine de jours, ce n’est pas pour renouer avec ses vieilles connaissances mais pour parcourir sans fin les lieux de drague en plein air et y accumuler les conquêtes. Poussé par un narcissisme dévorant, obnubilé par son apparence et celle des hommes avec qui il couche, Johnny Rio est un personnage instable, au bord de l’effondrement. Comparable à d’autres grands anti-héros torturés de la littérature américaine, du Démon d’Hubert Selby Jr aux yuppies égocentriques de Bret Easton Ellis, Johnny Rio laisse dans son sillage un parfum de soufre et une inquiétude sourde, tant la pulsion érotique semble se confondre dans Numbers avec un désir d’auto-destruction. Plongée passionnante dans les codes de la sociabilité gay clandestine des années 1960, ce roman de John Rechy récemment traduit par Norbert Naigeon reste, plus de cinquante ans après sa publication originale, un texte pionnier d’une audace électrisante, à redécouvrir urgemment.
16. La Mer de la fertilité : Neige de printemps - Chevaux échappés - Le temple de l'aube - L'ange de la décomposition
Yukio Mishima
4.36★ (197)

Le 25 novembre 1970, Yukio Mishima envoie à son éditeur le manuscrit de la Mer de la fertilité, qu'il vient de terminer. le soir-même, il se suicide après une tentative ratée de coup d'état. Des circonstances qui donnent une aura particulière à cette tétralogie dans laquelle Mishima semble retracer son propre parcours psychologique au travers des multiples réincarnations de son héros Kiyoaki. Garçon souffreteux mort à vingt ans, celui-ci renaît sous les traits d'un jeune homme nationaliste, d'une princesse thaïlandaise et enfin d'un orphelin cruel, le tout sous le regard de Shigekuni Honda, ami de lycée de Kiyoaki. Débutant dans une atmosphère contemplative évoquant les maîtres Kawabata ou Soseki, La Mer de la fertilité s'achève dans un climat de déliquescence presque beckettien. Entre deux, au fil de 1200 pages qui traversent 50 ans d'histoire du Japon, Mishima explore avec une intensité rare le thème central de son oeuvre : la recherche de la pureté, entre pulsion érotique et pulsion de mort. Clé de voûte d'une oeuvre incandescente, La Mer de la fertilité traduit, dans un dernier geste artistique fascinant, le désir d'absolu de l'auteur hors-normes qu'était Yukio Mishima.
17. Maurice
E. M. Forster
4.10★ (845)

La trajectoire de Maurice Hall auraient dû être toute tracée. Fils de bonne famille, ses études à la prestigieuse université de Cambridge lui prédisent le meilleur avenir. Pourtant, depuis son adolescence, dans la société anglaise corsetée des années 1920, Maurice rêve de garçons. C'est avec Clive qu'il découvre pour la première fois la possibilité d'un amour entre deux hommes. Clive, le libre penseur assumé et Maurice, le jeune homme pétri de conventions. En vivant cet amour interdit, il accepte peu à peu son homosexualité, luttant contre un monde qui écrase la différence. Ecrit en 1913, Maurice ne fut publié - selon les voeux de Forster - qu'après la mort de son auteur. D'inspiration largement autobiographique, le roman abordait frontalement l'un des plus grands tabous de l'époque. Maurice parle pourtant simplement d'amour, de transparence et de sincérité. D'une sincérité qui condamne son héros à la marge et aux préjugés.
18. Chroniques de San Francisco, tome 1
Armistead Maupin
3.86★ (5955)

Cela fait près de quarante ans qu’Armistead Maupin poursuit la rédaction de ses Chroniques de San Francisco, qui comptent maintenant neuf tomes. Très rapidement devenues un classique de la littérature gay, ces chroniques s’imposent grâce à la façon nouvelle dont Maupin décrit la vie des homosexuels de San Francisco. Sur un mode qui évoque à la fois le feuilleton et la sitcom - les chroniques commencèrent dans le journal San Francisco Chronicle et furent ensuite adaptées à la télévision -, Armistead Maupin suit une foule de personnages hauts en couleurs, hommes et femmes en quête de liberté qui, s’ils luttent avec des relations amoureuses compliquées et contre l’homophobie du quotidien, affirment cependant haut et fort et sans aucun dolorisme leurs différences et leurs joies. Les premiers volumes des chroniques évoquent ainsi les années d’exaltation qui ont suivi les émeutes de Stonewall et ont vu l’acquisition de droits essentiels. Plus tard, Armistead Maupin fut un des premiers romanciers à évoquer dans ses textes la naissance de l’épidémie du sida. A partir du milieu des années 1980, le ton se fait ainsi plus sombre, à la mesure de la tragédie qui frappe la communauté gay. Mais la série d’Armistead Maupin continue malgré tout, jusqu’à aujourd’hui, à offrir des role-models positifs et optimistes qui font de lui une des figures les plus populaires de la littérature gay américaine.
19. La Tendresse sur la peau
Edmund White
3.89★ (182)

Deuxième volume d’une série de textes autobiographiques entamée en 1982 avec Un jeune américain, La tendresse sur la peau reste un des récits les plus célèbres d’Edmund White. Son héros, à l’aube de sa vie d’adulte, y découvre avec étonnement le New York des années 1960 et la liberté - encore relative, mais impressionnante pour ce jeune provincial qui peine à accepter son homosexualité - qui y règne pour les minorités. S’étendant jusqu’à 1969, l’année des émeutes de Stonewall, La tendresse sur la peau dépeint brillamment la variété des relations et des aspirations de sa vaste galerie de personnages. Edmund White montre ici qu’il y a cent façons de se vivre homosexuel, et ressuscite avec une grande finesse le quotidien des milieux gay des années 1960, fait d’espoir et d’incertitude.
20. La maison du bout du monde
Michael Cunningham
3.95★ (620)

Dans leurs chambres d'adolescents à Cleveland, Bobby et Jonathan rêvent du Summer of love et de Woodstock. Trop jeunes pour y participer, les deux garçons adhèrent pourtant follement à la musique d'Hendrix ou de Janis Joplin, et à la liberté qu'elle représente. Cette liberté, ils finiront par la trouver au terme d'un parcours chaotique qui éprouvera leur amitié, d'abord à New York où Jonathan peut affirmer son homosexualité puis dans leur “maison du bout du monde” où ils s'inventent une vie nouvelle affranchie des conventions. Vibrant portrait d'une époque, La Maison du bout du monde traverse vingt ans de contre-cultures en donnant à entendre, sur fond de classiques du rock, la voix des marginaux de l'Amérique de Nixon, Carter et Reagan. Mêlant roman d'initiation et road-trip, Michael Cunningham compose un voyage émouvant en compagnie de deux personnages écorchés qui interrogent ce qu'il est possible de faire par amour ou par amitié.
21. La Pensée straight
Monique Wittig
4.32★ (671)

“Les lesbiennes ne sont pas des femmes”. C’est par cette phrase que Monique Wittig conclut en 1978 sa conférence intitulée “La pensée straight”. Une phrase-choc, qui dit bien toute la radicalité du propos de cette théoricienne mais qui ne peut se comprendre que dans le cadre plus large de sa pensée sur nos sociétés hétéronormées : si les lesbiennes ne sont pas des femmes au sens communément admis, c’est parce que leur sexualité constitue une rupture avec le contrat social hétérosexuel, dans lequel une femme ne se définit que par son appartenance aux hommes. Le recueil La Pensée Straight permet une première approche de cette pensée pionnière, qui postule que l’hétérosexualité est une idéologie destinée à maintenir l’emprise des hommes sur les femmes. A l’avant-garde des discours sur le genre, les œuvres de Monique Wittig continuent aujourd'hui d'ébranler l'ordre établi et de questionner nos certitudes.
22. Béatriz et les corps célestes
Lucia Etxebarria
3.31★ (596)

La jeune Beatriz quitte Madrid pour aller poursuivre ses études de littérature anglaise à Edimbourg. En quittant sa ville natale, elle doit faire le deuil de la relation qui la lie à Monica, amie de longue date mais aussi idéal féminin fantasmé. Bouleversée par ce changement de vie, Beatriz se retrouve confrontée à un sentiment de manque et d'incertitude : Madrid lui apparaît soudain comme le souvenir d'une ville lumineuse à reconquérir, face à Edimbourg, trop uniformément grise à ses yeux. Surtout, le souvenir de Monica la hante et l’envoûte, redéfinissant sa perception du corps féminin et du désir amoureux. Le trouble de Beatriz s’intensifie lorsqu’elle rencontre Caitlin, jeune femme éblouissante dont elle partage très rapidement le quotidien à Edimbourg. Tiraillée entre l'obsession irrésistible qui la lie à Monica et la stabilité amoureuse que semble lui apporter Caitlin, Beatriz évolue dans une confusion permanente, entre bisexualité et homosexualité, entre deux villes qui tour à tour l’attirent et la repoussent, entre quête de liberté et crainte de la solitude. A travers une écriture légère, sensuelle et volontiers poétique, Lucia Etxebarria dépeint avec finesse l’ambivalence et la complexité du désir féminin, reliant le corps à un imaginaire céleste qui oscille délicatement entre collisions ardentes et osmose amoureuse.
23. Caresser le velours
Sarah Waters
4.14★ (858)

Auteure d’une thèse sur la littérature anglaise, libraire puis enseignante, Sarah Waters était bien placée pour écrire un roman historique inspiré par les plus grands chefs-d’œuvres de Dickens. Le schéma du récit, qui voit une jeune femme issue des classes les plus populaires accéder à des cercles plus privilégiés, évoque effectivement les romans d’apprentissage et les histoires d’orphelins aux grandes espérances de Dickens. Mais ce qui distingue le roman de Sarah Waters est bien évidemment qu’elle met en scène, dans l’Angleterre des années 1890, des personnages de lesbiennes. Grand succès populaire, ce roman qui redonne vie au milieu du music-hall à la fin du 19e évoque sans faux-semblants ni ambages la sexualité de ses protagonistes, et fait de celles-ci des pionnières du féminisme tel qu’il se développera dès le début du 20e siècle.. Condition féminine et condition homosexuelle se mêlent ainsi au cœur de l’intrigue palpitante de Caresser le velours, et dans la plupart des romans ultérieurs de Sarah Waters.
24. Blue
Kiriko Nananan
3.51★ (348)

