AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782809709469
475 pages
Editions Philippe Picquier (03/10/2013)
3.6/5   10 notes
Résumé :
Adieu, mon livre ! Tout comme les yeux de celui qui doit mourir, les yeux qui ont créé doivent aussi se fermer (T.S. Eliot).
Retiré dans sa résidence, un romancier vieillissant affronte avec un ami d’enfance sa propre disparition face à la destruction possible d’un monde auquel il appartient. Chôkô Kogito entreprend ainsi l’écriture d’un nouveau roman « à l’intérieur même de ma vie ». Dans cette maison propice à l’échange de vues et à la méditation, le romanc... >Voir plus
Que lire après Adieu, mon livre !Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
C’est l’histoire de deux amis vieillards, ou de deux vieillards amis. L’un s’appelle Choko Kogito, et il ressemble beaucoup à son auteur : il est écrivain, il a connu beaucoup de succès, a obtenu le Nobel et est père de deux enfants, Mâ’chan et Akari, un fils handicapé passionné de musique. L’autre s’appelle Tsubaki Shigeru, il a longtemps vécu aux Etats-Unis en tant que professeur, mais son enfance s’est passée aux côtés de Kogito. Un même lieu les réunit à nouveau tous les deux : Shigeru en tant qu’architecte a bâti les plans des deux maisons jumelles qu’habite Kogito quand il n’est pas à Tokyo : au cœur des montagnes, à Kita-Karu, deux maisons en fait se font face dans un village universitaire paisible : la maison dit Gerontion, en hommage à un vers du poète T.S. Eliot, et la Maison-du-Vieux-Fou, sa voisine, baptisée ainsi en hommage à Yeats.

D’autres personnages vont intervenir dans cette histoire peu ordinaire : Vladimir, un garçon d’origine russe, et Shinshin, d’origine chinoise, tous deux étudiants de Shigeru. Puis, un peu plus tard dans le roman, Takeshi et Take’chan, qu’on ne distingue apparemment que par une syllabe, tant les deux étudiants se ressemblent, chaperonnés par une jeune femme protectrice, Neio.

Le roman « Adieu, mon livre ! » s’ouvre sur Kogito qui attend l’arrivée de son vieil ami Shigeru. Ils ne se sont pas vus depuis des décennies. Kogito a été gravement blessé, alors qu’il est d’un âge avancé. A ses côtés se tiennent Mâ’chan, sa fille et sa femme Chikashi. Et sa fille est inquiète, parce que son père est victime d’un étrange dédoublement de personnalité : régulièrement, il est « visité » par un être ayant d’ étranges côtés.

Nous voilà très vite embarqués pour une histoire étrange voire rocambolesque où, tout comme la fille de Kogito, le lecteur s’interroge légitimement quand on entend le personnage de l’écrivain dialoguer la nuit avec son double, ou avec des amis défunts.

Ce n’est qu’une des nombreuses surprises réservées par ce livre hors du commun. Une autre consiste dans le scénario chimérique que le lecteur va suivre jusqu’à la fin : Shigeru n’est pas revenu par simple amitié retrouver Kogito. Il a lui-même un projet, conçu dans ce lieu qu’il considère comme sa base opérationnelle, qu’il partage d’abord avec Vladimir et Shinshin, et bientôt avec les autres personnages, tous vivant dans l’une ou l’autre des deux maisons du vieil écrivain. Convaincu que les forces du mal sont à l’œuvre sur la planète, et que l’on est impuissant à agir pour prévenir la disparition de l’espèce humaine, il conçoit en effet l’idée de mini attentats terroristes, dans un projet nommé Unbild, lui qui en tant qu’architecte a pourtant construit de beaux édifices. Une mystérieuse association, dite « organisation de Genève, approuvera ou désapprouvera les plans des protagonistes, les amenant à changer de cible : ce qui au départ devait être l’effondrement d’un immeuble de Tokyo, à l’image du 11 septembre, va devenir un édifice beaucoup plus petit mais beaucoup plus symbolique. Et son action devrait faire école dans le monde …

Kogito ne sera pas indifférent à ces opérations. Au départ mêlé malgré lui à ces préparatifs d’attentats, et donc, tant que le projet Unbild n’est pas encore au point, « assigné à résidence » par Vladimir et Shinshin (bientôt rejoints dans cette mission par Takeshi et Take’chan), de peur qu’il ne révèle tout aux médias, il va devoir tenir un rôle dans le scénario que projette Shigeru, puisque sa notoriété le conduira forcément à expliquer aux journalistes ce qui s’est produit et les raisons profondes de la volonté de destruction.

