10.
Jacques de Molay - Le crépuscule des templiers
Alain Demurger
3.75★
(41)
Critique de Sarindar :
Alain Demurger est le meilleur connaisseur, à la suite de Laurent Dailliez, de l'histoire des ordres de moines-soldats fondés dans le contexte politique, économique, sociologique, démographique et militaire des Croisades.
Son portrait de Jacques de Molay nous fait nous demander si ce dernier des Grands-Maîtres de l'Ordre du Temple, créé par Hugues de Payens en 1118, était le mieux placé pour accéder au magistère dans sa phalange.
Bon soldat, il eût fait merveille en Terre Sainte si les "Francs" avaient pu s'y maintenir. Mais la perte de la dernière grande place côtière, Saint-Jean-d'Acre, en 1291, et la mort héroïque mais inutile du grand-maître Guillaume de Beaujeu, le placèrent au sommet de la hiérarchie au moment où la raison d'être d'institutions comme l'ordre des Templiers, la garde des Lieux Saints perdus depuis longtemps, ne pouvait plus être invoquée, sauf à vouloir reconquérir Jérusalem au plus vite.
Hors, avec l'arrivée sur le trône de France en 1285, d'un homme comme Philippe IV le Bel, peu fait pour cultiver les vieilles lunes et plutôt enclin au réalisme en matière politique et financière, Jacques de Molay allait avoir affaire à un interlocuteur redoutable. Le roi de France osa poser la question : pouvait-on maintenir en vie plusieurs ordres monastiques et militaires alors que les Occidentaux avaient perdu pied au Levant ? Ne devait-on pas les fusionner pour n'en laisser qu'un seul ? On proposa à Molay d'accepter de s'entendre, à cette fin, avec les Hospitaliers, frères rivaux des Templiers, mais le refus obstiné de ces derniers, détermina Philippe le Bel à pousser une Papauté plus ou moins mise au pas et dépendante des volontés du Capétien (Bertrand de Got était devenu pape en 1305 sous le nom de Clément V et ne séjournait pas à Rome mais sur les bords du Rhône, à peu de distance des terres contrôlées par les hommes du roi de France), à faire en sorte que les Templiers entendent raison.
Philippe le Bel était surtout impatient de faire sentir sa force à un Ordre qui, riche de possessions domaniales et agraires, et fort d'un réseau de commanderies reparties non seulement sur tout le territoire français mais aussi dans le reste de l'Europe, était devenu une puissance économique et financière en engrangeant les donations et en exerçant en partie la fonction bancaire mais seulement pour le prêt (sans intérêt) et le transfert de fonds par le moyen des lettres de change, système fonctionnant grâce aux nombreuses implantations de l'Ordre.
Le trésorier de l'Ordre tint même pendant un certain temps le rôle de contrôleur des recettes et dépenses de la couronne. Intolérable pour un roi comme Philippe le Bel (rappelons aussi que Saint Louis, grand-père de Philippe, n'appréciait guère ces moines-soldats). Les réticences des Templiers à se plier aux exigences du roi et du pape, qui, prétextant de les faire se vouer à un plan efficace de reconquête de la Palestine, de la Syrie et du Liban, de concert avec les Hospitaliers, en ne formant plus qu'un seul bloc, pour mieux les contrôler, ne firent que renforcer la volonté de Philippe le Bel de les abattre.
L'arrestation massive de tous les Templiers de France par les sénéchaux et baillis, au matin du 13 octobre 1307, leur emprisonnement et les méthodes employées par leurs geôliers et tourmenteurs pour obtenir d'eux des aveux quant à des accusations de pratiques homosexuelles, de rites blasphématoires sur des crucifix, de multiples reniements du Christ au cours des cérémonies d'admission dans les rangs de l'ordre, etc., tout cela conduisit, malgré le rappel des prévenus qu'ils n'avaient de comptes à rendre qu'au pape à la protection duquel ils en appelèrent, à la condamnation de l'ordre, dissous officiellement le 3 avril 1312.
Jacques de Molay, par ses aveux obtenus par la force, par ses atermoiements, ses rétractations et son envie finale de défendre l'honneur de l'ordre coûte que coûte, ne fit que révéler des faiblesses humaines, fort compréhensibles, en même temps qu'une absence d'intelligence politique, et même s'il ne fut pas le seul responsable de cette situation, il manqua de réflexe quand la possibilité lui fut offerte de sauver l'ordre en acceptant de le fondre, avec celui de l'Hôpital, dans une seule et même organisation. L'ordre des Templiers, qui aurait pu devenir un véritable État dans l'État si les Capétiens ne l'avait remis à sa place, mourut de l'intransigeance et de la perte de sens du réel de ses têtes dirigeantes. Et Jacques de Molay périt avec courage le 18 mars 1314, sur un bûcher dressé à la pointe de l'île de la Cité, sur l'actuel terre-plein du Pont Neuf. A ses côtés furent brûlés également Geoffroy de Charnay et Geoffroy de Gonneville.
François Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010