A la folie, passionnément : A-t-on raison de tomber amoureux ?

En cette période de baccalauréat je rajeunis et me penche avec Marianne Chaillan professeur de philosophie sur une question à laquelle j'aurais sans doute du mal à répondre en quatre heures mais qui ne manque pas d'intérêt:

"... aimer à la folie, est-ce perdre la raison ou bien, d'une certaine manière, rien n'est-il plus raisonnable que ce désaveu de la raison? "

Dès l'introduction Marianne Chaillan choisit son camp:

" L'affirmation du désir amoureux, pour le meilleur et pour le pire!"

Voilà qui est inspirant.

Et pour nous convaincre elle construit son propos en trois parties:

Que vienne le temps où les coeurs s'éprennent
L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir
vivre était sublime

Son propos est facile à lire et très illustré. Il y a des philosophes, bien sûr (Kant, Barthes, Sartre, Rousseau, Platon...) mais aussi de la littérature ( Belle du Seigneur, le rouge et le noir, l'amant, la princesse de Clèves...) des films (le patient anglais, love actuelly, le grand bleu...) et des chansons ( Ferrat, les Beatles, Goldman, Carmen de Bizet, Nina Simone et Barbara)

C'est vivant, joyeux, cultivé.

Dans une conclusion pleine d'exemples et de citations elle nous encourage à vivre comme Barbara " le coeur battant "
et souhaite, "qu'à notre souffle dernier quand sonnera l'heure blême, nous ayons le coeur plein de ces printemps éternels que l'amour nous a donné à vivre."

Alors vivons, aimons, n'ayons pas peur, nous n'aurons rien à regretter!

Merci aux éditions Équateurs pour ce livre et merci à Marianne Chaillan pour la leçon de philosophie. Qu'est-ce que le désir amoureux ? Est-il une forme de sagesse ou bien un mal ? L'auteure examine dans le livre cette question et choisit son camp, celui du désir amoureux qui fait se sentir vivant ou vivante et vibrer.

Le contresens selon elle c'est de réduire le désir amoureux à de l'éphémère, ou bien de croire au " toujours ". La solution qu'elle propose : garder le désir de l'autre vivant et accepter qu'il nous échappe un peu quoiqu'il arrive en raison de son altérité.

Dans sa conception l'amour véritable est aide à s'accomplir, pas enfermement. Elle exprime qu'il faut accepter les joies et les souffrances. Elle s'appuie sur des analyses philosophiques, son vécu et une part d'érudition.

Seulement si les références à la littérature et la poésie sont riches, sortons-nous véritablement d'une conception abstraite ? Et désire-t-on vraiment quelqu'un dans l'amour ? Un philosophe du désir G. Deleuze a montré que le désir c'est du " constructivisme ".

Désirer dans l'amour c'est construire un être ensemble dans un ensemble de situations... Selon lui, il ne convient pas d'interpréter le désir amoureux mais il revient à chacun de chercher l'agencement qui convient pour se libérer.

Aussi si le désir est quelque part " puissance " comme le montre Marianne Challan quel est dans ce cas la nature des éléments à rassembler pour qu'il y ait désir amoureux ?... Question qui ouvre sur le concret à ma perception et une perspective émancipatrice.

J'ai donc deux questions à poser après avoir lu le livre. Pourquoi Deleuze n'est pas présent dans un livre qui aborde la notion de désir ? Et aux conceptions abstraites du désir issues de la tradition philosophique ne peut-on pas opposer une conception constructiviste ?

Dans mon bouquin de philo vintage, il y a bien un chapitre sur la passion, qui débute ainsi: "L'amour est un tyran qui n'épargne personne" (Corneille, le Cid). Je préfère largement me laisser emporter par les 1ers mots de Marianne Chaillan : "Wild is the wind" (Nina Simone), la promesse d'une lecture qui donne le tournis !

De la rencontre amoureuse avec ce sentiment de connaître la personne depuis toujours, au désir qui naît du manque et qui condamne fatalement les âmes soeurs à vivre des sentiments ambivalents, tout porte à croire qu'il serait quand même plus sage de renoncer à la passion qui nous consume.
De plus, la littérature aime mettre en scène des femmes enfermées dans un mariage, sans aucun élan passionnel ("Un mari ne peut pas faire de la poésie à longueur de journée") ou qui finissent victimes du "sortilège maléfique de la passion".
Mais alors, comment surmonter le vertige de ces montagnes russes ? Chacun sa méthode: Marc-Aurele propose d'expliquer objectivement les phénomènes qui nous effraient, d'où une description hyper glamour de l'amour des corps (que je vous laisserai découvrir dans l'essai...). Dans "Le banquet", Platon pense qu'il faut aimer sur fond d'incertitude. Descartes, lui, distingue l'amour de concupiscence et l'amour de bienveillance. Bref, l'espoir n'est pas complètement perdu !

J'ai dévoré cet essai passionnant, enthousiasmant et virevoltant !

All we need is love, don't we?

J'avais adoré « où est donc le bonheur », un essai philosophique sur le bonheur justement. C'était avec grand plaisir que j'ai retrouvé Marianne Chaillan dans ce nouvel essai sur le désir.

Désir, qui es-tu?

Je suis celui qui survient par effraction, celui grâce à qui vous vous reconnaissez, tout autant inconnu que vous êtes, celui qui crible votre coeur de centaines de flèches.

Je viens pour vous submerger. Maître des illusions, je suis insatiable, un éternel insatisfait.

Je suis inatteignable. Je suis une promesse que je ne tiendrai pas.

Je suis la vie.

Éros est fils de Poros et de Penia, l'abondance et le manque selon le mythe du Banquet de Platon. "Le désir est à la fois ce manque qui aspire à être comblé et ce trop-plein qui excède toute situation donnée."
Par sa double naissance, "le désir ne naît pas de l'incomplétude, il n'est pas marque de la misère de l'homme : il révèle, au contraire, sa puissance."

Malgré ce constat qui pourrait pousser à refuser le désir, à vouloir le contrôler, voire l'éteindre, l'auteur fait parler des philosophes comme Levinas, Descartes, Schopenhauer ; parmi eux, Spinoza développe la notion de conatus, cette force, ce désir qui pousse à se surpasser, à créer, et surtout à vivre. "Désirer, c'est être vivant. Vivre, c'est se sentir traversé par le grand vent de notre élan vital." Si certains refusent cette imprudence soufflée par le désir, d'autres savent que la vie est brève et que son confort ne suffit pas toujours à la sentir.

(...)

En décortiquant la nature du désir, Marianne Chaillan ne nous en dégoûte pas, au contraire ! Par l'enthousiasme qu'elle met à écrire cet essai, elle console de nos erreurs et donne envie de les commettre toujours !

Article en entier sur le Manoir des lettres.
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