C’est un roman complexe, dense, qui ne se contente pas d’évoquer un scénario farfelu d’attentats voués à attirer l’attention.
Kenzaburo OE y évoque bien d’autres questions : celle des relations de proximité entre de vieux amis de plus de 60 ans, mais aussi de jalousie et de rejet mutuel qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, et qui sont cependant peut-être plus proches qu’on ne le pense au début du roman. Ces deux vieillards ne seraient-ils pas l’avers et le revers d’un seul et même personnage ?
Comme dans certains récits classiques français, on entend les deux faces d’une même question : entre l’architecte bâtisseur, qui veut agir dans ce monde avec quelques étudiants, et l’écrivain sur la réserve, qui hésite à prendre part à l’étrange projet Unbild, s’engage en effet une dialectique qui permet à chacun d’afficher son point de vue.

Mais il y a encore bien des choses dans cet étonnant Adieu, mon Livre !
Fin connaisseur de la littérature européenne, Kenzaburo OE introduit une mise en abyme dans l’idée que Kogito, bien que vieux et n’ayant plus d’inspiration au début du récit, va se lancer dans l’écriture d’un nouveau roman (le dernier ?) en s’appuyant notamment sur la lecture du Voyage au bout de la nuit de Céline. Il évoque la figure de Bardamu et surtout celle du mystérieux Robinson, qui croise Bardamu à tous les moments clés du roman, et à qui Kogito (OE ?) décide de donner la parole, en prolongement de son Voyage dans ce qui pourrait s’appeler Le Roman de Robinson, où il va consigner toutes les aventures liées au projet de Shigeru.

Kogito/Shigeru, Bardamu/Robinson, deux couples qui viennent rejoindre le cortège des nombreux « duos » littéraires dans la littérature classique : Dom Juan/Sganarelle, Jacques/son maître, Lui/Moi (dans Le neveu de Rameau), Bouvard/Pécuchet, Vladimir/Estragon, pour ne citer que ceux-là, en se limitant à la littérature française.
Car la partie qui me semble peut-être la plus intéressante, dans ces dialogues incessants entre personnages, est celle où l’on parle littérature : il y est question de grands auteurs et de construction littéraire aussi, avec des questions comme celle de savoir s’il faut connaître la phrase finale (à propos du « problème Mishima ») avant de pouvoir commencer un texte.

De nombreux thèmes sont abordés dans cet ouvrage : celui de la vieillesse bien sûr, mais aussi des relations entre fiction et réalité, entre engagement et observation, ou encore de la nécessité de transmettre aux générations à venir un monde sain.

« J’ai aujourd’hui le sentiment que le Japon traverse un de ces moments où l’horizon semble fermé : les connaissances que nous avions sur le monde et la société paraissent dénuées de sens. Adieu, mon Livre ! retrace un cheminement intérieur, le mien, qui coïncide avec la catastrophe collective que vit le Japon » explique l’auteur dans une interview au Monde des Livres. Car la réflexion sur le projet visant à lutter contre « la violence colossale de ce monde » n’est évidemment pas sans lien avec l’actualité nucléaire de ce qu’a vécu le Japon avec Fukushima.

En définitive, peut-on parler de la sagesse des vieillards ? Laissons le soin aux vers de T.S. Eliot de démontrer que non : « Que je n’entende pas parler de la sagesse des vieillards, mais bien plutôt de leur folie, de leur crainte de la crainte et de la frénésie, de leur crainte d’être possédés, d’appartenir à un autre, à d’autres, à Dieu. »
Une sorte de synopsis de ce livre foisonnant et déroutant qu’est pour nous Adieu, mon Livre ! mais dont on recommande la lecture pour en éprouver la densité et dont on n’a certainement pas fini d’épuiser le sens.

Lien : https://www.biblioblog.fr/po..
Commenter  J’apprécie          30
J'ai dévoré ce livre ! Même si l'objet est pour moi bien difficile à appréhender (je vous invite à lire les deux contributions de viduite et fbalestas qui vous en apporteront bien sûr que je ne serais capable de la faire), c'est un roman à la fois étrange (avec son rocambolesque projet d'attentat), en partir autobiographique (ou traitant d'une matière autobiographique), foisonnant, référencé, évoquant la création, la vieillesse, le double. Mais le style est relativement simple, et le lecteur n'est jamais laissé de côté.

