André Bucher est une voix singulière du monde rural, une des dernières voix de la nature, ancrée dans une activité agricole, il devient chaque année poète et écrivain passé les premiers grands froids.
Rencontré à Vannes pour une signature chez Joss ma libraire préférée, j'ai tout de suite retrouvé dans ses yeux bleus, toute la magie qu'il donne à ses récits, sa malice pour vivre en harmonie sur ces alpages près de Forcalquier.
La nature est dans ses doigts, elle se lit sur ses mains caleuses, ces mains qui coupent , élaguent, plantent. La forêt apparaît ensuite dans ses gestes, les quelques mots éclairent un paysage ou une ravine que nous réapprenons à aimer.
Romancier son livre déneiger le ciel nous propulse dans l'isolement des villages de montagne, quand ceux-ci ne sont pas voués à des activité hivernales de loisir, il faut alors que les paysans ouvrent les routes, déneigent dans l'urgence parfois pour sauver des vies.
Lire « à l' Ecart » son dernier livre, récit sur la vie d'aujourd'hui dans la vallée du Jabron, c'est un peu pousser sa porte, et parler de tout et de rien, avant qu'il ne dévoile les conditions de vie, de l'homme de ces espaces sauvages, la très grande diversité de la faune, de la difficulté à vivre de ce métier sur les contreforts de la montagne de Lure.
En remontant avec le lecteur à la source de sa vie, et dessinant son parcours jusqu'à son installation dans cette vallée de pierres, on est ému par la passion qui le pousse à voir toujours plus loin, sa volonté farouche de ne jamais renoncer, à bâtir, à construire une famille et basculer leur lieu de vie, en un havre de beauté, en une source d'émerveillement.
Il devient alors le merveilleux conteur des défis de l'agriculture, le paysan engagé porteur d'une autre façon de produire, d'une clairvoyance sur les dangers des pesticides, le père de futurs agriculteurs complètement orienté vers l'écologie, pour réapprendre le végétal à l'écoute des dernières idées, d'où qu'elles viennent.
Un long chapitre est consacré à la « Nature Writing », concept qui regroupe les écrivains tels que Wallace Stegner ou Jim Harrisson, sans oublier Thoreau, en France c'est lui aujourd'hui le plus proche de cette conception du monde, où il faut assumer l'humain et la nature, les faire vivre ensemble. .
Le livre se termine par l'écriture qu'il mène comme un paysan, une terre à entretenir, à désherber, semer sans labourer, en préservant la langue, l'humus, la matière organique.
Son style est poétique parfois épique quand la nature se déchaîne, emprunt de justesse de dépouillement, « il remarqua l'écorce rousillée de quelques pins esseulés ».
C'est un univers que l'on redécouvre, une beauté qui n'est ni insipide ni inutile et pour vous conduire vers cette remise en forme, il nous propose des livres de très beau textes glanés sur tous les terrains de la littérature et ici Gracq, Giono, Fournier, Genevoix, Blangenois...
Ce livre finalement assez court est une mine d'idées, un livre de référence qui vous invite à aller puiser à d'autres sources que celle du Jabron.
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J'ai écrit dans "La Vallée seule" : "Tu verras, là-haut, quand le vent crie, les arbres ont une jolie voix.". Et cet écho de leur respiration vous revient dans les poumons, l'air d'une plainte. Une autre fois, un soleil araignée se débat dans la toile cirée de la pluie et un arc-en-ciel soudain apparait. Puis les ombres en fin de journée se préparent, elles se concertent pour un bivouac à la dure tandis qu'un feu de camp de nuit, rempli d'étoiles brûlantes, s'allume. Rendues quasi transparentes, elles butinent les flammes échevelées projetant leur cire rutilante sur le pardessus de la neige, (...)
A défaut de pouvoir un jour devenir oiseau, j'imagine que ces petites boules de plumes et de chair palpitent derrière ma rétine.
(...)
Reprenant sans faiblir leurs menus travaux de couture, en déjouant les ultimes sursauts des giboulées, ils traversent la nuée en compagnie des étoiles et permettront aux âmes disséminées de circuler dans les trous d'air et le silence ainsi aménagés.
Tels des vols d'oiseaux furtifs, les haïkus déploient leurs ailes, ils referment le cercle, leur chant sans équivoque étant sans doute la formulation la plus juste d'une écriture de la nature débarassée du discours.
"Ne devait-on pas en priorité, se soucier d'apprendre ce que l'on sait, cultiver, approfondir ce que l'on possède de mieux en soi, plutôt que se débattre et se perdre dans ce que l'on ne sait pas ?"
"Nous ne sommes pas une espèce privilégiée ni de providentiels élus. Juste des créatures ténues et imparfaites dans la ronde universelle, l'absolu mystère de l'espace et du temps."
Rencontre avec André Bucher autour de son dernier livre "Tordre la douleur", aux éditions Le mot et le reste.
Entretien filmé à la librairie Le Bleuet le 16 janvier 2021 (sans public).
Partie 5.