Dans son lycée, la jeune Kayako Kirishima a la discrétion des bons élèves. Douce et rêveuse, elle partage son temps entre sa bande de copines et les promenades solitaires en bord de mer. Son quotidien rangé est cependant bouleversé par l'arrivée dans sa classe de la mystérieuse Masami Endo, qui l'attire irrépressiblement. Entre découverte et tabou, les deux jeunes filles vont vivre un amour aussi fragile qu'intense. Ode sensible à la mélancolie adolescente, Blue saisit avec grâce la naissance des premiers émois amoureux. Sous sa plume délicate, Kiriko Nananan nous en fait ressentir les infinies variations - ses murmures, ses tourments et ses non-dits. Son épure graphique donne à ses instants fugaces une force intemporelle et juste.
25. Avec Bastien
Mathieu Riboulet
3.67★ (73)

Bastien pourrait n'être qu'un corps parmi d'autres sur l'écran du narrateur du neuvième roman de Mathieu Riboulet. Un acteur de porno amateur, une silhouette oubliée dès le film terminé, aussitôt remplacée par d'autres. Mais parce que Bastien a quelque chose de la beauté des voyous de Genet et des saints du Caravage, il mérite que l'on s'attarde. Sur son enfance dans un hameau retiré de Corrèze, sur ses premiers émois pour un camarade de classe, sur son amour de l'escalade, du théâtre et bien sûr des hommes. Dans ce portrait d'un jeune homme libre et aimé, solide et doux, c'est toute la grâce de Mathieu Riboulet qui s'exprime : sa façon lumineuse de dire le plaisir et de chercher sur les corps les empreintes qu'y laissent ceux des autres, sa manière d'envisager le regard désirant comme un lien secret confinant au sacré. Peintre hors-pair des pleins et des déliés du corps des hommes, Mathieu Riboulet signait là un de ses textes les plus vibrants et les plus solaires.
26. Ronde de nuit
Sarah Waters
3.54★ (378)

Ronde de nuit s'ouvre en 1947 dans un Londres encore marqué par les bombardements. La construction en flash-backs successifs nous entraîne sur les traces de personnages dont les liens s'éclairent au fur et à mesure du récit. L’intrigue se noue autour de plusieurs secrets : pourquoi le jeune Duncan présente-t-il Mr. Mundy comme son oncle ? Qui est Alec, le garçon qui obsède Duncan et quel scandale les lie ? Que dissimule sa sœur Viv à Helen qui, elle, se cache pour appeler sa compagne Julia, romancière à succès ? Qu'y a-t-il derrière la tristesse de Kay ? Le récit alterne d'un personnage à un autre, à mesure que le passé resurgit... Profondément romanesque, Ronde de nuit témoigne d'un travail historique documenté par le soin accordé aux détails réalistes de l'horreur vécue par les Londoniens, du blitz de 1941 jusqu’à la fin de la guerre. Les passages sur les maisons bombardées, les alertes et la fuite aux abris, sont parmi les plus forts du roman, en particulier lorsque Kay se retrouve au cœur du brasier qui ravage sa maison ou que Duncan et ses codétenus restent coincés dans leur cellule au moment des bombardements. Véritables héroïnes, les femmes participent toutes à l'effort de guerre et nourrissent des rêves d'émancipation. Kay et ses amies, qui ne peuvent vivre ouvertement leur homosexualité, demeurent indéfectiblement unies par les terribles souvenirs de ce qu’elles ont vécu.
27. Sexy
Joyce Carol Oates
3.50★ (622)

Bon élève, beau garçon, membre émérite de l'équipe de plongeon... Darren, 16 ans, a tout pour lui et s'attire la sympathie de tous, même de son professeur d'anglais. Alors, quand celui-ci se voit accusé à tort de pédophilie, c'est toute une partie de l'univers de Darren qui s'effondre. Révélant l'hypocrisie de la bonne société et son homophobie à peine déguisée, Sexy évoque aussi bien les ravages du harcèlement scolaire que la découverte, toujours semée d'embûches, de la sexualité. Adaptant son écriture à un lectorat dit "jeune adulte", Joyce Carol Oates ne renonce pas pour autant à ses sujets de prédilection, ni à leur noirceur... Et signe encore un excellent roman, à mettre entre toutes les mains !
28. L'enfant poisson
Lucía Puenzo
3.32★ (40)

Dans un quartier huppé de Buenos Aires, la jeune Lala étouffe entre une mère distante, un père écrivain dépressif et un frère dealer. Elle n’a d’yeux que pour la Guayi, leur jeune domestique paraguayenne d’origine indienne au passé trouble et douloureux, dont elle devient inséparable. La Guayi lui apprend à parler guarani, elle veut l’emmener vivre au Paraguay, au bord d’un lac mystérieux lié à ses souvenirs et à un étrange enfant aux doigts palmés. Leur histoire est racontée du point de vue du chien Serafín, témoin d’événements tragiques au dénouement glaçant : quand Lala comprend que son père couche avec la Guayi et qu’il est retrouvé mort empoisonné, les soupçons se portent sur la jeune indienne qui se retrouve en prison. Commence alors une plongée en plein cauchemar où sont exposés la violence des rapports de classe, la corruption et le machisme, l’enfer carcéral, les règlements de compte où des personnages sans foi ni loi se livrent aux pires trafics. Malgré des dialogues crus et des situations sordides, le regard du chien apporte un peu d’humour et témoigne de la force de l’amour et du désir de ces jeunes filles prêtes à tout pour s’en sortir.
29. Girl meets boy
Ali Smith
3.46★ (79)

Quand elle découvre l’homosexualité de sa sœur Anthea, Midge est troublée et doit affronter ses préjugés. Elle en vient à s'interroger sur sa propre sexualité alors qu’elle est attirée par Paul, un garçon qu'elle trouve féminin. Lorsqu’elle fait engager sa sœur dans la multinationale où elle travaille, un milieu sexiste aux méthodes peu scrupuleuses, Anthea s’intéresse à Robin, une artiste et activiste qui s’attaque à l’entreprise, détourne ses panneaux publicitaires et placarde des slogans féministes. Ali Smith détaille la naissance du sentiment amoureux et la prise de conscience écologique d’Anthea grâce à Robin. Le recours aux contes et aux mythes éclaire la vie des personnages en pointant leurs contradictions, les réinterprètent ou les réécrivent. Ecrit sous le signe des Métamorphoses d’Ovide, Girl meets boy interroge, de façon poétique et drôle, l’identité toujours mouvante des êtres. Il remet en question les notions de masculin et féminin, les injonctions et les stéréotypes de genre. Militant, il dénonce aussi bien le sexisme et les campagnes homophobes que le cynisme des techniques de vente. Faisant la part belle à des relations familiales peu conventionnelles et aux souvenirs d’enfance des deux sœurs, Ali Smith met en scène des personnages attachants décrits avec tendresse, à commencer par ce grand-père fantasque qui débute le roman par "Laissez-moi vous raconter quand j'étais une fille", telle une formule ouvrant à tous les possibles.
30. Les Oranges ne sont pas les seuls fruits
Jeanette Winterson
3.28★ (388)

Comment s’accepter et vivre son homosexualité au grand jour lorsque l’on a grandi dans le milieu ultra-conservateur et puritain des Pentecôtistes américains ? C’est l’expérience qu’a fait Jeanette Winterson, éduquée selon les préceptes les plus stricts et qui, dès l’âge de six ans, se destinait à devenir missionnaire en écrivant des sermons… Avant de prendre conscience de son homosexualité et de faire son coming-out à l’âge de seize ans. Les oranges ne sont pas les seuls fruits, transposition romanesque de cette expérience personnelle, montre la remise en question totale que provoque chez l’héroïne la découverte de sa sexualité, et évoque surtout la violence et l’hostilité avec laquelle sa mère accueille cette nouvelle. Autant que le récit de la reconstruction de l’identité de l’auteure, Les oranges ne sont pas les seuls fruits constitue une plongée hallucinante dans les milieux protestants intégristes américains. Jeanette Winterson revint sur cette partie de sa vie dans une autobiographie publié en 2011, dont le titre, Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?, dit tout des réactions provoquées par son coming-out au sein de la cellule familiale.
31. Le bleu est une couleur chaude
Jul Maroh
4.20★ (4223)

Grande histoire d'amour et de courage, Le bleu est une couleur chaude retrace la complexité et la richesse de la relation entre deux jeunes femmes : Clémentine, une adolescente devenue adulte qui ne souhaite pas se faire remarquer, et Emma, lesbienne affirmée devenue artiste et très engagée dans la cause LGBT. Raconté en flashback, cet album alterne planches en noir et blanc et planches en couleur, le bleu devenant peu à peu une couleur chaude, le bleu de la chevelure d'Emma, le bleu des hématomes et du blues de la vie. Julie Maroh aborde avec sensualité et délicatesse l’homosexualité féminine, de la découverte de la sexualité aux doutes et à la peur du regard des autres, les conflits intérieurs, la vulnérabilité de la différence, son déni, puis son acceptation, dans un véritable hymne à l'amour.
32. Fairyland
Alysia Abbott
4.14★ (513)

Lorsque son père Steve, devenu veuf depuis peu, s’installe à San Francisco en 1974, Alysia Abbott n’a que deux ans. Elle sera le témoin privilégié, tout au long de son enfance et de son adolescence, de l’évolution de la ville et de sa communauté gay, que Steve découvre avec enthousiasme et fougue. Peu de livres ont rendu compte avec autant de vitalité de ce que fut le San Francisco des années 1970, encore profondément marqué par le mouvement hippie et l’influence des écrivains beat. Dans ce décor effervescent, ce “royaume enchanté” domaine de tous les possibles, Alysia Abbott dresse le portrait de son père, poète bisexuel pour qui l’arrivée à San Francisco est une véritable renaissance, tout en évoquant les luttes de la communauté homosexuelle au long des décennies. Difficile de dire ce qui, dans Fairyland, est le plus émouvant, de l’évocation intime de l’amour absolu du père pour sa fille, ou du portrait collectif d’une communauté bientôt en proie à l’angoisse que crée l’épidémie de sida.
33. À moi seul bien des personnages
John Irving
3.76★ (1660)

Orphelin de père, Bill est élevé dans une famille férue de théâtre et découvre très tôt la fluidité des genres en voyant son grand-père se travestir sur scène pour incarner les plus grandes héroïnes de Shakespeare. Mais cette connaissance précoce de la comédie que sont les normes de genre ne rendent pas le désir naissant de Bill pour les autres jeunes hommes moins effrayant pour autant... Grâce à l'aide de la bibliothécaire de sa petite ville qui lui fait découvrir James Baldwin, Bill finira par assumer pleinement sa bisexualité. Depuis cinquante ans, John Irving a régulièrement affirmé dans ses romans le droit de chacun à vivre sa sexualité sans entraves. À moi seul bien des personnages semble le couronnement de cet engagement incessant, et met notamment en scène un des plus beaux personnages transgenres de l'oeuvre d'Irving. Commençant comme un roman de Dickens et se terminant comme un film d'Almodovar, ce récit de l'éducation sentimentale et sexuelle de Bill et de sa dramatique traversée des années Sida, n'est peut-être pas aussi spectaculaire que les grandes fresques du John Irving des années 70, mais reste un des plus attachants de ses romans de la maturité.
34. En finir avec Eddy Bellegueule
Édouard Louis
3.72★ (8052)

