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EAN : 9781095086070
37 pages
Inculte éditions (07/10/2015)
3.53/5   15 notes
Résumé :
Dans ce texte écrit à quatre mains, Jérôme Ferrari et Oliver Rohe livrent une réflexion commune sur un thème essentiel de leurs oeuvres respectives : la représentation de la guerre. Les auteurs s’appuient sur une archive historique, constituée de plusieurs centaines de photos prises lors du conflit italo-ottoman en Libye (1911-1912) par un dénommé Gaston Chérau, écrivain et correspondant de guerre, et portée à leur connaissance grâce au travail de l’historien Pierre... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Regarder les images de guerre, comprendre leur récit au-delà de l’effroi et ses échos actuels.

À la fin de l’année 1911, l’écrivain et correspondant de guerre Gaston Chérau est envoyé en Tripolitaine (sur le territoire de l’actuelle Libye) par le quotidien Le Matin pour couvrir le conflit italo-turc. De ce photoreportage pour un quotidien dévoué à la cause d’une Italie soucieuse de renforcer sa légitimité de puissance coloniale, tout en exerçant une domination implacable sur la population locale, il reste aujourd’hui plus de deux cent images, matériau de cet essai.

«Mais les photographies survivent aux circonstances dans lesquelles elles ont été prises et elles finissent toujours par dire plus et autre chose que ce qu’on voulait leur faire dire.»

À partir de ces photographies, Jérôme Ferrari et Oliver Rohe sondent la construction d’un récit de propagande par les images, proposent une interprétation des signes que renvoient ces clichés, en particulier les images, insoutenables, de pendaisons de libyens au milieu de la foule, et interrogent en même temps la possibilité d’en rendre compte en littérature, en montrant ces images (plusieurs d’entre elles sont reproduites ici, de même que des extraits du journal de Chérau insérés dans le récit).

Les autres clichés de Gaston Chérau alimentent aussi la propagande, en montrant la vie quotidienne des soldats pour créer la compassion, mais les photographies de pendaison sont le cœur noir de ces archives, qui au premier abord annihilent la pensée, en frappant d’effroi celui qui les regarde.
En dévoilant leurs hésitations premières à écrire et à montrer ces images, les auteurs mettent en lumière leur questionnement moral et le mouvement pour surmonter le sentiment initial d’horreur que ces images suscitent, et, en spectateur émancipé du matériau par un regard approfondi, pour pouvoir interroger la manière dont elles interpellent notre sensibilité, un siècle plus tard, en regard des interventions militaires occidentales actuelles, l’invasion de l’Irak en particulier.

Les images assujetties à un message de propagande, récit officiel conçu pour donner à la nation italienne le visage de la justice et de la civilisation, et à l’ennemi indigène l’apparence du barbare, ces images des suppliciés libyens (cadavres qui semblent à peine être des hommes, dont l’individualité est niée) où c’est "la qualité d’homme qui est visée et atteinte", semblent annoncer d’autres meurtres de masse du XXème siècle, dont on trouve des échos ici.

À l’heure où peur et propagande peuvent facilement brouiller notre vision du monde, cet essai, paru en octobre 2015 aux éditions Inculte dernière marge apparaît comme une lecture nécessaire et précieuse.

Retrouvez cette note de lecture sur mon blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/11/15/note-de-lecture-bis-a-fendre-le-coeur-le-plus-dur-jerome-ferrari-oliver-rohe/

Pour acheter ce livre chez Charybde, c'est par là :
http://www.charybde.fr/collectif/a-fendre-le-coeur-le-plus-dur
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Ferrari Jérôme et Rohe Oliver – "A fendre le coeur le plus dur" – Dernière marge / Babel, 2015 (ISBN 978-2-330-08652-7)

C'est là un essai relativement bref (109 pages), portant sur les photos faites par un "reporter" photo dénommé Gaston Chérau pendant la guerre que l'Italie mène contre la Turquie pour lui dérober ce qui deviendra la Libye de septembre 1911 à octobre 1912.
Selon les auteurs, il s'agit donc de l'une des toute premières manifestations d'un genre de photojournalisme appelé à connaître un développement de plus en plus important au fil des décennies, à savoir ce qu'il est convenu d'appeler le reportage de guerre.

Gaston Chéreau est financé par l'Italie pour témoigner de l'aspect "civilisateur" de sa guerre de conquête, ce qui est à l'époque couramment admis par toute la classe politique occidentale, quasiment de tout bord ; les auteurs ne le rappellent pas, mais quelqu'un comme Jules Ferry défendra la colonisation, puisqu'elle apporte "la civilisation", et soutiendra (28 juillet 1885, Chambre des députés) que
"les races supérieures ont un droit sur les races inférieures"
elles ont même
"un devoir de civiliser les races inférieures".