Comme le précise le traducteur en préambule, Adieu mon livre ! est la première et, pour l'instant la seule traduction française (heureusement que les éditions Picquier sont là) d'une oeuvre romanesque postérieure au Prix Nobel reçu par Oe. C'était il y a 25 ans !
Que fait son éditeur attitré, Gallimard ?
On se le demande !
Commenter  J’apprécie          20
Dans ce très beau livre, Ôé Kenzaburo feint de reprendre pour l'achever son entreprise autobiographique. À travers une très riche réflexion sur le double, l'engagement politique et la création poétique, il nous livre un très grand roman.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
Commenter  J’apprécie          40

Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
est-ce parce qu’un romancier, même âgé, espère toujours que c’est justement sa prochaine œuvre qui va compter ? Mais si c’est bien ça, toutes les œuvres qu’il a écrites jusqu’à ce jour… dans un certain sens… est-ce qu’il ne les considère pas comme un amoncellement d’échecs ?
- Non, je ne pense pas que tout ce que j’ai écrit jusqu’à maintenant soit dépourvu de valeur ! Mais je ne considère pas davantage que la somme de ce que j’ai fait me représente, qu’elle constitue la dépouille de celui qui, n’ayant su mourir, tient en ce moment un stylo.
Non, ce qui m’intéresse, c’est celui qui est, somme toute, en vie et veut faire encore quelque chose.
Commenter  J’apprécie          20
Fondamentalement, celui qui se trouvait là, bien présent, était le moi qui rédigeait depuis longtemps des romans, alors que l’autre moi donnait l’impression d’être le héros du roman qu’il aurait voulu mais n’avait pu écrire dans sa jeunesse, à moins qu’il ne fût le jeune homme impatient d’écrire le roman en question.
Commenter  J’apprécie          30
Le lendemain, Shinshin fit son apparition à l'heure habituelle des lectures d'Eliot. Sans aborder les évènements survenus après l'assignation à résidence de Kogito, elle se contenta de lui demander s'il avait le temps pour une leçon.
- Ce matin, Shige'san m'a demandé où nous en étions, et lorsque je lui ai répondu que nous avions terminer la seconde moitié d'"East Coker", il m'a dit que vous deviez avoir montré une émotion toute particulière. Mais, à quoi faisait-il allusion ?
Kogito ne répondit pas, mais il avait tout de suite retrouvé le couplet auquel avait certainement songé Shigeru. Il demanda à Shinshin de lui relire la fin de la deuxième partie du poème. Tout en écoutant les vers qui lui étaient tout particulièrement familiers, il fit chanter dans sa tête, comme une musique, les mots de la traduction de Nishiwaki Junzaburô :
" Que je n'entende pas parler de la sagesse des vieillards, mais bien plutôt de leur folie, de leur crainte de la crainte et de la frénésie, de leur crainte d'être possédés, d'appartenir à un autre, à d'autres, à Dieu. "
Commenter  J’apprécie          00
— Après avoir lu Eliot, tu as esquissé en mots la maison que tu souhaitais construire. Puis tu l’as baptisée Maison-Gérontion, mais moi, à ce moment-là, je n’étais pas encore vraiment fasciné par ce poème. Quand on arpente les rues de New York en regardant le sol, on comprend aisément à quel point les buildings y sont collés les uns aux autres ; alors, quand j’ai vu apparaître des failles dans une telle ville, cette catastrophe m’a affecté physiquement. Je me suis senti, moi aussi, complètement cassé !…

C’est alors qu’un fragment de « Gérontion » s’est mis à vibrer dans ma tête grisonnante : Après un tel savoir, quel pardon ? Dis-toi bien… Ce vers-là, précisément ! Et toi, quand tu as subi cette grave blessure, n’as-tu pas aussi entendu ce même fragment ?
Commenter  J’apprécie          00
il désirait vivre plus calmement qu’auparavant, afin que les étranges côtés de son autre personnalité n’attirent pas l’attention ; il voulait ainsi veiller à ce que le regard des gens ne se fixe pas sur eux. C’étaient là les pensées qu’il entretenait. D’ailleurs, viendrait peut-être le moment où son moi, qui n’avait plus tellement d’années à vivre, volerait soudain en éclats, entraîné par cet autre moi dont il n’aurait pu encore saisir la véritable identité. Mais, jusqu’à ce moment-là, il avait l’intention, tout en menant une vie paisible, de se tenir prêt…
Commenter  J’apprécie          00

Videos de Kenzaburo Oé (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Kenzaburo Oé

Marque-page 2013-12--193-003048BDD2D9.mp4
Payot - Marque Page - Kenzaburô Oé - Adieu, mon livre !
autres livres classés : japonVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (47) Voir plus



Quiz Voir plus

Les mangas adaptés en anime

"Attrapez-les tous", il s'agit du slogan de :

Bleach
Pokemon
One piece

10 questions
885 lecteurs ont répondu
Thèmes : manga , littérature japonaiseCréer un quiz sur ce livre

{* *}