Si le premier roman d’Edouard Louis a énormément fait parler, c’est entre autres en raison de la polémique qui a opposé l’écrivain à certains membres de sa famille et à des habitants de son village natal qui l’accusaient d’avoir travesti la réalité. Une polémique qui ne peut cependant occulter la force de ce texte autobiographique qui évoque la violence des actes homophobes quotidiens subis par le jeune Eddy Bellegueule tout au long de son adolescence. Avec le regard affuté d’un sociologue, Edouard Louis analyse les ressorts de cette homophobie qui s’exprime sans aucune entrave, et montre comment elle se nourrit de conceptions éculées de la virilité qui peinent à être déconstruites dans le milieu ouvrier dont il est issu. Cette démarche sociologique, qui rapproche le texte de Louis de ceux d’Annie Ernaux ou de Didier Eribon, permet à En finir avec Eddy Bellegueule de dépasser le cadre du simple récit autobiographique.
35. L'été arctique
Damon Galgut
3.96★ (63)

En 1906, l’écrivain E. M. Forster rencontre l’amour de sa vie : Syed Ross Masood, jeune homme arrivé d’Inde pour faire ses humanités au Royaume-Uni, à qui il est chargé d’apprendre le latin. Bien que Masood ne réponde jamais aux sentiments de Forster, les deux hommes restent unis par une chaleureuse amitié. Surtout, Masood ouvre à Forster les portes de l’Orient, où il trouve l’inspiration pour certains de ses romans les plus célèbres, et où, au fil de ses voyages, il entrevoit brièvement, dans les bras d’amants de passage, une vie en dehors des contraintes imposées par le regard de sa famille et de la bonne société anglaise. Inspiré par les journaux de Forster, Damon Galgut restitue avec une grande vivacité les émotions contradictoires qui animent l’écrivain, que ce soit face à ses amants ou face à sa table de travail, où une inévitable auto-censure freine considérablement ses élans créatifs. Portrait d’un homme tiraillé et mélancolique, victime d’un écrasant sens du devoir et des apparences, L’été arctique laisse pourtant une large place aux fragments de bonheur grappillés par l’écrivain au fil des années. Il en résulte un texte intime et délicat, qui éclaire d’une autre manière la vie de l’auteur de Maurice.
36. En route vers toi
Sara Lövestam
4.03★ (121)

Lorsqu’elle devient institutrice dans son petit village de Tierp, au nord de la Norvège, Signe réalise à quel point l’ordre patriarcal affecte sa vie et sa carrière. Écarts de salaire par rapport aux hommes, dureté de sa hiérarchie, injonctions à se marier... Autant d’injustices qui l’incitent à s’engager pour l’égalité. Sa vie va connaître un tournant lorsqu'elle rencontre Anna, qui milite pour le droit de vote des femmes. Entre Anna et Signe se noue une histoire d'amour sur fond d'engagement politique... Près d'un siècle plus tard, Hannah, jeune femme désabusée, mène l'enquête pour comprendre comment ces deux femmes se sont aimées et désunies. Dans En route vers toi, Sara Lövestam fait renaître avec une vivacité éclatante la Norvège du début du siècle dernier et donne chair aux débats internes qui animaient les suffragettes de l’Europe entière. Faisant honneur à l’histoire de cette lutte de longue haleine, parfaitement incarnée par une poignée de personnages féminins forts et émouvants, Sara Lövestam nous parle d'engagements mais aussi de compromissions et nous confronte à un monde dans lequel affirmer son indépendance et son homosexualité était un acte de courage hors normes.
37. La main de Tristan
Olivier Steiner
3.86★ (16)

La Main de Tristan est indiscutablement un texte impudique : exercice d'autofiction qui évoque Duras autant qu'Ernaux, il met en scène la relation amoureuse qui unit l'auteur, Olivier Steiner, à Patrice Chéreau dans les dernières années de sa vie. Anecdotique, nombriliste, voyeuriste ? Loin de là tant la rencontre avec l'autre se double ici de l'ouverture à un autre monde pour le jeune homme - d'autres émotions, d'autres fréquentations, d'autres horizons culturels, une autre façon d'aimer. S'il constitue un émouvant tombeau à un “homme blessé”, La Main de Tristan est surtout une évocation délicate de la puissance des changements que peut provoquer l'abandon à un autre que soi.
38. Bouche cousue
Marion Muller-Colard
3.59★ (426)

Lorsque son neveu Tom fait son coming-out auprès de toute la famille, Amandana voit resurgir de lointains souvenirs. Elle aussi, à l'époque du collège, était tombée amoureuse d'une de ses camarades sans bien savoir, faute de modèles, différencier l'amour et l'amitié. Et elle aussi avait dû subir l'incompréhension et l'hostilité de sa famille, propriétaire d'un pressing et habituée à ce que chacun enfouisse au plus profond ses sentiments et ses désirs pour n'en présenter aux autres qu'une version aseptisée. Au travers d'une longue lettre qu'adresse Amandana à Tom, Marion Muller-Colard nous plonge dans les adolescences troublées de ses deux héros. En privilégiant le point de vue de l'adulte, Bouche cousue révèle toute la rancoeur et les traces que laissent durablement l'homophobie larvée au sein d'une famille. Un choix fort et émouvant pour un roman jeunesse, qui permet aussi de contempler un modèle de personnage positif, qui parvient à se construire au-delà des horizons que lui impose son entourage.
39. Le mari de mon frère, Tome 1
Gengoroh Tagame
4.18★ (1297)

Yaichi et sa petite fille Kana mènent une existence paisible jusqu’au jour où ils reçoivent une visite inattendue. Tout juste débarqué du Canada, le robuste Mike Flanagan n’est autre que le mari du frère jumeau de Yaichi, aujourd’hui décédé. Si Kana accepte avec enthousiasme cet oncle surprise venu d’Amérique, Yaichi se montre beaucoup plus réservé face à ce beau-frère homosexuel. Le trio va pourtant vite s’apprivoiser, grâce à la pétillante Kana (qui ose toutes les questions) et à la tendre bienveillance des adultes. Chronique d’une famille presque comme les autres, Le Mari de mon frère met la différence - culturelle, sociale, sexuelle - au cœur de son propos, et nous invite à l’accepter avec bonheur. On en ressort meilleurs, plus tolérants, plus attentifs et plus humains !
40. ''Arrête avec tes mensonges''
Philippe Besson
4.22★ (4493)

C’est une histoire de jeunesse qui ne cesse de hanter l’oeuvre de Philippe Besson : son premier amour avec Thomas, un camarade de lycée. Pendant quelques mois, les deux adolescents vivent à l’abri des regards une passion contrariée par le sentiment de honte de Thomas et sa certitude que Philippe quittera leur petite ville de province pour un avenir brillant, tandis que lui restera sur place et reprendra l’affaire familiale. C’est cette histoire trop tôt avortée, reprise sous différentes formes dans bien des romans de Philippe Besson, qui est mise en scène dans Arrête avec tes mensonges. L’auteur y retrouve la trace de Thomas et reconstitue sa vie brisée par le silence et la pression sociale. D’ores et déjà un des romans les plus remarqués de 2017, Arrête avec tes mensonges est un hommage bouleversant à cet amour sacrifié et un témoignage indispensable sur l’homophobie la plus ordinaire.
41. D'un trait de fusain
Cathy Ytak
4.13★ (164)

Au début des années 1990, Marie-Ange, Monelle, Sami et Julien sont lycéens dans une école d'art. Entre les cours de dessin, les discussions au café et les parties de flipper, ils profitent avec insouciance de leurs vies d'adolescents, prêts à entrer dans l'âge adulte. Un jour, lors d'un cours de nu, ils font la connaissance de Joos, un jeune homme libre à la beauté solaire, qui devient vite leur modèle favori. Au sein de la bande d'amis, le garçon cristallise bientôt le désir et les premiers émois amoureux. Joos, pourtant, sait que le temps lui est compté, car il a été diagnostiqué séropositif, à une époque où la jeunesse découvre les ravages du sida… A travers les destins croisés de ses personnages, D'un trait de fusain nous immerge au début des années sida, obscurcies par la peur, le silence et les préjugés. Face à la maladie, chacun résiste, s'éloigne, s'engage ou s'émancipe, en même temps que les corps et les sexualités s'affirment. de cette génération désemparée et enragée, Cathy Ytak tire un portrait formidable d'énergie et de vitalité, aussi militant que salutaire.
42. George
Alex Gino
3.65★ (163)

Depuis qu'un roman l'a fait pleurer en cours, les garçons de sa classe traitent tous George de fille. A chaque fois, c'est la même inquiétude : auraient-ils découvert son secret ? Car oui, George est une fille et elle se demande justement comment faire pour que tout le monde l'accepte. Avec sa meilleure amie Kelly, elle va mettre au point un plan : si George joue un rôle féminin dans la pièce de l'école, plus personne ne pourra ignorer qui elle est... Adressé principalement aux 8-12 ans, George propose une histoire cocasse et tendre qui, sans céder à la naïveté, s'avère pleine d'optimisme. Signé d'un auteur qui se définit comme non-binaire, ce petit roman qui met aussi bien en mots la perception que George a d'elle-même que la façon dont les autres la voient permettra surtout à chacun d'être plus éveillé et plus avisé sur la question de la transidentité.
43. Spinning
Tillie Walden
3.96★ (318)

Depuis son plus jeune âge, Tillie pratique le patinage artistique de haut niveau. Chaque jour, elle enchaîne les heures d’entraînement, les cours et les compétitions le week-end. Du matin au soir, son quotidien est rythmé par la rigueur et l’exigence sportive, ne laissant que peu de place à son épanouissement personnel. Lorsque sa famille quitte le New Jersey pour s’installer au Texas, Tillie doit apprendre à se forger de nouveaux repères, sur la glace, au lycée et dans sa vie. Au contact de ses camarades, elle réalise peu à peu qu’elle est attirée par les filles, dans un milieu et une discipline encore extrêmement conservateurs. Dans cette bande dessinée autobiographique, la talentueuse Tillie Walden raconte sa trajectoire, de la petite fille soumise aux injonctions de réussite des adultes à la jeune femme indépendante qu’elle est aujourd’hui. D’une stupéfiante maturité graphique, Spinning saisit avec grâce l’irruption du désir au cœur d’une adolescence glacée, comme affirmation de soi et de sa sexualité, à travers une quête identitaire d’une infinie justesse.
44. Une vie comme les autres
Hanya Yanagihara
4.16★ (3279)