Ayant eu l'occasion de travailler sur l'histoire du photojournalisme, ainsi que sur les fonds de photos issus des grandes expéditions "ethnologiques" (genre "la croisière noire" organisée par Citroën en 1924-1925), ce livre ne m'apprend pas grand chose de nouveau, et la tentative d'analyse ou d'explication fournie par les auteurs n'a rien de bien originale.

Finalement, le mérite principal de cet opuscule réside dans le fait d'attester que Jérôme Ferrari s'est réellement concrètement penché sur un fonds de photographies relatifs aux guerres coloniales, et qu'il écrit donc sur ce sujet en connaissance de cause.

Mais c'est dans son roman ultérieur, publié en 2018 et intitulé "A son image" qu'il livre (ou commence à livrer) son ressenti, son analyse, sa connaissance de la problématique particulière à la photographie.
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Jérôme Ferrari et Oliver Rohe : A fendre le coeur le plus dur (2015)
Le titre de ce petit livre est la citation d'une lettre de Gaston Chérau, journaliste et photographe qui a couvert la guerre italo-turque de 1911-1912 en Lybie. le thème est l'asymétrie physique et morale d'une guerre coloniale où l'attaque massive de l'agresseur est suivie de représailles sauvages, lesquelles sont réprimées avec le travestissement du juge chez les guerriers et les civils : ils étaient trop lointains, trop différents, mouraient trop souvent et se ressemblaient un peu trop dans leur mort (p 35). Les postérités de cette horreur sont la guerre d'Algérie (page 55, une quasi-citation d'Où j'ai perdu mon âme) ou d'Irak : Jusqu'au retrait des forces coalisées, les images du bourbier irakien se contentaient le plus souvent d'embrasser le point de vue exclusif de l'armée américaine, jamais celui de l'ennemi autochtone, civil ou insurgé, ajoutant donc à l'asymétrie militaire celle de l'accès à la parole, au récit, à la représentation (p 57). Les photos ne sont guère lisibles, ce qui est suffisant, et une postface précise l'Histoire.
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Ce texte est paru, initialement aux Editons Inculte dont Olivier Rohe est l'un des créateurs, dans le cadre de l'exposition éponyme qui exploite des archives mêlant photographies et textes d'un écrivain-reporter de guerre, Gaston Chérau, envoyé en Libye lors de la guerre italo-turque en 1911. Quelques photos reproduites donnent un reflet de ce terrible corpus de plus de 200 clichés.


Passée la sidération de la découverte de clichés reproduisant la pendaison de 14 rebelles dans une mise en scène soigneusement organisée, les auteurs les mettent en perspective avec le reste du corpus, et réfléchissent à la propagande photographique en temps de guerre, et au sens à décrypter à travers ces cliches, à la question de la représentation de la violence dont l'obscénité même justifie, ici, la nécessité.

