15.
Dictionnaire déglingué
Sonia Rykiel
4.00★
(7)
A tout seigneur, tout honneur : c'est un autoportrait qui compose le dictionnaire déglingué que publie Sonia Rykiel chez Flammarion. Les mots, comme des diapos défilent, et on imagine la reine de la « démode », impératrice de ses presque cinquante ans de création, derrière sa frange épaisse, et sa crinière de feu, les commentant.
Et c'est ainsi qu'au fil des pages on lève le voile sur quelques fascinations : les diamants, les livres, le chocolat, le noir, les roses. Une enfilade de mots qui nous font découvrir une personne douce, tendre, et aimant l'intimité de ces liens de toujours, aux reflets de pierres précieuses.
Ce dictionnaire nait d'une succession de poésies, d'aphorismes, de définitions, d'écrits, de mots de Sonia Rykiel, comme la construction d'une frise, avec sa plume, sa salive, son parfum, son timbre de voix et ses longs doigts qui tissent et cousent son monde.
Sa plume apparait fascinante dans cette suite de textes. C'est du télescopage. Un mot en télescope un autre, puis encore un, et un autre. De telle sorte qu'au final, se dessine un microscope sur une idée, et un télescope sur l'Univers.
Tous les mots ne sont pas répertoriés ; on retrouve uniquement des termes sensibles, exotiques, excentriques, coquets, élégants, sensoriels. Ils ne sont pas classés, ils viennent à nous, comme pour compléter une pensée, parachever un mouvement.
Ses dessins, si singuliers, originaux, accompagnent les mots, « Folie », « Séduction », « Temps », « Mémoire », « Robe ». On aime autant le trait, que le remplissage, les lettres, leurs coloriages, les triples définitions. On attend finalement cela d'un dictionnaire, une idée poussée à son apogée, une définition sensible du terme. A quoi nous sert le reste ?
Car derrière les petits pulls, les rayures, le succès de sa maison, se cache une artiste, une vraie, une femme à la sensibilité aiguisée, au combat perpétuel, au désir de perfection, à la poésie douce et mystérieuse. Une femme qui prône la déglingue, celle qui « donne un coup d'éclat, un coup de pied, fait un pied de nez au régulier, au défini, dérange, désordonne pour inventer autrement ».
Avec Sonia Rykiel, on sublime tout. La mode, surtout. On y apprend son goût pour l'imposture et la posture qui distingue les vrais créateurs et « ils ne sont pas légion », comme elle le dit, « parce qu'il n'y a pas de création sans mensonge ».
« Elle bâtit son livre (…) comme on bâtit une robe », dit-elle en citant Marcel Proust. Elle philosophe, construit sa pensée avec les mots, les tissus, les reprises, le toucher, le tombé, elle assemble tout, crée du dépareillé, des dissonances, du clinquant. Elle est prophète, insolente, coquette, émouvante, elle prône la démesure « en tout », dézingue la simplicité « sans aucun intérêt ».
Ce dictionnaire est comme un Sauternes, « une bouteille sublime à boire en se regardant dans les yeux sans se quitter ». Il est surtout à garder absolument, tout près de son chevet, comme un garde-fou déglingué.