Depuis l'université, Jude, Willem, Malcolm et JB restent unis par des liens indéfectibles. Même si leur amitié connait des hauts et des bas, tous sont prêts à accourir sitôt que l’un d’eux a besoin d’aide - et particulièrement s’il s’agit de Jude. Celui-ci, marqué dans son esprit et dans sa chair par une enfance particulièrement violente, a régulièrement besoin du soutien de ses amis pour ne pas sombrer dans des périodes de profond désespoir. Au fil des décennies, en dépit de ses tendances à l’auto-mutilation et son incapacité à croire en sa propre valeur et en l’honnêteté des autres, Jude apprend à leurs côtés à accorder sa confiance et son amour. Hanté de bout en bout par la monstruosité des sévices subis par ce héros, qui sont comme un gouffre ouvert entre lui et le monde, Une vie comme les autres est le récit d’un combat sans trêve, et perdu d’avance, composé comme une grande fresque générationnelle. Hanya Yanagihara y revient pourtant toujours aux motifs les plus ténus, les plus intimes, et explore avec une sensibilité déchirante le corps meurtri de Jude et sa psyché dévastée, et la façon dont, entre amour et amitié, ses quatre héros dessinent avec une sincérité attachante les contours d’une masculinité plus lumineuse, ouverte à la vulnérabilité et à l’acceptation des failles de chacun.
45. Celui qui est digne d'être aimé
Abdellah Taïa
3.77★ (198)

Comment vivre son homosexualité en tant que jeune marocain ? La question est centrale dans l'oeuvre à la fois intime et intensément politique d'Abdellah Taïa. Ahmed, le héros de Celui qui est digne d'être aimé, n'envisage qu'une issue : l'exil vers la France, perçue comme une terre de liberté par opposition à son pays natal où aucun droit n'est garanti pour les LGBT. Au fil d'un roman épistolaire ramassé, économe et précis, la vie d'Ahmed se dévoile à rebours, depuis son âge mûr qui le voit regretter son incapacité à s'attacher aux hommes qui traversent sa vie jusqu'aux rudes années d'enfance. Entre le Maroc et la France, c'est l'histoire d'une violence sans cesse renouvelée, qu'évoque Abdellah Taïa : la violence physique subie au village natal puis la violence symbolique qui s'exerce en France sur celui qui est considéré par les hommes comme un objet sexuel exotique à manipuler et dominer. Enfermé dans les rôles que d'autres lui assignent, Ahmed est un personnage aux abois, infiniment émouvant, qui questionne aussi bien l'homophobie que le racisme de nos sociétés dites progressistes.
46. Dernières lettres de Montmartre
Miaojin Qiu
3.26★ (33)

Abandonnée par son amoureuse Xu, rentrée à Taïwan, Zoë lui écrit depuis Paris où elle poursuit ses études. Au fil d'une vingtaine de lettres qui lui reprochent férocement son indifférence, Zoë rappelle à Xu leur histoire commune et évoque sa vie parisienne marquée par de vibrantes découvertes artistiques et littéraires. Publié en 1996, un an après le suicide de son autrice, Dernières lettres de Montmartre est un récit complexe et ambigu, entre autofiction et roman épistolaire, porté par la voix impulsive d'une narratrice qui ressasse les souvenirs fragmentaires d'une passion dévorante. Zoë, en quête d'absolu aussi bien dans sa quête esthétique qu'en amour, est un personnage déroutant, oscillant entre violence et fragilité, mais dont l'immense force vitale marque profondément. A travers elle, Qiu Miaojin signe une histoire d'amours lesbiennes à la fois sombre et incandescente, qui fouille les mécaniques du désir et de son anéantissement.
47. Sous les branches de l'udala
Chinelo Okparanta
3.99★ (284)

Déjà remarquée pour son recueil de nouvelles témoignant de l'oppression des femmes au Nigéria, Chinelo Okparanta revient avec un premier roman puissant, chronique sensible d'une adolescente, Ijeoma, qui découvre son homosexualité alors que la guerre éclate entre le Nigéria et le Biafra. L'autrice dépeint les difficiles relations mère-fille après la mort tragique du père aimé. Elle fustige avec humour le poids culpabilisant de la religion, les horreurs subies par les homosexuels, et la profonde haine de soi que cette violence engendre. On découvre aussi les tensions entre communautés, les croyances et traditions qui oppriment mais aussi le pouvoir libérateur des contes et légendes. On suit les épreuves d'Ijeoma, de l'enfance à l'âge adulte, ses renoncements et sa lutte pour l'émancipation. Roman d'apprentissage, ce récit audacieux reste d'actualité au Nigéria où, comme le rappelle l'autrice, l'homosexualité est encore considérée comme un crime.
48. Ce qui t'appartient
Garth Greenwell
3.36★ (101)

Quelle part de soi consent-on à offrir dans une relation amoureuse ? Cette question s'impose au héros de Ce qui t'appartient, professeur d'université américain enseignant en Bulgarie, au moment où il rencontre Mitko. Il noue avec ce jeune homme égaré et sans ressources, contraint à se prostituer, une relation ambiguë et chaotique, la barrière de la langue et l'écart de niveau social s'ajoutant aux intermittences du désir. Notamment salué en France par Edouard Louis, Ce qui t'appartient interroge ce qui reste tu dans toute relation - ce qui n'est jamais donné à l'autre. Sans négliger une certaine dimension sociale, Garth Greenwell construit un récit fragmentaire et contemplatif aussi attentif aux frémissements des corps qu'à la confusion des sentiments. Il en tire un premier roman qui n'est pas sans rappeler Edmund White, et où éclate, au sein d'une atmosphère mélancolique, l'inoubliable personnage de Mitko, ange déchu en attente d'une impossible rédemption.
49. Point Cardinal
Léonor de Recondo
3.91★ (1346)

Ce livre raconte l'histoire de Laurent, père de famille heureux qui choisit de devenir ce qu'il a toujours pensé être : une femme. A travers une écriture très précise où le masculin devient féminin au fur et à mesure que Laurent devient Lauren, Léonor de Récondo aborde frontalement, sans militantisme, sans idée préconçue et en le situant dans un contexte familial ordinaire, un sujet très peu traité dans la littérature française contemporaine : celui du changement de sexe. Elle pose ainsi, avec beaucoup de justesse et la force de suggestion d'un texte de fiction, une question universelle relative à l'identité : que se passe-t-il, alors que nous n'avons qu'un seul corps dans la vie, lorsque ce n'est pas le bon ?
50. Le Jardin Arc-en-ciel
Ito Ogawa
3.73★ (1259)

Ni la différence d'âge, ni la désapprobation de leurs familles n'aura raison de l'amour d'Izumi et Chiyoko. le hasard qui pousse cette mère célibataire et cette jeune lycéenne au bord du suicide dans les bras l'une de l'autre a des airs de coup du destin : indéfectiblement liées, elles vont élever deux enfants ensemble et ouvrir une maison d'hôtes où elles mettront en oeuvre leur capacité à écouter et aider les autres. Sous leur pavillon arc-en-ciel, Izumi et Chiyoko construisent leur propre mode de vie et parviennent, à leur manière douce et discrète, à faire évoluer les mentalités dans le petit coin de campagne qu'elles ont choisi pour s'établir. Modeste et attachant, le Jardin arc-en-ciel donne la parole successivement aux quatre membres de cette famille finalement très ordinaire, et dépeint avec minutie leur bonheur frêle mais toujours régénéré à force de bienveillance et de soutien mutuel.
51. Arcadie
Emmanuelle Bayamack-Tam
3.49★ (1804)

Peut-on vivre hors du monde ? C'est l'expérience que veulent tenter les parents de Farah en rejoignant la petite communauté pastorale de Liberty House et son leader Arcady, objet et moteur du désir de toutes ses ouailles... Mais Farah, dont le corps, ni masculin ni féminin, se rebelle, pourrait provoquer la chute de cette Abbaye de Thélème moderne. Le rapport à autrui et les métamorphoses du corps ont toujours été au centre des préoccupations d'Emmanuelle Bayamack-Tam, qui publie aux Editions P.O.L. depuis 1996. Poursuivant cette réflexion de longue haleine, Arcadie prend à bras le corps des sujets urgemment contemporains, des normes de genre à la crise migratoire, tout en les tirant vers une salutaire intemporalité qui, entre deux réminiscences d'Ovide et de Virgile, interroge nos conceptions de l'amour, de la liberté et de ce qui fonde toute société humaine.
52. Moi, Simon, 16 ans, Homo Sapiens
Becky Albertalli
4.04★ (2035)

Au lycée, personne ne sait que Simon Spier est gay. Personne sauf Blue, un garçon de son âge avec qui il correspond sous pseudo, et dont Simon tombe doucement amoureux. Alors quand un camarade du cours de théâtre découvre son secret et le menace de le révéler, Simon panique... Comment réagiront ses proches s'il fait son coming out, et qu'en pensera Blue, si discret ? Tout en saisissant à merveille le mélange d'angoisse et d'excitation qui anime Simon au moment de faire le grand saut, Becky Albertalli construit une romance adolescente à faire fondre les coeurs les plus durs. Positif et attachant, Moi, Simon est le roman dont tous les jeunes gays ont rêvé. Sans faire l'impasse sur les moments de solitude et de doute, il leur promet des lendemains pleins de joie, de douceur et d'amour - de quoi passer plus sereinement à l'âge adulte et trouver le courage de s'affirmer.
53. Pourquoi pas nous ?
Becky Albertalli
3.83★ (635)