Ce texte est constitué de petits chapitres qui lui donnent un côté un peu disparate. Il laisse un petit goût de superficialité cachée derrière une rhétorique pompeuse, qui le mène parfois à la limite de l'obscur. On regrette que la seule réflexion soit mise en avant, au détriment d'une connaissance du photographe, Gaston Chérau, dont la position face à ces clichés n'est que vaguement ébauchée (à tel point qu'on ne peut savoir si elle s'appuie sur l'analyse des documents écrits, ou s'il s'agit d'une interprétation des auteurs). Il n'en demeure pas moins qu'il pose de bonnes questions, fait émerger des documents jusque là oubliés quoique primordiaux, et qu'on y trouve quelques idées à glaner. L'exposition devait être passionnante!
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Actes Sud édite en poche ce court et remarquable essai de Jérôme Ferrari et Olivier Rohe, qui ont exhumé les photographies d'un reportage réalisé par Gaston Chéreau au cours de la guerre italo-turque (1911-1912) en Tripolitaine (actuelle Libye). Leur regard n'est bien évidemment pas le même que celui de Chéreau et de la grande majorité des Européens des débuts du XXe siècle. Ferrari et Rohe démontent la machine de propagande italienne de l'époque pour mettre à jour la barbarie coloniale et la mise en place d'un système judiciaire partial au service de la puissance dite "civilisée".
Ce texte est d'autant plus intéressant qu'il met en avant un conflit peu connu et qu'il nous aide à comprendre les enjeux libyens de l'après Khadafi.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
A Tripoli, pour l’une des premières fois dans l’histoire, la présence des journalistes et des photographes s’inscrit dans un dispositif de contrôle des images parfaitement pensé, si bien qu’il m’a fallu admettre ce qu’il m’avait été d’abord impossible d’imaginer : cet alignement de pendus n’est pas censé symboliser le crime, encore moins le dénoncer, mais louer au contraire l’inaltérable sérénité de la justice, la tranquille rigueur de la civilisation face au bouillonnement désordonné et sanglant de la barbarie. Il ne s’agit pas d’établir une symétrie dans l’horreur, comme nous l’avions spontanément pensé – ou plutôt comme nous l’avions cru sans nous donner la peine de penser – mais de réaffirmer, aux yeux des lecteurs du Matin, dont la direction met alors un point d’honneur à se conformer aux souhaits de l’Etat-major italien, que l’ordre du monde repose sur une asymétrie indépassable, profondément rassurante, au sein de laquelle le bien et le mal sont séparés de telle sorte qu’ils ne peuvent jamais se refléter l’un l’autre.
Les Italiens venaient d’apprendre la nécessité de la communication.
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La pendaison inaugurale et celles qui l'ont suivie furent également photographiées par Chéreau, non pas de loin, d'une terrasse en surplomb de la ville, mais bien dans le giron des condamnés, depuis le cercle d'épouvante que trace l'aura de leur mort. Sur ces documents bouleversants, les corps et les visages ne sont plus abolis. Ils sont, au contraire, révélés de près, parfois en gros plan. Regardés de cette distance-là, dans une proximité qui les arrache à l'abstraction de la vue panoramique, ce sont déjà un peu plus des hommes. L'indéniable beauté qui se dégage d'eux - sa persistance miraculeuse - interrompt provisoirement en nous l'effroi que soulève leur condition, faute d'en être bien sûr le remède, la résolution. Si pour l'ordre colonial qui les anéantit les pendus ne sont pas et ne seront jamais tout à fait des hommes, voilà en effet que leur beauté, remarquée de Chéreau [...], les singularisent de nouveau, les affuble de cette parcelle d'humanité dont le gibet les avait dépossédés. C'est là une petite victoire politique, pour ces visages, à l'intérieur d'une défaite colossale.
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La propagande italienne, telle qu’elle s’élabore dans les images de Chérau, s’évertue à changer notre perception de la nature du conflit en Libye, plus encore qu’à adresser aux pays occidentaux une impression fallacieuse de triomphe, d’ordre imperturbable et de gouvernance sereine. Elle vise à faire oublier que l’Italie s’est aventurée dans une conquête coloniale à laquelle fut immanquablement opposée une guerre irrégulière, la multiplication d’actes de résistance et de guérilla, la constitution progressive d’un ennemi populaire total ; en lieu et place de cette guerre réelle, la fiction qu’elle était plutôt engagée dans une chasse aux assassins, aux criminels et aux vagabonds, sur un territoire qui lui revenait depuis toujours.
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Le secours de toutes ces photographies délaissées, y compris les plus touristiques d’entre elles, les plus banales et les plus innocentes, où nichent parfois les indices les plus riches, restituait en quelque sorte un peu mieux les pendus à leur condition historique, inscrivait leur épouvantable destin pénal dans une trame narrative plus vaste, un réseau de faits et de signes intelligible. Il n’y a pas de violence qui puisse s’abstraire de la structure politique et sociale dont elle n’est qu’un des moments, à défaut d’en être toujours l’aboutissement.
S’incliner devant cette espèce de trop-plein, d’excès d’éloquence de l’image terrible, qui ne ménage en son sein aucun espace à la parole, c’est oublier la nature, peut-être, de toute image, même la plus spectaculaire, même, justement, la plus parlante : elle n’est que la forme abrégée d’une totalité cachée, l’incarnation d’un plan invisible de quoi elle procède. Elle sert par sa présence à désigner ce qui est absent, à nous ouvrir à lui.
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Ainsi, malgré l'immense barbarie militarisée qu'ils répandent sur le monde, l'asservissement, la spoliation éhontés qu'ils sont en voie d'accomplir, les soldats sont-ils pour l'Occident qui les envoie et s'observe à travers eux les dépositaires de la civilisation, les représentants de l'humanité avancée. Cette violence inouïe dont ils usent est la nôtre. Nous la leur avons déléguée. Ils la déploient en notre nom, partout où la nouvelle de notre supériorité n'aurait pas été entendue, ils la déploient au nom des affinités, des croyances et des valeurs que nous avons en partage. Leurs souffrances sont pareillement les nôtres, leurs pertes et leurs blessures, qui peuvent nous atteindre au plus intime, emportant nos fils, nos appelés.
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Jérôme Ferrari, prix Goncourt 2012, est à l'honneur de cette nouvelle séance du cycle « En lisant, en écrivant ».
Qui est Jérôme Ferrari ? Professeur de philosophie, Jérôme Ferrari obtient en 2012 le prix Goncourt pour le Sermon sur la chute de Rome, saga familiale inspirée par une phrase de saint Augustin : « le monde est comme l'homme, il naît, il grandit, il meurt.» Son dernier roman, À son image (2018), se penche, à travers l'histoire d'une photographe de guerre, sur le pouvoir évocateur – mais aussi l'impuissance – de la photographie.
En savoir plus sur les Masterclasses – En lisant, en écrivant : https://www.bnf.fr/fr/master-classes-litteraires
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