Tout un été à New-York ! Arthur, qui a décroché un stage de deux mois, compte bien en profiter au maximum. Parmi les incontournables : aller voir sa comédie musicale préférée à Broadway, traîner dans les cafés les plus branchés, visiter l’Empire State Building... et, pourquoi pas, rencontrer un garçon puisque Arthur vient de rassembler tout son courage pour dire à sa famille et ses amis qu’il est gay. Alors quand il rencontre Ben, qui vient de rompre avec son petit ami, au beau milieu d’un flash-mob romantique, difficile de ne pas y voir un signe du destin... Ecrit à quatre mains, Pourquoi pas nous se révèle alterne les points de vue d’Arthur et Ben qui, d’élans passionnés en maladresses comiques, apprennent doucement à se connaître l’un l’autre. Arthur, naïf et extraverti, va découvrir au contact de Ben, plus mature et réservé, que la réalité ne ressemble pas forcément à une comédie musicale, et que le romantisme peut se nicher dans des petits riens aussi bien que dans de grands gestes spectaculaires. Plein de tendresse et de candeur, ce roman de Becky Albertalli et Adam Silvera dédramatise ainsi avec malice le temps des premières fois, et met en scène un couple aussi crédible qu’attachant, dont les ratages sont parfois les plus beaux moments.
54. Nino dans la nuit
Simon Johannin
3.97★ (699)

La nuit, Nino Paradis est dans son élément. Les fêtes de son meilleur ami Malik, roi des nuits parisiennes queer, suffisent à lui faire oublier ses journées, faites de petits boulots tuants et de trafics de plus en plus ambitieux. Rêvant d'offrir à son amoureuse Lale une vie loin de leur taudis loué par un marchand de sommeil, Nino est capable de prendre des risques inconsidérés pour quelques billets - jusqu'à mettre sérieusement en danger toute sa bande d'amis. Cultivant un sens de la punchline à se damner, Capucine et Simon Johannin transforment la dérive de ce grand gamin hébété en une électrisante odyssée du verbe, et font pleuvoir fulgurances poétiques et éclats de rire sur la réalité sordide qui rattrape souvent Nino. D'une grande modernité, portant un regard lucide sur la précarité, Nino dans la nuit offre ainsi à sa bande de héros déclassés des havres - l'amour, la fête, l'amitié - comme autant de lueurs dans l'incertitude de la nuit, qui en font un roman profondément émouvant et généreux.
55. La chambre de l'araignée
Mohammed Abdelnabi
3.62★ (92)

Au moment où il ose enfin prendre la main de son amant Abdelaziz en pleine rue, une autre main se pose sur l'épaule d'Hani : celle d'un policier venu l'arrêter. Ce même jour, le 11 mai 2001, cinquante-deux autres homosexuels sont interpellés à la sortie d'un bar du Caire. Ils passeront plusieurs mois en prison, subissant brimades et humiliations physiques. Sorti de cet enfer, Hani raconte les années qui l'ont précédé, depuis ses premiers émois sexuels. Racontant crûment la vie de Hani et de ses amants de passage, Mohammed Abdelnabi fait un état des lieux de la condition homosexuelle en Egypte. Persécutés par la police, objets d'un tabou absolu, les héros d'Abdelnabi sont pourtant en silence les acteurs d'une véritable révolution sexuelle. Malgré la profonde noirceur de son propos, La chambre de l'araignée parvient à donner une individualité à chacun de ces hommes de l'ombre, et à saluer avec retenue leur capacité à former une communauté face à une société hostile.
56. La fille dans l'écran
Lou Lubie
4.41★ (1513)

Ce roman graphique à quatre mains retrace la rencontre par écrans interposés entre Coline, une jeune française installée à la campagne, et Marley, exilée à Montréal. Au fil de leurs échanges virtuels et malgré l’océan qui les sépare, une forte complicité va naître entre les deux jeunes femmes. Chaque personnage possède sa propre identité graphique : Manon Desveaux s'occupe de la timide Coline, en passe de devenir illustratrice, à travers un univers en noir et blanc ; Lou Lubie présente Marley, qui a abandonné son rêve de photographe, dans des teintes chaleureuses. Ce pari audacieux fonctionne à merveille et rythme ce récit croisé. Quand les héroïnes se rencontrent enfin, les deux styles se mélangent dans des planches communes rendant le moment plus vivant et sensible, faisant de cet album une sympathique romance au ton moderne et rafraîchissant.
57. Heartstopper, tome 1 : Deux garçons. Une rencontre
Alice Oseman
4.45★ (4350)

Heartstopper est un roman graphique en trois volumes issu d’un webcomic anglais. Le premier tome raconte la rencontre de deux lycéens. Charlie, musicien à ses heures perdues, est un garçon timide, qui a été harcelé suite à son coming-out. Tout ou presque l’oppose à Nick, le beau gosse populaire du lycée, rugbyman, a priori pas intéressé par les hommes. Et pourtant, ils se rencontrent au détour d'un cours en commun et naît alors une histoire d'amitié entre ces deux personnalités attachantes, qui va peu à peu se transformer en romance tout en réserve et en tendresse intimiste. Alice Oseman aborde ainsi des thématiques adolescentes comme le harcèlement et l'homophobie, le questionnement de l'orientation sexuelle, la peur et l'anxiété… Son dessin en noir et blanc est simple et efficace, alliance de différents niveaux de précisions façon manga. Les cases se succèdent avec dynamisme et légèreté, telles les feuilles d'arbre qui virevoltent et parsèment le récit, au gré des rencontres, des échanges et des moments de doute solitaire.
58. Love me tender
Constance Debré
3.56★ (1337)

Depuis qu’elle a fait son coming-out, la narratrice (qui a beaucoup à voir avec Constance Debré) a tout quitté : son mari, son métier, son confort bourgeois, pour vivre librement sa sexualité. Lorsqu’elle demande le divorce, son ancien compagnon demande la garde exclusive de leur jeune fils ainsi que la déchéance de l’autorité parentale de la mère, qu’il accuse d’inceste devant le tribunal. Dès lors, les entrevues entre mère et fils sont limitées et encadrées, sous surveillance d’experts psychiatres. Face à une justice qui l’abandonne, la narratrice choisit de mener une vie autonome, hors des carcans imposés par la société. Installée dans un petit studio avec le strict minimum, elle se recentre progressivement sur l’essentiel : la littérature, les filles, la natation. Récit d’émancipation décomplexé et assumé, Love me tender autopsie l’amour maternel avec une lucidité rare. Constance Debré interroge sans concession la famille, l’hétéronormativité et l’homosexualité féminine. Dans un style direct et cru, elle raconte sa révolution et son dépouillement intérieurs, et témoigne de la métamorphose d’une femme qui a choisi de ne rien céder à son désir, farouchement déterminée à être radicalement elle-même.
59. Le sel de tes yeux
Fanny Chiarello
3.49★ (74)

Dès qu’elle croise Sarah, Fanny comprend tout ce que la jeune fille cache : son amour des filles, les relations tendues avec sa mère, qui surveille ses lectures et ses fréquentations, ses difficultés à trouver quelqu’un à qui se confier, dans sa petite ville du nord de la France. Alors Fanny va écrire à l’adolescente, et lui donner un double de papier. Sous la plume de Fanny, Sarah devient une héroïne qui apprend, s’émancipe, et s’épanouit dans une identité qu’elle parvient enfin à s’approprier. Mettant en place un subtil jeu de miroir entre la réalité et le roman, Le sel de tes yeux se lit comme une longue lettre de l’autrice à une jeune fille en mal de repères. Se penchant sur une réalité sociale souvent rude, Fanny Chiarello se positionne en grande sœur sereine et encourageante, et répond aux réactions de rejet dont est victime sa jeune héroïne par un message tout en délicatesse et en bienveillance.
60. Pleines de grâce
Gabriela Cabezón Cámara
3.18★ (191)

En bordure de Buenos Aires, dans le bidonville d’El Poso se trouve une villa de fortune, un refuge aux airs de maison close et de couvent. Là, autour de Cleopatra, prostituée transgenre à qui la Vierge Marie apparaît régulièrement, les enfants perdus du quartier et les laissés pour compte d’une société homophobe et puritaine tentent de construire leur utopie miniature. Lorsque Qüity pénètre dans la villa, c’est en tant que journaliste et accompagnée de son ami photographe, Daniel. Elle n’en repartira qu’après la destruction du rêve, au bras d’une Cleo miraculée, prête à devenir une icône du martyre des habitants des bidonvilles. Dans l’univers de misère et de violence d’El Poso, Gabriela Cabezón Cámara installe la scène d’un opéra-cumbia baroque, où le vulgaire et l’ordure côtoient le sublime. Elle y célèbre la résistance farouche et désespérée de ses personnages, dont le mysticisme queer évoque les héros aussi impurs que divins de Genet ou de Mishima. Par leur excentricité et leur capacité de résilience, Cleo, Qüity et leurs compagnons illuminent la réalité sordide d’une société hypocrite qui a abandonné ses plus démunis, et dont Pleines de grâce révèle les contradictions dans un grand tumulte irrévérencieux et extatique.
61. Confessions d'un masque
Yukio Mishima
3.95★ (2082)

Dans les années 1930, Kôchan est un enfant maladif et solitaire, couvé par sa famille. Fasciné par la mort et les scènes sanglantes, il aime parcourir les livres d’art à la recherche d’images de héros mythologiques ou de saints martyrs. A l'école, il admire Omi, un camarade plus âgé et plus athlétique que lui, sans parvenir à déterminer d’où lui vient cette attirance. En grandissant, il se questionne sur ses sentiments et le désir qu’il ressent pour les corps masculins. Alors que le Japon est secoué par la guerre et vit dans la crainte des bombardements américains, le jeune homme entame une relation platonique, faite de jeux de séduction, avec Sonoko, la sœur d'un ami. Mais rapidement, Kôchan devra tenter d’échapper à cet amour qu’il a lui-même inspiré. Dans son premier roman autobiographique, publié en 1949, Yukio Mishima évoque toute la difficulté à assumer son homosexualité dans un Japon encore très traditionnaliste. L’auteur raconte comment, rongé par la culpabilité, il a refoulé ses pulsions afin de rester dans une "normalité" acceptable. Mais cela l'a conduit à mentir et à masquer, aux autres et à lui-même, sa préférence sexuelle.
62. Pureté
Garth Greenwell
3.07★ (48)

A l’époque où le narrateur de Pureté enseigne la littérature à Sofia, en Bulgarie, les institutions de ce pays commencent à peine à reconnaître les droits des homosexuels. Ce jeune professeur américain joue donc à l’occasion le rôle de mentor auprès de certains de ses étudiants, les aidant à vivre au mieux une homosexualité qu’ils doivent le plus souvent cacher. Les relations prudentes qu’il noue avec eux sont à mille lieues de ses rencontres sexuelles avec des hommes dominateurs rencontrés sur des applications de rencontre. C’est pourtant sa relation éphémère avec R., un étudiant portugais, qui, par son intensité, va le plus durablement marquer sa vie affective en Bulgarie. Dans Pureté, récit en trois temps qui composent un triptyque savamment construit des relations humaines, Garth Greenwell nous invite à pénétrer dans l’intimité la plus crue de son protagoniste. Que ce soit dans la pure vulnérabilité d’une histoire d’amour proche du sublime ou dans des scènes de sexe et de soumission radicalement explicites, Greenwell fait tomber tous les masques et cherche à saisir des instants de vérité intérieure absolus. Déployant un style raffiné et plein de méandres, brillamment traduit par Nicolas Richard et qui évoque Henry James, Marcel Proust ou James Baldwin, Greenwell signe avec Pureté un second roman aussi profondément cérébral qu’âprement physique, qui fait de la pornographie un art noble, apte à révéler les tressaillements de l’âme les plus ténus.
63. Les vilaines
Camila Sosa Villada
3.91★ (755)

Camila, María ou encore Nadina ont construit leur identité transgenre sur les bases d’un passé chaotique et violent. Toutes gravitent autour de Tante Encarna, figure divine de cent soixante-dix huit ans, mère protectrice et reine d’une communauté trans torturée mais lumineuse. Leur terrain de vie nocturne est le parc Sarmiento, poumon vert de Córdoba en Argentine qui devient, la nuit tombée, le lieu de tous les désirs, qu’ils soient amoureux, inavouables ou prostitués. Une nuit, elles découvrent un bébé abandonné sous les ronces et décident de l’adopter clandestinement. A travers cet enfant, qu’elles baptisent Éclat des yeux, le rêve d’un avenir digne émerge mais se heurte à la cruauté et au rejet qui façonnent leur quotidien. Dans Les Vilaines, Camila Sosa Villada raconte la prostitution, la dépossession du corps, l’impossible acceptation d’une identité masculine dans un monde où la férocité de l’homme s’érige en modèle. Elle révèle la violence subie par les trans, perpétuelle et omniprésente, ressuscitée par la nuit, prête à surgir au milieu de chaque page et sur chaque partie du corps. Elle écrit à la fois la douleur et le bonheur d’être trans, dans une fresque flamboyante qui mêle trash et lyrisme, brutalité et douceur, souffrance et humour, réalisme et fantastique. Elle lance un cri de tolérance phosphorescent, mû par un instinct de solidarité tendre et implacable.
64. Les secrets de ma mère
Jessie Burton
3.77★ (938)

A 34 ans, Rose reste marquée par l'abandon de sa mère Elise quand elle avait un an. Son père, qui ne lui a révélé que des bribes de son histoire, décide enfin de lui dire qu’avant d’être avec lui, Elise vivait en couple avec une romancière célèbre, Constance Holden, qui est la dernière à l’avoir vue avant sa fuite de New York en 1983. Alors que la vie de couple de Rose bat de l’aile, elle commence une véritable quête qui l’amène à s’inventer un personnage pour entrer au service de Constance. On est d’emblée emportés par cette histoire qui alterne le passé des deux amantes et le présent de la rencontre en 2017 entre Rose (alias Laura) et Constance à Londres. On découvre le milieu hollywoodien des années 80 où Elise se sent délaissée par Constance, tandis que celle-ci est fascinée par Barbara, la star qui joue dans l'adaptation de son roman. Constance confie à Rose ses regrets et déceptions, à commencer par le rejet de son homosexualité par son père. A mesure que son mensonge s'étoffe, Rose est gagnée par la culpabilité et la peur d'être démasquée mais finit par en découvrir autant sur sa mère que sur elle-même. A travers des portraits de femmes complexes et des dialogues incisifs, le roman explore des thèmes constamment teintés de féminisme tels que la maternité, l’érosion des sentiments, la créativité.
65. L'essentiel des Gouines à suivre 1987-1998
Alison Bechdel
4.28★ (151)

“Un catalogue de lesbiennes !” C’est ainsi, d’après son autrice, qu’il faut aborder la chronique de cette communauté queer américaine dont la vie quotidienne, les relations et les luttes se déploient sur deux décennies, de 1987 à 2008. On y suit Mo, une jeune lesbienne angoissée et parfois fatigante, et son cercle de proches : lesbiennes en grande majorité, mais aussi racisées, handicapées, trans…. Sous le trait d’Alison Bechdel, ces héroïnes engagées et militantes traversent, dans une trajectoire commune, leurs parcours d’exploration de soi, de coming out, ou d’homoparentalité mêlés à leurs nombreuses luttes sociales, avec en musique de fond le rythme des années Bush (père et fils), Clinton, jusqu’à la campagne d’Obama. Paru en France en deux tomes en 2016 et 2018, ce recueil de strips noirs et blancs, à l’origine publiés en feuilleton dans une revue féministe américaine à partir de 1983, s’est imposé comme un classique de la culture lesbienne. Cette BD chorale précurseuse de The L Word, bien plus réaliste et politique, est truffée de références grâce au sens du détail du dessin de Bechdel.
66. La Confusion des sentiments
Stefan Zweig
4.25★ (9337)

Roland est un universitaire reconnu dont on fête les trente ans de professorat. On imagine facilement qu’il a toujours été passionné par sa discipline, l’étude des grands textes littéraires. Or ce n’est pas le cas : dans sa jeunesse, il menait des études chaotiques, ratant le plus souvent les cours pour des aventures galantes avec des filles. Jusqu’au jour où il rencontre un professeur qui le subjugue par son aura et sa vision moderne de la littérature. Il en devient de plus en plus proche, jusqu’à dîner régulièrement avec lui et sa femme. Le professeur s’absente régulièrement, le laissant seul avec son épouse, qui lui apprend qu’elle est délaissée par son mari. Roland commence alors avec elle une relation amoureuse qu’il finit par avouer au professeur. Ce dernier ne se montre pas surpris : c’est normal qu’elle vous aime, dit-il, car je vous aime aussi. La confusion des sentiments est un livre sur l’homosexualité qui n’aborde pourtant pas le sujet de front. La nouvelle de Zweig semble d’abord porter sur l’importance du père, sur la littérature ou sur les émois amoureux entre un jeune homme et une femme établie. Mais la conclusion nous révèle comment un notable doit louvoyer pour cacher des pulsions qui à l'époque étaient inavouables.
67. Frangine
Marion Brunet
4.23★ (831)

Qu’est-ce qu’une famille heureuse ? Pour Marion Brunet, c’est une famille conçue par PMA. Dans son roman pour adolescents, intitulé « Frangine », nous avons Julie, la mère. Maryline dite Maline est « la deuxième maman » et nous avons aussi les enfants : Joachim, l'aîné et narrateur de l’histoire, et la cadette Pauline. Le bonheur familial est compromis par la rentrée de Pauline au lycée. Elle devient la victime du harcèlement de certains élèves. L’occasion pour Joachim de s’interroger sur son rôle de grand frère et pour l’autrice de nous exposer la dynamique d’une famille homoparentale et les difficultés rencontrées. L’enjeu principal est de vaincre l’intolérance des autres et de dépasser les préjugés y compris des proches comme la grand-mère pour qui « c’était un long chemin ». Un premier roman d’inspiration autobiographique, tendre et juste.
68. Journal - Intégral 01
Julien Green
4.13★ (56)

Dans ce Journal qui n’avait connu jusqu’ici que des éditions censurées, Julien Green livre ses remous intimes avec une sincérité et une hardiesse rares. Couvrant les années 1919 à 1940, ce premier volume de plus de mille trois cent pages permet de suivre le cheminement de l’auteur de ses dix-neuf à ses quarante ans, de la crise mystique de sa dernière adolescence aux assauts du désir qui hantent ses années de jeunesse et de maturité. On y trouve pêle-mêle: la naissance de sa vocation d’écrivain, de savoureux portraits littéraires (Cocteau, Gide, Mauriac…), la genèse de plusieurs romans, une passion nourrie pour l’art, le récit de ses amours libres avec son compagnon Robert de Saint-Jean et la description délicieusement crue et affranchie de son appétit enragé pour les jeunes gens. Porté par un style clair et précis, dépourvu d’artifices et de complaisance, ce journal est un petit chef-d’oeuvre d’introspection, l’examen sans fard des tréfonds d’une âme tenaillée par une sensualité débordante et animée par une authentique vocation littéraire.
69. A la recherche du temps perdu, tome 4 : Sodome et Gomorrhe
Marcel Proust
4.33★ (2207)

Le moins que l’on puisse dire c’est que, dans Sodome et Gomorrhe, les yeux du narrateur, Marcel, se dessillent. Au tout début, pour commencer. Alors qu’il s’attarde dans l’escalier de service de son immeuble, il est témoin d’une scène hallucinante entre le baron de Charlus et le giletier Jupien. Les deux ne se connaissent pas, mais dès qu’ils se croisent, ils sont soudainement attirés l’un par l’autre. Comme le bourdon trouve instinctivement le chemin de l’orchidée qu’il va polliniser, nous dit Proust. La suite pourrait presque être censurée si ce n’était pas de la littérature. Pour le narrateur, c’est la découverte de ce qu’il appellera désormais les “hommes-femmes”. Mais dans ce livre, il est aussi question d’amours lesbiens. Lors d’un bal au Casino de Balbec, le docteur Cottard fait remarquer au narrateur qu’Albertine, dont il est amoureux, danse avec une jeune femme. Cela a l’air innocent, lui dit-il, mais ça ne l’est pas. Les doutes du narrateur vont s’accroître lorsque Albertine lui dira qu’elle connaît Mlle de Vinteuil, dont les mœurs sont jugées particulièrement suspectes. C’est l’épisode qui clôt le roman et qui débouche sur La Prisonnière, où le narrateur, pour conjurer sa peur que son amoureuse lui échappe, lui demandera de vivre chez lui et essayera de contrôler chacune de ses sorties. Sexe et amour. Amour et sexe. Ce résumé succinct fait ressortir à quel point ces deux thèmes se croisent et s’entrecroisent dans l’oeuvre de Proust. Mais les quelques 500 pages de Sodome et Gomorrhe s’ouvrent aussi, telles autant de paperolles, sur bien d’autres aspects.
70. Dans la maison rêvée
Carmen Maria Machado
4.09★ (272)

Carmen, jeune écrivaine américaine, est fascinée par sa nouvelle compagne, une autrice sophistiquée et sûre d’elle, dont elle tombe éperdument amoureuse. Cependant la relation, d’abord joyeuse et sensuelle, tourne rapidement au désastre : une véritable emprise psychologique enferme Carmen dans une spirale de violence et de brutalité sourdes. La maison rêvée où les deux jeunes femmes se sont installées prend bientôt les allures d’une maison hantée : une cage dorée, dont l’éclat, très vite, se détériore, dont l’ambiance un temps légère se révèle insensiblement oppressante et malsaine. Carmen Maria Machado fait de ce récit intime une histoire universelle, donnant une visibilité inaccoutumée aux violences conjugales au sein des couples lesbiens, sujet encore tabou y compris au sein de la communauté LGBTQI. L’autrice livre une fiction puissante qui, au-delà du récit autobiographique, explore les mythes et les clichés, et documente l’histoire des relations queer en s’appuyant sur un important travail de recherche. L’écriture, simple et élégante, et la forme originale du roman, composé de dizaines de courts chapitres jouant à la manière de brillants exercices de style avec les codes de nombreux genres, font de ce récit une œuvre particulièrement originale, courageuse et nécessaire.
71. Pussyboy
Patrick Autréaux
4.10★ (79)

Patrick Autréaux commence avec Zakaria une relation qu’il a du mal à définir : c’est plus que du sexe, mais pas encore de l’amour. Il se trouve que Zakaria est très peu fiable : Patrick ne sait jamais quand il viendra. Zakaria reste de longues semaines sans donner de nouvelles, puis appelle au dernier moment pour dire qu’il arrive et souvent ne vient pas. Patrick ne fait plus attention aux lapins que Zakaria lui pose et se résout à apprendre de lui "l'ambivalent plaisir de ce qui n’est jamais acquis”. Mais lorsque Zakaria vient, les corps se rencontrent et se retrouvent d’une façon que Patrick n’a jamais expérimentée avec aucun de ses amants. Pourtant Zakaria est d’une autre sphère : il est arabe, musulman et pratiquant. Sa religion inscrit fortement en lui un interdit sur cette relation homosexuelle. Dans ce court récit, Patrick Autréaux questionne le désir sexuel et cherche à remonter à sa source. Bien que sa relation avec Zakaria ne semble pas se situer dans les hautes sphères amoureuses, elle prend une place déterminante dans sa vie et lui permet de faire des liens avec son histoire familiale. Dans une écriture qui ne s’encombre d’aucun tabou sexuel, Patrick Autréaux attribue une importance remarquable à une relation qui ne semble mener nulle part. L’auteur donne ainsi une force et une profondeur littéraire à ce qu’on pourrait juger un peu rapidement frivole ou secondaire.
72. Voleuse
Lucie Bryon
4.02★ (653)

Ella et Madeleine, deux adolescentes, s’entrecroisent au gré des cours de lycée et des soirées festives, sans jamais se parler. Il ne faut qu’un pas pour que leur attirance se concrétise enfin ; Ella, la plus audacieuse, tente d’approcher Madeleine, mais une soirée très arrosée la plonge dans l’oubli. Au matin, elle se réveille entourée d’objets que Madeleine entasse et vole pour conjurer sa timidité. À la faveur de cette mésaventure, Ella pousse Madeleine à rendre tous les objets volés à leurs propriétaires. Ce « jeu » leur permet de mieux se connaître et de vivre leur relation amoureuse, en même temps que Madeleine assume peu à peu son homosexualité. Ce roman graphique relate deux vies aussi opposées que les caractères d’Ella et de Madeleine. Lucie Bryon s’emploie à décrire de manière très expressive les émotions des jeunes filles, avec un visuel un brin manga, notamment dans le visage de la joyeuse Ella. La mise en page est faite de rebondissements, de sauts dans le temps. Les vignettes se remplissent de teintes pleines comme si nos protagonistes tentaient de surnager face à leur tristesse. Avec un trait léger, l’autrice aborde l’acceptation de soi et les premières amours adolescentes.
73. Les aventures de China Iron
Gabriela Cabezón Cámara
3.80★ (279)

Gabriela Cabezón Cámara revisite un mythique poème épique argentin, « El Gaucho Martin Fierro », pour s’intéresser à la femme de celui-ci et en faire un personnage de premier plan. Mariée de force à 14 ans à Martin Fierro, elle ressent une véritable libération quand celui-ci est capturé. Elle décide alors de partir, laissant ses deux enfants à des paysans. Elle se retrouve ainsi dans une charrette aux côtés de Liz, une Anglaise qui traverse la pampa pour aller s’occuper d’une ferme et qui lui donne le nom de China Josefina Iron. Toutes deux apprennent à se connaître, se séduisent et tombent amoureuses. Roman d'aventures et des grands espaces, ce récit raconte comment ces deux femmes s'apprennent mutuellement leur culture et leur langue et s’éveillent à l’amour, tout en parlant de poésie et de chants. Avec un jeune marginal au passé tragique rencontré en chemin et un chien adopté, elles forment une communauté qui défie la violence des hommes, l’arrogance des militaires et des propriétaires terriens. Le roman décrit avec subtilité la réalité sociale et la beauté de la nature environnante, mais se teinte aussi de fantastique quand il offre des images de fleuves en crue, de festins orgiaques ou de personnages qui passent du masculin au féminin dans d'étonnantes métamorphoses. En choisissant de raconter cette histoire du point de vue d’une femme, l’autrice fait de ce roman un texte résolument féministe, qui exalte le corps, le désir et la possibilité d’une vie heureuse en harmonie avec les éléments.
74. Le jardin, Paris
Gaëlle Geniller
4.32★ (836)

Paris, dans les années vingt. Rose, un jeune garçon de dix-neuf ans, s’apprête à faire ses premiers pas sur la scène du Jardin, un cabaret burlesque tenu par sa mère célibataire, où il a grandi entouré de danseuses aux noms de fleurs : Marguerite, Tournesol, Jasmin… Il fait la connaissance d’Aimé, spectateur admiratif et attentionné, puis celle de Martin, journaliste dont un article élogieux apporte au Jardin une nouvelle renommée. Ces rencontres poussent Rose à sortir de ce cocon protecteur pour explorer le monde extérieur : s’habillant dans un vestiaire tantôt masculin, tantôt féminin, il découvre les clubs de jazz, les boutiques élégantes, les terrasses de café, les étés à la campagne. L’autrice relate avec poésie et délicatesse l’éclosion de ce “petit bourgeon” à l’identité de genre fluide et assumée, dans un roman graphique optimiste centré sur l’acceptation de soi et des autres. La beauté de l’histoire fait écho à celle du dessin : Gaëlle Geniller dépeint d’un trait précis les expressions des visages et les costumes aux inspirations fleuries des années vingt, dans une palette de couleurs douces et chaleureuses. Un ouvrage et un héros admirables, fiers et romantiques comme une rose.
75. Homo sapienne
Niviaq Korneliussen
3.70★ (532)

Le premier roman de l’autrice inuite groenlandaise Niviaq Korneliussen est un récit choral, organisé autour de cinq jeunes personnages groenlandais en pleine quête identitaire. Fia, Inuk, Arnaq, Iviq et Sara racontent leurs difficultés d’être soi et d’être au monde, particulièrement dans une société où les différences sont mal acceptées et les minorités marginalisées. Ils évoquent leurs amours, leurs amitiés, leurs espoirs et leurs déceptions ; en filigrane, se pose la question d'une naissance ou renaissance par la libération de leur propre identité. Le roman est scindé en cinq chapitres, qui forment un récit initiatique où la voix intérieure de chaque personnage s’exprime dans des styles de narration très différents. Chaque chapitre porte, de plus, le titre d’une chanson qui identifie le personnage dont il est question. Les questions d’identités sont centrales dans ce roman et traitées par Niviaq Korneliussen autant par le fond que par la forme. Son travail d’écriture atypique lui permet d’inscrire ces sujets dans la société contemporaine et de reprendre la réflexion sociologique de ces 40 dernières années sur le genre. Daniel Chartier, qui préface la publication française, aux éditions La Peuplade, écrit d’ailleurs que « l’œuvre de Niviaq Korneluissen est politique, féministe, queer, sociale, pionnière et universelle ». En effet, la particularité littéraire de ce récit permet une certaine émancipation de la pensée et une redéfinition de la norme pour toucher à l'universalité la plus large possible.
76. Stuck Rubber Baby
Howard Cruse
4.33★ (91)

Prix de la bande dessinée patrimoniale d'Angoulême 2022, la réédition du roman graphique d'Howard Cruse (1944-2019) est l'occasion de redécouvrir un auteur américain majeur. Cet acteur de l'art underground a influencé toute une génération de bédéistes dont Alison Bechdel qui signe ici l'avant-propos. Stuck Rubber Baby est la version romancée de sa propre histoire. Toland Polk, jeune homme blanc homosexuel dans l'Amérique raciste et homophobe de Clayfield, ville imaginaire d'un Etat du Sud, s'initie à la politique et à l'amour au fil de ses rencontres. Pris dans la tourmente des combats pour les droits civiques et LGBT des années Kennedy, nous suivons son parcours et celui d'une galerie de marginaux, complexes et attachants. Si l'auteur a d'abord écrit le texte pour construire l'histoire, le soin apporté à la représentation graphique des protagonistes les fait exister avec force. En prime, le récit de l'Amérique divisée des années 60 fait parfaitement échos aux tourments de celle d'aujourd'hui.
77. Éclat(s) d'âme, tome 1
Yuhki Kamatani
4.19★ (471)

Tasuku Kaname est un lycéen qui subit du harcèlement scolaire, depuis le jour où il a été surpris en train de regarder une vidéo porno gay. Une rencontre fortuite avec une jeune femme le conduit à devenir membre du Congrès des chats, une association chargée de rénover des maisons dans sa ville d'Onomichi. Il y trouve un « salon de discussions » dans lequel plusieurs personnes de la communauté LGBT se rencontrent et partagent avec lui leur expérience de vie. Fragile, à fleur de peau, Tasuku est en effet dans une période de sa vie où il se cherche, où le regard de l'autre prend trop d'importance, et où affirmer sa personnalité est encore difficile. Après avoir un peu repris confiance en lui, il parvient à avouer ses sentiments à Tsubaki, un de ses camarades de classe. Dans ce manga en 4 volumes, Yuhki Kamatani aborde avec beaucoup de délicatesse les thématiques LGBT et s’interroge sur la manière dont chacun ou chacune essaye d'accéder au bonheur en aimant la personne qui lui plait. Il démontre aussi, de manière poétique, comment la tolérance et le respect de l'autre sont indispensables pour un vivre ensemble harmonieux.
78. L'incandescente
Claudie Hunzinger
3.78★ (77)

Marcelle et Emma se rencontrent un jour d’été 1923, dans un petit village de Bourgogne. La blonde et la brune, la raisonnable et la fantasque, s’aiment passionnément et se le racontent dans des lettres. Toutes deux éprises d’émancipation et de connaissance, elles commenceront leurs études ensemble avant d’être séparées par des problèmes d’argent, des choix de vie opposés et enfin par la maladie qui enferme Marcelle dans l’atmosphère ouatée et mortifère des sanatoriums tandis qu’Emma prend son envol dans le monde. Mais jamais ou presque, Marcelle ne cessera d’écrire à ce premier grand amour, cette âme sœur inégalée. L’autrice et plasticienne alsacienne Claudie Hunzinger est la fille d’Emma, ce personnage qui apparaît en négatif dans le livre, à travers les lettres que lui adressait Marcelle. Dans cette correspondance sur laquelle se base le récit, Marcelle, dont l’autrice dit avoir trouvé en elle une sœur, y dépeint une histoire d’amour d’une force et d’une audace étonnante. Ce roman, d’une grande sensibilité et écrit dans une langue magnifique, fournit également un tableau de la condition des femmes durant ces “années folles”, parenthèse de légèreté entre deux tragédies qui auront particulièrement touché l’est de la France où se déroule l'histoire.
79. Transitions
Élodie Durand
4.17★ (366)

Mère de trois enfants, Anne voit son univers chavirer le jour où sa fille aînée, âgée de 19 ans, lui annonce qu’elle ne se sent pas fille mais garçon, qu’elle n’est plus Lucie mais bientôt Alex. Toutes ses certitudes de femme, mais également d’universitaire et de biologiste en quête d’explications rationnelles, basculent. « Chacun d’entre nous possède sa propre toile de genre. Elle est unique ». La norme et le monde binaire qu’elle connaît depuis toujours sont brutalement balayés, les représentations du genre que son éducation a modelées sont déconstruites. Anne va traverser toutes les étapes psychologiques, déni, peur, colère, puis batailler et avancer vers une nouvelle étape pour finalement renaître, en harmonie avec son enfant. Prix Révélation du festival d’Angoulême en 2011, Elodie Durand signe, dix ans plus tard, ce nouveau roman graphique captivant. Nous sommes immédiatement entraînés dans ce cheminement accordé au pluriel : « Transitions ». Le sujet n’est plus, uniquement, la transition de genre de Lucie, mais la transition des représentations de sa mère et des normes de la société. Les planches se succèdent, mêlant une illustration sensible des étapes psychologiques d’Anne et une explication scientifique des notions et des représentations du genre. De plus, le choix de traiter le sujet par une figure maternelle permet à Elodie Durand de poser habilement la question de la transition de notre société : l’autrice nous incite à bouger nos représentations et nous invite à saisir la complexité et la richesse humaine.
80. Tous les hommes désirent naturellement savoir
Nina Bouraoui
3.66★ (494)

Nina Bouraoui se remémore sa jeunesse à Paris, dans les années 80, quand elle fréquentait les boîtes de nuit réservées aux femmes. En parallèle, elle replonge dans son adolescence à Alger, y cherchant l’origine de son homosexualité. Le récit alterne ainsi entre sa vie parisienne, ses rencontres, le sentiment de honte et de haine de soi qu’elle y a ressenti, et les souvenirs de son enfance heureuse en Algérie. Jusqu’à ce qu'un soir, en boîte, une jeune fille se mette à l’obséder. Ce roman initiatique est marquant par sa profonde sincérité, par un regard sur soi parfois dur et par le portrait juste d’une époque et du milieu de la nuit. La beauté du texte tient aux nombreuses sensations et réminiscences qui traduisent le trouble, les désirs de l’autrice, mais aussi la nostalgie de son enfance. Nina Bouraoui interroge son identité sexuelle et témoigne de la peur de l’homophobie qui l’oblige à se cacher. Elle dépeint sans fard des femmes en quête d’amour, confrontées au rejet de leurs proches, au mal de vivre, à la tentation du suicide ou à l’alcool. Mais elle évoque aussi la complicité avec sa mère, femme rejetée par sa famille pour avoir épousé un Algérien, et révèle le lien existant entre ses premiers émois amoureux et son désir d'écriture : les impressions jadis consignées dans un journal ont été la source de ce texte fort et poétique sur l’acceptation de soi.
81. Autour d'elles, tome 1
Shino Torino
3.85★ (150)

Maya et Michiru vivent à Tokyo avec Yûta, le fils de Michiru, un garçon très sage qui va encore à la crèche. Bien qu’elles aient été en couple plusieurs années auparavant, c’est à présent en tant que colocataires que les deux femmes élèvent ensemble Yûta. Ensemble, mais pas seules, puisque Nico, l'ex-compagnon du père de Yûta, habite l’appartement du dessous, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est lui aussi très attaché au petit garçon. « Autour d’elles » nous plonge dans le quotidien de cette famille recomposée attachante, pas toujours épargnée par le regard des autres malgré l’affection qui l’unit. Il faut, paraît-il, tout un village pour élever un enfant, un adage qui correspond bien à cette série. La palette des personnages, tous attachés les uns aux autres d’une manière ou d’une autre, démontre s’il le fallait l’importance de la famille choisie, des êtres réellement présents dans la vie d’un enfant au-delà de la filiation traditionnelle. Au fil des six tomes, on recompose les liens qui unissaient les protagonistes, on en découvre de nouveaux, mouvants, en affrontant des thématiques graves comme le deuil, la santé mentale, le stress au travail et bien sûr l’homophobie. Un manga léger qui ne manque pas de profondeur.
82. La mère d'Eva
Silvia Ferreri
4.31★ (158)

Eva vient d’avoir 18 ans et elle se trouve sur la table d’opération d’une clinique serbe. Elle va enfin changer de sexe et ressembler à la personne qu’elle est réellement, Alessandro. Sa mère patiente dans une pièce attenante et se remémore le chemin parcouru : les premiers signes de la dysphorie de genre d’Eva, son mal-être à l’école, son suivi par une psychologue, sa prise d’hormones à l’adolescence jusqu’à cette chirurgie pour retirer ses attributs féminins. Elle se souvient aussi de son propre cheminement, long et difficile, jusqu’à l’acceptation de cette situation, ses maladresses, son sentiment de culpabilité pour s’être parfois mal comportée. Son introspection se prolonge avec l’évocation de sa maternité, les peurs et les questionnements qui suivent l’arrivée d’un enfant. Tout est vu du point de vue de cette mère aimante et imparfaite. En un long monologue, elle s’adresse à son enfant et lui raconte l’histoire telle qu’elle l’a ressentie : elle cherche souvent son pardon tout en lui exprimant son amour. La description des opérations que subit Eva peut être dérangeante, mais la journaliste et autrice Silvia Ferreri livre avant tout un récit poignant. Nous éprouvons une grande empathie pour cette femme, qui, maladroitement, cherche à comprendre ce qu’est la transidentité et à respecter les souhaits de son enfant.
83. Dragman
Steven Appleby
3.76★ (131)

August Grimp aime porter depuis son plus jeune âge des vêtements de femme. Il devient alors Dragman, un super héros capable de voler et de sauver une petite fille en train de chuter d’un toit. De peur du ridicule et de la réprobation de ses proches, il finit par poser ses habits de superhéros pour s’établir en bon père de famille, marié et bien casé dans sa ville de Londres. Pourtant, à l’appel de la jeune fille qu’il a sauvée quelques années plus tôt, Dragman revêt son habit de lumière, pour l’aider à retrouver ses parents, qui ont subitement disparu pour avoir vendu leur âme à la société Black Mist. Dragman est le premier roman graphique, dont le superhéros est transsexuel. Édité chez Denoël, il détourne les codes du comics, avec un angle typiquement british, burlesque, fantaisiste, mais également profond et émouvant. Distingué lors de l’édition du Festival d’Angoulême de 2021, en recevant le Prix Spécial du Jury, Steve Appleby, par sa fascination pour le travestisme et le transgenre, montre tout son talent de scénariste et dessinateur.
84. Trash
Dorothy Allison
3.83★ (103)

Née dans l’Amérique blanche des laissés pour compte, Dorothy Allison a nommé son premier recueil de textes "Trash" - traduisible par “cassos” en français - pour transformer l’insulte en fierté, comme elle l’a fait auparavant avec le mot “gouine”. Dans ces quinze nouvelles, elle raconte son enfance dans une famille marquée par la grande pauvreté et l’inceste. Elle fait le portrait d’hommes alcooliques et violents, de femmes “difficiles, complexes, en colère, avec des natures secrètes et imprévisibles”, et retranscrit l’atmosphère si particulière du sud des Etats-Unis, évoquée par le passé par Flannery O’Connor ou William Faulkner. Elle évoque également, par traits, la manière dont le lesbianisme l’a amenée loin de la violence de son milieu d’origine et lui a permis de se réinventer. Si l’autobiographie occupe une place importante dans les récits de Dorothy Allison, la frontière avec la fiction n’est jamais claire, et cela importe peu quand les textes sont aussi forts. Libre à chacun de se laisser emporter par ces histoires de fantômes, de morsures de singes ou d’amours interdits. Comme bell hooks dans le domaine des sciences sociales, Dorothy Allison porte une voix singulière dans le paysage littéraire, celle des lesbiennes issues des franges de l’Amérique les plus pauvres. Il aura fallu plus de trente ans pour que Trash soit traduit en France grâce à la collection Sorcières des éditions Cambourakis.
85. Coming in
Élodie Font
4.29★ (839)

« Ça se voit », « on veut juste te faire gagner du temps ». Ses amies ont beau le lui répéter, Elodie ne pense pas être lesbienne. Pourtant, ses expériences sentimentales avec des hommes lui donnent peu de satisfaction. Et même quand elle se met en couple avec Maëlle, elle ne se considère toujours pas comme homosexuelle : c’est uniquement cette fille qui lui plaît. Il lui faudra du temps pour se rendre compte que, depuis l’enfance, elle s’est autocensurée et étouffait ses sentiments à la vue d’une femme. Après une longue errance, Elodie parvient à faire son « coming in », à s’avouer à elle-même qu’elle est lesbienne, et à faire enfin le deuil de son hétérosexualité. Ce roman graphique, illustré par des dessins tout en puissance et en couleur de la dessinatrice Carole Maurel, est l’adaptation du podcast du même nom, diffusé sur Arte radio en mai 2017. Elodie Font y narrait, dans un récit intimiste, la découverte et la lente acceptation de son lesbianisme. La journaliste parvient ici à nous faire passer du rire aux larmes, et aborde des sujets aussi graves que la dépression, les pensées suicidaires ou la discrimination au travail. Elle montre aussi parfaitement combien s’avouer son homosexualité a pu être difficile à une époque où certains Français manifestaient contre le mariage des personnes de même sexe.
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